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jeudi 2 mai 2024

Onirosophie

Hommage à la Sagesse des Rêves


Toutes les illustrations de cet article sont des tableaux du peintre surréaliste Octavio Ocampo dont vous trouverez des oeuvres en différents endroits sur Internet : je vous invite à visiter sa page page wikiArt.

Vous pouvez télécharger une version PDF de cet article sans illustrations : ici


J’ai envie de vous parler aujourd’hui aussi simplement que possible de la sagesse des rêves, et de la façon d’entrer en relation avec elle. Je sais, cette simplicité n’est pas mon fort (lol) : j’ai tendance à partir dans la stratosphère des grandes idées et à écrire des articles de trois kilomètres de long. J’assume tout à fait cette habitude car il y a des sujets qui réclament d’aller au fond des choses, ce qu’on ne fait pas en quelques mots. Mais en ce qui concerne les rêves, c’est justement de la simplicité avec laquelle on peut les approcher pour les écouter dont je voudrais vous entretenir maintenant. Bien sûr, ils sont souvent assez difficiles au prime abord à comprendre, à entendre dans ce qu’ils cherchent à nous dire… et cependant, ce n’est pas avec des théories compliquées qu’on arrivera à les faire parler. D’emblée, je poserai deux propositions ici :

- Contrairement à ce que l’on est porté à penser en Occident de nos jours, l’écoute des rêves n’est pas réservée à des spécialistes et ne requiert pas de longues études pour assimiler des connaissances approfondies en physique nucléaire. Rappelons-nous toujours que nos ancêtres avaient une excellente intelligence de ce que les rêves cherchaient à leur dire. Encore aujourd’hui les représentants des peuples premiers ont beaucoup à nous apprendre sur ce point. Pourtant, ils n’avaient et n’ont pas d’universités où apprendre la psychologie, etc.

- Toutes les méthodes, toutes les approches, en autant qu’elles évitent de plaquer un discours pré-formaté sur le rêve, de tenter de le forcer à entrer dans un système, sont bonnes. Elles emmènent plus ou moins loin, permettent d’accéder à plus ou moins de profondeur... mais en autant qu’elles permettent d’établir une relation avec la dimension vivante du rêve, de dialoguer avec lui, elles sont excellentes.

Je proposerai deux images pour illustrer ce que je dis là. La première pose que lorsqu’on veut parvenir au sommet d’une montagne, toutes les voies sont bonnes, pourvu que l’on ne s’arrête pas en chemin en déclarant que là où l’on bivouaque, c’est LE sommet que nous avons conquis. La seconde, c’est que quand un bébé veut naître, la nature aide, et qu’en autant que les méthodes employées ne blessent ni l’enfant, ni la mère, elles sont bonnes. J’oserai dire que le sens du rêve vient au monde malgré nos méthodes et tous les forceps intellectuels que nous sommes tentés d’utiliser pour l’accoucher.

Un corollaire de ma seconde affirmation, c’est qu’il n’y a pas de théorie et de méthode ultimes pour comprendre et interpréter les rêves. Il n’y a aucun moyen de prendre un rêve, de le décortiquer en ses éléments de base en analysant sa structure et en le catégorisant dans un type défini pour le passer par une moulinette qui poserait des questions au rêveur et recracherait une interprétation à la sortie. Si cela se pouvait, il y aurait un informaticien (comme je l’ai été dans une autre vie) pour élaborer un algorithme et voilà que nous serions à la veille de confier nos rêves à une IA. Je vous ferai rire une autre fois avec les tests que nous sommes quelques-uns à avoir fait avec l’interprétation des rêves par chatGPT – ouf, l’humanité a encore quelques années-lumières d’avance sur la soit-disant intelligence artificielle. Et donc, avec tout le respect que j’ai pour le travail de Jung et de tous ceux qui ont éclairé le monde du rêve, je dois mettre en garde contre toutes les théories totalisantes du rêve : on peut s’enfler facilement le mental en maniant les concepts de l’ombre et de l’anima, parler de l’interpellation du Soi sans se laver la bouche… et passer à côté de la réalité vivante de ce dont il est question.

Il vaut bien mieux revenir à une simplicité de cœur.

Car finalement, c’est la relation avec le rêve qui va lui permettre de nous amener quelque chose de nouveau à la conscience. La relation, rien que la relation, quelle que soit le truchement par lequel on passe, le vocabulaire que l’on emploie, la théorie avec laquelle on essaie de le saisir…

Pourquoi ?

Parce que le rêve vient de la sagesse vivante dans notre profondeur. 


On dit volontiers que le rêve est issu de notre inconscient. D’autres cependant discutent l’existence de ce fameux inconscient en déclarant que rien n’est inconscient en nous. Les deux ont raison. La pire erreur que l’on puisse faire à propos de l’inconscient, ce n’est pas de déclarer qu’il n’existe pas (on avoue alors simplement que l’on n’a pas compris de quoi il est question), mais de penser que l’inconscient est inconscient. Au contraire, il semble bien qu’il y ait en nous une conscience bien plus vaste, plus profonde et informée sur notre réalité que nous ne le sommes nous-mêmes. Et c’est nous qui n’en sommes pas conscients. En Orient, on désigne volontiers cette intelligence subtile dont les rêves émergent comme étant la « conscience des profondeurs » tandis que nous, à moins que nous soyons des êtres réalisés dans la pleine conscience, nous tenons à la surface de celle-ci. Et quand un rêve émerge des profondeurs, c’est que quelque chose veut devenir conscient. La sagesse qui nous est entièrement naturelle – la nature en nous, dans son infinie sagesse – nous adresse un message, cherche à éclairer notre lanterne.

Une première difficulté dans l’accès à la sagesse des rêves est souvent que nous avons de la difficulté à nous en souvenir. Il y a plein de trucs pour nous y aider mais surtout, quant à cela, deux choses importantes à savoir. La première, c’est que bien souvent, nous passons à côté des toutes petites images de rêve. Nous voudrions avoir de grands rêves plein de symboles, et nous négligeons la toute petite image, qui nous semble peut-être tout à fait banale, avec laquelle nous nous réveillons. Et même s’il n’y a pas d’image qui nous reste, l’important est de prêter attention au ressenti avec lequel nous nous réveillons, qui est un peu comme l’écume qui reste du rêve. Il est bien possible que la simple écoute de ce ressenti nous reconnecte au rêve, et sinon, nous restons simplement avec le sentiment indéfinissable que nous laisse le rêve en fuite. Et ce ressenti, déjà, nous met en lien avec notre vie intérieure. 

Il n’est pas rare qu’à partir du moment où nous prêtons attention à ces toutes petites images et au ressenti qui émerge de la nuit, nous commencions à nous souvenir de plus en plus de nos rêves. Pour cela, il faut s’en donner le temps, bien sûr, et les noter, les fixer. Mais l’autre point qui est important, c’est que nous nous souvenons toujours de ce dont nous avons besoin de nous souvenir, rien de plus. Il ne sert à rien de se crisper pour essayer d’attraper des rêves : de toutes façons, notre psyché est active la nuit, et si nous ne nous souvenons pas de ce qui s’est passé, c’est que nous ne pouvons rien faire avec ça. Les rêves dont nous nous souvenons s’offrent à une intégration consciente. C’est bien, cela suffit. Relaxons, si la source des rêves veut nous dire quelque chose, elle nous le dira en son temps, quand elle voudra.


Nous pouvons donc partir d’une prémisse très simple : quand nous nous souvenons d’un rêve, c’est que quelque chose cherche à devenir conscient. Un bébé de conscience cherche à venir au monde dans notre psyché. Pourquoi est-il si difficile à interpréter, à comprendre ? 

D’abord parce que nous sommes éloignés de notre véritable nature, et ce dont il nous parle, le langage qu’il emploie, nous semblent étrangers. Il y a là une invitation à nous rapprocher de nous-mêmes, de qui nous sommes vraiment. Le rêve ne ment pas, ne déguise pas. Jung disait qu’il est nature qui s’exprime en nous – notre nature, la nature dans ce qu’elle a de sauvage, de non-domestiquable. Or nous sommes domestiqués pour la plupart, civilisés, bien loin de cette nature qui nous invite, dans le rêve, à reprendre contact avec elle...

Ensuite parce que bien souvent, nous ne cherchons pas à entendre ce que le rêve dit mais nous croyons qu’interpréter le rêve, c’est l’expliquer. Nous cherchons à le comprendre avec la tête en passant par des moyens qui nous sont extérieurs – ce que le dictionnaire de symboles ou l’Internet dit de telle image symbolique… – au lieu de nous rapprocher toujours plus près de notre fond intérieur, d’où vient le rêve.

Là où, en Occident, nous nous fourrons le doigt dans l’œil au point de nous aveugler à propos du rêve, c’est de croire qu’il faut discourir mentalement sur ce dernier. Nous restons enfermés dans une métaphore limitée qui veut que le rêve soit un message envoyé par un être qui nous est dans une grande mesure étranger, comme un extra-terrestre qui parlerait un langage abscons. Il nous semble nécessaire de déchiffrer un code, de faire de la cryptographie psychologique pour comprendre le sens du message. Or le rêve, c’est d’abord du ressenti. 

Bien souvent, le rêve nous restitue les ressentis liés à notre vie diurne que nous n’avons pas accueillis consciemment. C’est pour cela que les méditants, qui ont l’habitude de nettoyer leur fond émotionnel en laissant se déposer la poussière soulevée dans la journée, reçoive souvent des rêves venant de couches plus profondes. Cependant, cela peut arriver à tour le monde de recevoir des rêves venant de grandes profondeurs de notre psyché. Et même quand le rêve nous donne par exemple une direction de vie, ou nous révèle une vérité philosophique, c’est d’abord un mouvement intérieur sensible. C’est ce mouvement intérieur que nous cherchons à rendre conscient dans le travail avec le rêve, et que ressentons par exemple quand une interprétation touche juste. Il se produit comme une vague de contentement, un petit déclic intérieur qui signale que la conscience vient d’être irriguée, élargie.

Bref, le rêve, ce n’est pas de la tête – même si cela ne nous empêche pas d’y penser, d’en parler – c’est d’abord du corps et du cœur vivants. J’insisterai sur ces mots dont on mesure rarement la portée : c’est le corps qui rêve, et non seulement le cerveau, et c’est le corps qui comprend le rêve. Car le rêve est une énergie qui informe notre être global, non seulement notre (petite) tête. Quand je dis que le rêve est une énergie, je ne vous parle pas d’une énergie mystérieuse ou de physique des trous noirs. C’est de l’énergie psychique, de la conscience… et encore une fois, le rêve signale que quelque chose cherche à devenir conscient, à parvenir à notre conscience. Le rêve est un mouvement intérieur que nous pouvons aider à devenir conscient en lui donnant de l’attention…


Le rêve nous invite à ressentir en profondeur ce qui se passe au contact des images intérieures qu’il nous propose, à tisser des liens avec notre vécu diurne pour jeter des ponts entre les mondes, et c’est ainsi qu’il nous fait voyager à l’intérieur de nous-même, dans nos mémoires et au-delà de tout ce que nous pouvons consciemment imaginer. Le décodage symbolique du rêve peut être enrichi par l’analyse intellectuelle partant d’une connaissance de l’alchimie ou des processus de la psychologie des profondeurs, mais il sera d’autant plus efficace que nous parviendrons à connecter les ressentis associés aux images du rêve à ceux de la vie diurne, présente ou passée. Cette connexion, quand elle s’opère, se passe de toute explication. On constate alors comment le rêve n’est pas lui-même un intellectuel, mais est lié fondamentalement au corps. Cependant, cela implique bien souvent d’accepter de rencontrer des ressentis désagréables, de les rendre conscients, de respirer dans ces derniers.

Une des voies d’accès les plus directes au mouvement intérieur du rêve est d’utiliser simplement l’énergie de ce dernier dans la créativité. Vous pouvez peindre ou dessiner les images du rêve en prêtant attention à ce qui se passe en vous en le faisant – ce n’est pas alors l’esthétique du résultat qui importe ou la technique employée. Vous pouvez sculpter le rêve. Vous pouvez laisser le rêve vous emmener dans une expression musicale, un chant ou une danse. Vous pouvez laisser votre plume courir librement sur le papier en invitant votre rêve à se déployer, parler avec les personnages, explorer des fins alternatives. Comme dit l’expression bien connue : le ciel seul est la limite !…

Vous pouvez aussi, si vous avez l’habitude de méditer, simplement vous asseoir avec le rêve et revisiter les images du rêve en observant ce qu’il vous donne à ressentir en profondeur. Vous pouvez aussi marcher avec le rêve, ou vous allonger dans l’herbe en contemplant les nuages et leur raconter votre rêve. Les arbres aussi adorent écouter les rêves, et vous pourriez être surpris.e, si vous écoutez bien vos petites voix intérieures, de comment ils répondent.  Si vous avez l’habitude de voyager en imagination ou dans un voyage chamanique, vous pouvez utiliser le rêve comme une porte... 

Enfin, ce qui nous rend l’accès au sens vivant du rêve souvent difficile, c’est que nous ne prenons pas le temps, tout simplement, de tourner autour en lui ouvrant un espace en nous pour qu’il amène quelque chose de nouveau. Nous refermons généralement l’interstice ouvert par le rêve en l’ensevelissant sous des mots. Si nous lui accordons quelque attention, ce qui est déjà bien beau, c’est souvent pour le réduire à quelque chose que nous connaissons déjà : « c’est encore un rêve qui me parle de... »

Or nous avons une règle d’or dans l’écoute des rêves : le rêve amène, par définition donnée plus haut, toujours quelque chose de nouveau à la conscience. Si c’est encore un rêve qui parle de ma belle-mère, c’est qu’il y a quelque chose de plus à entendre que tout ce que je crois déjà savoir à propos de ma belle-mère. 

Quand un rêve, ce n’est que… c’est que ce n’est pas ça. Même si cela nous est assené du haut d’une grande théorie : ah, ton rêve, ce n’est que ton désir inavouable d’aller voir la voisine… ou ce n’est que ton Anima qui te fait des clins d’œil. Réduire un rêve à un « ce n’est que », c’est le pire que l’on puisse faire au rêve, et, nous disait Jung, « ce qu’on fait à un rêve, on le fait à notre propre âme. »


Aïe ! Je viens de lâcher un gros mot : « âme ». Je n’expliquerai pas ce que c’est. Vous pourrez trouvez des considérations sur l’âme, qui n’est pas synonyme de psyché pour moi, dans d’autres de mes articles. Mais disons que j’écris surtout pour des gens qui, même s’ils ne savent pas ce que c’est, sentent qu’il y a une âme qui vit en eux. 

Une âme qui parle, qui vibre, qui chante et qui danse quand elle peut s’exprimer.

Ce qui m’amène au point central de ce que je veux vous partager aujourd’hui. Je souhaite évoquer la dimension sacrée du travail avec le rêve. Quand je dis « sacré », je ne veux pas introduire là quoi que ce soit de compassé ou de pompeux, rien qui rappelle l’ennui que l’on peut éprouver quand on est enfant et obligé d’aller à la messe… Il n’y a rien là qui puisse ressusciter les curés. Non, je veux simplement parler de l’attitude de respect et de révérence à laquelle appelle le mystère du rêve quand il se révèle.

Entendons ce mot « sacré » avec la langue des oiseaux : « ça crée » !

Cela crée (de la conscience). A chaque fois que nous entrons en relation avec un rêve, nous sommes devant quelque chose d’infiniment mystérieux, qui ne se laisse pas réduire à une absurdité manipulable, qui nous in-forme (forme de l’intérieur), et qui tient du processus créateur de notre existence et notre conscience. Les anciens n’hésitaient pas à dire qu’il y a là quelque chose de divin…

Ce quelque chose, les anciens grecs l’appelaient la Sophia (Σοφíα), la Sagesse vivante. Dans la Bible hébraïque, puisque notre culture a tété aux mamelles de ces deux cultures en particulier, la grecque et la juive, Elle est appelée Hokhmah, translittération de חכמה, la sagesse qui se tenait aux pieds de Dieu et le faisait rire avant même la Création...

C’est ce qui m’amène à réclamer qu’au-delà de la nécessaire onirologie – ce que devrait être une science indépendante du rêve – nous revenions à une onirosophie, c’est-à-dire à honorer la sagesse du rêve. Il y a là une voie qui pourrait s’avérer vitale pour retrouver le contact avec notre nature essentielle.

Des discussions au sein de la communauté de pratiques qui s’est formée autour de l’écoute intérieure des rêves m’ont aidé à préciser un point important à propos de la direction et de l’intention de notre travail avec le rêve. La question de départ qui nous donnait à penser était : s’agit-il de psychothérapie, ou du moins d’un outil de psychothérapie ? En contrepoint, on peut aussi se demander si nos pratiques sont chamaniques. C’est une interrogation importante car le rêve a été, en Occident, instrumentalisé par la psychothérapie. Cette intrumentalisation a eu lieu pour de bonnes raisons : le rêve est un outil remarquable pour mettre en lumière les conflits intérieurs d’une personne et prendre le conseil de sa sagesse innée sur la façon de les résoudre. C’était aussi sans doute le seul moyen pour que nous prenions le rêve au sérieux dans notre monde utilitaire : il fallait qu’il puisse servir à notre santé, et que des médecins, des psychologues en affirment la valeur…

Nous sommes cependant maintenant au point où nous pouvons affranchir le rêve de cette inféodation pour lui reconnaître sa valeur propre, l’honorer en tant que tel pour ce qu’il est. Le rêve est un sujet trop sérieux pour être laissé entre les mains des seuls psychologues et de leurs copains les neurologues qui veulent y voir un phénomène hasardeux découlant de l'interaction électrochimique entre les neurones. Il est l'expression d'une dimension toujours créative au sein de la psyché, qui amène toujours du nouveau, et il nous met en lien avec le processus créateur de l'existence et de la conscience. Les anciens soulignaient ainsi à bon droit que le rêve est un moyen pour la Source Créatrice de se manifester dans nos vies, un vecteur de communication avec le Divin. Il requiert une approche empreinte de révérence et de respect pour la dimension transpersonnelle du rêve, car même apparemment trivial et personnel, ce dernier a toujours une profondeur numineuse à laquelle il nous faut nous relier.


Il faut donc un cadre au travail avec le rêve, mais le cadre psychothérapeutique ne suffit pas car le rêve en déborde, touche à des questions existentielles, ontologiques et spirituelles que le cadre défini par le psychologue blesse et mutile bien souvent en prétendant les rationaliser. Or il nous faut intégrer quelque chose qui va au-delà du rationnel pour entretenir une relation saine avec le rêve. Nous avons besoin de ce que Ken Wilber appelle une perspective trans-rationnelle, qui ne rejette pas le rationnel mais le dépasse en en reconnaissant les limites. Il nous faut donc un cadre qui intègre non seulement la dimension thérapeutique, mais aussi les dimensions éthiques et spirituelles. Et le cadre n’est rien sans l’attitude intérieure, la posture de présence, d’ancrage, d’ouverture et d’écoute, de pleine conscience dans l’instant présent. Il s'agit d'être capable d'accueillir ce qui relève à la fois du plus intime et sensible qui se dit dans le rêve, et cependant aussi de l'infiniment mystérieux qui s'y manifeste.

J’ai tenté de définir un cadre que je qualifie de psycho-spirituel pour ce travail avec le rêve, mais cela ne suffit pas à en indiquer la finalité. Alors j’en arrive à dire que notre travail relève fondamentalement de la connaissance de soi, ce qui peut avoir évidemment une incidence thérapeutique – résoudre des problèmes, améliorer la vie, apporter du bien-être – mais ce n’est pas la visée principale. Cela s’inscrit donc dans une perspective qui est celle du « soin de l’âme », aux racines mêmes étymologiquement de la psychothérapie. Mais la connaissance de soi est beaucoup plus que cela. C’est une connaissance intérieure, ou pourrait-on dire une gnose, par contraste avec les savoirs acquis par accumulation d’information ou raisonnement. Il ne s’agit pas tant de connaître les contours de notre personnalité (moi) et de notre histoire personnelle, que de re-connaître notre véritable nature (Soi), et d’accéder par-là peut-être à une nouvelle liberté, hors de toute histoire déterminée par le collectif de de tous conditionnements, de permettre la révélation de nos talents et leur déploiement dans nos vies. Le rêve nous ramène à l’unique que chacun de nous est, et à l’Unique qui Est.

Dans cette visée, la psychologie est indispensable, mais aussi une perspective qui va bien au-delà de la psychologie puisque nous accueillons aussi les ancêtres, les esprits de la nature, les âmes des morts et des enfants à naître, les visiteurs des étoiles, etc. Nous savons que le rêve peut nous permettre d’entrer aussi bien en contact avec un passé caché qu’avec un avenir en création, ou d’aller chercher des connaissances qui sont au-delà de notre entendement, d’entrer en relation avec d’autres univers. Nous pouvons en rêve voir le monde par les yeux d’un chat ou d’une libellule, ou visiter une autre planète, le monde des démons comme celui des Anges. Nous ne pouvons mettre aucune limite pré-établie au rêve, qui semble nous reconduire au cœur même du mystère d’être et de la merveille de la Conscience. Notre travail s’inscrit ainsi dans la continuité de la façon des peuples premiers d’être en relation avec les mondes intérieurs et extérieurs, et endosse une perspective que l’on dira chamanique et spirituelle parce qu’elle reconnaît la réalité de dimensions invisibles participant à notre existence, perspective dans laquelle le rêve est guide, enseignant et guérisseur. 

On peut dire aussi que ce travail est une méditation avec le rêve, qui nous emmène au-delà de celui-ci, dans un espace sans limites. On pourrait dire alors qu’il s’agit d’une méditation avec le Soi, dans toutes ses manifestations, incluant par exemple les synchronicités. Pour ma part, je me satisfais de la notion de connaissance de Soi, qui a toujours été centrale dans ma recherche, et j’endosse aujourd’hui l’appellation non contrôlée d’onirosophie – par contraste donc avec l’onirologie (science du rêve). OniroSophia réfère à la sagesse (Sophia) du rêve qui nous abreuve. 


J’ajouterai enfin que si le travail avec le rêve a une forte dimension individuelle, il se déploie aussi tout particulièrement dans une dimension communautaire – il tisse des communautés d’esprit et de cœur. Outre le dialogue dans lequel s’inscrit un espace permettant l’intimité, le cercle est le contenant idéal pour accueillir les rêves. C’est en effet une structure dans laquelle il n’y a pas de précédence, pas de hiérarchie pyramidale au sommet de laquelle trônerait celui qui prétend détenir la science du rêve – ce n’est pas la personne qui facilite qui se trouve au centre du cercle mais le rêve lui-même, qui se déploie, rayonne et ce faisant, éclaire chacune des personnes présentes...

Le rêve est individuel en ce qu’il est un ingrédient essentiel de la fameuse individuation jungienne, c’est-à-dire de ce mouvement de vie qui nous porte à devenir entièrement l’être unique que nous sommes, indépendamment du collectif, et à embrasser la plénitude, la totalité de notre être. En cela, nul ne peut prétendre savoir pour un autre ce que son rêve lui dit. Il est un garant de notre indépendance spirituelle, en ce qu’il nous donne accès à une source de Sagesse qui nous est propre. Il s’agit, nous rappelait Jung, de respecter entièrement la singularité du rêve et celle du rêveur. Il nous invitait en effet à étudier toutes les méthodes, tous les livres, mais aussi à les écarter à l’écoute d’un rêve, « car le rêve est unique comme le rêveur est unique. » 

Dans le rêve, nous honorons cette unicité, la singularité de chaque vivant !

Cependant cette Sagesse se partage et se communique volontiers. Quand on entend un rêve, il devient d’une certaine façon notre rêve en ce qu’il suscite des images en nous, qui nous conduisent à le re-rêver. Plus profondément, on ne sait pas bien quelles sont les frontières du fameux inconscient – il semble être beaucoup moins personnel que nous ne le croyons, et les rêves semblent issus d’un espace psychique dans lequel nous baignons tous ensemble – le fameux inconscient collectif. J’ai pris conscience de ce que ce dernier était une réalité tangible, et non une hypothèse théorique, quand j’ai remarqué qu’à la fin des cercles de rêves que j’animais à Montréal, il y avait souvent quelqu’un pour me dire qu’il avait trouvé la réponse qu’il cherchait à un problème qu’il se posait dans le rêve d’une autre personnes. Puis j’ai entendu des rêves parlant de la nature vivante de cet inconscient collectif, parmi lesquels le fameux rêve de l’iceberg m’a tout particulièrement éclairé. Et je dirais simplement que nos recherches actuelles permettent de penser que le rêve émerge du Champ Informationnel à l’œuvre par exemple dans les Constellations systémiques, et se déploie merveilleusement dans des Constellations de rêve.

Dès lors, nous avons eu l’occasion de vérifier d’innombrables fois dans des Loges de Rêves qu’il suffit, pour aider un rêve à se déployer (ce qui est différent de l’interpréter), de lui donner des résonances à partir de notre ressenti et notre intuition. La notion de résonance vient de la physique des matériaux : quand une plaque de métal par exemple vibre à une certaine fréquence, on observe qu’une autre plaque de métal placée dans sa proximité va se mettre à vibrer à la même fréquence. Elles vibrent ensemble. C’est ce que nous faisons avec les rêves : nous les faisons vibrer en nous… et nous communiquons ainsi de l’énergie au rêve qui est exposé. Il reçoit des résonances variées, venant d’autant de point de vue qu’il y a de personnes dans le cercle qui l’accueille, et – sans qu’il y ait la moindre prétention à extraire la « vérité du rêve » – il se déploie dans un mouvement intérieur perceptible chez le rêveur. Il amène quelque chose de nouveau à la conscience.

Au moment de donner une résonance à un rêve, dans ce cadre des Loges de Rêves, nous utilisons généralement le subterfuge du « si c’était mon rêve... », ou « dans mon rêve... », pour toujours parler au « je » en s'abstenant du « tu qui tue » quand nous disons nos ressentis et intuitions, ou encore ce que le rêve a amené à notre imagination, les questions qu’il nous ferait nous poser si nous l’avions rêvé. Il s'agit d'éviter à tous prix de parler sur le rêve, de se complaire dans le typique "ton rêve veut dire..." pour laisser le rêve parler à travers nous, en nous faisant résonner...

Le principe du « si c’était mon rêve... » (on peut se passer de la formule si on respecte l’intention) est d’offrir une parole absolument non intrusive, dont le rêveur fera ce qu’il veut. Si ce qui est dit le touche d’une façon ou d’une autre, la vérité vivante du rêve bougera en lui et le lui fera sentir. Si cela ne le touche pas, il pourra toujours penser que la résonance est une pure projection de la personne qui vient de parler, sans aucun lien avec la vérité du rêve en lui – en réalité, c’est encore la vérité du rêve qui aura bougé en lui pour dire « non », et il s’en sera rapproché. C’est pourquoi je considère les Loges de Rêves comme un accélérateur de rêves : comme dans les accélérateurs de particules, nous donnons de l’énergie au rêve jusqu’à ce qu’il atteigne la vitesse de la conscience (lumière).

On dira peut-être qu’il s’agit de pures projections non fondées. Elles pourraient être dommageables en effet si elles étaient assenées comme des vérités. Cependant, la dimension projective de ce travail est en effet tout à fait consciente, assumée, et chaque personne qui donne une résonance est invitée à regarder celle-ci comme parlant au premier chef d’elle. C’est là que la dimension éthique du travail ressort car personne, dans cette perspective, ne peut prétendre à une autorité sur le rêve, et prendre le pouvoir sur autrui en prétendant pouvoir seul l’éclairer. A l’inverse, comme le rêve nous emmène dans une dimension au-delà du personnel, dans lequel il se met à parler à chaque personne à sa façon, il s’avère qu’opère là une alchimie mystérieuse qui amène à chacun dans le cercle ce qu’il a besoin de rendre conscient. 

Nous pouvons dès lors répondre aux prétendants à l’exclusivité de l’interprétation soi-disant objective du rêve que leurs interprétations sont aussi des projections… et que nous pouvons seulement souhaiter qu’ils en soient conscients eux aussi, ainsi que les personnes à qui ils les offrent du haut de leur autorité. Nous sommes désolés pour eux que la sagesse native des rêves menace ainsi leur business mais il semble que la Sophia des rêves soit libertaire, en ce qu’elle vise à l’émancipation de chacun de toute forme d’autorité sur sa vie intérieure.


Ce qui ne cesse de nous étonner dans les cercles qui écoutent les rêves, c’est comment ils se répondent les uns aux autres, avec souvent un thème qui est déployé au cours de la session. Quelque chose de plus grand que nous est à l’œuvre dans le cercle, qui nous bénit tous. En bons jungiens, nous pouvons y voir le Mercurius, l’Esprit qui joue avec nous jusqu’à nous faire « gai rire » (guérir) de nos aveuglements et inconsciences. Quoiqu’il en soit, dans la perspective de l’onirosophie, je propose que nous gardions simplement à l’esprit qu’il s’agit là d’un Mystère que nous célébrons ensemble et qui nous relie au Vivant en nous, autour de nous et au-delà de nous.

Pour illustrer mon propos, je vous propose d’observer un magnifique travail qui a pris place dans un groupe habitué à se livrer au jeu consistant en offrir des résonances à un rêve. Il se trouve que ce rêve aurait dû être présenté lors d’une session en ligne d’interprétation des rêves mais nous n’en avons pas eu le temps. Cependant, le rêveur n’éprouvait pas le besoin d’avoir une interprétation au sens strict mais seulement de recevoir quelques résonances à son rêve pour le faire cheminer, en approfondir encore sa compréhension. Nous sommes donc convenus qu’il l’expose dans le groupe WhatsApp dédié à ce groupe de travail, ce qu’il a fait en en proposant d’abord le rêve dans un fichier PDF, puis dans un enregistrement audio. Nous gagnons toujours à entendre la voix du rêveur, à vibrer avec celle-ci dans l’écoute des images du rêve. 

C’était la première fois que nous nous livrions à une telle expérience : d’habitude, nous donnons des résonances à un rêve au cours d’une rencontre où nous sommes en présence les un.e.s avec les autres, même si cette présence est généralement virtuelle. En virtualisant la Loge de Rêves, ce que je n’aurais jamais cru possible avant le confinement mais qui s’avère très efficace, nous nous sommes débarrassés des contraintes d’espace. Et voici qu’avec cette expérimentation, nous échappons aux contraintes de temps. Mais le rêve, lui, est toujours bien vivant, et se déploie...

Voici donc le rêve que notre rêveur nous a proposé, auquel il avait donné le titre de Piscine spirituelle :

Nous sommes en rond, à flotter dans une vaste piscine, une bouée ridicule autour de la taille. On barbote dans une eau pas très propre. Un homme parle, parle de spiritualité. C’est sans fin. A un moment, je lâche la bouée. Je m’enfonce dans l’eau trouble, profonde. C’est une expérience dans laquelle l’engagement est total. Je vois clair et l’eau se révèle très belle, très pure vue sous la surface. Il y a comme une lumière propre à la substance. Je nage au fond, longtemps et j’émerge à l’autre bout du bassin, avec la peur de ne pas avoir assez d’air. Enthousiaste, je crie alors « c’est cela la spiritualité ».

Le rêveur précise qu’il comprend bien le sens de son rêve en regard d’un vécu récent mais qu’il est intéressé à entendre les résonances du groupe qui lui permettront d’entendre, au-delà d’une interprétation peut-être trop évidente, comment il parle non d’une situation passée mais plutôt d’un futur à créer. Je souligne ici la justesse de cette attitude : même quand un rêve nous parle d’un passé, réveille une ancienne mémoire, nous devrions toujours le considérer dans le sens de la création d’un futur, d’une nouvelle conscience…

A la demande du rêveur, nous lui avons donc offert des résonances, sans avoir connaissance pour la plupart du contexte, au travers d’enregistrements vocaux. Là aussi, l’écho donné au rêve gagne à la richesse des voix, de leurs tons. Voici un florilège de ces résonances dont je vous propose une transcription partielle :

* * *

Je lâche les béquilles qui sont constituées de ce pseudo-enseignant spirituel, sur lesquelles je me suis appuyées longtemps… et là, je n’ai même pas peur de m’enfoncer dans les profondeurs, où il y a la vraie spiritualité, le Graal. Je me demande quand même quelle est cette peur qui émerge l’air de rien : de quoi ai-je l’air ? 

Dans mon rêve, j’ai très froid quand je descends dans les profondeurs de cette piscine. Ce froid est saisissant, pourtant je continue à descendre. J’ai la sensation que quelque chose continue à me suivre. Je ne veux pas me retourner. J’ai la sensation que quelque chose pourrait m’aspirer, alors je continue à avancer dans cette eau claire mais froide. Je me rends compte que la piscine est sans fond, et là aussi j’ai peur. C’est sombre tout au fond, et je préfère me diriger vers l’avant. Je continue à nager, puis je me rends compte que je dois bientôt remonter, prendre de l’air.

Si c’était mon rêve, je me verrais dans un groupe que je connais bien. J’ai l’habitude de barboter avec eux en cercle. Je vois tout le monde et tout le monde me voit. C’est sécurisant. L’eau est trouble. Je me dis qu’il y en a qui ont dû faire pipi dans l’eau, moi-même je l’ai fait. Et puis il y a cet homme qui sait… et qui parle, qui parle… qui s’écoute parler. C’est l’énergie de la colère qui me donne l’audace d’enlever cette bouée ridicule. Je gonfle mes poumons pour pouvoir passer de l’air à l’eau, changer d’état, traverser l’eau trouble. Je ne sais pas ce que je vais trouver en-dessous. Ce moment où je me gonfle les poumons est important, j’ai à la fois peur et je suis excité. Je fais quelque chose que les autres ne font pas – ils écoutent sagement. Et le cadeau, c’est que quand je plonge, je me rends compte que cette piscine est reliée à toutes les mers du monde. Ce n’est plus la mosaïque de la piscine qui est en-dessous, c’est la mer, les poissons… La magie du rêve fait que des branchies apparaissent et je peux rester sous l’eau, goûter ce sentiment de liberté, d’audace, de découverte. C’est la joie.

Au cœur de mon rêve est la phrase, le cadeau. Ce qui est avant, ce qui est après, a peu d’importance. Le cadeau, c’est juste cette petite phrase qui me parle de ce qu’est la spiritualité…

Ce rêve est l’occasion pour moi de me demander ce qu’est la spiritualité au sens large, quelle place ça a ou ça va avoir dans ma vie, en quoi la spiritualité est importante pour moi. Et cela pose la question du gourou : il me semble que la personne qui parle au milieu du cercle pourrait être un gourou. Le vrai gourou est celui qui va libérer, qui empêche de tourner en rond. Et l’on dit que ceux qui parlent le plus sont ceux qui en font le moins. Ce gourou là me semble un peu trop bavard. Le vrai gourou, il est à l’intérieur. Dans ce rêve, j’ai suivi mon propre maître. Il y a l’élément eau, que l’on assimile volontiers aux émotions. Le rêve m’invite à descendre en profondeur dans mes émotions, mais au-delà de cela, les éléments sont des ponts entre notre conscience ordinaire et une conscience plus vaste. On peut prendre la porte d’un éléments pour aller dans une conscience plus vaste… et donc je lâche la bouée, ce qui me retient en surface, pour accepter de plonger dans les profondeurs, de mes émotions, de mon yin, de ma sensibilité. A ce point, tout est clair, lumineux, comme dans un éveil spirituel, et je mettrai cette clarté en lien avec l’engagement total. Dans l’engagement total, on a une vision claire et c’est reposant. Dans cet état, j’ai tendance à laisser de côté mes fonctions vitales, comme le boire et le manger, et à un moment, j’ai donc besoin de remonter à la surface car je suis un être incarné. Et je remonte donc, ce qui me ramène au corps. Ce qui compte donc, c’est ma propre expérience de la spiritualité. Et si je donne une suite au rêve, je reviens dans le cercle. Je remets ma bouée, riche de ce que j’ai pu vivre, en pleine gratitude.

L’image de la fleur du lotus, qui symbolise le chemin spirituel, m’est venue à l’esprit en entendant le rêve. Mais c’est en fait l’image inverse qui m’est venue : la fleur qui est à la surface ouverte dans la réalisation se ferme et descend dans la profondeur, dans la boue. Ce chemin, je le parcoure dans un sens et dans l’autre. Je me dis que ce rêve pourrait m’inviter à l’exploration par le tantra. Et je me pose une question : de quoi est faite cette bouée ? Quand j’aurai compris de quoi elle est faite, je pourrai la lâcher et aller dans les profondeurs avant de revenir à la surface et d’enrichir, de nourrir le cercle.  Je vois cette bouée un peu comme un donut bourré de sucre, ridicule – c’est une façon de faire somnoler nos sens par une fausse excitation amenée par le sucre. 

Si c’était mon rêve, la première chose qui m’est venue c’est pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. C’est-à-dire que je ne chercherai pas le sens caché mais je m’intéressai au message qui est clair comme l’eau de la piscine. Je plongerai dans cette eau pure, qui est belle. Je serai heureux de me défaire de cette bouée qui me coupe en deux, une partie dans l’eau trouble, une partie dehors, à la surface, à écouter celui qui parle, parle, parle... de spiritualité sans plonger lui-même. Si c’était mon rêve, j’aurais envie de plonger davantage dans cet état de félicité que j’expérimente dans un engagement total. Je prendrai ce rêve comme un cadeau, une invitation à trouver le courage de lâcher les autres, l’homme qui parle et même l’élément air qui est notre élément naturel. Et quand je reviens à la surface, c’est pour partager aux autres que la spiritualité, c’est ça. C’est un rêve d’enthousiasme, de communication avec le divin… Un message qui est clair comme l’eau, transparent, qui ne concerne pas le passé, pas le futur, mais le présent. C’est un cadeau d’enthousiasme !

Si c’était mon rêve, j’y verrai un rêve d’enseignement, une expression de ma compréhension profonde de la spiritualité. Au départ, il y a cette représentation de la piscine : une eau pas très propre dans laquelle on barbote collectivement, avec des croyances ridicules autour de la taille pour se maintenir à la surface en tournant en rond. J’ose lâcher la bouée, lâcher tout cela et laisser ces discours sans fin sur la spiritualité pour plonger. J’ose donc plonger ! Ce qui me touche beaucoup, c’est qu’alors l’engagement est total et du coup, l’eau se révèle claire, pure, très belle sous la surface. J’y vois clair !  Il y a une lumière propre à cette substance, cette conscience qui est sous la surface. Ce qui m’interrogerait, c’est ma peur de manquer d’air… et puis c’est bien normal d’avoir besoin de remonter à la surface. Et surtout, je crie, je chante : « c’est cela la spiritualité ! » Je le chante sur tous les tons...

Ce rêve me communique une grande joie, le sentiment d’être privilégié. Même si l’on barbote à la surface des choses, il y a un lien. Mais cela n’empêche pas d’avoir envie d’aller voir ailleurs, de lâcher et de plonger. Je suis dans une recherche d’équilibre. Quand je suis à la surface, j’ai envie de plonger, et quand je suis dans la profondeur, j’ai envie de remonter. Le rêve m’appelle à un jeu d’équilibriste, à un ancrage. En plongeant dans la piscine, je retourne à la source et je ressort de l’autre côté. Je vis ce rêve comme un point de départ vers un chemin plus lumineux, à la rencontre de cette lumière qui irradie de la transparence, de la matière elle-même. Cette lumière m’invite à regarder les choses à la surface avec une nouvelle exigence, une forme d’exigence à veiller à mon équilibre.

Ce rêve m’interpelle beaucoup. Je dirais simplement qu’il me percute sans que j’ai besoin de mettre de mots dessus…

Ce rêve fait émerger en moi le contraste entre le savoir et la connaissance. Cela peut être ennuyeux d’écouter le savoir venant de quelqu’un d’autre, ce qui m’invite à plonger à la rencontre de la connaissance que l’on va, chacun, pouvoir tirer de notre propre expérience. Peur et enthousiasme sont là tous les deux. 

Parler de spiritualité dans une piscine pas très propre, cela m’interpelle un peu : je me serais attendu à ce qu’on en parle dans un océan, un endroit profond. Cela m’intrigue que l’on parle de quelque chose d’aussi essentiel dans un lieu aussi limité.

* * *

En conclusion de ce tour de résonances où vous pouvez voir la diversité des points de vue, et comment tout est possible, même de changer la fin du rêve, de le prolonger... le rêveur nous a enfin dit où il en était avec ce rêve. C’est le moment, dans les Loges de Rêves, où la personne qui a proposé un rêve fait un peu le point sur le mouvement intérieur qu’a suscité le travail. Ici, notre rêveur a vu s'ouvrir des perspectives qu'il n'avait pas envisagés, en particulier dans la possibilité d'un retour dans le cercle. Il nous a donné alors aussi un peu de contexte pour nous dire à quoi ce rêve le renvoyait, mais je souligne que nous n’avions donc pas besoin de connaître ce contexte pour donner nos résonances intuitives. Elles sont encore plus puissantes sans avoir d’idées précises sur la situation du rêveur – c’est dans le cadre de l’interprétation que l’on cherchera à établir un lien entre vie diurne et rêve. Il est à noter en passant que le rêveur a aussi donné sa résonance au rêve, parmi celles qui sont livrées plus haut : c’est toujours amusant de jouer à « si c’était mon rêve... » avec notre propre rêve. Cela le met un peu à distance… comme si tout à coup, il prenait une dimension impersonnelle. Et c’est ce qui est particulièrement intéressant dans cet exercice de la Loge de Rêves, de toucher à la dimension transpersonnelle du rêve. 

D’ailleurs, la Sophia du Rêve a donné son propre écho à notre travail. En effet, le lendemain de la fin de ce tour de résonances, le rêveur nous a partagé un autre rêve, qui lui est a été donné pendant la nuit, intitulé Vision infinie :

Avec un groupe d’amis, nous longeons une rivière puissante. Nous avançons dans le sens du courant. Le chemin est étroit et nous marchons sur une terre douce et noire, sans doute les limons de la rivière. Au bout d’un moment, je me retrouve allongé à coté d’une superbe femme, nue. Sa peau est blanche. Elle est allongée sur la terre noire, je suis ébloui par la lumière qui émane de son corps. Je pose ma main sur son ventre. C’est une invitation silencieuse à l’amour. Elle le comprend. Silencieusement, elle repousse délicatement ma main. Je m’allonge à coté d’elle sur le dos. Dans le ciel apparaissent alors d’immense colonnes, des disques de lumière. C’est doré et vert. Des mondes entiers apparaissent sous nos yeux. Ils sont immenses et pourtant proches, accessibles dans leur moindre détail. Une vision de l’infini…

Est-il besoin d’ajouter quoi que ce soit à un tel rêve, d’expliquer comment la femme pourrait représenter l’Anima du rêveur, ce groupe d’amis notre cercle de rêveuses et rêveurs… ou quoi que ce soit d’autre ? Je dirais seulement, pour faire un lien avec la psychologie des profondeurs de ce cher Jung, que la terre noire évoque l’alchimie (al-khemia, la terre noire). Le rêve serait-il cette terre douce et noire sur laquelle, en résonance avec le rêveur, nous sommes invités à nous allonger pour contempler l’immensité ? Je suis porté à le croire. Mais surtout, que ces pauvres mots ne voilent pas la vision des mondes infinis qui s’ouvre ainsi à nous...


En conclusion, je vous invite simplement à entrer en contact avec la Sophia du rêve si ce n’est déjà fait. 

Vous pouvez le faire dans la solitude en prenant simplement le temps de laisser monter les ressentis sollicités par les images de rêve en prenant le temps de cheminer avec elles. La voie la plus directe est alors souvent de les rencontrer dans la créativité, par exemple en dessinant ou en peignant les images, en les laissant jouer de la musique en vous ou en les chantant, en les dansant...

Il est cependant souvent plus facile d’entrer en relation avec le rêve au travers du dialogue avec une personne. Ce n’est pas nécessairement un.e thérapeute ou un.e spécialiste. Ce peut être un.e ami.e, quelqu’un qui vous offre son écoute en toute simplicité, en qui vous avez confiance. Il suffit que ce soit une personne qui vous accueille avec cœur et honnêteté pour vous offrir un reflet, vous donner une résonance à partir de son ressenti, son intuition. C’est encore mieux, si c’est un.e ami.e, que vous lui offriez la réciproque et écoutiez vous aussi ses rêves. Gardez-vous simplement des gens qui cherchent à prendre un pouvoir quel qu’il soit en parlant sur vos rêves. Un bon guide dans le travail avec un rêve vous amènera toujours au plus près de ce que vous ressentez, et s’il vous propose une interprétation, ce sera toujours à vous de voir si elle provoque un mouvement intérieur en vous. C’est ce mouvement du vivant en vous qui importe.

Enfin, vous pouvez rejoindre ou créer un cercle de rêves, par exemple avec vos ami.e.s, et jouer à « si c’était mon rêve ». Vous avez plus haut un exemple de comment on peut y jouer via une application de communication, et vous trouverez sur ce blogue des ressources (article, vidéo) pour vous aider à mettre en place un espace d’écoute des rêves en cercle). C’est un jeu facile, très amusant, toujours nouveau et surprenant : toutes les personnes qui y jouent en ressortent enrichies sans que cela n’appauvrisse personne. 😎

Tout ce que je dis ici n'empêche pas qu'il puisse y avoir un grand bénéfice à entrer dans un dialogue avec un.e analyste de rêves ou un.e thérapeute expérimenté.e pour écouter la sagesse des rêves, dans une finalité psychothérapeutique ou simplement de connaissance de soi. C'est alors la qualité de la relation entre analysant.e et analyste, relation incluant consciemment la présence de ce Tiers mystérieux qui s'exprime dans le rêve et pas seulement, qui favorisera le mouvement du vivant. Je ne dénigre pas non plus l'interprétation des rêves, qui est un art passionnant dans la mesure où il est pratiqué avec respect pour le rêve et le rêveur. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire cet article sur "le pipeau du rêve" où je parle des subtilités de cet art. Vous y trouverez aussi une liste de ressources pour approfondir les questions abordées ici.

Soyez certain.e d’une seule chose : si vous ouvrez la porte à la Sophia du rêve, si vous l’invitez à vous visiter, elle vous amènera des cadeaux. Tous ceux qui l’ont rencontrée peuvent en témoigner.



19 commentaires:

  1. « Au moment de donner une résonance à un rêve, dans ce cadre des Loges de Rêves, nous utilisons généralement le subterfuge du « si c’était mon rêve... » [……………………] Nous sommes désolés pour eux que la sagesse native des rêves menace ainsi leur business mais il semble que la Sophia des rêves soit libertaire, en ce qu’elle vise à l’émancipation de chacun de toute forme d’autorité sur sa vie intérieure. »

    Bonjour,

    La découverte de soi et l’élargissement de la conscience que permet le travail avec les rêves conduit progressivement à une relation de plus en plus étroite et fluide entre la personne ou personnalité consciente et le fondement profond de cette personne. Si les projections demeurent en partie inévitables, il est toutefois très probable, sinon certain, que les personnes qui ont une meilleure connaissance d’elles-mêmes, suite à un travail conséquent sur elles-mêmes, projetteront moins aveuglément et moins fortement que les personnes n’ayant pas autant travaillé à se connaître. Lorsque des rêves indiquent à quelqu’un qu’il ou elle est désormais prêt à interpréter les rêves d’autrui c’est peut-être aussi parce que ce quelqu’un est désormais capable d’une meilleure objectivité et moins susceptible de projeter très aveuglément ses propres particularités sur les rêves d’autrui. Ceci sans dire qu’aucune part de projection ne se produise jamais, bien entendu ! Mais entre une petite part et une grosse part de projection, la différence n’est pas négligeable.
    Lorsque l’on pose comme préalable au commentaire d’un rêve : « Si c’était mon rêve... », il me semble, en effet, que l’on ouvre un boulevard aux projections sans frein. Ceci peut sans doute éveiller des échos intéressants chez tel ou tel participant à la Loge de rêves, la communication par l’inconscient de groupe le permettant. Mais est-ce vraiment approprié à la découverte du sens contenu dans le rêve en question ? J’en doute un peu, mais je ne connais pas le parcours des différents participants ni ce qu’est leur connaissance d’eux-mêmes et je laisse donc la porte ouverte à la possibilité que cela soit très favorable, comme tu le dis, Jean.

    Les amérindiens vivaient en tribus et partageaient étroitement un quotidien conscient et inconscient. Dans cette situation assez osmotique, il était sans doute assez sensé et efficace de se dire : « Si c’était mon rêve... ». Mais nous ne vivons pas en tribus osmotiques, et si les Loges de rêves reproduisent tant soit peu, pour un temps court, cette réunion consciente et inconsciente, je doute assez que cela permette de vivre ces échanges comme les vivaient ou comme les vivent encore les amérindiens vivant en groupes tribaux, que cela soit aussi pertinent. Je me trompe peut-être…

    Amezeg

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    1. Je te remercie Amezeg pour ce commentaire. Il me donne l’occasion d’amener plusieurs éléments de réponse dans ce débat autour de la projection dans les résonances données aux rêves :

      Il faut préciser, si ce n’était pas assez clair dans mon article, que la loge de rêves ne vise pas à l’interprétation au sens strict du rêve. Il me semble avoir précisé aussi que la part de projection dans les résonances données aux rêves est tout à fait assumée et rendue aussi consciente que possible – il n’est donc pas question de « projeter aveuglément ». En fait, la fonction du « si c’était mon rêve » est justement de permettre au rêveur de recevoir la projection en sachant d’emblée que cela en est une (puisque la personne qui résonne parle au « je »), et d’être protégée ainsi contre cette forme courante d’intrusion psychique qui énonce « ton rêve veut dire... ». Le subterfuge du « si c’était mon rêve » pose donc un cadre dans lequel la projection est circonscrite. Son efficacité vient du fait que le rêveur ressent immédiatement une acceptation de ce qui lui proposé – cela le rencontre, résonne en lui – ou un refus. Dans les deux cas, c’est la vérité du rêve qui répond en lui en recevant de l’énergie, ce qui met le rêve en mouvement, ou favorise le mouvement intérieur du rêve. C’est pourquoi je propose de considérer les loges de rêves comme des accélérateurs de rêves ;-)

      Je crois que ton commentaire reste dans le cadre classique jungien de l’interprétation et de la recherche du "sens du rêve" alors que, j’insiste, je parle du ici mouvement intérieur du rêve, dans le même sens que la Gestalt. Nous nous inscrivons dans un autre registre qui est celui du ressenti et de l’intuition, laissant les images nous émouvoir et nous toucher plutôt que d’en discuter le sens de façon analytique. Ce n’est pas que ce travail d’interprétation analytique du rêve soit dépourvu d’intérêt, je le dis bien, mais il prend place dans un autre cadre qui est celui du dialogue analytique. Cependant, il est amusant (et cependant assez attristant aussi) de constater que les seules personnes qui ont souvent des difficultés à jouer au jeu créatif des résonances aux rêves soient justement les psychologues et autres interprètes patentés de rêves, qui ne peuvent s’empêcher d’énoncer un discours sur les rêves, avec le pli souvent de poser un diagnostic et de vouloir donner des conseils non sollicités, au lieu de simplement dire ce que ceux-ci leur fait ressentir. Ils prennent alors inconsciemment une position de pouvoir sur le rêve… et se font déjouer dans les loges de rêves.

      Il faut bien comprendre que c’est cette volonté de puissance inconsciente de la part des analystes qui éloigne beaucoup de gens du travail avec les rêves, qui est perçu comme relevant d’une forme d’ésotérisme psychologique. C’est pourquoi je moquais un peu, dans la citation que tu fais de mon texte, le fait que certains se sentent menacés dans leur business – je pourrai dire aussi « dans leur égo », ou dans leur autorité. A l’inverse, un chercheur qui a étudié les cercles de rêves en France me disait que les loges de rêves lui semblaient être un des rares endroits où il n’y a pas une position autoritaire mais une véritable invitation à l’intelligence collective. C’est pourquoi je faisais ce clin d’œil évoquant la dimension ouvertement libertaire de ce travail.

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    2. Je suis enfin d’accord avec toi que nous ne sommes pas des Amérindiens, et il ne s’agit pas de les imiter. Mais quand on revient au niveau du ressenti et de l’intuition, nous sommes beaucoup plus proches qu’il n’y paraît, et nous entrons facilement en résonance avec les images de rêves, et le vécu par empathie, les un.e.s des autres. C’est dans le mental seulement que nous sommes isolés, séparés. Cet argument que tu amènes comme quoi ce travail serait invalidé par le fait que nous ne sommes pas en osmose tribale se retourne aisément pour montrer que justement, nous avons grand besoin de sortir de l’illusion de la séparation et de l’isolement : l’inconscient collectif qui se cristallise dans un cercle ou une loge de rêves est une réalité tangible, vivante, qui fait du bien à toutes les personnes présentes. Il se forme une communauté éphémère au niveau sensible dans le partage des images qui nous relient, et des ressentis. Mais je comprends qu’il faille en faire l’expérience pour comprendre de quoi je parle là, car sinon cela reste cet inconscient collectif qui nous relie tou.te.s reste une abstraction. Je crains fort que ce soit le malheur des "jungiens" que de rester enfermés dans cette abstraction… quel dommage !

      Au fond, les meilleures réponses qui pourraient t’être données seraient des témoignages de personnes qui ont l’expérience de loges de rêves, et pourraient te dire ce qui s’est passé pour elles quand elles ont présenté des rêves dans ce cadre. Pour ma part, je peux te dire que plusieurs de mes rêves ont trouvé là leur résolution, alors que je les avais travaillé en analyse auparavant sans les élucider entièrement, simplement grâce à la diversité des résonances. Parfois, la "naïveté" de celles-ci touche beaucoup plus juste que les constructions à partir des théories, fut-ce celles de la psychologie des profondeurs...

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    3. Merci beaucoup, Jean, pour ces réponses qui correspondent à ce que je pouvais souhaiter comme précisions, comme éclaircissements. J’avais un doute, par exemple, sur la façon de comprendre ce que signifiait le fait que « la personne qui résonne parle au « je ». Ton retour sur ce point m’a permis de bien le comprendre (ô fatigue printanière…!). Là, je manque de temps pour écrire plus longuement, mais j’y reviendrai sans doute bientôt.

      Amezeg

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    4. C'est moi qui te remercie, Amezeg, car tes interrogations bien légitimes m'aident à préciser des points importants...

      Je voulais ajouter encore l'élément suivant. Tu dis "Lorsque des rêves indiquent à quelqu’un qu’il ou elle est désormais prêt à interpréter les rêves d’autrui c’est peut-être aussi parce que ce quelqu’un est désormais capable d’une meilleure objectivité". Oui, sans doute, et j'y vois aussi une invitation de l'inconscient à continuer l'exploration intérieure en écoutant aussi les rêves d'autrui. Il apparait alors que nos rêves sont moins personnels qu'il n'y parait : l'analyste souvent constate des jeux de miroir dans les rêves qu'il entend, qui le renvoient à ses propres problématiques..., et finalement analyste et analystant.e entrent ainsi subtilement dans le jeu des résonances entre inconscients, ou pourrait-on dire, dans le champ de l'Inconscient. Cela fait aussi partie de la "magie" de l'analyse, me semble-t-il...

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    5. Bonjour,

      étant le rêveur qui a sollicité cette loge virtuelle je me sens un peu obligé de sortir de « l’ombre » pour creuser la question de la résonance. Je dirais d’abord que je ne suis pas analyste, que je n’ai pas le sentiment d’avoir suivi une analyse non plus. Par contre cela fait une dizaine d’années que des rêves puissants m’obligent à une écoute intérieure active.

      Je remarque que cela fait deux fois que j’utilise le mot « obligation ». Je vérifie quand même que je ne vois là aucune contrainte d’une force ou d’une puissance extérieure. C’est plutôt un appel intérieur lié au moment. Dans ma vie répondre à ces appels a un sens que je ne connais pas mais le faire ouvre un champ de possibles pour moi, une nouvelle conscience pour de la vie qui passe en moi.

      Je reviens aux résonances. Je vais prendre un exemple. Dans les résonances entendues, il y en a une pour laquelle il est particulièrement flagrant pour moi qu’elle est une pure projection. Poussée par les mots, les associations de mots, les images et les ressentis qui viennent, la question « de quoi j’ai l’air ? » ne me semble pas faire partie du rêve, de son scénario. Et pourtant dans le contexte du rêve que je n’ai pas donné, cette question était centrale.

      D’ailleurs elle demeure. Dans les lignes que je m’apprête à écrire. Le pur rationnel que j’étais pourrais rejeter ce propos et l’aligner aux élucubrations des communications reçues de Sirius. Il pourrait ainsi retourner s’assoupir dans ses convictions et ses certitudes qui l’ont toujours rassurées. Laisser sa sensibilité à vif, se faire toucher au coeur de soi en acceptant une forme de fragilité est un acquis et pourtant le chantier est toujours « en cours de travaux ».

      Deux règles me semblent indispensables dans les loges de rêves :

      • chacun ne parle que du rêve de l’autre en soi

      • aucune vérité définitive ne peut se dégager. Ce qui est vrai ne l’est que maintenant et je reconnais la subjectivité de cette vérité.

      J’ajouterai que la notion de partage et de don sont centrales. J’offre un rêve, on m’offre des résonances et cet esprit du don et de la reconnaissance qui va avec est fondamentale pour moi. Il y a quelque chose qui me pousse à incliner la tête à chaque échange : une sorte de partage de gratitude, une reconnaissance de notre humanité commune (cela fait une grande tribu).

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    6. (suite) Dans la nuit je suis en contact avec des milliers d’images et il est dit qu’une image vaut mille mots. De cette avalanche d’images, je ne retiens que quelques unes sur lesquelles je vais placer quelques mots, très peu en fait. La déperdition de sens est à une échelle dont l’ordre de grandeur n’est pas de ce monde. L’infini de l’univers pourrait peut-être approcher cette grandeur. En quelques mots supplémentaires je prétendrais expliquer le rêve. Non. Je cherche juste à le rendre actif, présent dans les actes, les mouvements de mon quotidien. Nos mots sont des mises à distance de la réalité vibrante dont le rêve est issu. Certes ils nous permettent de le regarder, mais nous en perdons la substance énergétique. C’est paradoxal. La loge de rêve le réactive, le « recharge »

      Ma représentation actuelle de ce travail ne sera pas tirée de l’alchimie, ou de la chimie du cerveau mais plutôt de la physique. Même si la chimie utilise aussi cette notion, je parlerai de la densité de l’esprit. Les mots nous éloignent de la densité de l’esprit. L’âme qui vibre nous en montre un chemin, nous en rapproche. Dans une loge de rêves, chacun « résonne », bien plus qu’avec des mots. Chacun touche et montre sans le nommer un inconnaissable inconscient. Le rêve prend une densité au-delà des mots prononcés. Les images prennent des racines dans cet espace. La loge s’ouvre alors à la source des rêves, une matière tellement dense qu’elle absorbe toute lumière qui s’en approche. Cette roche nous renvoie quelques étincelles et elles nous éblouissent. Nous pouvons leur donner un sens, mais l’obscurité qui les enveloppent est peut-être plus signifiante encore. Dans cette nuit, autour du feu d’un rêve nous soufflons sur les braises. Notre humanité se rassure, se livre. Nous partageons une forme d’amour de la Vie telle que nous la voulons : intense, vibrante, en connexion avec ce qui se crée sous nos yeux, ce qui nous entoure.

      D’une pratique habituelle des loges de rêves j’ai obtenu beaucoup. Mais cela je ne le partagerai que dans l’intimité d’une relation humaine physique. Le deuxième rêve offert que j’ai appelé « Vison infinie » dit pour moi la même chose que « Piscine spirituelle », mais avec une intensité surdéveloppée. Il me fait entrevoir un peu plus de cet inconnaissable, il est l’impulsion donnée à une vie qui cherche à émerger dans une forme de présence immergée et attentive au monde. Une vie pour laquelle les yeux sont aveugles.

      Merci enfin de m’avoir permis d’écrire ces quelques mots très imparfaits. J’espère qu’ils profiteront à ceux qui auront l’occasion de les lire.

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    7. Bonjour,
      Je témoigne, en tant que participante et initiatrice de loges de rêves, du profond et dense travail intérieur de "connaissance de soi" réalisé depuis plus de 15 ans.
      Je suis descendue dans ma cave intérieure pour extraire les évènements traumatiques, les non dits, les blessures, et les transmuter en ressources. Ce profond travail me permet aujourd'hui d'accompagner des personnes avec le coaching professionnel, les rêves, les constellations.
      Parmi ces ressources je reconnais ma facilité à utiliser mes 5 sens + 1 celui de l'intuition, pour laisser jaillir les ressentis, les images, les émotions depuis mon centre vital.
      Dans la loge de rêves, il s'agit de laisser jaillir l'intuition et de la partager au rêveur en lui offrant une résonance.
      Il ne s'agit pas d'activer le mental dans un but égotique de satisfaire un "écoute moi, moi j'ai raison".
      Le rêve est une énergie vivante, qui demande à être entendue et respectée. J'émets le souhait que tout(e) praticien(ne) des rêves puisse l'accueillir comme telle 🙏

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  2. Bonjour,

    Je m'autorise ces quelques mots qui vont me permettre de préciser ma posture lorsque je participe à une loge de rêve. Effectivement, je me retrouve souvent dans la situation de percevoir mes projections quand je vais donner une résonnance, ce qui me pousse presque m'excuser de prendre la parole. J'ai l'impression d'être encombrée de moi-même, avec aussi toutes ces petites voix qui viennent me dire que l'autre est plus précis, plus près du sujet, mieux, mieux, mieux...
    Donc pour moi c'est un grand risque d'oser exprimer son ressenti, son intuition, sa perception, son point de vue.

    Avec un sujet qui peut m'emballer terriblement comme le patriarcat par exemple, et avec lequel je peux "monter dans les tours" je me laisse le temps pour prendre la parole afin que mes propos soient plus modérés. D'autre part, on adopte tout de même une posture où l'on cherche à comprendre l'autre avec respect et bienveillance.
    Le cadre posé dans la loge de rêve, laisse la place pour vivre une expérience enrichissante aussi bien du point de vue du rêveur que de "l'accompagnant", en toute simplicité.

    Il me semble que la diversité fait la beauté de la nature. Nos failles, nos blessures, nos obstacles peuvent être aussi des cadeaux qui colorent nos propos certes, mais qui les rendent vivants.

    Bien à vous

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  3. Relisant le texte de l’article afin de mieux ‘l’entendre’, j’arrive au récit du second rêve cité et je me dis alors, très spontanément, que « si c’était mon rêve... » ;-) , je me demanderais pourquoi la superbe femme nue allongée près de moi, si blanche sur la terre noire, repousse mon invitation à l’amour ?

    Amezeg

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  4. « Le subterfuge du « si c’était mon rêve » pose donc un cadre dans lequel la projection est circonscrite. Son efficacité vient du fait que le rêveur ressent immédiatement une acceptation de ce qui lui proposé – cela le rencontre, résonne en lui – ou un refus. Dans les deux cas, c’est la vérité du rêve qui répond en lui en recevant de l’énergie, ce qui met le rêve en mouvement, ou favorise le mouvement intérieur du rêve. C’est pourquoi je propose de considérer les loges de rêves comme des accélérateurs de rêves ;-) » - Jean

    Si je comprends bien, les résonances proposées naïvement par d’autres personnes stimulent le discernement et la découverte possibles par le rêveur des associations de sens ou de ressenti, pertinentes ou moins pertinentes (voire non pertinentes), dont le rêve peut être gros et que le rêveur n’aurait pas encore, jusque là, perçues ou prises en compte. Ce qui relance, redynamise, l’échange entre l’esprit conscient du rêveur et le contenu rêvé venant de sa propre profondeur (souvent nommée "l’inconscient", mais qui contient une intelligence et une sagesse – Sophia – bien plus vastes que celles de l’esprit conscient limité qui ‘parle’ d’ordinaire en nous – Ce dont je suis entièrement convaincu, depuis longtemps. :-). Le travail en commun, en Loges de rêve, faciliterait donc grandement, soutiendrait et stimulerait fortement, un travail de relation aimante et attentive que tout rêveur, même hors de toute participation à une Loge de rêve peut – et même doit -, faire avec les rêves qui lui échoient afin d’entretenir la relation dynamique et durable avec la source sage des rêves.

    Amezeg

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    1. Merci Amezeg, c'est fort bien dit et je te remercie de reformuler les choses ainsi...

      Je souligne simplement tes mots : "Le travail en commun, en Loges de rêve, faciliterait donc grandement, soutiendrait et stimulerait fortement, un travail de relation aimante et attentive que tout rêveur, même hors de toute participation à une Loge de rêve peut – et même doit -, faire avec les rêves qui lui échoient afin d’entretenir la relation dynamique et durable avec la source sage des rêves."

      Je n'aurais pas pu dire mieux. C'est cette relation aimante et attentive avec les rêves qui importent, et les loges de rêves permettent à des néophytes d'entrer en contact avec la "source sage des rêves". Et c'est assez étonnant, même quand on a déjà une certaine expérience du travail avec les rêves, de voir comment ils peuvent se "déployer" dans le contexte du cercle bienveillant...

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  5. Merci aux participant-e-s aux Loges de rêve qui ont témoigné ci-dessus !
    Je n’ai pas l’expérience de cette pratique ni d’autres approches des rêves en groupe et je souhaitais en savoir un peu plus que ce qu’en avait déjà dit Jean, en particulier à propos de la place des projections dans les échanges entre participants aux Loges . Je suis peut-être parfois un peu lent à la comprenette… mais, je crois, pas étroitement ligoté par des théories, junguiennes ou autres… ;-)

    Amezeg

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  6. « Je crois que ton commentaire reste dans le cadre classique jungien de l’interprétation et de la recherche du "sens du rêve" alors que, j’insiste, je parle du ici mouvement intérieur du rêve, dans le même sens que la Gestalt. Nous nous inscrivons dans un autre registre qui est celui du ressenti et de l’intuition, laissant les images nous émouvoir et nous toucher plutôt que d’en discuter le sens de façon analytique. » - Jean

    Ce que tu dis là, Jean, m’a rappelé un texte, que j’ai découvert il y bien longtemps, et qui m’avait beaucoup parlé, dont la pertinence était pour moi évidente. Le voici :

    « SUR LE RÊVE
    Tel un fruit inconnu venu d’un lointain rivage, un rêve m’est né, que j’ai pu recueillir ; je le contemple, le soupèse, le sens, le goûte. C’est, avant tout, un objet nouveau, aussi étrange parfois que pourrait l’être un animal ramené des profondeurs marines pour la première fois. Or, devant un phénomène inconnu, que peut-on faire, sinon laisser de côté tout a priori, toute théorie qui risquerait de déformer notre vision, pour l’observer le plus objectivement, c’est-à-dire, en fin de compte, le plus naïvement possible ?
    Tout d’abord, nous laisserons les images du rêve vivre en nous, se développer, prendre toute leur ampleur, éveiller en nous des échos, faire vibrer des souvenirs, des analogies, des émotions, des associations d’idées, des espoirs et des désirs, reliant ainsi à notre conscient diurne le monde et les aventures de la nuit. Cette méditation, cette manducation, feront ainsi couler en nous le suc de cette expérience vécue qu’est un rêve. Car le rêve est bien une expérience vécue vitale ; il est souvent plus chargé de tensions et d’intensité émotive, d’un sentiment de réalité, que notre vie diurne. » - Francine Saint René Taillandier, dans "C. G. Jung et la voie des profondeurs", Éditions La Fontaine de Pierre

    Amezeg

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    1. Un grand merci, Amezeg, de nous partager ce texte qui rejoint bien ce que je cherchais à exprimer. Oui, il s'agit de laisser les images vivre en nous. C'est une méditation, une manducation... :-)

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  7. « Il faut bien comprendre que c’est cette volonté de puissance inconsciente de la part des analystes qui éloigne beaucoup de gens du travail avec les rêves, qui est perçu comme relevant d’une forme d’ésotérisme psychologique. » - Jean

    « Le pouvoir et l’amour s’excluent l’un-l’autre, là où est l’amour le pouvoir n’est pas, là où est le pouvoir l’amour n’est pas.» Cet amour dit, comme dans la prière catholique du Notre Père : "Que Ta volonté soit faite, non la mienne !". L’analyste ou interprète des rêves doit être le serviteur aimant de cette "volonté divine" et non pas le maître imposant une quelconque volonté humaine. Et le chemin pour cela passe sur le fil du rasoir… on peut facilement "tomber dans le péché" (manquer le cible), tomber dans le piège du pouvoir. Marie-Louise von Franz a déclaré un jour à quelqu’un qui l’interrogeait à ce sujet que : « La voie de Jung est une voie d’amour ». Il n’est pas sûr... que tous les analystes, se réclamant de Jung, ou d’autres, aient le souci de toujours suivre cette voie d’amour et se répètent, in petto, comme un mantra : Que Ta volonté soit faite, non la mienne !

    Amezeg

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    1. Nous sommes entièrement d'accord. C'est bien ce piège du pouvoir que je m'efforce de mettre en évidence. Merci pour le rappel du fait que la voie de Jung est une voie d'amour.

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  8. « Transprojective »… C’est le mot qui m’est venu à propos de la direction de pratique à laquelle invite la loge de rêves.

    S’il est vrai que, d’emblée, la dimension projective est appelée, par la simple phrase « si c’était mon rêve ... », elle est rapidement transcendée par la pratique vibratoire des résonances. Pour moi, c’est comme si le plus Vaste, par le biais du rêve, était invité à s’exprimer, se manifester par nos corps et nos bouches.

    En cela, je rapprocherais la pratique de la loge à celle de la « vision sans tête », pratique spirituelle non-dualiste décrite par Douglas Harding. Où l’observateur s’efface, où le personnage quitte son point de vue égocentré, permettant au plus Vaste en chacun de nous de prendre forme et se dire.

    Un grand Merci pour ton travail et ton partage, Jean, pour chaque commentaire, et pour ce blog qui me donne l’occasion d’une réflexion et d’une ... projection !

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    1. Merci pour ce partage, Richard ! Je garde ce terme "transprojective", et serai peut-être amené à le réutiliser - dans le même registre que transrationnel, transpersonnel. La référence à Douglas Harding me donne à sourire car la « vision sans tête » est une source d'inspiration implicite de mon travail. Si tu tapes "Harding" dans le champ de recherche du blogue, tu verras ressortir quelques articles, comme un clin d'oeil pour ceux qui suivent le fil de la non-dualité...

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