jeudi 11 août 2022

Le pipeau du rêve


J’ai été interpellé récemment par une amie qui m’a invité à me mêler d’une discussion qu’elle avait avec un de ses proches à propos des rêves. En substance, ce dernier lui disait :

- Je crois que seul le rêveur peut comprendre ses rêves. L’interprétation des rêves par quelqu’un d’autre, c’est du pipeau…

Je répugne à entrer dans ce genre de discussion où le propos manque d’emblée de nuances. La difficulté est la suivante : la prémisse est juste (seul le rêveur peut vraiment comprendre ses propres rêves) mais la conclusion est erronée (l’interprétation des rêves par un interprète qualifié, c’est du pipeau). Or il est difficile d’introduire de la nuance quand ce genre d’affirmation est lancée de façon péremptoire, qui n’appelle pas vraiment à discussion. En fait, dans ce cas, soit la personne qui parle a compris l’essentiel et cela n’est pas la peine d’en discuter, soit elle campe sur des certitudes qu’elle ne voudra surtout pas remettre en questions, et ce n’est pas non plus la peine d’en discuter…

La meilleure réponse est en fait de proposer de faire l’expérience de travailler un rêve, ce qui permettra de jauger le degré véritable d’ouverture de notre interlocuteur. C’était l’espoir de mon amie en m’invitant dans la discussion, mais quand j’ai lancé cette proposition, son questionneur a refusé. Il m’était dès lors impossible de répondre en deux phrases qui auraient clos le débat. Alors, j’ai promis à mon amie que je répondrai à la question soulevée par un (court ?) article que je publierai sur mon blogue.

L’affirmation « seul le rêveur peut comprendre ses rêves » est vraie. C’est même la base fondamentale de notre travail des rêves. Au moins est-il admis que les rêves ont un sens, cherchent à dire quelque chose. Cela vaut bien mieux que d’affirmer que les rêves ne sont que l’expression de désordre dans l’activité neuronale. Mais il est donc dommage de fermer la porte au travail avec un interprète de rêves pour aider à les comprendre.

Les rêves disent en effet quelque chose dont nous n’avons pas conscience, un peu comme un message qui serait écrit dans notre dos… et nous avons bien souvent besoin d’un regard extérieur pour lire ce message. Pour affiner cette métaphore, nous pourrions dire que le message est écrit dans une langue que nous sommes seuls à pouvoir comprendre, mais il est fort utile que quelqu’un nous dise ce qu’il lit, que nous pouvons alors traduire dans un message qui fait sens pour nous...

Une des difficultés, là, est que nous croyons que l’interprète de rêves va nous délivrer une vérité sur notre rêve. D’ailleurs, beaucoup de gens vont voir les analystes de rêves avec cette attitude : « dites-moi ce que mon rêve veut dire ». Or si l’interprète de rêves est honnête, il dira qu’il n’en sait rien mais que nous pouvons chercher ensemble. Il convient de se méfier des gens qui mettent les rêves dans une théorie pour vous expliquer le rêve – ils blessent le rêve. Cependant, l’interprète pose des questions et accompagne l’exploration du rêve. Il peut proposer des éléments d’interprétation, fondées sur le fait que nous, les êtres humains, avons beaucoup d’éléments de langage en commun dans notre psyché, et qu’il y a des schémas reconnaissables.

Jung, entre autres, a mis en lumière que nos psychés individuelles ont, tout comme nos corps, une structure commune, avec des organes qui sont tous les mêmes (les archétypes) mais aussi des spécificités culturelles, familiales – nous ne sommes pas aussi « originaux », « individuels », que nous aimerions le croire. Une bonne connaissance du langage des symboles facilite la compréhension des rêves, en sachant que le symbole a souvent une dimension universelle mais aussi de nombreuses facettes, en particulier culturelles, et toujours une dimension intimement personnelle – ce n’est pas tout de dire qu’un chien peut représenter la fidélité, mais aussi une dimension psychopompe dans la psyché; il faut interroger quelle est la relation du rêveur aux chiens en général, et au chien du rêve en particulier (surtout si le chien est connu)…

On se heurte là à une autre difficulté de l’interprétation du rêve : parle-t-il de la vie extérieure ou intérieure du rêveur ? S’il met en scène des personnes connues par ce dernier, parle-t-il de la relation objective avec ces personnes, ou ces personnes symbolisent-elles quelque aspect subjectif de la psyché du rêveur ? Il est impossible d’en décider à priori. Jung recommandait de mener deux interprétations parallèles, une objective et une subjective, en considérant que même si le rêve parle de la situation objective, celle-ci a aussi une facette subjective que le rêve met donc en évidence.

Bien sûr, l’interprète de rêves a besoin d’interroger le rêveur sur ce qui le préoccupait au moment du rêve, car le rêve s’inscrit dans un dialogue interne au rêveur, entre des questions qu’il se pose et des réponses qui sont dans son inconscient, qui tentent de lui parvenir. Et cependant, on ne réduira jamais un rêve à une simple explication à partir de la vie consciente du rêveur, genre : « vous avez rêvé de monstres parce que vous avez vu un film d’horreur la veille (ou appris que votre belle-mère venait à la maison le weekend prochain). » Il faut renverser l’explication : « le fait de voir des monstres (ou la perspective de voir votre belle-mère) à la télé a réveillé des monstres en vous, une peur profonde qui se dit dans le rêve ? [Et si le rêveur opine :] Parlez-moi donc de cette peur. Et qu’est-ce que le rêve en dit ?… »

La règle d’or du travail avec le rêve, c’est que ce dernier amène toujours quelque chose qui n’était pas conscient à la conscience. On ne s’en tirera pas en réaménageant des éléments connus – le rêve ne change pas les meubles de place pour faire du nouveau, il déménage carrément. Il amène ailleurs, au-delà du connu.

Le travail d’interprétation du rêve réclame une analyse des éléments et de la dynamique du rêve. Cependant, dans la notion d’analyse, il est moins question ici d’un processus de dissection intellectuelle qui ferait du rêve un cadavre que d’identification des éléments clés, du problème posé par le rêve et de la solution qu’il propose. Dans le fond, c’est un dialogue dans lequel intervient un tiers, le fameux « inconscient », qui n’est jamais que ce qui n’est pas conscient – et la règle d’or, c’est que non seulement le rêveur n’en est pas conscient, mais aussi l’analyste. Il faut donc coopérer avec l’inconscient pour qu’il accouche de ce qu’il a à dire dans le rêve. Et quand l’interprète propose des éléments d’interprétation, c’est le mouvement intérieur que ces éléments déclenchent chez la personne qui a rêvé qui sont significatifs…

Quand l’interprétation est juste, cela « clique ». Il y a une petite secousse qui va avec le fait qu’un nouvel élément vient d’entrer dans la conscience. Quand on l’a vécue au moins une fois, on la reconnaît. C’est le signe d’un élargissement de conscience, qui va généralement avec un afflux d’une nouvelle énergie, l’apparition de perspectives inédites.

Le rêve amène à l’esprit des choses auxquelles on n’avait jamais pensé. Et cependant, ce n’est pas l’interprète qui nous les fourre dans le crâne. On les reconnaît, elles ont quelque chose de curieusement familier. En effet, elles étaient à la lisière de notre conscience, et attendaient le moment juste pour y entrer.

Ma définition préférée de l’inconscient, c’est ce que l’on ne sait pas qu’on sait. Quand on le sait, cela devient une évidence. On l’a toujours su en fait. Mais il fallait y prêter attention pour le savoir… et c’est le travail du rêve que de nous le mettre sous le nez.

Dans le fond, l'interprétation du rêve a moins à voir avec les explications symboliques qu’on peut en donner, ou en rechercher dans des dictionnaires de symboles ou sur Internet, qu’avec le ressenti que le rêve donne à vivre. Quand on cherche des explications au rêve, on passe par la tête pour parler sur le rêve au lieu de travailler directement avec le rêve, de le laisser faire son chemin en nous. La clé est dans le ressenti car le rêve est une énergie qui cherche à parvenir à la conscience, à se vivre.

En fait, l’interprète de rêves ne délivre donc pas une explication du rêve qui constitue sa vérité pour le rêveur, mais il aide de dernier à accoucher de cette vérité. Dans le rêve, il y a quelque chose qui cherche à devenir conscient – l’interprète de rêves, s’appuyant sur son expérience et son amour des rêves, aide le bébé de la nouvelle conscience à naître.

Ce n’est pas une science, c’est un art, une maïeutique.

Ce n’est pas une question de méthode, de technique ou même d’un savoir particulier à propos des rêves ou de la psyché. J’aime dire que le sens du rêve, si on lui donne de l’attention et qu’on reste ouvert jusqu’à l’accomplissement du travail, naîtra malgré les méthodes, les techniques et les théories, qui tiennent des forceps que l’on cherche à lui appliquer pour l’aider à venir à la conscience, mais qui risquent de le blesser.

Une preuve expérimentale de ce que j’avance à propos du fait que le rêve a sa propre dynamique peut être vécue en amenant un rêve en loge de rêves, où un groupe de non-spécialistes offrent simplement une résonance sincère, à partir de l’intuition et du ressenti, au rêve qui est proposé. Le rêve n’est alors pas interprété mais « déployé » dans de multiples facettes de sens qui surprennent généralement le rêveur. Il sent alors intuitivement, à chaque proposition, ce qui lui parle et ce ne lui parle pas – la vérité du rêve se rapproche de sa conscience. Le rêve reçoit ainsi de l’énergie, il entre en mouvement, et le rêveur ressort généralement de la loge de rêves en disant qu’il est bien surpris de ce que son rêve a amené à sa conscience.

La loge de rêves est l’équivalent d’un accélérateur de particules : c’est un accélérateur de rêves, qui atteignent souvent la vitesse de la lumière consciente.

J’ai envie de rigoler en renvoyant ce monsieur qui affirmait que l’interprétation des rêves, c’est du pipeau, en lui disant qu’il ne savait pas si bien dire. L’interprète de rêves est comme un instrumentiste qui joue une partition (le rêve) : il en donne son interprétation, pour que le rêveur puisse en entendre la musique. J’aime bien l’image de jouer de la flûte (le seul instrument que j’ai jamais su jouer) car il paraît que c’est en jouant de la flûte qu’on dresse les serpents et qu’on fait sortir les rats de la ville…

Il y a beaucoup de gens qui disent qu’on peut se passer de l’interprétation des rêves, qu’il faut aller au-delà de l’interprétation. C’est encore une prémisse juste qui conduit à une conclusion erronée si elle ferme la porte à l’interprétation. Il y a en effet bien des techniques, dont l’écoute intérieure et les constellations de rêves dont je parle dans mes articles, mais aussi l’art-thérapie, la gestalt, le focusing... qui permettent bien au-delà de l’interprétation du rêve. Mais pour aller au-delà de l’interprétation du rêve, il est bon de savoir interpréter les rêves. Alors, on peut vraiment entendre leur petite musique.

Mais de tout cela, on peut en parler longtemps. Le mieux, si on ne veut pas se payer de mots, c’est simplement d’essayer et d’observer. Pour ma part, j’offre toujours la première rencontre : la première interprétation de rêve est gratuite et sans aucun engagement.

Addendum (12 août 2022) :

Une amie bienveillante me faisait remarquer ce matin dans une conversation privée que j'ai oublié de parler d'une dimension essentielle (c'est le cas de le dire) du travail avec le rêve. J'ajoute donc cette note pour corriger cet oubli :

Il faut préciser que le travail du rêve ne saurait se contenter d'être "psychologique" – il réclame une approche du rêve que l'on dira volontiers "spirituelle", ou que je préfère pour ma part dire "existentielle" pour échapper à la dichotomie habituelle entre spirituel et matériel. Car la psychologie, en tant que discours (logos) sur la psyché, court toujours le risque de s'enfermer dans une explication du rêve (vous rêvez cela parce que...). Or plutôt que de tenir un discours sur le rêve, il s'agit d'entendre le discours du rêve, ce qu'il a à dire par lui-même - son logos. Alors, nous nous relions à une sagesse qui vient à l'évidence de quelque chose de plus grand que nous, d'une conscience plus consciente que nous ne le sommes nous-mêmes, et qui nous échappe, nous est inconsciente par là-même. Chacun la nommera comme il voudra (le Soi, le grand Schmilblick, la Source des rêves, ...). Et ce qui en ressort, c'est que le sens du rêve pointe toujours vers le sens que nous donnons ou cherchons à notre existence – il parle de l'essentiel. En effet, si le rêve nous aide à éclairer nos problèmes, contribue à notre guérison et à trouver un certain équilibre, il semble qu'en dernier lieu (nous disait Von Franz, la proche collaboratrice de Jung), le rêve cherche à nous enseigner à vivre.

Rêve grenade - Salvador Dali

Si le sujet vous intéresse, vous trouverez matière à approfondissement dans ce blogue.

Voici une liste de quelques articles parmi d'autres sur le rêve :

- Une des premières questions à se poser, c’est pourquoi travailler ses rêves ?

- Une autre question clé est : comment se souvenir de ses rêves ?

- Vous trouverez ici quelques considérations générales sur le travail des rêves.

- Parlant d’interprétation, le mieux est d’examiner un exemple.

- Il ne faut surtout pas négliger les cauchemars. C’est précieux, un cauchemar...

Je propose d’ailleurs tout un ensemble de rêves à la réflexion. Parmi ceux-ci :

- La clé et le poisson en particulier parle du travail des rêves.

- Le rêve, c’est bien connu, parle de la source merveilleuse en dedans…

- La jeunesse du monde est un des rêves les plus précieux que j’ai reçu.

- Les situations de transition sont souvent parsemées de rêves. En voici un qui parle de l’escalier invisible qui peut s’ouvrir sous les pas…

- Il y a parfois de grands rêves, comme celui où l’analyse Robert Johnson a rencontré sa vocation sous la forme du Bouddha et d’un serpent…

Ce ne sont là que quelques exemples. Vous en trouverez beaucoup d’autres en fouillant mon blogue. Enfin, pour celles et ceux qui veulent aller au-delà de l’interprétation des rêves, je propose quelques articles sur mes recherches dans cette direction :

- Les loges de rêves.

- Au-delà de l’interprétation

- L’écoute intérieure des rêves

- Les constellations de rêves

Pour celles et ceux qui préfèrent écouter des vidéos, il y a aussi dans le blogue un certain nombre de liens, parmi lesquels :

- Une émission de Radio-Canada à laquelle j’ai participé : à quoi servent les rêves ?

- Une mini-conférence sur « pourquoi prêter attention à nos rêves ? ». Elle date de quelques années (oui, j’avais les cheveux très longs alors…).

- Une autre mini-conférence sur « se souvenir de ses rêves ». Même remarque que précédemment…

- Une conférence donnée au Colloque Jung d’hier à demain de 2018 sur le thème « rêves et pleine conscience » qui m’est cher. Mes cheveux avaient raccourci…

- Une conférence donnée au Colloque Jung d’hier à demain de 2019 sur le thème « au-delà de l’interprétation des rêves ».

- Une présentation des loges de rêves à ce même colloque.

- Une illustration du déroulé d’une loge de rêve lors d’un stage de jeu archétypal.

Vous pouvez aussi vous procurer les enregistrements audio du cours d'interprétation des rêves que j'ai donné au printemps 2021. Le premier cours, précédé de la conférence d'introduction, est disponible ici : https://creezviedereve.com/docs/AIR1_20210408.mp3.

Je signale enfin deux « blogues amis » que je recommande tout particulièrement :

D’abord, le blogue « carnets de rêves » de Michèle Le Clech, qui nous invite à nous promener dans ses jardins de l’âme…

Ensuite, ce petit nouveau qui est apparu il y a quelques semaines sur la Toile, dédié à l’interprétation des rêves, que je vous encourage à visiter. Tiens, il y est aussi question de pipeau ! :-)))

13 commentaires:

  1. Merci Jean ! Voilà un article qui clôt en effet la discussion. Je n'en attendais pas moins (de mots :-))) de toi...

    Diane

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  2. La photo de couverture, c'est un auto-portrait de l'interprète en train d'apprendre à manier le pipeau ? ;-)

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  3. Comme c'est bien écrit! Merci pour cet article que je vais pouvoir conseiller à beaucoup de gens. Je n'aurais pas pu mieux dire :)

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  4. Bonjour,

    Très pertinent article, Jean !

    Je me risque, en tant qu’intervenant tout à fait extérieur à l’échange qui a suscité l’écriture de ton texte, à ajouter une petite réflexion qui m’est venue :
    « En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu'il nous voit bien différent de ce que nous croyons être. »  C.G. Jung   

    Il n’est pas toujours facile de prendre en compte le point de vue d’un tiers sur nous-mêmes. Que ce tiers soit un autre être humain de nos relations ou qu’il soit "cet autre être en chacun de nous qui nous voit bien différent de ce que nous croyons être."
    Alors, l’affirmation que «...seul le rêveur peut comprendre ses rêves. L’interprétation des rêves par quelqu’un d’autre, c’est du pipeau... » peut aussi probablement, quelquefois, permettre à quelqu’un de se réserver la possibilité de ne pas prendre en compte ce que lui suggère ou lui montre un rêve à propos de lui-même et qui dérangerait trop le point de vue qu’il a sur lui-même. Ce qui lui demanderait de changer le statu quo de ce point de vue "confortable" sur lui-même, de renoncer à comprendre le rêve comme "ça l’arrange", comme ça lui convient pour ne pas être trop bousculé.
    Si c’est le cas, le regard d’un interprète qui, lui, est a priori bien moins intéressé par ce statu quo à préserver, peut inquiéter le rêveur ou la rêveuse qui, sachant ou devinant/intuitant cette liberté de l’interprète à l’égard du statu quo, s’arrangera pour dévaloriser et éviter toute interprétation par un autre que lui-même.

    Amezeg

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    1. Merci Amezeg de te "risquer" à cet ajout fort pertinent. Oui, ce peut être inquiétant de se faire donner ainsi un avis du point de vue de "cet autre être en chacun de nous qui nous voit bien différent de ce que nous croyons être", et c'est là que l'art de l'interprétation me semble requérir beaucoup de tact.

      Il faut en particulier éviter toute forme d'autorité, qui affirmerait que "le rêve veut dire..." et justement, il s'agit d'amener le rêveur à entendre ce que le rêve veut lui dire comme s'il (le rêveur) se le disait lui-même. Car au fond, c'est bien ce qui se passe : le rêve dit la vérité la plus intime du rêveur, et c'est à lui de l'entendre, à personne d'autre. En cela, « seul le rêveur peut comprendre ses rêves. » est parfaitement juste et il s'agit donc simplement d'aider le rêveur à s'avouer à lui-même ce que le rêve cherche à lui dire. Nous pouvons compter sur le fait que, même si le rêveur ne veut rien entendre là, le fait qu'il ait rêvé signale que quelque chose en lui cherche à devenir conscient... et dès lors, la "vérité" de l'interprétation importe moins que le mouvement intérieur qu'elle déclenche chez le rêveur. Ce peut être un mouvement de refus, de protection, et cela doit alors être entièrement respecté… car si l’interprétation touche juste, elle aidera simplement la vérité du rêve à se frayer un chemin en son temps, à sa façon.

      Jung insistait sur le fait que beaucoup de gens ont peur de leur inconscient, et recommandait de respecter cette peur – elle est bien souvent l’indice d’une fragilité qu’il faut prendre en compte. C’est pourquoi je crois qu’il faut se garder de toute forme de prosélytisme en ce qui concerne les rêves et le travail avec l’inconscient : on y vient quand on est prêt à jouer au "jeu de la vérité" avec soi-même, pas avant. D’où mon embarras dans ce genre de discussion où quelqu’un érige une herse devant l’interprétation des rêves, car il faut discerner s’il y a là une question qui cherche réponse, ou simplement un réflexe défensif devant l’inconscient. Le mieux dès lors me semble de proposer de faire l’expérience d’exposer un rêve à l’exercice d’interprétation, et la réponse à cette proposition dit ce qu’il en est.

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    2. Merci Jean pour cette écho très juste et très bien développé à ma petite réflexion "risquée" :-) . Je suis tout à fait d’accord avec tout ce que tu dis là.

      J’ai récemment eu connaissance d’un rêve récurrent de la petite enfance d’une personne qui se demandait encore aujourd’hui ce que pouvait signifier ce rêve récurrent. Je me suis dit que, même si dans sa petite enfance cette personne ne pouvait donner une interprétation "réfléchie" à ce rêve, elle s’en souvenait encore aujourd’hui et souhaitait le comprendre désormais de façon plus précise (ce qui serait probablement très bénéfique pour elle dans la situation vitale difficile qui est la sienne en ce moment). Cela m’a semblé montrer – ou rappeler... – que le rêve produit un effet même sans interprétation consciente. Le "Faiseur de rêves" ne produit pas de rêves inutiles et la compréhension consciente peut attendre que le temps d’une maturité suffisante soit venu, s’il doit venir.

      Amezeg

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  5. Je viens de vous lire et j'ai envie d'ajouter une petite chose...

    Il convient en effet de faire preuve de beaucoup de patience...face aux réticences éventuelles du rêveur...à l'interprétation d'un de ses rêves.
    Car oui, il est des "vérités" qui ne peuvent s'assimiler qu'avec une maturité suffisante...mais que veut dire "maturité" ?
    On peut dire que c'est le "bon" moment, celui où le rêveur est "mûr" pour cette vérité...qu'il est "prêt à entendre", mais aussi que c'est le moment où il a suffisamment "renforcé" le reste de sa personnalité pour pouvoir accueillir ce "quelque chose" qui la met en danger.

    Si le souvenir d'enfance ou le rêve récurrent tourne autour d'un traumatisme , par exemple, la résurgence de celui-ci dans la conscience met en péril tout l'équilibre psychique, équilibre fragile et chèrement acquis. Dans ce cas, l'interprétation, même si elle est "juste" et pertinente, n'est pas une aide mais une agression.

    Dans certains cas, il convient donc de ne surtout pas précipiter la "mise en lumière" et de laisser le rêveur cheminer lentement vers le moment où il se sentira assez "solide" pour intégrer la signification profonde de son rêve.

    La protection mise en place (refoulement) a une utilité : celle de "mettre à part" une souffrance ou un problème jusqu"à ce qu'il soit "intégrable" par la conscience...et c'est ça que l'interprète se doit de respecter...

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    1. Merci Licorne pour ces précisions. Oui, il est très important de ne pas précipiter la "mise en lumière" et de laisser le rêveur cheminer à son propre rythme. C'est là que l'interprète doit justement absolument éviter d'avoir des idées préconçues sur le rêve, au risque sinon d'assener, sur la base de quelque grille théorique, un verdict que le rêveur n'est pas prêt à entendre, du genre "votre rêve parle d'un traumatisme / d'un abus que vous avez subi", etc. Ce n'est pas que ce soit nécessairement faux, mais si ce n'est pas le rêveur lui-même qui en vient à interroger cette possibilité au travers du rêve, ce peut être en effet dangereux pour l'équilibre psychique...

      Et oui, il s'agit de respecter cette protection mise en place par l'inconscient au travers du refoulement et de l'occultation, et plus profondément encore, de collaborer là avec cet inconscient. Car si le rêve commence à amener la mémoire du traumatisme à la conscience à travers le rêve, c'est que la conscience est mûre, est prête à l'entendre, mais encore une fois, à son propre rythme. Nous pouvons donc collaborer avec l'inconscient pour que celui-ci facilite la mise en lumière dans les meilleures conditions.

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    2. "Car si le rêve commence à amener la mémoire du traumatisme à la conscience à travers le rêve, c'est que la conscience est mûre, est prête à l'entendre..." : je crois que c'est souvent vrai, mais pas toujours.
      Prenons par exemple le premier rêve de Jung, celui du "Phallus souterrain"...peut-on dire que la conscience d'un enfant de moins de cinq ans est "prête" à intégrer un tel rêve ???

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    3. C'est précisément une question de rythme : la conscience de l'enfant de 5 ans n'était certainement pas prête à intégrer ce rêve, mais cela a été l'affaire de toute la vie de Jung. Et puis je parlais de la mémoire d'un traumatisme, non d'un symbole archétypal comme le fameux Phallus, et de l'interprétation des rêves d'adultes, non des rêves initiaux d'enfants...

      Cette règle qui veut que, lorsqu'un symbole apparait dans un rêve, la conscience est capable de l'entendre, est une règle d'or du travail analytique. Elle ne donne cependant pas permission à assener sans précautions à l'analysant (et encore moins à un enfant...) ce que l'analyste croit comprendre du symbole et du rêve, mais au contraire, elle appelle à la retenue : l'analyste ne se permettra pas de parler de quelque chose qu'il croit voir avant que les rêves ne commencent à en parler eux-mêmes. Von Franz donne l'exemple suivant : même s'il parait évident à l'analyste que son analysant, un homme de 40 ans qui vit chez sa mère, devrait aller vivre ailleurs, l'analyste ne le dira pas avant qu'un rêve le suggère. A ce moment-là, l'analyste sait que la conscience de l'analysant est prête à recevoir le message, pas avant. Au fond, la règle est que lorsque quelque chose apparait dans un rêve, c'est que cela est en chemin pour devenir conscient et nous pouvons collaborer avec l'inconscient pour permettre cette venue à la lumière. Mais cela se fera à son rythme.

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  6. Oui, on parlait bien de la mémoire d'un traumatisme...ce que peut être, aussi, (en plus du sens archétypal), le premier rêve de Jung...(dixit ...Jean Gagliardi :-)
    https://grandsreves1234.blogspot.com/2017/04/le-premier-reve-de-jung.html

    Mais, bon, on est d'accord sur le fond...je parlais juste d'exceptions possibles...la règle générale étant bien celle dont tu parles.
    Bonne journée !

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  7. Oui, tu as raison, ce rêve de Jung pourrait bien avoir une dimension traumatique (merci du rappel ;-). Et oui, nous sommes bien d'accord sur le fond, toutes les règles ayant des exceptions dans lesquelles se cache leur subtilité. Belle journée !

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