samedi 3 août 2024

Sacré inconscient


Une réflexion sur la nature de l'inconscient, que l'on peut désigner aussi comme étant la Conscience des profondeurs, qui s'inscrit dans ma série d'études sur l'accompagnement psycho-spirituel. Elle est illustrée par des images surréalistes que j'aime particulièrement car elles nous emmènent dans des univers oniriques. A moins que ce ne soit le texte, finalement, qui illustre les images...

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La notion d’inconscient est entrée dans notre vocabulaire courant, tout comme c’est devenu un lieu commun de parler d’archétypes, sans bien savoir au fond à quoi l’on réfère là. La nature de l’inconscient, la question de savoir comment nous pouvons entrer en relation avec ce dernier, nous intéresse particulièrement quand on explore le monde du rêve car il est admis, depuis Freud, que l’inconscient est la source du rêve. Cependant, nous ne tirons généralement pas toutes les conséquences de cette affirmation, tout comme nous n’allons pas au bout des implications de cette idée qui veut que tous les éléments du rêve font partie de nous, vivent en nous. Pourtant, si nous prenions donc le temps d’ouvrir les portes que sont ces idées, nous pourrions bien déboucher sur un espace illimité, dans une vision profondément renouvelée de l’existence – dans quelque chose que j’ose pour ma part appeler la Liberté, mais qui n’est pas sans rappeler la vision spirituelle que les Anciens avaient de la vie, des dieux, de l’origine des choses ainsi que de la conscience, et du sens que nous pouvons donner au fait d’être.

Il faut tenter, pour y voir clair, d’écarter un certain nombre de conceptions erronées à propos de l’inconscient. C’est relativement facile une fois que l’on a compris de quoi il est question. On verra que ces erreurs ont toutes en commun d’être réductrices, c’est-à-dire de chercher "inconsciemment" 😉 à réduire le mystère vivant qu’est l’inconscient à une explication ou une chose morte. Il y a au moins une vingtaine de définitions différentes de la notion d’inconscient dans la littérature psychologique, chaque école en proposant une acception spécifique. Admettons d’emblée qu’elles sont toutes valables dans leur champ d’application, selon l’usage qu’il est fait de ce concept. Par exemple, Milton Erikson voyait dans l’inconscient un sujet agissant différent de la personne consciente et dépositaire d’un ensemble de ressources et d’apprentissages dans lequel le conscient peut apprendre à puiser. C’est une définition qui, quoique différente de celle des psychanalystes mais non contradictoire avec celle-ci, s’avère très utile et efficace. Admettons d’emblée qu’il n’y a pas de vérité définitive à propos de l’inconscient, mais que chaque définition qui en est proposée ouvre la possibilité d’un usage de, ou d’une possibilité de relation avec, l’inconscient – une dimension mystérieuse et cependant essentielle de nos existences. 


Le fond commun entre toutes les définitions de l’inconscient nous ramène à l’énoncé sur lequel Freud et Jung sont tombés d’accord lors de leur rencontre en 1906. Ils avaient chacun de leur côté observé chez leurs patients que différents symptômes irréductibles disparaissaient à partir du moment où les personnes qu’ils traitaient retrouvaient certains souvenirs oubliés, qui avaient disparu du champ de leur conscience jusqu’à ce que la mémoire leur revienne. Cherchant à cerner quelle pouvait être la source de ces symptômes, ils en étaient arrivés à une définition négative d’un facteur cependant tout à fait identifiable : l’inconscient est simplement ce dont nous ne sommes pas conscients, mais qui participe tout de même de notre vie psychique. 

Jusque là, et pour chacun de nous jusqu’au moment de la rencontre avec l’inconscient, notre psyché et notre conscience sont identifiées : notre psyché semble être constituée simplement de ce dont nous sommes conscients. Et puis il apparaît un jour que ce n’est pas si simple et qu’il y a en nous d’autres instances qui sont tout à fait capables d’intervenir dans notre vie. Par exemple, nous disons soudainement le contraire de ce que nous voulions dire ou nous posons un acte qui ne nous ressemble pas du tout, comme si nous avions été « pris par quelque chose ». Et en effet, quelque chose dont nous ne sommes pas conscients, mais qui vit en nous, est intervenu. Dans les rêves, nous voyons évoluer toutes sortes de personnages. Certains sont connus, mais se révèlent parfois sous des aspects que nous ne leur connaissions pas; d’autres sont inconnus. Il s’avère dans une étude poussée des rêves que ces personnages font partie de nous, et constituent souvent des sous-personnalités qui agissent à couvert dans notre existence. La littérature a toujours bien connu l’existence de ces instances intérieures qui pourraient soudainement apparaître, par exemple dans le cas du bon Dr Jekyll et de son ombre, le tueur en série Mr Hyde (phonétiquement : celui qui « se cache »). Et même quand il s’agit de personnages connus qui apparaissent dans nos rêves, comme par exemple notre mère, ce n’est généralement pas vraiment d’elle dont nous rêvons mais de l’image que nous en avons, qui vit en nous – ce qu’on appelle en terme technique notre « complexe maternel ». Ainsi, dans un premier temps, nous pouvons simplement poser que :

L’inconscient psychologique est ce dont nous ne sommes pas conscients.


Quand on a posé cette définition de base, on doit immédiatement considérer comment l’inconscient échappe au champ de notre conscience. Il est comme ce qui est au-delà de l’horizon, la réalité hors de notre bulle de perception. Nous sommes habitués à l’idée qui veut que nos sens soient limités : nous ne voyons pas à l’infini, nous n’entendons pas tous les sons qui parviennent à nos oreilles – la plus grande partie du spectre des fréquences lumineuses nous est invisible, et il en va de même avec les fréquences sonores, dont la majeure partie nous sont inaudibles. Il est cependant beaucoup plus inconfortable de se rendre compte qu’une très grande partie de ce qui se produit dans notre psyché échappe à notre vigilance consciente. L’inconscient est inconnaissable directement. Mais les premiers psychologues qui se sont intéressés à l’idée d’inconscient, qui a été philosophiquement élaborée bien avant Freud (ce dernier a eu le génie d’envisager cette idée non plus comme une abstraction mais comme une réalité pratique), ont relevé qu’il se produit un ensemble de phénomènes sur la frontière entre conscient et inconscient. 

Le rêve est un de ces phénomènes, et même une clé pour accéder à l’inconscient. 


Tout d’abord, il s’avère fréquent que l’inconscient veuille devenir conscient, ou pour être plus précis, que des contenus jusque-là inconscients cherchent à parvenir à la conscience. La difficulté, qu’il faut souligner et sur laquelle il faut sans cesse revenir, c’est que l’inconscient étant en dehors du champ de la conscience, il n’est aucun moyen d’y accéder directement. Ce n’est pas comme les microbes ou les atomes, qui échappent à notre conscience parce qu’ils sont trop petits, et qui réclament simplement des appareils agissant comme des prothèses oculaires à fort grossissement pour que nous les percevions. Là, il n’est aucun instrument qui permette une vision directe de l’inconscient, nous ne pourrons en avoir qu’une vision indirecte. Mais heureusement, il y a dans l’inconscient une dynamique qui montre que ce dernier, ou plutôt certains éléments dans ce dernier, cherchent à devenir conscients. Pour parvenir à communiquer quelque chose à la conscience, l’inconscient utilise la symbolisation, c’est-à-dire qu’il détourne quelque chose que le conscient connaît pour parler de quelque chose que le conscient ne connaît pas. Le symbole est un pont entre inconscient et conscient, et permet d’appréhender ce qui est au-delà du champ du connu…

Un serpent dans un rêve va éventuellement symboliser une capacité de transformation radicale, figurée par la mue du serpent, ou encore quelque chose qui remonte de très loin dans les profondeurs – qui peut être dangereux si le serpent est venimeux, mais qui peut aussi être envisagé comme sacré, par exemple quand il est question d’un serpent vert et lumineux. Tout, même l’objet le plus banal, peut être envisagé dans une dimension symbolique à partir du moment où un sens inconscient lui est attaché. Un lapsus, un acte manqué, une omission ou par exemple l’oubli à un moment crucial d’une information, d’un nom… peuvent être considérés comme signifiant, et donc symboliques. Le rêve nous intéresse tout particulièrement car il est précisément une production de l’inconscient cherchant à amener quelque chose à la conscience. C’est la possibilité de travailler avec cette dynamique de création de conscience qui est au cœur de ce que j’appelle l’écoute intérieure du rêve, qui consiste dans le fond en aider l’inconscient à accoucher de ce qu’il cherche à mettre au monde de la conscience. Mais on rencontre aussi des symbolisations dans les différentes formes d’imagination, en particulier active et créatrice, dans les fantasmes, dans les productions artistiques, et surtout, dans les projections que nous faisons sans arrêt sur les gens que nous rencontrons, sur les situations, etc.

Les symptômes, non seulement dans le cas de troubles névrotiques, c’est-à-dire traduisant un conflit entre conscient et inconscient, mais aussi dans le cas de maladies psycho-somatiques, peuvent être envisagés comme des symboles. Et lorsque l’on a renoncé à une séparation cartésienne stricte entre psyché et corps pour voir leur unité et leur inter-relation, tous les symptômes de toutes les maladies peuvent être envisagés comme des symptômes de ce que le mal cherche à dire dans la « mal-a-dit ». Ce ne sont pas nécessairement des éléments strictement personnels qui sont symbolisés : il n’est pas rare que les dysfonctions d’un système familial s’expriment dans les symptômes vécus par l’un de ses membres. On peut même considérer certains événements de la vie, dans le cas de synchronicités, comme étant symboliques. Cependant, c’est comme avec tout : il convient d’éviter de mettre l’inconscient à toutes les sauces et de le voir partout car c’est alors comme de le le voir nulle part !


Le travail avec l’inconscient nous confronte à une autre difficulté : autant l’inconscient veut parfois devenir conscient, autant il est double et bien souvent fait tout ce qu’il peut pour échapper à la conscience. On identifie ainsi un certain nombre de systèmes de défense de l’inconscient, parmi lesquels la répression, le refoulement, le déni, le déplacement… Et là, il nous faut envisager que l’inconscient a ses raisons de préférer l’obscurité. L’expérience montre qu’il ne sert à rien de forcer les défenses, bien au contraire. Celles-ci servent généralement à protéger un point de vulnérabilité, une fragilité. Notre relation avec l’inconscient, si nous ne voulons pas l’inscrire dans une logique conflictuelle, doit être une relation de coopération et de tentative de compréhension mutuelle. Au fond, c’est avec nous-mêmes que nous sommes en relation là : un nous-mêmes dont nous ne sommes pas conscients, qui nous est inconscient, mais s’il souffre, c’est nous qui souffrons…

Ce qui nous amène à une autre définition de l’inconscient. L’inconscient, c’est ce que nous ne savons pas que nous savons. Nous le savons. Quelque chose en nous le sait, et agit en conséquence. Mais nous, consciemment, nous ne le savons pas (encore). Cependant, cela pourrait bien parvenir à notre conscience un jour. Ajoutons que dans l’inconscient, il y a aussi tout ce que nous ne savons pas que nous ne savons pas, et que nous ne saurons peut-être jamais. Mais de me dire que l’inconscient est ce que je ne sais pas que je sais m’offre une prise pratique sur la nature de ce fameux inconscient : il faut bien que j’accepte de ne pas savoir, pour ouvrir la porte à ce qui en moi sait. Par là, nous dépassons largement le champ de la seule psychologie : les praticiens du chamanisme et d’autres approches de travail avec l’Invisible, mais aussi les méditants et les personnes en contact avec le Mystère vivant au cœur de l’existence, comprendront sans doute très bien de quoi je veux parler sans plus d’explications. Les peuples premiers connaissaient fort bien la notion d’inconscient, mais l’appelaient autrement : c’était le lieu du Mystère, le Temps du Rêve, le royaume des morts. L’Orient connaît l’inconscient depuis bien longtemps aussi. J’aime proposer à la réflexion de mes étudiant.e.s cette citation de Daniel Odier, tirée de son livre Tantra, où son enseignante Devi lui déclare :

« Ce que vous appelez inconscient, nous l’appelons Conscience des profondeurs et c’est le champ que nous ne cessons d’ensemencer par nos actes qui n’ont pas atteint à la spontanéité. Lorsque nous méditons, nous laissons reposer toute la jarre qui contient la Conscience, inconscient ou Conscience des profondeurs compris. Dans la vie impulsive, cette jarre est sans arrêt secouée et obscurcie. La boue et l’eau claire sont parfaitement mélangées, ce qui rend tout examen du contenu impossible. Lorsque nous méditons, nous cessons d’agiter la jarre et nous la déposons devant nous. Peu à peu, l’eau s’éclaircit et les semences profondes affleurent à la surface. C’est ce qui rend parfois le processus méditatif si douloureux. Il remonte des semences que nous ne voulons pas voir en nous ou dont nous ne soupçonnons pas l’existence. Peu à peu, le contenu de la Conscience de tréfonds apparaît à la surface du conscient et le contenu s’épure. En méditant, nous acceptons d’ouvrir la jarre et d’écumer tout ce qui apparaît à la surface de l’eau. Si parallèlement, nous accédons à la spontanéité, nous n’ensemençons plus la Conscience des profondeurs et peu à peu, le cycle est rompu. »

Pour celles et ceux qui comprennent la nature du Travail, tout est là.


Mais pour la plupart, il faut encore ajouter que l’inconscient, comme j’ai commencé à le mettre en évidence en parlant de la symbolisation, parle par images et non en concepts. Ce n’est pas un intellectuel, même s’il est capable cependant d’élaborations philosophiques remarquables, et il adore aussi jouer avec les mots, en faire ressortir phonétiquement des sens seconds – ce qu’on appelle la langue des oiseaux. Ainsi, le symbole s’avère-t-il être un « saint bol » recueillant l’eau lumineuse de l’inconscient. Mais ce dernier parle donc surtout par symboles et métaphores – les images sont un langage premier, accessible même aux enfants, et universel, même s’il ne faut surtout pas négliger le contexte culturel en arrière-plan d’une image. Le serpent n’aura ainsi pas la même signification dans une culture africaine où il fait partie de la vie que dans le contexte judéo-chrétien où il apparaît comme le Tentateur qui a conduit à la Chute. Cependant, plus on étudie les symboles, plus on se rend compte qu’ils ont à la fois une dimension intimement personnelle et cependant, qu’ils connectent à l’universel. Si bien qu’une personne qui n’a jamais entendu parler de la kundalini pourra rêver, à son grand effroi, qu’elle a un serpent lovée dans son bassin qui parfois se dresse et vient regarder par ses yeux, et prononcer par sa bouche comme dans une incantation étrange des mots tels que « conscience, existence, essence… » en insistant sur le « ce » final jusqu’à en faire un sifflement…

On peut encore poser à partir de là que non seulement l’inconscient parle essentiellement par images et métaphores, de façon symbolique, mais nous-mêmes ne pouvons en parler que par images, au travers de symboles. Toute tentative de saisie rationnelle est vaine, limitée, et tend à mettre l’inconscient dans une boîte. Car la nature même de l’inconscient échappe à la conscience. C’est le fondement de notre conscience, sa source – la conscience en émerge en chaque instant. C’est son fonds, son « ground » vivant, et cependant cela lui échappe totalement. Une difficulté tient à ce que l’on peut appeler la nature énergétique de l’inconscient : ce que nous désignons par là est dynamique, sans cesse en mouvement comme de l’eau courante, et tenter de s’en saisir est vain : cela nous coule entre les mains. Dans cette notion d’énergie psychique, il entre l’idée qu’on ne connaît l’inconscient que par ses effets, c’est-à-dire par son travail, par la façon dont il sculpte la conscience. Et l’énergie est polarisée : l’inconscient est fait d’opposés en constante réorganisation dynamique. On y trouve tout et son contraire ! Les opposés sont indifférenciés dans l’inconscient et la conscience les différencie dans la dualité qui oppose le clair et le sombre, le haut et le bas, le bien et le mal, etc. Et cependant, au cœur même de l’inconscient, quelque chose d’immuable, comme le centre d’une sphère qui est partout et dont la circonférence n’est nulle part, est à l’œuvre qui tend à l’unification des contraires, au dépassement de la dualité, dans un dépassement inconcevable. 

On peut dire encore que l’inconscient est l’eau dans laquelle vit le poisson de la conscience : nous y sommes tellement habitués, et il n’y a rien pour faire contraste avec cette eau, que nous ne la percevons pas. Mieux, nous lisons plein de gros livres à la recherche de la nature de cette eau qui nous donne vie ! La conscience vit dans sa bulle de perceptions, d’idées sur l’existence, la plupart du temps inconsciente de ce qu’il ne s’agit que d’une bulle. On peut penser cependant qu’un jour, cette bulle éclatera et alors se présentera la vision de l’Illimité que nous sommes… mais si ce moment est la mort physique, alors il sera trop tard pour incarner cet Illimité, pour le vivre dans un corps. 

Quand on explore le monde des rêves, on en arrive tôt ou tard avec Jung à l’idée que l’Inconscient recèle un savoir absolu. Il sait des choses que nous ignorons absolument, par exemple à propos du passé lointain de l’humanité. On peut lui attribuer la résolution de certains problèmes scientifiques et mathématiques, des créations poétiques et musicales, des visions prophétiques et des textes dits sacrés. Il s’avère être hors-temps, hors toutes les limites que nous pouvons tenter de lui fixer. C’est pourquoi il est relativement ridicule de parler de « mon » inconscient, « ton » inconscient. Plus fondamentalement encore, on constate qu’il y a dans l’Inconscient une mémoire de tout ce qui est arrivé, non seulement à nous-mêmes mais aussi aux générations qui nous ont précédé – et une voie d’accès vers des mémoires qui sont bien au-delà de nous – mais aussi et surtout une source créative toujours neuve, libre de tous conditionnements, qui ne cesse de créer. On touche alors au « ça crée », à la dimension sacrée qui est au cœur de l’Inconscient. 


C’est là, dans cette appréhension du Mystère vivant et créateur, que Freud et Jung se séparent radicalement. Pour Freud, l’inconscient est essentiellement la poubelle de la conscience où elle refoule ses désirs inavouables, ou les choses qui lui trop désagréables. On y trouve surtout des pulsions inabouties, des mémoires enfantines, des traits infantiles de personnalité – en bref, l’inconscient est surtout pré-rationnel. Jung ne nie pas cette dimension de l’inconscient mais considère qu’elle ne constitue qu’une couche superficielle qui est englobée dans ce qu’il appelle l’ombre personnelle. Pour Jung, l’Inconscient est la source créatrice dont jaillit, historiquement et en chaque instant, la conscience. Il lui reconnaît une dimension personnelle et pré-rationnelle, mais il en envisage la dimension collective. La psychologie moderne admet cette dimension collective en considérant la dimension transgénérationnelle de l’inconscient mais Jung va beaucoup plus loin en ouvrant la possibilité que l’Inconscient collectif soit au fond la dimension psychique commune, non seulement à toute l’humanité, mais aussi aux animaux, aux plantes, aux roches et aux étoiles, bref à l’univers entier. L’étude des expressions de l’Inconscient collectif, que ce soit dans les rêves, dans l’Alchimie, dans les mythes, montre la possibilité d’une Conscience cosmique, où mieux encore d’un lien « par l’Intérieur » entre tous les êtres, toutes les choses, même apparemment inanimées. Comme si la Conscience était la substance même de tout ce qui est, et comme si tous les êtres de tous les Univers étaient en fait Un seul Être, reliés par le Un, dans l’Amour qui est un autre nom pour cette Unité absolue qui serait le revers de la trame de la multiplicité apparente.

Avec Jung (mais non seulement lui, fort heureusement), nous touchons à ce que nous pouvons désigner comme la dimension trans-rationnelle de l’Inconscient. Nous retrouvons ici les trois strates qu’a fort bien distingué Ken Wilber dans l’évolution de la conscience, qui commence par un stade pré-rationnel dans lequel on croit au Père Noël. Mais tôt ou tard, si tout va bien, on sort de cette enfance pour élaborer une compréhension rationnelle de la réalité : le Père Noël n’est plus le Père Noël… et on se moque un peu de ceux qui continuent d’y croire – une façon de se défendre contre la nostalgie de cette enfance où tout était simple. Cependant, si tout va vraiment bien, on se heurtera aux limites de cette appréhension rationnelle du réel, qui tend à le dessécher, et on réintroduira de la magie en admettant la dimension trans-rationnelle du réel. Le Père Noël alors se révélera être un symbole de l’abondance et de la générosité de la vie, qui n’arrête pas de s’offrir en cadeau dans le présent. Il apparaîtra que, sous couvert d’inconscient (qui ne dit jamais que nous ne sommes pas conscient de ce que c’est), l’âme agit. Et nous reconduit à la nature transcendante (au sens de Kant : qui transcende nos catégories mentales, nos concepts, ce que nous pouvons en penser) de la Réalité. Or c’est précisément ce que nous pointent clairement les « philosophies » non-duelles, que l’on considère le Vedanta de Shankara, le Soufisme de Ibn Arabi, la mystique de Maître Eckhart, le taoïsme, le bouddhisme zen, etc. 

Il semble bien que Jung, qui se traitait volontiers lui-même de « fou mystique », a redécouvert un chemin vers cette Transcendance. Il disait clairement que :

« Ce que l’on appelle exploration de l’inconscient dévoile en fait et en vérité l’antique et intemporelle voie initiatique. La doctrine de Freud est une tentative d’ensevelissement pour se protéger des dangers de la « longue route », seul un chevalier risquera la « queste et l’aventure ». »


La définition qui veut que l’inconscient est ce dont nous ne sommes pas conscient, pour utile qu’elle soit dans le champ psychologique, nous conduit au devant d’une certaine limite à partir du moment où l’on se risque à l’investigation fondamentale « qui suis-je ? ». La question se pose en effet : qui est ce « nous » qui est ou n’est pas conscient ? D’où vient-il ? Quelle est sa forme, sa couleur, sa texture ? Que mange-t-il en hiver ? Mais  nous entrons là dans un champ qui est au-delà du psychologique même s’il y a partie liée puisque nous interrogeons alors la nature de la conscience. C’est le domaine que l’on peut dire « métaphysique » ou « spirituel » qu’explorent les voies comme le Vedanta, le Zen, la Gnose, le Soufisme, etc. Ces questions que je soulevais peuvent tenir lieu de kôan, c’est-à-dire d’interrogations qui ne peuvent avoir de réponse rationnelle mais débouchent éventuellement sur une percée existentielle. 

Un kôan psychologique de base consiste en se poser, après avoir par exemple oublié sa carte de crédit dans un distributeur : qui a fait cela ? Quelle est la différence entre « l’inconscient a fait cela » et « j’ai fait cela inconsciemment » ?

Bien sûr, une telle interrogation pose toute la question de la responsabilité de nos actes, qui peut avoir toute sa valeur devant le tribunal de notre conscience morale quand nous constatons que nous avons fait quelque chose que nous n’aurions jamais, dans notre état normal, voulu faire.  Avec la notion d’inconscient, nous sommes conduits à examiner sur le fond l’origine de nos motivations et de nos convictions, et par là-même à interroger si elles sont vraiment nôtres, ou héritées, dues à des circonstances plus ou moins inconnues, ou encore influencées par des facteurs complètement inconnus. Une vision non dépourvue d’intérêt propose que nous pourrions être influencés par des éléments d’un futur non encore réalisé, mais qui cherche à s’actualiser en créant la possibilité d’exister dans notre présent, un chemin vers sa propre réalisation. Voilà qui nous fait sortir par le haut d’une vision déterministe régie seulement par la cause et l’effet, et nous oblige à envisager le pouvoir créateur de l’esprit. Cependant,  avant d’aller plus loin dans l’exploration de cette notion clé qu’est l’inconscient, il nous faut tenter de dissiper encore quelques erreurs courantes à son sujet, ce qui nous ouvrira de nouvelles perspectives  :

La première erreur commune tient dans l’affirmation que l’inconscient n’existe pas parce que personne n’a pu l’observer sous la lentille d’un microscope ou avec un télescope. C’est aussi stupide que de prétendre que la face sombre de la lune n’existe pas sous le prétexte que personne n’a pu l’observer directement. La physique contemporaine nous offre une autre analogie pertinente avec la matière noire, qui représente 27% de la matière totale de l’Univers mais que nous sommes incapables d’observer directement : nous ne pouvons qu’en déduire l’existence. De la même façon, nous ne pouvons pas accéder directement à l’inconscient car il est hors du champ de notre conscience, et aucune appareil ne nous permet d’en vérifier l’existence. Encore une fois, nous ne pouvons connaître l’inconscient que par ses effets sur la conscience,  dans nos vies – ou encore par ce qu’on appelle ses « rejetons » : rêves, lapsus, actes manqués, omissions, oublis, projections, etc. 


Cependant, il est inutile de discuter à propos de mots, qui n’ont que le sens que l’on veut bien leur donner – ce qui est intéressant est toujours d’essayer de savoir ce que les gens mettent sous les noms de ce qu’ils nient. On peut penser que les gens qui refusent ainsi catégoriquement l’existence de l’inconscient ont généralement très peur de ce qu’il pourrait y avoir en eux s’ils ouvraient la porte à ce qui, en eux, vit sous le seuil de la conscience. Leur personnage pourrait bien s’effondrer pour laisser apparaître quelque chose qu’ils abhorrent ou qu’ils redoutent. Il faut considérer cette négation de l’inconscient comme une défense et au fond, ne surtout pas chercher à la forcer car elle a sa fonction dans la psyché de la personne. Il n’est pas rare aussi que les personnes qui rejettent le concept d’inconscient considèrent que la conscience est simplement le produit secondaire d’interactions chimiques et physiques dans le cerveau. Ils se targuent d’être de purs matérialistes en refusant toute réalité propre à la psyché et toute valeur à l’intériorité : en niant l’inconscient, ils nient aussi la réalité de la conscience. Du coup, en fait, tout est inconscient et on bascule dans un paradoxe : qui parle ? Un inconscient. 😆  

Avec ces gens qui veulent s’en tenir à un modèle neurologique, et plus fondamentalement physico-chimique, pour appréhender la psyché, on peut proposer simplement d’envisager le ratio suivant : on a pu mesurer que lorsque les zones cérébrales associées à la conscience traitent 2000 bits d’information par seconde, l’ensemble du corps et du système nerveux en reçoivent 4 millions de bits par seconde. C’est un rapport au carré. Ce que nous appelons « inconscient » est simplement un concept utile pour parler de l’intelligence globale de l’organisme, comparée à celle, neurologiquement restreinte, du néo-cortex et du système limbique associé. Dès lors, ils se satisfont aussi généralement de la métaphore du système d’exploitation d’un ordinateur dont les programmes agissent en arrière-plan pour nous permettre d’utiliser les applications visibles en avant-plan, sur notre écran – qui symboliserait volontiers notre conscience, c’est-à-dire le domaine des apparences, des phénomènes, tandis que l’essentiel se déroule  dans le Fonds de l’Être.

Mais quand on rencontre des personnes qui se refusent à croire à l’existence de l’inconscient, il n’est guère utile d’essayer de convaincre de la réalité de celui-ci. On peut compter sur la réalité vivante de l’inconscient pour venir tôt ou tard ébranler les certitudes de ces esprits forts qui, à la manière de certains athées niant simplement l’idée qu’ils se font de Dieu et se bouchant ainsi l’esprit, croient qu’ils peuvent écarter ce qu’ils ne comprennent pas. Au fond, la relation à l’inconscient dit beaucoup de la relation à l’inconnu et à l’invisible, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous.


Une autre erreur à propos de l’inconscient consiste en proclamer « il n’y a pas d’inconscient, tout est conscience ». Ce n’est pas faux en soi : tout est en effet conscience... mais l’erreur ici est de croire que l’inconscient est inconscient ! Or l’étude approfondie des rêves nous met au contact d’un mystère remarquable : la source des rêves est beaucoup plus consciente que nous. La citation de Daniel Odier proposée plus haut nous dit que, dans la tradition tantrique, on la désigne comme étant la Conscience des profondeurs. On en revient donc encore une fois au fait que c’est nous qui sommes inconscients : quand nous parlons de l’inconscient, nous objectivons notre propre inconscience – nous admettons qu’il y a en nous quelque chose dont nous ne sommes pas conscients. Plus nous y prêtons attention, et plus nous sommes amenés à y reconnaître un ordre de conscience qui nous dépasse entièrement. 

Au début en effet, nous trouvons dans l’inconscient tout ce que nous avons oublié et tout ce que, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, nous ne voulons pas voir de nous-mêmes, de notre famille, etc. On y trouve par exemple des mémoires traumatiques qui ont été occultées parce qu’elles étaient impossibles à assimiler à l’époque où un événement est arrivé, et qui ressortent quand la psyché est assez forte, assez mûre, pour digérer l’événement. Ce qu’il y a dans l’inconscient n’est pas toujours beau, et on n’y rencontre pas que de gentils personnages, loin de là. On y trouve des animaux sauvages, des prédateurs, des serpents venimeux… mais aussi, curieusement, des licornes et des dragons, des héros mythologiques, des dieux et des déesses. Tôt ou tard, on se rend compte que notre inconscient n’est pas simplement « nôtre », mais qu’il contient l’inconscient de toute l’humanité. On peut y rencontrer un prophète biblique ou Salomé dansant avec la tête du Baptiste sur un plateau, ou encore des êtres venant d’autres planètes, qui nous emmènent visiter d’autres mondes. C’est là, au-delà du personnel, ce domaine que Jung appelait l’Inconscient collectif, ou pourrait-on peut-être dire, l’Inconscient universel. Et cependant, si on ne se laisse pas arrêter à quelque étape de ce voyage par la peur ou la fascination, tôt ou tard, on entrevoit que sous le voile de l’Inconscient, il y a quelque chose qui va même au-delà de cet Inconscient collectif. La seule façon d’en parler serait peut-être de l’évoquer comme un soleil de Conscience totale qui pourrait bien être la source de notre propre conscience, et même de cette drôle d’idée que nous entretenons qu’il y aurait quelqu’un, un « moi » pour dire sienne la conscience…

Sous le voile de l’Inconscient, il y a le soleil du Soi – concept que Jung a emprunté à l’Orient (Atman). Les Upanishad ne disent rient d’autre quand ils décrivent les quatre états de Conscience : la conscience, le rêve… et le sommeil profond qui voile l’éclat de Turya, le quatrième. Le concept d’inconscient nous est utile pour commencer à soulever le voile. Mais ne faisons par du « Soi » un autre concept dans lequel nous penserions pouvoir enfermer le mystère au cœur de l’Être et de la Conscience. Comme nous le recommande la sagesse zen, lavons-nous la bouche à chaque fois que nous prononçons des mots trop gros pour nous comme « Dieu », « le Soi », etc.


La dernière erreur sur laquelle je veux attirer l’attention ici consiste en personnaliser l’inconscient, en faire une entité séparée de nous. Nous lui prêtons des actions : l‘inconscient a dit, l’inconscient a fait… et cela peut être une façon d’échapper à  notre responsabilité, qui tient dans le fait d’être conscients, le devoir de conscience. Mais surtout, nous entérinons ainsi l’idée fausse d’une séparation d’avec la source de notre conscience. Plus précisément, nous projetons ainsi sur l’inconnu qu’est l’inconscient la réalité de notre séparation psychologique, celle qui nous fait croire que ce que nous appelons « moi » a quelque substance propre. C’est une croyance essentielle pour la plupart d’entre nous, sans laquelle nous ne saurions sans doute fonctionner, mais une étude attentive de la question montre que ce sentiment de séparation, et toute l’identité qui en découle, sont une construction mentale. En personnalisant l’inconscient, nous continuons à jouer à cache-cache avec nous-mêmes. Nous échappons à la question fondamentale : qui suis-je ? D’où vient cette conscience que je suis ?

La conscience peut poindre à partir d’un certain moment que de telles idées, comme l’existence d’un « moi » solide et qui pourrait être séparé de l’inconscient, sont tout simplement erronées et nous voilent une dimension fondamentalement ouverte du Réel, de ce qui est, au-delà de toute dé-finition. Elles constituent un enfermement, et cependant la nature même de la conscience est, entre autres facettes de ce Mystère lumineux, d’être entière et totale Liberté. Mais la Conscience n’a jamais cessé d’être libre, et elle est même libre de rêver qu’elle n’est pas libre aussi longtemps qu’elle voudra, de s’identifier à tel ou tel personnage dans son petit théâtre. Simplement, il peut aussi lui arriver de s’éveiller de son rêve et d’en rire joyeusement, car elle est Joie pure d’Être, et Conscience de cette Joie (Sat-Chit-Ananda). Mais il est inutile d’en parler car c’est simplement une réalité que l’on peut expérimenter, mais jamais saisir conceptuellement. 

On pourrait dire que c’est le sens et l’objectif fondamental de tout notre travail du rêve que de chercher à « traverser le rêve », c’est-à-dire de rencontrer le Réel tout nu, sans aucune illusion pour l’habiller, le déguiser. Cependant, si le travail du rêve ne sert qu’à essayer d’avoir des informations de l’inconscient pour résoudre nos problèmes conscients, il est vain de ce point de vue. En fait, le travail avec le rêve nous permet surtout d’interroger la nature fondamentale de la réalité dans laquelle nous vivons. C’est ce que font les différents yogas du rêve élaborés depuis des millénaires en Orient. Le kôan essentiel devient alors, non plus « qui suis-je ? » mais :

Qui me rêve ? Qui rêve ma vie ?


C’est pour soulever cet autre voile, qui tient à la façon dont nous vivons nos existences comme des somnambules en nous prenant pour quelqu’un que nous ne sommes pas, que la méditation est le complément nécessaire, avec d’autres éléments essentiels comme l’éveil de la conscience corporelle et le service, du travail avec le Soi au travers du rêve. La méditation conduit à une autre étape de dés-identification : après que l’on ait différentié la psyché de la conscience en reconnaissant l’existence de l’inconscient, on en vient à différentier la pensée de la conscience. Nous sommes alors en mesure de prendre conscience de comment nos pensées définissent la réalité dans laquelle nous vivons au travers des histoires que nous nous racontons et colorent notre expérience de l’existence. Nous devenons alors capables d’interroger les croyances et les concepts que nous utilisons pour appréhender le réel, et enfin d’user alors consciemment du pouvoir créateur de la pensée. Il devient alors évident, comme le souligne Eckhart Tollé, que « la prochaine étape de l'évolution humaine consistera à transcender la pensée. »

Mais on est dès lors largement au-delà du champ de la psychologie, pour toucher donc à la dimension psycho-spirituelle du Travail. Celle-ci implique d’aller au-delà de la dimension historique de la psyché et de la personnalité, pour ainsi dire horizontale, pour envisager la présence d’une dimension verticale, ancrée dans l’éternité du moment présent, que nos anciennes traditions désignent comme celle de l’Esprit, source de tout et en particulier de la Conscience. Si vous voulez prendre le beau risque d’envisager l’Inconscient sous un angle radicalement différent de celui que nous propose la psychologie, je vous suggère de lire le chef d’œuvre de D.T Suzuki intitulé Le non-mental selon la pensée zen. On y découvre une acception de l’Inconscient qui n’a plus rien de psychologique, qui constitue un des fondements du bouddhisme zen et peut conduire à un renversement radical de perspective. Jung lui-même, quand Ira Progoff l’a interrogé sur le sens profond de ce qu’il cherchait à transmettre, s’il pouvait parler sans risquer d’être mal compris, interprété de travers, a éclaté d’un bon rire en disant :

- Ach ! Ce serait du pur zen…


Mais pour nous, qui vivons encore dans les petites boites constituées par nos moi séparés avec des murs de concepts que nous entretenons sur l’existence, le monde, etc... il suffit sans doute à ce point d’entretenir une relation vivante avec ce mystère vivant qu’est en nous l’Inconscient. Pour cela, je ne connais pas mieux que de travailler avec les rêves, car le rêve est à chaque fois une émergence de quelque chose d’inconscient qui veut devenir conscient, qui me fait grandir en Conscience. Et dès lors, je peux tirer une conclusion pratique infiniment riche de l’idée qui veut que tout ce qui fait partie de mes rêves est en moi, dans mon inconscient. Si cela fait partie de ma vie psychique, c’est alors que c’est vivant. Si c’est vivant, je peux alors entrer en relation avec cela, dans un dia-logue. Cela fait partie de « moi », c’est-à-dire que je peux le connaître de l’intérieur, savoir ce que cela ressent, quel est son point de vue sur les questions qui me préoccupent. Et dès lors, cela pourrait me parler, m’apprendre quelque chose sur qui je suis, ce que je suis et pourquoi il m’arrive ceci ou cela. Peut-être même cela pourrait-il m’enseigner quelque chose sur le Mystère incommensurable d’Être...

jeudi 4 juillet 2024

Justice de rêve


Nous sommes nombreuses et nombreux ces derniers temps à désespérer au moins un peu, souvent beaucoup, et même parfois passionnément, devant l’évolution de la situation collective dans laquelle nous nous trouvons, que ce soit à l’échelle nationale en France ou pire encore, planétaire. Je ne m’appesantirai pas ici sur des considérations politiques – celles et ceux qui veulent savoir ce que j’en pense peuvent toujours consulter ma page Facebook, ou (re)lire l’article petite lumière que j’écrivais en 2016 à la suite de l’occasion de l’élection du sinistre clown qui espère revenir au pouvoir aux États-Unis en novembre prochain – nous avons les mêmes chez nous. D’aucun.e.s s’étonneront peut-être de me voir prendre ici ou ailleurs des positions tranchées plutôt que de présenter une façade lisse à des fins de marketing universel. Mon éthique m’oblige cependant à assumer les valeurs qui sont miennes sans chercher outre mesure à en faire la promotion mais sans les masquer ni les déguiser. 

Je ne prétends pas connaître la vérité absolue – en cela, je suis plutôt un adepte du philosophe Pyrrhon qui défendait une forme de scepticisme radical devant la possibilité de détenir celle-ci – mais cela fait partie de mon travail, tant dans le rapport avec l’Inconscient que dans mes relations avec les personnes que j’accompagne, que d’assumer mes couleurs, c’est-à-dire ma subjectivité et ma singularité, sans prétention à une objectivité définitive. C’est à ce prix de la franchise que nous pouvons nous rencontrer, en tout respect mutuel, dans nos singularités respectives. Mon mentor en travail avec les rêves m’a raconté un jour un rêve que lui avait communiqué un de ses patients, qui montre l’intérêt qu’a le Soi dans nos prises de position :

Le rêveur conduisait à vive allure sur l’autoroute quand il a vu une voiture le rattraper et rouler à sa hauteur, et la vitre côté passager se baisser. Il a abaissé alors sa propre vitre et a vu le conducteur de l’autre voiture se pencher vers lui et crier :

- Pour qui allez-vous voter ?

Surpris, il a répondu dans une répartie qui se voulait humoristique :

- Pour le bon parti, bien sûr !

Pour mon mentor, ce rêve illustrait le fait que le Soi nous demande de prendre position dans le monde. Pas n’importe comment, pas avec violence ni en nous identifiant avec la Vérité, la Justice, ou quelque archétype que ce soit, mais en conscience, incluant la conscience de notre faillibilité. C’est une obligation éthique que nous fait l’Inconscient de prendre position, sans quoi nous passons à côté d’une dimension importante de l’existence en évitant d’affirmer notre moi. Et si le moi n’assume pas ses obligations d’inscription dans le réel en prenant position, il n’y a pas de dialogue fécond avec le Soi. C’est pourquoi le spiritual bypassing (contournement spirituel) qui caractérise souvent les personnes éprises de spiritualité, pour qui tout est parfait – même les bombardements de civils et le mensonge érigé en raison d’état – s’avère être une impasse. Et si l’on veut donner une portée spirituelle à l’exigence existentielle de prendre position, on peut considérer que c’est seulement ainsi que nous permettons au Soi, aux valeurs intimes qui nous animent, de prendre forme et de marcher sur terre. On peut donc même envisager qu’il s’agit de permettre à notre dieu de s’incarner par nous, de parler ainsi par notre bouche, tout en sachant que cela ne nous donne aucune autorité sur la vérité d’autrui – cela se passe entre notre dieu et nous, à son service exclusif...

Mais quant à notre responsabilité fondamentale, rappelons-nous donc des mots de John Stuart Mill qui déclarait en 1867 : 

« Ne laissez personne apaiser sa conscience en lui faisant croire qu’il ne peut faire de mal s’il ne participe pas, et ne donne pas son avis. Les hommes méchants n’ont besoin de rien de plus pour parvenir à leur fin, que d’hommes bons qui contemplent sans intervenir. »


Au-delà de toute considération politique, nous sommes donc tous confrontés à la question du Mal, quel que soit sous quel visage nous identifions celui-ci dans le monde actuel. Je vous proposerai peut-être un de ces jours une réflexion en profondeur sur le cas de ce pauvre Job, qui a donné tant de grain à moudre à Jung. Mais pour l’instant, je vous invite simplement à examiner ce que les rêves peuvent nous suggérer quant à la façon de se positionner face à la malhonnêteté dont il faut bien avouer qu’elle semble triompher à l’heure de toutes les manipulations médiatiques, du deep fake et de la post-vérité, ou encore des "vérités alternatives". On peut douter de l’existence d’une justice divine qui s’abattrait un jour sur les bonimenteurs pour leur faire payer leurs mensonges. Cette interrogation ne date pas d’hier. Job déjà s’en émouvait en interrogeant :

« [Dieu] tend la terre au malfaisant et bande les yeux de ses juges. Qui le fait sinon Lui ? »

C’est un rêve qui m’a un jour convaincu de ce qu’il y a un autre ordre de justice qui s’exerce inexorablement. La personne qui me l’a rapporté m’a raconté comment elle avait travaillé quelques temps dans une école prétendant, moyennant importantes finances, apprendre à développer des pouvoirs psychiques. Elle avait par exemple été chargée d’acheter des cuillères de farce et attrape qui se tordent sous la chaleur de la main qui s’en approche à l’occasion de la préparation d’un cours de télékinésie façon Uri Geller. C’était une école réputée, qui avait pignon sur rue. Et voici donc le rêve que cette personne a entendu de la bouche même du fondateur de l’école, qui s’en étonnait et se demandait ce que ce songe pouvait bien vouloir lui dire :

Le rêveur était devant une machine à sous, une de ces machines à bras que l’on trouve encore assez souvent en Amérique du Nord. Il avait gagné le jackpot en abaissant le bras, et voilà que des pièces d’or commençaient à se déverser sur ces pieds. Il était heureux, louant sa chance. Les pièces continuaient à se déverser sans discontinuer et il pataugeait dans l’or. Cependant, après un moment, il a remarqué que celui-ci emplissait la pièce et montait jusqu’à ses genoux sans arrêter de se déverser. Il a voulu sortir de la petite pièce dans laquelle il se trouvait, mais il a alors constaté que la porte était bloquée par l’or qui ne cessait de se déverser. Les pièces ont continué à monter jusqu’à atteindre sa poitrine. Il a commencé à s’inquiéter sérieusement. Bientôt, les pièces ont atteint son menton. C’est alors qu’il a entendu des sirènes de voitures de police qui se rapprochaient. Il savait qu’elles venaient pour lui et il a ressenti un profond soulagement.


L’interprétation est assez directe. On peut penser qu’il s’agit d’une illustration du proverbe « bien mal acquis ne profite jamais », ce qu’on aimerait vérifier dans le monde mais qui s’avère en fait une réalité intime. Pour moi, ce rêve montre en effet qu’il n’y a rien à faire devant le mensonge sinon simplement faire confiance dans le fait qu’il y a une justice intérieure à laquelle nul ne peut échapper. Dans un autre article récent, j’ai parlé de l’analyse existentielle de la conscience morale que proposait Viktor Frankl, pour qui cette conscience se révélait « être une fonction essentiellement intuitive » antérieure à toute morale explicite. Le fondement de l’éthique lui apparaissait être « en fait un phénomène irrationnel, rationalisable seulement après coup », qui n’avait que peu à voir avec les lois et la morale sociales. Jung était parvenu à des conclusions similaires, soulignant que bien des névroses sont le prix à payer pour une malhonnêteté fondamentale. 

Dans cette perspective, on peut considérer aussi que le désir de richesse matérielle peut conduire à l’étouffement de l’âme par la réalisation même de ce désir. Quand on travaille avec l’Intention, on sait qu’il faut faire attention à ce qu’on demande car on pourrait bien l’obtenir. Si la cible essentielle est manquée – ce qui est une des définitions première du « péché » (en grec harmatia, c’est-à-dire « manquer la cible ») –, la justice divine s’exerce sans tambours ni trompettes : la richesse s’avère ne pas pouvoir acheter les seules choses qui importent vraiment, le pouvoir conduit à l’impuissance, les paradis artificiels amènent au manque et à la déchéance, etc. 

L’or est dans ce sens volontiers symbolique de la conscience illuminée dans les rêves, mais lorsque l’on ne s’intéresse qu’à l’or matériel, on risque fort de devoir vendre son âme au Menteur, qui a toujours de bons moyens de s’enrichir à proposer. Remarquons que le rêveur était, à l’époque de son rêve, rongé par une culpabilité inconsciente qui pouvait le conduire à souhaiter être arrêté par les forces de l’ordre. En réalité, il avouait qu’il avait besoin d’aide pour sortir du piège dans lequel son avidité l’avait enfermé…

Rappelons-nous donc, devant la menace de voir triompher le mensonge et l'escroquerie à grande échelle, les mots d'Hölderlin que soulignait régulièrement Jung : 

« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. »


Ce qui me conduira en conclusion de cette réflexion à rappeler simplement les mots de Etty Hillesum qui, faisant face elle-même à la démesure du Mal incarné en 1942 par les nazis, dans un moment où elle avait pris conscience que ces derniers planifiaient l’extermination des juifs, dont elle était, déclarait à un de ses amis :

 « C'est la seule solution, vraiment la seule, Klaas, je ne vois pas d'autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà ».





lundi 1 juillet 2024

Formation 2025 en Ecoute Intérieure des Rêves


En janvier 2023, ma compagne Marie-Anne et moi-même lancions notre formation en Écoute Intérieure des Rêves. Un petit groupe d’étudiantes, toutes des femmes, nous ont rejoint dans cette aventure. Forts de cette expérience, nous avons reconduit celle-ci en 2024 avec un nouveau groupe, cette fois mixte mixte. Nous en sommes maintenant à mi-chemin de cette seconde année et nous sommes heureux d'annoncer qu'il y aura une nouvelle édition de la formation en "écoute intérieure des rêves" en 2025.

Voici ce qu’en disent deux des étudiantes de la session 2023 :

« Le rêve est un mystère comme un appel d'une voix profonde et invitante. C'est ainsi que je suis entrée dans cette formation, je voudrais dire, transmission, car ici j'ai appris à faire confiance à mon écoute intérieure, à laisser les images accompagnées de leurs ressentis, à se déployer et à accueillir le verbe qui vient leur donner du sens. Tous les exercices proposés, toutes ces loges de rêve sont une nourriture et un socle pour moi, pour mon lien au rêve, au mystère. Jean et Marie-Anne ont fait preuve de rigueur, de souplesse, de générosité, presque on pouvait penser qu'on était en train de s'amuser, mais la transmission a eu lieu dans la grande simplicité, celle du cœur, merci à vous et longue vie à votre formation !  »

et :

« La formation proposée par Jean et Marie-Anne est avant tout une rencontre : une rencontre avec le rêve dans tous ses déploiements, une rencontre avec soi, avec l'autre, avec un certain mystère, avec la créativité ainsi qu'avec une dimension sacrée.

C'est une aventure qui demande un engagement de soi mais quel plaisir ! Que de cadeaux et de surprises tout au long de ce processus !

Après ces 11 mois de formation, je peux dire que j'ai presque reçu une initiation des rêves qui m'a permis d'avancer sur mon chemin personnel mais pas seulement.

C'est une chance de pouvoir suivre un enseignement de Jean et Marie-Anne qui sont parfaitement complémentaires dans leurs approches et d'une grande générosité et humilité.

Merci ! »

Nous ouvrons dès maintenant (1er juillet 2024) la période d’inscription à la formation en Écoute Intérieure des Rêves qui commencera en janvier 2025.

Le nombre de place est (très) limité : pour des raisons tout à la fois pratiques et tenant à notre projet pédagogique, nous n’acceptons que 6 à 8 personnes au maximum par groupe de formation. En effet, comme le soulignait un des témoignages ci-dessus, outre de transmettre les bases de l’interprétation des rêves dans la perspective de la psychologie des profondeurs de Jung, ainsi que la technique de l’écoute intérieure des rêves, cette formation se veut personnalisée et adaptée aux objectifs et attentes personnelles de chacun.e des étudiant.e.s qui s’y engagent. Elle n’est pas réservée à des thérapeutes (ou des personnes qui ont le projet de devenir thérapeute) mais s’adresse à toute personne passionnée par les rêves. Ce nombre de 6 à 8 étudiant.e.s nous paraît donc idéal pour donner à chacun.e l’attention requise pour accompagner son processus d’apprentissage, qui est aussi un processus de recherche personnelle et de transformation. Nous accueillons chaque personne qui vient dans cette formation comme répondant à un appel qui lui est propre, et nous cherchons à nourrir la démarche qui répond à cet appel…

De notre point de vue, et quoique nous proposions beaucoup de matériel tant théorique que pratique, c’est le rêve, et plus précisément la source des rêves, qui est le véritable enseignant. J’ai le plaisir pour ma part de partager sans réserves le fruit de quarante années d’exploration et d’apprentissage dans le domaine des rêves et de la conscience. Mais justement, s’il y a bien quelque chose qui ressort de ma recherche, c’est qu’aucune théorie ni aucune méthode ne saurait rendre justice à la richesse des rêves – fussent-elles celles de Carl Jung. Et je suis bien certain d’ailleurs que ce dernier aurait été bien d’accord avec moi, lui qui nous invitait à lire tous les livres, étudier toutes les méthodes, et à les écarter devant le rêve… car le rêve est à chaque fois unique.

Mon expérience tant personnelle que d’accompagnant me montre que quand quelqu’un est appelé par le rêve, avec le désir d’être capable de l’entendre et de lui servir d’intermédiaire, ou même sans désir autre que de lui donner l’attention qu’il mérite, l’inconscient a son propre projet. Notre formation se veut simplement au service de ce projet. Elle est cependant fortement structurée en 6 modules qui sont articulés selon une stratégie de formation longuement mûrie. En effet, comme je le répète souvent, pour aller au-delà de l’interprétation des rêves – ce à quoi conduit sans coup férir l’Écoute Intérieure des Rêves – il faut comprendre comment fonctionne l’interprétation...

Dans un premier temps, la formation vise donc à poser les bases de l’interprétation des rêves en introduisant à la psychologie des profondeurs de Jung ainsi qu’à des approches connexes. Les étudiant.e.s sont familiarisé.e.s en particulier avec la pratique de la Loge de Rêves et acquièrent dans le même temps une solide expérience de la posture d’écoute des rêves et de l’inconscient – il est à noter que le corps est impliqué dans cette expérimentation et cette posture. Car le travail avec les rêves s’ancre au premier chef dans le ressenti et dans la présence – ce n’est qu’en étant pleinement présent.e.s, ancré.e.s dans une attention fine aux moindres mouvements intérieurs, que nous pourrons accompagner le mouvement propre du rêve qui tend à déployer du sens…

Je souligne ce dernier point, et l’importance du corps, des pratiques méditatives et d’ancrage corporel, car nous avons trop tendance en Europe à discourir intellectuellement sur le rêve et à en proposer des interprétations qui, même si elles sont très intéressantes, s’avèrent souvent hors-sol, abstraites et jargonneuses. A l’inverse, notre formation, même si elle fournit les éléments conceptuels et de vocabulaire qui permettront d’approfondir l’étude intellectuelle de la matière, vise d’abord à favoriser l’expérience, sur laquelle des mots et des idées sont ensuite apposés. Ces bases étant installées, la formation donne à expérimenter l’imagination active et l’écoute intérieure des rêves en amenant tous les éléments pour offrir un contenant sécuritaire à l’exploration de l’inconscient. C’est à chaque fois l’occasion de nous émerveiller de la richesse créative du travail avec les rêves. Ces derniers s’avèrent être vivants et porteurs de leur dynamique propre, avec laquelle nous apprenons à collaborer plutôt que de vouloir les accoucher aux forceps. Enfin, la formation vise à élargir l’horizon jusqu’à envisager l’espace grand ouvert par les constellations de rêves… et dès lors, "le ciel est la limite" !

Bien sûr, on ne devient pas un.e praticien.n.e chevronné.e du travail avec les rêves en 11 mois de formation. Pour celles et ceux qui veulent devenir analystes de rêves, c’est – j’en suis convaincu – une excellente introduction qui ouvrira toutes les portes. Il faudra cependant continuer à étudier et à travailler, mais cela est vrai de toutes les formations en travail avec les rêves – encore une fois, le véritable formateur, c’est le rêve. Pour celles et ceux qui ont déjà une pratique en travail avec les rêves, ou qui donnent de l’accompagnement thérapeutique, cette formation offre des outils précieux. Et si c’est simplement un intérêt personnel, ou un projet créatif, qui conduisent dans cette formation, il est bien certain que cet intérêt et ce projet seront nourris par le processus d'exploration des rêves. Il n’y a aucun pré-requis à l’entrée. Nous nous assurons cependant bien sûr au cours du processus d’inscription, qui inclut entre autres un entretien préalable avec chacun.e des enseignant.e.s, que la formation est adéquate et peut rencontrer les attentes de l’étudiant.e. La personne qui s’engage dans cette formation peut facilement se désengager dans les premiers mois s’il s’avère qu’elle et nous avons fait erreur et que cet apprentissage ne lui convient pas... 

Entendez-vous l'appel ?

Concrètement, cette formation se déroulera en 6 week-ends à Faverges, en Haute-Savoie (74), répartis sur 11 mois, avec des sessions virtuelles de pratique et de théorie entre chaque module en présentiel. Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à :

- Visiter la page dédiée sur mon blogue : Formation Ecoute Intérieure des Rêves, où vous trouverez des informations pratiques (coûts, dates, etc) ainsi que des compléments d’information sur les objectifs pédagogiques de la formation. 

- Télécharger le document de présentation de cette formation 2024 que vous trouverez ici : formation EIR 2025.

- Visionner cette vidéo Youtube de présentation de la formation : conférence du 27 septembre 2022, où Marie-Anne et moi parlons de l'approche ainsi que de la formation, et où une personne témoigne de sa pratique de l'écoute intérieure des rêves.

- Lire cet article de présentation de l’approche : écoute intérieure des rêves.

- Si vous voulez avoir un aperçu du cadre général dans lequel s'inscrit cette formation, je vous invite à lire l'article (en 2 parties) que j'ai publié en août 2023 sur l'accompagnement psycho-spirituel, une démarche qui ne relève ni de la psychothérapie ni de l'enseignement spirituel mais s'intéresse au processus d'évolution de la conscience humaine. 

Vous pouvez aussi bien sûr nous contacter par la boite de contact de ce blogue pour poser toutes les questions que vous voulez, demander le formulaire d’inscription...

Pour les personnes qui sont domiciliées trop loin pour pouvoir se déplacer 6 fois dans l’année jusqu’en Haute-Savoie et qui sont fortement motivées, et ont déjà une solide expérience du travail avec les rêves (quelle que soit l’école...), nous avons mis au point une formule alternative d’enseignement personnalisé à distance incluant le support d’un groupe virtuel et un stage de synthèse de 5 jours en fin de parcours. Pour plus d’information sur cette possibilité, contactez-nous.

mercredi 5 juin 2024

Dragons et princesses


Suite à la publication de mon article Onirosophie, un ami analyste m’a interpellé sur ce que l’on peut appeler le négatif du rêve. Il m’a écrit pour me dire qu’il n’était pas certain de pouvoir adhérer entièrement à ma façon de présenter la sagesse du rêve, même s’il s’y retrouvait assez bien. Il a tiré une parallèle entre l’inconfort dans lequel le mettait la lecture de mon article et le malaise qu’il avait éprouvé en entendant un théologien familier de Paul Tillich et de Jung dire que les rêves sont la plupart du temps envoyés par Dieu. Il lui semblait important de mettre en lumière que le Mercure alchimique qui est à l’œuvre dans les rêves, et dont je disais qu’il « joue avec nous jusqu’à nous faire « gai rire » (guérir) de nos aveuglements et inconsciences », est double, c’est-à-dire ambiguë. Il était d’accord sur le fait que le rêve propose généralement une ouverture vers l’avenir mais il insistait sur le fait qu’il y a des instances négatives – en termes jungiens, tout particulièrement : l’ombre, l’anima négative et l’animus négatifs – qui se manifestent dans les rêves et qu’il ne faut surtout pas prendre à la légère. Il faut donc éviter, soulignait-il, de prendre la voix qui parle dans le rêve pour une voix divine...

Je l’ai remercié d’amener ce sujet qui réclame en effet des éclaircissements en lui disant d’emblée que cela pourrait m’amener à écrire un nouvel article. Et j’ai commencé par lui répondre sur la nature de cette sagesse du rêve en lui disant que si un théologien mentionnait devant moi que le rêve vient de Dieu, cela ne me poserait aucun problème et ne me susciterait aucun malaise. Mais cela va avec le fait que je prendrais plutôt un certain plaisir à lui retourner un questionnement : de quel Dieu parle-t-il donc ? De ce Dieu qui est censé être toujours bon, identifié au « plus grand Bien » (Summum Bonum), mais dont Maître Eckhart prie Dieu de le débarrasser... ou de Dieu au-delà de Dieu (God beyond God) dont parle Tillich dans le Courage d'être ? S'il est question du premier, je comprends bien le malaise... qui est exactement ce qui a conduit Jung à dénoncer la conception du mal comme privation du bien (privatio boni). S'il s'agit du second et qu'il n'y a pas de projection d'un Dieu toujours bon, alors nous parlons du Soi, complexio oppositorum au-delà donc du bien et du mal, Plérôme intégrant les contraires, et là je serai complètement d'accord pour dire, avec les anciens qui parlaient du somnia a deo missa (le rêve comme message du dieu), que le rêve vient de Dieu, c'est-à-dire d'un espace de Conscience hors du mental et de la dualité engendrée par l'égo, hors des opposés, ou encore pour dire qu'il vient de la psyché objective dont parlait Jung. C'est dans ce sens, et dans ce sens seulement, que je réfère à la Sophia du rêve, en tant que le versant féminin de ce Divin, qui en laissant de côté la théologie, renvoie à la sagesse intérieure enfouie profondément en chacun de nous – notre lumière naturelle, la sagesse de la vie en nous.

J’ai continué en disant que dès lors, je suis complètement d'accord qu'il faut avoir à l’œil, en toutes circonstances, l'ombre et les anima.us négatifs... et que le Mercure est double, ambiguë. Il est facile de prendre des vessies pour des lanternes et de s’abuser, avec les rêves comme avec tout autre chose : si quelqu’un vous annonce que vous êtes la personne la plus importante du monde, que ce soit en songe ou dans la vie diurne, vous pouvez être certain que l’on flatte votre narcissisme et qu’il y a une entourloupe là. Mais cette ambivalence ne m'empêche pas de louer la sagesse du rêve. Mon mentor Nicolas Bornemisza me disait un jour qu'en 30 ans d'écoute des rêves, il n'en avait jamais entendu qui ait amené quelque chose de négatif au rêveur : le mouvement intérieur que le rêve provoque chez les rêveur est toujours bénéfique, même si c'est pour lui indiquer qu'il va bientôt mourir (ce qui arrive finalement à tout le monde un jour ou l’autre). 


La difficulté n'est pas dans un côté méchant ou pervers du rêve... mais dans l'interprétation qui en est faite, dans laquelle on peut encore s'illusionner, auquel cas le réveil (si je puis dire :-) est souvent brutal. Les anciens connaissaient bien cette ambiguïté des dieux qui parlaient dans les rêves ; l'exemple classique est celui du grand roi perse Cyrus qui a rêvé que s'il envahissait le territoire grec, le soir même un grand royaume aurait vécu. Il a compris ce rêve avec son égo comme lui promettant la victoire, et il a lancé l'attaque... pour déchanter avant la nuit. Le problème avec "les instances destructrices" qui apparaissent dans les rêves n'est pas dans la prise de conscience que permet le rêve, qui permet justement de les identifier, mais dans le fait que l'égo ne veut pas entendre la sagesse du rêve. Cependant, quand on travaille le rêve, particulièrement en imagination active, le mouvement intérieur les met clairement en lumière et le rêveur trouve généralement, avec quelques précautions dans leur approche, une façon d'entrer en relation avec elle qui permet leur transformation en conscience.

A partir de là, j’ai taquiné mon interlocuteur en interrogeant son langage et la nécessité de distinguer entre des instances dites « négatives » et la voix divine. C'est un point de vue dualiste que je n'endosse pas car pour moi, ce qui est désigné comme "négatif" reflète en fait toujours une attitude faussée du moi devant un contenu inconscient qui en lui-même est plutôt neutre - c'est du "vivant" qui cherche à vivre. Je ne crois pas pour autant que tout soit "bon" et positif dans ce qui nous vient des profondeurs, loin de là... mais en fait, cette dualité négatif / positif me semble appartenir surtout à l'égo qui est le seul à être véritablement menacé par les dites "instances négatives". Bien sûr, il ne s’agit pas d’être naïf devant des personnages qui, dans le rêve, se montrent agressifs, envahissants ou destructeurs, tout comme on ne peut rester indifférent devant un animal prédateur. C’est la nature de la relation qui va nous indiquer l’attitude juste à avoir devant le personnage de rêve, comme dans la vie. S’il semble s’en prendre à notre intégrité ou à celle d’un autre personnage du rêve, s’il nous humilie, nous condamne, nous méprise ou nous infériorise, il appelle une réponse fondée toujours sur l’amour de soi. 

S’il est une règle à garder à l’esprit dans l’écoute du rêve, c’est que ce dernier ne juge jamais, ne condamne pas. Si un personnage de rêve cherche à nous convaincre que nous n’avons pas le droit d’être qui nous sommes, exactement comme nous sommes, c’est qu’il y a quelque chose de pervers là qui doit être mis en évidence, amené à la conscience. On pourrait dire que la source du rêve nous aime inconditionnellement et nous invite toujours à nouer la meilleure relation possible avec nous-mêmes. A partir de là, nous pouvons faire preuve d’ouverture et même d’amour à tout ce qui se présente dans les rêves, en commençant par nous donner cet amour. Nous pouvons répondre en nous faisant respecter, avec force si nécessaire, à des comportements qui attentent à notre intégrité sans pour autant qualifier leurs auteurs d’instances « négatives » en soi. Tout comme dans la vie, ce sont les agissements qui sont condamnables mais non les personnages, dont il s’agit plutôt d’entendre le besoin, la motivation profonde. C’est le rôle même des rêves de nous permettre de prendre conscience de leur existence dans notre psyché, de leur donner un visage et de permettre d’établir le début d’un dialogue, d’une reconnaissance mutuelle. 

Ainsi, l’ombre apparemment la plus destructrice s’avère toujours avoir une « bonne raison » (de son point de vue) de se montrer ainsi – elle réclame d’être intégrée positivement, sans quoi elle reste bloquée dans sa négativité, c’est-à-dire dans le fait qu’elle est rejetée. Il n’est pas rare que l’instance perçue comme négative soit en réalité le gardien embauché par un système de défense qui nous a été bien utile au cours de notre enfance mais qui s’avère handicapant à l’âge adulte. Pour lui permettre de prendre des vacances, nous avons généralement à prendre connaissance de la vulnérabilité qui se cache derrière ce gardien et à nous en occuper consciemment. Une anima ou un animus négatifs reflètent souvent justement le fait que la féminité ou la masculinité internes ne sont pas valorisées. Ces instances sont souvent enragées par le fait même qu’on les catalogue comme « négatives ». Il est assez étonnant de voir comment elles peuvent se transformer positivement dès lors qu’on accepte d’entrer en dialogue avec elles en évitant de les considérer comme a priori négatives. Ce sont les jeux de coopération qui proposent les règles les plus efficaces pour composer avec les complexes qui hantent notre psyché : s’ils cherchent la bagarre, ils trouveront du répondant à la hauteur de la violence dont ils font preuve, mais dès lors où ils sont prêts à dialoguer et à s’expliquer, on peut toujours négocier et trouver un terrain d’entente...


Il faut s’attarder cependant sur le fait qu’il y a des situations dangereuses où le moi serait menacé de psychose. Mais alors le rêve lui-même, bien compris, donne des avertissements et indique comment protéger et renforcer le moi. Et puis Jung signale que parfois, un patient va beaucoup mieux après une bonne crise si celle-ci est proprement contenue. Von Franz raconte cet épisode où jeune analyste, elle luttait de toutes ses forces pour empêcher un patient de sombrer, et Jung l'avait alors interpellée en lui disant qu'elle ne devait pas s'opposer au mouvement de l'inconscient, mais l'accompagner. Effectivement, elle a constaté après que le patient soit passé par une crise psychotique qu'il allait mieux, comme si sa psyché s'était recomposée. Elle indique ailleurs qu’en fait, le travail avec les rêves et les images archétypales des contes et des mythes tisse un filet de sécurité autour de la psyché qui lui permet de traverser la crise sans dommage. 

Dans une autre perspective, qui est celle de la psychologie transpersonnelle et des cultures chamaniques, on peut penser que nombre d’épisodes qui sont appréhendés dans notre culture comme des catastrophes psychiques sont des initiations que nous ne savons pas accompagner. Le Dr Malidoma Somé nous dit ainsi que les symptômes que nous envisageons surtout sous l’angle de la pathologie des troubles mentaux signalent généralement une urgence spirituelle. C’est justement l’expression qu’employait Stanislas Grof dans son livre A la recherche de Soi en faisant un jeu de mot sur les spiritual emergencies, ce qui s’entend aussi bien comme parlant d’urgences spirituelles que d’émergences spirituelles. Pour les Dagara dont est issu le Dr Somé, comme pour tous les peuples premiers, la crise psychotique signe la naissance d’un guérisseur, qui doit être aidé par un autre guérisseur à venir au monde. Là où nous ne voyons que pathologie et négativité, le cadre symbolique qui relie conscient et inconscient au travers des rêves, mais aussi des mythes, des contes et des rituels ouvre un champ de possibilités tout autres. La sagesse traditionnelle a beaucoup à nous apprendre sur ce point.


Je réfère pour ma part, quant il est question de faire face à des instances carrément destructrices, à la technique du Chöd initiée au XIème siècle par la yogini tibétaine Matchick Labdrön. C’est un chemin direct pour la libération de toute forme de négativité, et dans le fond, d’illusion, qui a été popularisé par le livre Nourrir ses démons de la lama occidentale Tsultrim Allione. On peut considérer comme un démon toute forme d’énergie psychique ou spirituelle qui menace notre intégrité – par exemple, une obsession, une phobie, une addiction, etc. Le Chöd est une méditation qui se fonde sur la prémisse que les démons et nous avons en commun le désir d’exister, de participer à la vie, mais que rien n’est mauvais en soi, purement négatif. C ette méditationest préalablement dédiée au bien de tous les êtres vivants, sans oublier de nous inclure parmi ceux-ci au premier chef ainsi que toutes les personnes faisant partie de notre environnement, mais en considérant aussi notre démon comme étant un de ces êtres vivants. Après un temps de centrage dans la présence en relaxant, on visualise ce démon en imagination active et on le localise dans notre corps. A partir de là, on entre en dialogue avec le démon et on lui demande ce qu’il veut, de quoi il a réellement besoin. Il n’est pas rare par exemple qu’une addiction exprime un besoin de liberté ou de connexion spirituelle; il s’avère en fait que les démons ont soif de lumière dans différentes formes. C’est pourquoi les individus qui se tournent eux-mêmes vers la lumière attirent les démons : ces derniers ont l’espoir d’une délivrance. Quand le besoin devient clair – et les démons que l’on interroge ne font généralement pas mystère de ce qu’ils veulent –, le Chöd nous suggère de nous transformer en imagination en un océan sans limite de ce que le démon réclame, et de nous offrir ainsi à lui pour qu’il se rassasie. On devient océan de paix intérieure, de joie de vivre ou de liberté... selon ce que le démon réclame, et il peut alors s’y baigner, boire jusqu’à ce qu’il n’ait plus soif. Il s’agit fondamentalement de devenir toute lumière, entièrement amour, et de n’opposer aucune résistance à ce qui nous apparaît sous la forme d’un démon. 

Bien sûr, cela réclame une entière confiance dans le fait que rien ne peut nous menacer, que ce soit dans la foi qu’une plus grande Lumière que la notre nous protège ou dans la conscience de ce que la négativité apparente est donc une illusion qui n’a de pouvoir sur nous qu’au travers de nos peurs. C’est parce qu’ils entretiennent ces peurs que je considère ces discours qui entretiennent l’idée d’une négativité irréductible de certaines instances de la psyché comme particulièrement dommageables. Ils justifient un combat, un état de guerre intérieure, qui perpétue le piège de la négativité dans lequel on se trouve alors enfermé. Or il apparaît que les pires démons, une fois qu’on accepte de les rencontrer et d’écouter leurs besoins, se transforment et sont heureux de participer à la vie. Les anciens mythes nous disent que même le Diable attend la délivrance, la rédemption qui surviendra à la fin des temps. Cela commence avec la rédemption de nos propres démons, et il s’avère qu’en leur donnant de l’amour, un amour conscient de la nature de l’illusion qui les a fait paraître séparés de nous, c’est à nous-mêmes que nous donnons cet amour. Le bénéfice d’un tel travail est une unité intérieure renforcée. 

Quant au fameux Mercurius Duplex (Mercure double), il faut revenir à l'histoire de Khidr et de Moïse, c'est-à-dire que sous des dehors négatifs, le Soi agit toujours dans le sens de la vie (qui inclut aussi la mort et donc la destruction permettant le renouvellement). Dans la sourate Al-Kahf du Coran, il est raconté comment Moïse demanda à accompagner l’Ange Khidr – dont le nom signifie « celui qui est vert », si bien qu’on le désigne aussi comme l’Homme Vert – qui se promenait sur terre. Khidr accepta à condition que Moïse ne pose aucune question. Cependant, peu après, Khidr coula un bateau, ce qui scandalisa Moïse car un pauvre pécheur venait de perdre tout moyen de subsistance. Mais une tempête arriva qui détruisit tous les bateaux dans le port, tandis que l’on put repêcher le bateau qui avait coulé et nourrir tout le village en péchant avec celui-ci. Le même thème est répété à plusieurs reprises, qui montre un Moïse prompt à juger des actions de Khidr comme étant « négatives » jusqu’à ce qu’il s’avère qu’en fait, une sagesse insaisissable au prime abord était à l’œuvre. Finalement, Khidr enjoint Moïse de cesser de se perdre dans des jugements dualistes et de rester toujours ouvert. La connaissance de cette duplicité ambiguë de l'inconscient oblige donc à réserver son jugement avant de désigner comme "négatif" un élément du rêve, tout comme on tempérera les enthousiasmes envers ce qui semble trop "positif". C'est à cette sagesse là, au-delà de la dualité apparente, que conduit le travail avec le rêve, me semble-t-il, et non à s'inquiéter des instances négatives...


Pour conclure provisoirement cette réflexion, j’ai proposé à mon interlocuteur que nous évitions absolument de théologiser ces réalités psychologiques car cela nous amène à des projections du type Summum Bonum (Dieu vu comme un Bien absolu) qui sont de véritables pièges. L'ambiguïté du Mercurius implique que nous avons un allié en celui-ci même devant ces aspects apparemment négatifs, comme Job se découvre un avocat dans le ciel contre le Satan, lui-même procureur au service de Dieu. Et cependant, si nous projetons un bon papa sur le Mercurius, nous risquons fort en effet de nous prendre une claque qui nous aidera à grandir. Mais il n’y a pas de position unilatérale sur cette question portant sur la façon de composer avec le négatif des rêves. En effet, dans un premier temps du travail intérieur, il est nécessaire de renforcer le moi pour qu’il se débarrasse de tous les jugements introjectés et des croyances limitantes dans lesquels il est enfermé. On rencontre là un paradoxe bien connu des analystes qui veut qu'il faut un moi fort pour être capable d’abandonner le moi. Autant l'insistance sur les aspects ombre et anima.us négatifs servent alors à renforcer le moi, autant pour s'ouvrir au Soi, il s'agit de dépasser cette dualité positif / négatif pour entrer simplement dans le courant de la vie qui inclut ces deux. Alors, du deux (et en fait du quatre) émerge le Un. 

Mon interlocuteur m’a répondu qu’il était d’accord pour l’essentiel avec moi en soulignant que dans sa pratique, il cherche toujours dans le rêve ce qui peut émerger pour donner une nouvelle voie positive ou une nouvelle énergie à la personne.  Et puis il est revenu sur le fait qu’il constate que les personnes qu’il accompagne sont souvent aux prises avec la puissance du côté négatif. Je le cite avec sa permission: 

« Leur conscient a la vue obscurcie par quelque chose qui remonte de l’inconscient, qui a été engrammé dans les premières années, et qui vient détruire les avancées par des jugements négatifs et insidieux. Les ouvertures saines sont là, mais dans l’impossibilité de se réaliser. (…) Donner l’occasion à la fonction transcendante de se dégager de ces opposés est vital, pour que la personne trouve son chemin juste. Mais l’unité dont vous parlez vient souvent après un long combat et de longues souffrances. »

Il me disait avoir expérimenté cette unité pour sa part dans une expérience religieuse, et ce témoignage, ainsi que ce qu’il disait plus haut, m’a amené à développer encore un autre aspect de cette question. Je crois qu’il faut dire en préalable que ce qui qualifie à l’écoute des rêves, et à l’accompagnement psycho-spirituel, ce n’est pas un diplôme ou une accumulation de connaissances, mais bien d’avoir expérimenté cette unité, ce qui prend généralement forme de ce que l’on désigne comme « une expérience religieuse », qu’il s’agisse là, selon le vocabulaire, d’une rencontre avec une dimension transcendante de l’existence ou d’un éveil, d’une percée hors de la dualité phénoménale. Et dès lors, il s’avère que le plus grand bien est bien cette unité intérieure qui résorbe la dualité apparente, et que le seul véritable mal est la division intérieure. 


Voici ce que j’ai répondu à mon ami analyste :

« Comme vous, j'accompagne des personnes qui bien souvent sont entravées par des jugements négatifs tout à fait insidieux, et je m'attache à les mettre en lumière. Nous sommes bien d'accord je crois que nous ne pouvons en aucun cas nous permettre d'être naïfs devant les aspects destructeurs de l'anima.us négatifs et de l'ombre. Ce serait comme de nous montrer insouciants alors qu'il y a un nid de vipères dans le jardin, et d'y laisser jouer les enfants sans prendre de mesures. Cependant, dans ma pratique, que ce soit d'analyse ou plus profondément encore de méditation, j'ai observé la chose suivante : si je mets l'accent sur le négatif en induisant l'idée d'un combat, je renforce la division intérieure et je contribue à aggraver la situation. Car finalement, ces éléments négatifs sont eux-mêmes un symptôme du véritable mal qui tient dans cette division intérieure, et le remède que je cherche à favoriser ressort de l'unité intérieure – à commencer par mon unité intérieure en face du déchirement dans la psyché de mes analysant(e)s, qui est capable d'accueillir le conflit sans jeter d'huile sur le feu, en manifestant simplement de la compassion pour la souffrance vécue dans ce déchirement. Je propose donc en règle générale simplement de rendre aussi conscient que possible le jugement négatif en allant examiner ce qu'il donne à ressentir, où l'énergie de vie est entravée – cela n'exclue pas bien sûr de reconnaître là une voix parentale introjectée, de lui opposer un démenti mais ce n'est pas dans l'énergie du combat que les nœuds se dénouent, me semble-t-il. Il s'agit bien plus profondément d'accueillir le "négatif" pour entendre le besoin qu'il exprime, qui se révèle être toujours positif et peut être intégré à la psyché...

Je ne suis pas pour l'extermination des vipères, pour reprendre la métaphore que je proposais plus haut, car elles font partie de la nature et de l'équilibre écologique. Je vais juste chercher le moyen qu'elles aillent faire leur nid dans un endroit qui convient, et respecter leur territoire autant que je leur demande de respecter le mien.


Bien sûr, pour trouver la force d'accueillir ces éléments négatifs, il faut souvent d'abord livrer combat et trouver suffisamment de sécurité intérieure pour accepter de passer à la table de négociation. Parfois, il faut sciemment aggraver la situation, et fournir à notre analysant(e) les missiles dont il a besoin pour faire reculer l'envahisseur – renforcer son moi. Mais en tant qu'analyste, je crois que j'ai d'abord la responsabilité de ne pas alimenter la division intérieure. Quand l'animus négatif par exemple entend qu'il y a un espace où il pourrait être accueilli dans la réalité de son besoin, il commence à se modifier. Bien sûr, cela ne m’empêche pas encore une fois de soutenir mon analysant(e) dans son combat intérieur contre un parent abusif et sa dénonciation des abus, mais je ne suis pas juge ni procureur... et en dernier lieu, je sais que la guérison la plus fondamentale viendra quand le parent lui-même sera vu dans son humanité, et pardonné. D'où il me semble vraiment important de déjouer cette façon dont le négatif nous entraîne toujours plus loin dans la division. Au fond, le message à l'instance "négative" vient directement des jeux de coopération : si elle veut le combat, elle l'aura et elle ne l'emportera pas... mais il y a aussi toujours une possibilité de négociation, et finalement donc de coopération gagnant / gagnant. Oui, l'unité ne vient qu'après un long combat et beaucoup de souffrances, souvent comme une grâce, mais c'est ma responsabilité d'analyste, précisément, de représenter le point de cette unité jusque dans les moments où le conflit fait rage. Et ceci étant dit, nous nous rejoignons donc entièrement dans cette recherche de la voie positive proposée par le rêve. C'est bien pour cela que je loue la Sophia des rêves : dans sa sagesse, la psyché me semble toujours proposer une voie. »

Comme par hasard, j’ai entendu dans les jours au cours desquels nous avions ces échanges des rêves qui sont venus alimenter la réflexion. Je vous en livre deux particulièrement frappants :

Les nazis sont là. Un officier SS s’intéresse particulièrement à moi. Je ne sais pas comment lui échapper. Il me touche, j’ai le sentiment que je ne vais pas pouvoir résister. Je l’emmène voir un spectacle (film ou cabaret) en espérant détourner son attention, qu’il s’intéressera à d’autres femmes, mais il n’en démord pas, revient vers moi. Je décide alors que je préfère mourir pour rester en accord avec moi-même.

J’ai évidemment sursauté en entendant ce rêve car les nazis, et particulièrement les SS, sont un symbole incontournable du mal dans notre culture. Il est fort significatif de mon point de vue que la rêveuse aux prises avec des SS choisisse de mourir plutôt que d'être en désaccord avec elle-même. Elle ne prend même pas les armes contre eux, image de l'ombre et de l'animus destructeur s'il en est, elle leur répond dans cette intégrité radicale qui fait qu'elle a vaincu sans même combattre. Au fond, le message général du rêve, au-delà de l’écho qu’il pouvait donner à la situation personnelle de la rêveuse, est qu’il vaut mieux mourir (se transformer radicalement) que d’accepter la division intérieure.


Hommage à la Rose Blanche, mouvement de résistance au nazisme

Une autre rêveuse m’a partagé le rêve suivant :

Je suis dans une ville et je fuis en courant, poursuivie par tout un ensemble d’entités négatives et de démons, parmi lesquels il y a même le diable ! Je suis dans une robe blanche un peu sale, jeune et blonde. J’ai peur. Et puis je m’arrête pour reprendre mon souffle et je me retourne. Alors, j’ouvre ma robe et je dévoile ainsi mon cœur, le centre de ma poitrine, avec les poings serrés sur celle-ci, et je fais face aux entités et démons qui me poursuivent. Des mots s’imposent à mon esprit : je suis prête !

On retrouve ici l’invitation que nous faisait Jung de nous retourner et de faire face quand quelque chose nous poursuit. Il n’est pas rare alors que les démons et les monstres se transforment sous l’effet de la conscience. A quoi la rêveuse s’avérait-elle prête selon ce rêve, cela relève de son aventure personnelle mais on peut souligner ici l’insistance sur le cœur, centre de la poitrine, avec lequel elle fait désormais face à la cohorte démoniaque qui lui coure après. L’écoute de ce rêve a été pour moi l’occasion de lui raconter un rêve et une petite histoire que j’évoque dans un autre article :

«  [Le rêve] se passe de toute interprétation. La rêveuse traversait une forêt pour atteindre un arbre merveilleux. Des ombres tentaient de la retenir, et plus elle les combattait, plus celles-ci se faisaient denses et puissantes, la ralentissaient jusqu’à l’immobiliser. Mais une voix lui chuchotait qu’il suffisait de dire « je t’aime » à ces ombres pour qu’elles perdent de leur pouvoir sur elle. Elle n’y croyait pas, ne ressentait aucun amour pour ces ombres, mais essayait tout de même et à sa grande surprise, cela marchait : « je t’aime » dissipait les ombres. 

Ce rêve fait écho à une histoire orientale que l’on m’a rapportée à peu près au même moment :

Tous les 100 ans, il est accordé à quiconque le souhaite vraiment d'atteindre l'illumination et le Nirvana sans consacrer sa vie à la méditation et à l'effort. La seule chose qu'il a à faire est de se rendre à l'orée de la forêt des 10 000 morts et de la traverser. Lorsqu'une personne y arrive, on l'accueille et la prévient qu'elle traversera cette forêt pour y rencontrer ce dont elle a le plus peur. Il suffit qu'elle se souvienne que cette peur n'est qu'une illusion, qu'elle n'est pas réelle, et qu'elle change aussi pour quiconque souhaite traverser la forêt. Si la personne réussit, un Bouddha l'attend de l'autre côté pour lui ouvrir les portes du Nirvana et lui conférer l'illumination. Le Bouddha lui demande alors : « Comment as-tu traversé la forêt, mon enfant ? » Généralement, on lui répond ceci : « J'y ai rencontré ma plus grande peur, mais j'ai fermé les yeux et j'ai continué à avancer pas à pas. Et petit à petit, je vous ai rejoint. »


Mon interlocuteur a conclu notre discussion en soulignant la nécessité de différentier plusieurs points de vue en regard de cette question du négatif du rêve. Je le cite à nouveau :

« Pour ce qui est du négatif dans les rêves, je crois que la réaction doit varier selon les rêveurs. Dans mon message précédent j’avais en tête plusieurs personnes envahies dans leur vie consciente par les jugements négatifs sur elles-mêmes. Dans ce cas, il est vital pour elles d’apprendre à se dés-identifier de ce jugement, et de savoir qu’elles l’ont introjecté dans leur jeunesse. En faisant cela, je n’introduis pas forcément de la division en elles-mêmes. Leur apprendre à réagir et à dire « non ce n’est pas moi qui pense cela » est vital, pour se libérer de la possession et laisser de la place au vécu positif écrasé depuis la jeunesse par la possession négative. 

Une fois le vécu positif reconstruit sur des énergies archétypales, la personne peut assumer un autre travail, celui de la distinction entre l’animus négatif et l’ombre, et peu à peu entrer dans un processus de ressenti et d’apprivoisement de l’ombre, pour lequel la relation avec la figure du Soi est nécessaire. Par là, l’unité peut se construire peu à peu, en connectant le moi aux dieux d’en haut et aux dieux d’en bas, par la puissance des images qui viennent dans les rêves et les imaginations. »

Je ne pouvais qu’être d’accord avec lui. Dès lors, j’ai eu envie de laisser le dernier mot de notre conversation à Rainer Maria Rilke, grand connaisseur de l’âme humaine, qui nous dit en quelques mots l’essentiel de ce que j’ai cherché à exprimer ici :

« Tous les dragons de notre vie sont peut-être des princesses qui attendent de nous voir beaux et courageux. Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours, qui attendent que nous les secourions. »