Je ne prétends pas connaître la vérité absolue – en cela, je suis plutôt un adepte du philosophe Pyrrhon qui défendait une forme de scepticisme radical devant la possibilité de détenir celle-ci – mais cela fait partie de mon travail, tant dans le rapport avec l’Inconscient que dans mes relations avec les personnes que j’accompagne, que d’assumer mes couleurs, c’est-à-dire ma subjectivité et ma singularité, sans prétention à une objectivité définitive. C’est à ce prix de la franchise que nous pouvons nous rencontrer, en tout respect mutuel, dans nos singularités respectives. Mon mentor en travail avec les rêves m’a raconté un jour un rêve que lui avait communiqué un de ses patients, qui montre l’intérêt qu’a le Soi dans nos prises de position :
Le rêveur conduisait à vive allure sur l’autoroute quand il a vu une voiture le rattraper et rouler à sa hauteur, et la vitre côté passager se baisser. Il a abaissé alors sa propre vitre et a vu le conducteur de l’autre voiture se pencher vers lui et crier :
- Pour qui allez-vous voter ?
Surpris, il a répondu dans une répartie qui se voulait humoristique :
- Pour le bon parti, bien sûr !
Pour mon mentor, ce rêve illustrait le fait que le Soi nous demande de prendre position dans le monde. Pas n’importe comment, pas avec violence ni en nous identifiant avec la Vérité, la Justice, ou quelque archétype que ce soit, mais en conscience, incluant la conscience de notre faillibilité. C’est une obligation éthique que nous fait l’Inconscient de prendre position, sans quoi nous passons à côté d’une dimension importante de l’existence en évitant d’affirmer notre moi. Et si le moi n’assume pas ses obligations d’inscription dans le réel en prenant position, il n’y a pas de dialogue fécond avec le Soi. C’est pourquoi le spiritual bypassing (contournement spirituel) qui caractérise souvent les personnes éprises de spiritualité, pour qui tout est parfait – même les bombardements de civils et le mensonge érigé en raison d’état – s’avère être une impasse. Et si l’on veut donner une portée spirituelle à l’exigence existentielle de prendre position, on peut considérer que c’est seulement ainsi que nous permettons au Soi, aux valeurs intimes qui nous animent, de prendre forme et de marcher sur terre. On peut donc même envisager qu’il s’agit de permettre à notre dieu de s’incarner par nous, de parler ainsi par notre bouche, tout en sachant que cela ne nous donne aucune autorité sur la vérité d’autrui – cela se passe entre notre dieu et nous, à son service exclusif...
Mais quant à notre responsabilité fondamentale, rappelons-nous donc des mots de John Stuart Mill qui déclarait en 1867 :
« Ne laissez personne apaiser sa conscience en lui faisant croire qu’il ne peut faire de mal s’il ne participe pas, et ne donne pas son avis. Les hommes méchants n’ont besoin de rien de plus pour parvenir à leur fin, que d’hommes bons qui contemplent sans intervenir. »
« [Dieu] tend la terre au malfaisant et bande les yeux de ses juges. Qui le fait sinon Lui ? »
C’est un rêve qui m’a un jour convaincu de ce qu’il y a un autre ordre de justice qui s’exerce inexorablement. La personne qui me l’a rapporté m’a raconté comment elle avait travaillé quelques temps dans une école prétendant, moyennant importantes finances, apprendre à développer des pouvoirs psychiques. Elle avait par exemple été chargée d’acheter des cuillères de farce et attrape qui se tordent sous la chaleur de la main qui s’en approche à l’occasion de la préparation d’un cours de télékinésie façon Uri Geller. C’était une école réputée, qui avait pignon sur rue. Et voici donc le rêve que cette personne a entendu de la bouche même du fondateur de l’école, qui s’en étonnait et se demandait ce que ce songe pouvait bien vouloir lui dire :
Le rêveur était devant une machine à sous, une de ces machines à bras que l’on trouve encore assez souvent en Amérique du Nord. Il avait gagné le jackpot en abaissant le bras, et voilà que des pièces d’or commençaient à se déverser sur ces pieds. Il était heureux, louant sa chance. Les pièces continuaient à se déverser sans discontinuer et il pataugeait dans l’or. Cependant, après un moment, il a remarqué que celui-ci emplissait la pièce et montait jusqu’à ses genoux sans arrêter de se déverser. Il a voulu sortir de la petite pièce dans laquelle il se trouvait, mais il a alors constaté que la porte était bloquée par l’or qui ne cessait de se déverser. Les pièces ont continué à monter jusqu’à atteindre sa poitrine. Il a commencé à s’inquiéter sérieusement. Bientôt, les pièces ont atteint son menton. C’est alors qu’il a entendu des sirènes de voitures de police qui se rapprochaient. Il savait qu’elles venaient pour lui et il a ressenti un profond soulagement.
Dans cette perspective, on peut considérer aussi que le désir de richesse matérielle peut conduire à l’étouffement de l’âme par la réalisation même de ce désir. Quand on travaille avec l’Intention, on sait qu’il faut faire attention à ce qu’on demande car on pourrait bien l’obtenir. Si la cible essentielle est manquée – ce qui est une des définitions première du « péché » (en grec harmatia, c’est-à-dire « manquer la cible ») –, la justice divine s’exerce sans tambours ni trompettes : la richesse s’avère ne pas pouvoir acheter les seules choses qui importent vraiment, le pouvoir conduit à l’impuissance, les paradis artificiels amènent au manque et à la déchéance, etc.
L’or est dans ce sens volontiers symbolique de la conscience illuminée dans les rêves, mais lorsque l’on ne s’intéresse qu’à l’or matériel, on risque fort de devoir vendre son âme au Menteur, qui a toujours de bons moyens de s’enrichir à proposer. Remarquons que le rêveur était, à l’époque de son rêve, rongé par une culpabilité inconsciente qui pouvait le conduire à souhaiter être arrêté par les forces de l’ordre. En réalité, il avouait qu’il avait besoin d’aide pour sortir du piège dans lequel son avidité l’avait enfermé…
Rappelons-nous donc, devant la menace de voir triompher le mensonge et l'escroquerie à grande échelle, les mots d'Hölderlin que soulignait régulièrement Jung :
« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. »
« C'est la seule solution, vraiment la seule, Klaas, je ne vois pas d'autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà ».