mercredi 30 octobre 2013

Se souvenir de ses rêves

C’est bien sur le premier pas sur la voie des rêves que de s’en souvenir, ou du moins de se souvenir de quelques-uns d’entre les nombreux rêves que nous faisons chaque nuit. Sur 8 heures de sommeil, nous entrons en moyenne en effet 5 à 6 fois dans une phase de sommeil paradoxal pendant laquelle le cerveau est aussi actif que si nous étions éveillé. C’est au cours de ces périodes de quelques minutes que nous rêvons. On observe le sommeil paradoxal non seulement chez l’être humain mais aussi chez tous les mammifères et chez les oiseaux. Certains animaux sont de bien meilleurs rêveurs que l’humain mais nous ne pouvons pas connaître le contenu de leurs rêves. Nous pouvons cependant en déduire que le simple fait de rêver apporte quelque chose d'essentiel au système nerveux. Il semble que si nous sommes empêchés de rêver pendant plusieurs jours, nous risquons la folie, c’est-à-dire une rupture de l’équilibre psychique. Mais nous être humains avons en outre pour la plupart la possibilité d’intégrer consciemment le contenu de nos rêves, et cela fait sans doute partie de notre humanité. Encore faut-il s’en souvenir. C’est la question qui revient le plus souvent dans mes cours et ateliers : 

Est-ce que tu aurais un truc pour que je me souvienne de mes rêves ?

Non, il n’y a pas vraiment de "truc", mais c’est une question qui ouvre une vaste discussion. Le premier point, c’est bien sûr qu’il faut décider de se souvenir de ses rêves, c’est-à-dire qu’il y a une attitude consciente qui favorise la réminiscence. Ou dit autrement, il y a des attitudes et des comportements qui sont défavorables, à commencer par l’indifférence envers les rêves ou le désir de les fuir, par exemple consécutif à un cauchemar récurrent tellement éprouvant qu’on finit par avoir peur de dormir. Dans ce dernier cas, ou encore quand on est littéralement submergé par les rêves, le problème est presque inverse : ce sont les rêves qui courent après le rêveur, parfois avec une intensité telle qu’il ne peut les ignorer. Il est alors particulièrement indiqué de leur faire face, c’est-à-dire de les travailler pour relâcher la tension manifeste de l’inconscient. Un autre facteur tient à l’usage de somnifères ou de drogues diverses, dont l’effet est généralement d’atténuer la conscience des rêves au réveil. Cela n’empêche cependant pas l’inconscient de percer quand il en éprouve le besoin ; il le fait simplement plus rarement que pour la plupart, quand il a rassemblé suffisamment d’énergie pour y parvenir. Ce sont en tous cas les premiers éléments à vérifier si vous voulez établir un bon contact avec vos rêves : y-a-t-il une peur plus ou moins consciente qui pourrait vous en couper ? Avez-vous besoin de somnifères pour dormir ? Prenez-vous des intoxicants ? L’expérience montre que même notre alimentation peut influer sur notre capacité de nous souvenir de nos rêves : un régime végétarien et très léger le soir favorise la clarté onirique.

La littérature recommande souvent de procéder à un petit rituel avant d’aller se coucher pour se souvenir de ses rêves. Par exemple, vous pouvez boire la moitié d’un verre d’eau ou de lait avant d’éteindre la lumière en vous rappelant que vous avez décidé de mettre cette nuit à profit pour rêver et en retirer des informations utiles à votre bien-être. Le lait sucré a longtemps été supposé avoir des propriétés favorisant particulièrement un bon sommeil et des rêves agréables, mais on peut penser qu’il est simplement associé à un symbole de présence maternelle sécurisante et réconfortante. Un des intérêts connexe de boire un peu avant de dormir est qu’il est possible que cela vous réveille en pleine nuit avec un besoin d’uriner ; c’est alors l’opportunité d’attraper des rêves du début ou du milieu de la nuit. Beaucoup s’arrangent pour avoir papier et crayons, ou une enregistreuse, sur la table de nuit pour alors garder trace du rêve, mais encore faut-il donc se réveiller. Le rituel dont je parlais plus haut est souvent complété en finissant le verre au réveil, comme une façon de sonner la fin de la récréation pour l’inconscient. Comme tout rituel bien compris, c’est-à-dire des gestes chargés d’une intention consciente, ceux-ci ont l’avantage de délimiter une entrée et une sortie de l’espace du rêve, et ont surtout pour intérêt de donner corps à l’intention de se souvenir des rêves. À force de les répéter, cette intention devient une habitude et une seconde nature, et voilà qu’à peine vous prenez conscience d’avoir rêvé, ou d’être en train de rêver, votre attention est aiguisée avec le commandement qui vient conditionner votre mental : il faut que je me souvienne de ce rêve !

Il n’empêche que les rêves sont par nature fuyants. J’aime comparer le travail d’onirologue à celui d’ornithologue car, outre la proximité phonétique, nous nous intéressons à différentes sortes de volatiles. Les rêves s’envolent beaucoup plus vite que les oiseaux. Jung disait que les rêves sont comme les étoiles qui disparaissent au matin à peine le soleil de la conscience se lève. Cette belle métaphore nous rappelle que c’est une illusion d’optique : en réalité, les étoiles sont toujours là mais nous sommes simplement aveuglés par la réflexion de la lumière dans l’atmosphère. Nous pouvons aussi en déduire que le conscient est un espace clos sur lui-même en regard de l’immensité de la psyché inconsciente. Mais alors, comment capturer les étoiles ?

La première chose à faire est de se ménager un espace de transition entre le sommeil et le réveil, d’éviter les réveils trop brutaux avec la radio à tue-tête ou une sonnerie stressante. Il s’agit de se donner tout simplement le temps de laisser remonter les rêves de la nuit. Or nous avons fait une découverte étonnante en matière de physiologie du rêve depuis les travaux de Jung : la mémoire du rêve est dans le corps ! Nous verrons une autre fois que l’intelligence du rêve est elle aussi dans le corps et que cela ruine l’idée qui voudrait que le rêve soit juste le produit d’un désordre neuronal sans queue ni tête. Cette découverte a une immense portée pratique pour nous : si vous voulez vous souvenir de vos rêves, donnez-vous un temps d’immobilité dans votre lit dès que vous vous réveillez. Ne bougez pas et demeurez simplement conscient(e) de ce que vous ressentez ainsi que des images qui vous viennent à l’esprit. Et si des bribes de rêves vous reviennent, racontez-les vous comme une histoire que vous reconstitueriez. L’expérience montre que la mémoire du rêve n’est fixée, et l’oiseau capturé, que lorsque nous nous le sommes racontés mentalement comme une histoire. Peu importe d’ailleurs si vous avez toute l’histoire ou si c’est la bonne histoire – en laboratoire, on a prouvé que les rêveurs réordonnent au réveil les séquences de leurs rêves. Ce qui compte, c’est qu’une histoire émerge, et plus vous lui prêterez attention, par exemple en en prenant note avec tous les détails qui vous viennent à l’esprit, plus cette histoire s’enrichira de nouveaux détails et d’émotions associées. Admettons que le rêve est alors une co-création du conscient coopérant avec l’inconscient. Mais le point clé est bien que la mémoire du rêve est d’abord dans le corps. C’est vérifiable. Ainsi, après 10 minutes d’immobilité à rattraper les rêves encore présents à la fin de la nuit, vous pouvez changer tout doucement de position pour revenir à celle dans laquelle vous vous êtes endormi(e). Si vous passez encore 10 minutes immobile dans cette position en prêtant attention encore une fois à vos sensations, sentiments et aux images qui vous traversent, vous pouvez retrouver les rêves du début de la nuit !

Il demeure un obstacle. Comme Jung l’a souligné,  ce qui fait fuir les rêves est le lever du soleil conscient, et en fait, plus précisément, c’est l’activation du mental. Vous pouvez rester immobile pendant une heure le matin, si votre esprit est déjà en train de penser à la journée qui s’en vient, à ce qui vous attend au travail ou aux factures à payer, il est pour ainsi dire impossible que les rêves émergent. Il faut donc vous ménager un temps de véritable calme, un sas d’entrée dans la journée. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire : nous sommes tout simplement envahi par ces pensées, qui ont souvent beaucoup d’énergie, signe du stress avec lequel elle sont associé. Et le stress est une réponse naturelle à ce qui est ressenti comme un danger, avec un  caractère d’urgence. Il est apparemment très difficile de s’en abstraire. En fait, ce n’est pas difficile mais cela réclame un entrainement. Encore une fois, une intention souvent répétée devient une seconde nature. Ici, l’intention est de trouver un espace de calme pleinement conscient, et l’exercice qui le favorise est la méditation. Si vous méditez régulièrement, vous constaterez que vous développerez une facilité à retrouver à tout moment, et en particulier au réveil, cet état d’attention focalisé et cependant spacieux qu’on appelle la pleine conscience. Vous réalisez alors que les rêves sont encore présents, à peine voilés par l’esprit. Grâce à la méditation, vous pouvez défusionner d'avec vos pensées même s’il y a du stress derrière celles-ci : vous pouvez reconnaitre leur présence comme des nuages passant dans le ciel et vous cachant les étoiles, et puis détourner votre regard pour aller voir où le ciel est clair. Encore une fois, la meilleure aide est le corps : si vous prêtez attention à ce que vous sentez, à votre respiration, à comment vous vous sentez dans votre corps et à vos sentiments, vous dépotentialisez l’énergie des pensées qui dès lors se dispersent. Encore une fois, cela réclame un entrainement, et le meilleur est dans les techniques douces qui favorisent la conscience corporelle comme l’antigymnatisque, le yoga, le tai-chi, etc.

Il reste que, malgré tous les efforts que nous pouvons faire, nous ne nous souvenons pas de tous nos rêves. Une explication classique est que le sens porté par le rêve est encore trop profondément enfoui dans l’inconscient pour nous parvenir, ne trouve pas encore assez d’énergie pour se manifester en images imprégnant le conscient. Mieux : après avoir mis au point toute une discipline de vie pour se souvenir de nos rêves avec la méditation, le yoga et une alimentation idéale, et j’en passe des meilleures, voilà qu’on ne se rend compte qu’il y a un dernier obstacle. C’est notre volonté, la tension consciente que nous introduisons dans le processus. C’est le paradoxe de l’inconscient : il veut devenir conscient et cependant il fuit la lumière, il résiste à la conscience. La clé pour se souvenir de ses rêves est de se détendre profondément et d’accepter qu’on se souvient des rêves dont on doit se souvenir, et de laisser aller les autres. En bref, il s’agit de remettre cela entre les mains de l’inconscient en lui faisant confiance et en nous montrant simplement disponible et pleinement attentif à ce qu’il nous amène. Si nous travaillons nos rêves de façon satisfaisante, la source nous en amènera d’autres, ne serait-ce que pour nous aider à ajuster notre compréhension.

Or, en conclusion, il apparait que, le plus souvent, quand quelqu’un demande comment se souvenir de ses rêves, cela va avec le fait que la personne ne prête pas attention aux petites images qui lui viennent – on voudrait n’avoir que des grands rêves, n’est-ce pas ? Cependant, les grands rêves sont beaucoup plus difficiles à travailler et il faut généralement commencer par écouter les tout petits rêves. En l’absence de rêve, il suffit de prendre conscience du sentiment avec lequel nous nous réveillons, ou comme le propose Johanne Hamel dans son livre « de l’autre côté du miroir » : quel est le sentiment indéfinissable que nous laisse le rêve perdu ? Si vous prenez simplement le temps de méditer avec ce sentiment indéfinissable, vous réaliserez que la nuit informe le jour à chaque début de cycle avec la même régularité que les vagues de l’océan qui viennent humidifier la plage. Mais alors, vous prendrez aussi conscience qu’il n’y a pas de véritable séparation entre la nuit et le jour, entre les rêves nocturnes et ce rêve dense que nous appelons la réalité, mais seulement un mouvement subtil qui nous porte et nous éclaire, un souffle qui nous traverse.

mardi 22 octobre 2013

Fleur de conscience


Photo Danielle Bouchard, tous droits réservés
Il n’est pas possible de parler du rêve, des symboles et de l’inconscient sans employer leur langage, c’est-à-dire la métaphore. La raison peut en dire quelque chose, bien sûr, mais elle leur reste extérieure et elle risque fort de les réduire à des absurdités manipulables. Celles-ci sont facilement détectables car elles commencent généralement par une affirmation en forme de : « ce n’est que ». Ainsi, pour beaucoup, le rêve n’est que le produit d’un désordre neuronal tandis l’inconscient n’est qu’une poubelle, et voilà tout l’être humain qui parle ainsi qui se met lui-même dans cette poubelle avec son mystère, le mystère de vivre. La raison elle-même en est un peu insultée car la raison elle-même, si on en réfère à Kant et sa Critique de la Raison Pure, sait bien qu’à partir d’un certain point, elle ne peut que se taire. C’est alors, dans ce silence, qu’intervient la métaphore, du grec metaphoros, « qui emmène plus loin », et qui donc prend la raison par la main pour l’ouvrir à une vision plus large, l'amener à un élargissement de conscience.

Une des difficultés de la raison quand elle aborde ces sujets, c’est qu’elle ne saurait concevoir que des objets. Pour la raison, nous sommes dans un univers d’objets clairement séparés et dotés d’une certaine solidité ainsi que d’une permanence qui permet d’en parler. C’est l’expérience que nous avons de la réalité dans notre quotidien et déjà à ce niveau, beaucoup de choses défient ce sens d’une réalité fragmentée en objets, ne seraient-ce par exemple que l’eau qui coule et se mélange avec d’autres liquides, ou le feu qui consume les matières les plus solides. La physique quantique démontre que cette solidité est illusoire, ou du moins partielle. En psychologie des profondeurs, nous rencontrons la même difficulté quand nous tentons de parler de l’inconscient et du conscient comme s’il s’agissait d’objets bien définis, entièrement séparés l’un de l’autre. En réalité, ou plutôt à un niveau plus profond de la réalité, il n’y a que des processus, et l’inconscient comme le conscient sont parties prenantes d’un processus que l’on peut désigner comme celui de la « création de conscience ».

Voilà le grand mystère ! D’où émerge la conscience ? Quel est son rôle dans l’univers ? Pour Jung, nous touchons là à des questions qui nous font entrer dans l’intimité de Dieu. « La création de conscience » est le titre d’un livre clé du grand psychologue jungien Edward Edinger qui explore la thèse de Jung qui veut que la divinité elle-même évolue au travers de nos prises de conscience. Rappelons que Jung ne faisait pas de métaphysique mais s’intéressait à l’image de Dieu que l’on trouve au centre de la psyché et par laquelle le Soi aime se symboliser. Avec la création de conscience, nous effleurons une question vertigineuse qui porte sur la nature de la réalité et la mesure dans laquelle nous sommes co-créateurs de celle-ci. Je n’approfondirai pas pour l’instant cette question mais je veux simplement souligner ici qu’en interrogeant la nature du rêve, nous l’abordons par un autre versant. Pour les cultures chamaniques par exemple, notre réalité ordinaire n’est que « le monde de la surface », et tout ce qui y advient a commencé par être rêvé, jusqu’à ce que ce rêve prenne force de réalité.

Je cultive pour ma part une métaphore qui m’a beaucoup servi pour entrer plus avant dans les mystères du rêve. C’est simplement l’idée que le rêve est une fleur de conscience qui commence à émerger : quelque chose veut devenir conscient, et voilà que cela perce la croute de notre inconscience. Une jeune pousse apparait alors sous la forme de quelques images de rêve. C’est encore bien loin de devenir conscient ; il faut être jardinier pour en deviner le potentiel tant c’est encore proche de l’obscurité qui régnait sous terre. Mais la bonne nouvelle, c’est que cela a trouvé suffisamment d’énergie pour amener quelques images à la conscience, et que cela pousse, cela grandit.

Contrairement aux concepts de Rossinante [*] la raison raisonnante, les métaphores ont cela d’utiles qu’elles suggèrent souvent, par associations, des façons d’agir et d’aller plus loin. Ici, la métaphore du rêve comme fleur de conscience peut être développée jusqu’à proposer une façon de travailler, ou plutôt de jardiner les rêves. D’abord, il ne sert à rien de tirer dessus avec tel outil ou telle méthode car on risque fort alors de déraciner le rêve. Comme toute plante, la conscience encapsulée dans le rêve a besoin pour se déployer d’être bien enracinée, c’est-à-dire ressentie dans le corps et connectée à la vie du rêveur. Il faut lui apporter l’eau de notre vie émotionnelle et le feu solaire de notre attention. Enfin, elle a besoin de l’air de nos idées, de suffisamment d’espace pour pouvoir croître. Comme résumant ces quatre éléments en une quinte essence, il faut au premier chef aimer le rêve. Mais surtout, le rêve a besoin de temps pour se développer jusqu’à la pleine conscience de son sens. Comme disait Jung, si nous tournons suffisamment de temps autour du rêve en lui accordant notre attention, partie de son message finira par se dévoiler.
 
[*] Rossinante est le nom du cheval de Don Quichotte dans le roman de Cervantes. Lorsque Don Quichotte cherche un nom pour sa monture, il choisit Rossinante pour « signifier clairement que sa monture avait été antérieurement une simple rosse, avant de devenir la première de toutes les rosses du monde. »

mercredi 16 octobre 2013

Je suis un iceberg

Je suis un iceberg. Je flotte, je goûte de me laisser flotter, porter. Je réalise que je ne suis pas seule, il y a d’autres icebergs qui flottent non loin de moi. Nous formons comme un cercle. Il y a quelque chose d’invisible qui nous relie.

Sonya est une jeune femme frêle qui ne cache pas sa fragilité et son inconfort à se retrouver dans un groupe comme celui auquel elle participe pour un atelier sur les rêves. C’est une artiste qui réalise de très beaux mandala de façon spontanée, sans élaboration théorique de sa part sur leur signification mais avec un instinct très sur. Quand je l’invite à parler de son travail, elle nous décrit merveilleusement bien le processus créateur du centre vers la périphérie, en expansion, ou au contraire en centration. Il est fascinant pour elle comme pour moi de constater qu’elle a ainsi trouvé, en marchant sans le savoir dans les pas de Jung et sans autre guidance que son intuition, sa propre voie de contact avec le Soi.

Au milieu des sept jours que dure l’atelier, Sonya frappe un mur. Une mauvaise nuit, un rêve dérangeant l’amènent à se demander si elle ne doit pas partir maintenant. Nous en parlons et nous convenons qu’elle se trouve sans doute dans un passage dont elle ressortira bientôt, et que nous en reparlerons avant la fin du séjour. Le dernier jour, elle nous raconte ce rêve :

Je suis un iceberg...

Son seul commentaire est le suivant : « le premier jour, la première image que tu nous as présentée de l’inconscient, c’est cet iceberg. Voilà, je suis l’iceberg ! » Son sourire éclatant, ses yeux brillants de vie joyeuse, m’épargnent le besoin de poser quelque question que ce soit, et même de reparler de son passage par les enfers. Sonya, c’est le cas de le dire, a « brisé la glace » : elle n’est plus seule désormais, plus isolée. Elle a reconnecté avec un grand courant de vie qui nous réunit tous subtilement. Elle sait qui elle est, ce qu’elle est : un iceberg parmi d’autres icebergs baignant dans l’océan. Un inconscient et un conscient, ensemble.

Un Soi.

Quand je présente l’inconscient, j’aime montrer cette photographie d’iceberg qui illustre le cliché le plus répandu, mais efficace, pour décrire notre rapport à l’inconscient. On y remarque bien sur que la partie immergée est au moins 20 fois plus profonde que la hauteur émergée, et sans doute plusieurs centaines de fois plus lourde, conférant sa stabilité à l’iceberg. Une autre remarque moins évidente, c’est qu’il n’y a pas de véritable différence de nature entre la glace de l’iceberg et l’eau de l’Océan dans lequel il flotte, mais seulement une différence d’état. C’est toujours de l’eau, dans un cas solide, gelée dans l’illusion d’une fixité, dans l’autre fluide…

Je suis un être humain, une composition d’inconscience et de conscience. Je ne suis pas seul(e), il y a d’autres êtres humains comme moi. Nous sommes dans la vie ensemble comme dans un cercle, baignant dans le même inconscient collectif qui nous berce et nous réunit.

C’est ainsi que j’entends le rêve de Sonya et je me réjouis – j’entends les Anges célébrer le retour d’un être humain parmi les siens. Le cercle évoque l’ordre universel dans lequel tous les êtres sont égaux. En effet, le cercle ne permet aucune précédence de position, que ce soit entre êtres humains ou plus largement, dans diverses visions spirituelles, entre tous les êtres vivants. C’est une des merveilles du rêve que d’être absolument égalitaire d’une part, d’honorer de sa sagesse aussi bien le prince que le mendiant. Mais surtout, qui que nous soyons, aussi isolés soyons-nous dans nos peurs ou notre mégalomanie, le rêve, qui est nature, nous ramène dans le giron de l’humanité. Il nous montre que nous sommes bien moins individuels et conscients de la totalité de nous-mêmes que nous le croyons, et que nos difficultés sont partagées par d’autres êtres humains qui vivent des circonstances semblables. Et finalement, il peut donc nous faire toucher l’intuition mystique qui interroge quelle est la véritable séparation entre la goutte d’eau, l’iceberg et l’Océan tout entier ?

Une même substance, un même Être.

Le Soi.

vendredi 11 octobre 2013

Pourquoi travailler ses rêves ?

« Tu es convié.
Tu n’es même pas obligé.
Un simple service d’honneur.
Voilà tout.
Ni plus mais ni moins. »
(Christiane Singer)

La porte d’entrée est parfois une saine curiosité : certains ont un monde onirique fascinant qui les appelle et réclame leur attention. La meilleure des motivations est sans doute l’amour. Cependant, nous sommes souvent amenés au travail sur soi, et sur les rêves en particulier, par la souffrance : il y a quelque chose qui fait mal dans la vie ou dans le corps, et il s’avère que les rêves ont quelque chose à dire à ce sujet. On découvre alors que cette souffrance a un sens, qu’elle veut dire quelque chose, et donc que le rêve en parle. Il nous présente un miroir dans lequel nous pouvons apprendre à nous connaître en profondeur, c’est-à-dire dans tout ce qui ne nous est pas directement, consciemment, accessible mais participe tout de même à notre vie intérieure. Autrement dit l’inconscient. Le rêve, voie royale, comme disait Freud. Nous, êtres humains, avons besoin de sens comme les tournesols de soleil : dès que nous sommes en mesure de donner un sens à ce que nous vivons, nous avons une façon de "vivre avec" qui se fait jour. Plus profondément, la psychologie jungienne recense cinq bénéfices majeurs à écouter et travailler ses rêves.

Le premier bénéfice est la fonction compensatrice du rêve qui vient rétablir l’équilibre de la psyché. Nous avons tendance à ne voir dans toute situation qu’un côté des choses, le nôtre – c’est-à-dire le point de vue qu’a épousé notre conscience et qui satisfait ce qu’elle connait déjà. Mais la situation est riche de bien d’autres possibilités, qu’il s’agisse du point de vue des autres protagonistes ou simplement d’autres angles qui nous échappent. En règle générale, dès lors que nous perdons de vue que la situation recèle des paires d’opposés – par exemple que, dans telle discussion, nous avons raison et cependant tort – et que nous en avons donc une vision unilatérale, nous perdons la voie du milieu. Les rêves nous amènent bien souvent l’autre côté, la part manquante pour que nous ayons une vision complète des choses, et viennent corriger notre attitude consciente quand elle est trop rigide et limitée.  Un exemple bien connu, mais dont beaucoup ont l’expérience, nous vient de Goethe qui écrivait : « Je me suis endormi profondément triste. J’ai eu un rêve charmant. Je me suis réveillé frais et dispos. »

Le second bénéfice tient aux fonctions d’apprentissage et de « digestion » des événements par la psyché, auxquelles contribuent les rêves. Nous sommes des êtres sensibles, beaucoup plus sensibles que ce que nous voulons souvent bien laisser voir, même à nos propres yeux. Les événements et les changements inévitables dans notre environnement nous impactent souvent beaucoup plus que nous n’en prenons conscience. Les rêves permettent d’observer quel est réellement et en profondeur cet impact sur notre psyché, comment celle-ci assimile progressivement les conditions nouvelles que nous rencontrons, et quelle réponse créative elle suggère aux défis que nous rencontrons. Le rêve est aussi un espace où nous allons pouvoir expérimenter sans risque majeur de nouvelles possibilités de comportement que nous ne sommes pas encore prêts à manifester dans la vie consciente. Cette fonction d’apprentissage et de digestion par le rêve est commune à tous les mammifères; c’est ainsi qu’en observant les mouvements involontaires de chatons en train de rêver, on a mis en évidence qu’ils répétaient les apprentissages de la journée et exerçaient leurs talents pour la chasse.

Le troisième bénéfice de l’écoute des rêves tient à leur fonction de prospective et de guidance, c’est-à-dire leur capacité de prédire l’avenir et de nous offrir d’importants conseils pour accomplir nos objectifs. L’inconscient dispose de beaucoup plus d’informations que nous n’en traitons consciemment. Les rêves font volontiers ressortir le potentiel des situations que nous vivons et nous montrent, sans complaisance, quels pourraient être les conséquences de nos choix et de nos attitudes. Plus profondément, il semble que les rêves viennent d’un lieu dans la psyché où le temps n’existe pas et où règne une sagesse qui a réponse à toutes nos questions. Ils ne nous disent cependant jamais quoi faire ni ne nous jugent, mais ils nous ramènent à nos valeurs et nos objectifs fondamentaux, et nous font entendre, comme le dit si bien Robert Moss, le « désir secret de notre âme ». En cela, ils agissent comme la boussole de notre être intérieur, toujours en mesure de nous indiquer où se trouve le Nord, et surtout la direction de l’Amour, là où nous serons enfin Un avec tout ce qui est.

Le quatrième bénéfice du travail des rêves est très mystérieux. Il tient à ce que Jung a appelé le « savoir absolu de l’inconscient ». Les exemples abondent de scientifiques qui ont résolu une énigme grâce à un rêve. Ainsi, le mathématicien Poincaré entrevit la solution des équations fuchsiennes au cours d’une petite sieste, et passa plusieurs années à refaire le chemin consciemment. Le chimiste Kekulé rêva de serpents se mordant la queue alors qu’il travaillait sur la structure du benzène, qui s’est révélée circulaire. Le tableau classant les éléments chimiques a été élaboré à partir d’un rêve de Mendeleïev. William Blake a inventé un nouveau procédé de métallurgie en rêve. Des œuvres littéraires immenses, par exemple le Paradis perdu de Milton ont été élaborées en rêve. Les rêves sont une source inépuisable de créativité et semblent puiser leurs matériaux dans une dimension où rien n’est séparé, que ce soit dans le temps ou dans l’espace. Les prédictions factuelles, les communications de pensée, les synchronicités et les intuitions les plus saisissantes ne sont pas rares quand on écoute les rêves, avec pour conséquence, et sans doute intention, de nous faire renouer avec l’émerveillement de vivre dans un univers infiniment mystérieux.

Le cinquième bénéfice est le plus évident dès lors qu’on prête minimalement attention à ses rêves. Chaque rêve a quelque chose à nous dire, un message existentiel à nous délivrer. « Il n’y a pas de rêves stupides » disait Jung. C’est à chaque fois exactement ce que nous avons besoin d’entendre à ce point dans notre vie, un message que nous nous envoyons à nous-mêmes en tout amour et toute perspicacité quant à ce qui nous rendra vraiment heureux. « Un rêve non interprété est comme une lettre qui reste cachetée » disait déjà le Talmud. Le nous-même qui envoie le message sait tout de nous, bien plus que nous en savons consciemment, et il nous "écrit" à partir d’une place où il n’y a que paix et amour, hors du temps, et où il nous attend. Il sait aussi que nous n’aurons pas le temps de déchiffrer tout ce qu’il nous envoie, et que d’ailleurs, il faut, pour que nous accordions quelque valeur à ses messages, que nous fassions beaucoup d’efforts pour les comprendre. Mais quand un rêve s’ouvre, c’est à chaque fois une petite illumination, un « ha ha ! » qui vient de la réunion à l’intérieur de quelque chose que nous savions déjà, sans le savoir, avec notre conscience. C’est à chaque fois un pas vers l’unité intérieur et une occasion de s’exclamer devant la beauté de vivre, dans une gratitude et un émerveillement renouvelés.

Les rêves ont dans une grande mesure été instrumentalisés par la psychologie et la psychothérapie. Tant mieux, car c’est ce qui a permis au rêve de retrouver quelques lettres de noblesse dans notre civilisation avec les grands pionniers, Sigmund Freud et surtout Carl Jung, sans oublier Fritz Perl et tous les autres. Mais les rêves adressent tous les aspects de l’existence et non seulement ce qui concerne le psychothérapeute. Ils peuvent proposer des réponses créatives à des problèmes d’apparence insolubles dans tous les domaines de la vie, ou amener des éléments de réflexion philosophiques si tel est ce qui nous préoccupe. Un artiste y trouvera inspiration et de précieuses indications sur ce qui favorise ou contrarie son processus créatif, un poète y rencontrera la Béatrice qui lui fera traverser les Enfers jusqu’à aboutir au centre de l’Univers. Finalement, chacun peut y trouver le meilleur ami qui soit et un guide qui permet de traverser tous les aléas de l’existence avec la paix au cœur, et cela jusqu’à la rencontre ultime avec le mystère de vivre et de mourir.

Dans le fond, il n’y a pour moi qu’une seule motivation fondamentale qui emmène au bout de ce travail. Dans toutes les raisons énoncées ci-dessus, il demeure encore une tentative de se servir du rêve pour en tirer quelque bénéfice conscient. Il y a encore un "moi" conscient entièrement distinct de la Source des rêves et qui tente d’utiliser le rêve pour servir ses objectifs. C’est pour cela que c’est un travail, dont l’étymologie nous rappelle la notion de torture : c’est une haute lutte avec l’Inconscient pour lui arracher quelque lumière. Mais j’évoquais le fait qu’il se noue, à force de travailler la matière vivante des rêves, quelque chose comme une profonde amitié. Éventuellement, il arrive un moment où le travail devient un jeu créatif et où l’on ne se bat plus, pour se laisser alors simplement emmener par la grâce d’une Présence en dedans qui nous prend par la main et nous invite à danser…

L’écoute des rêves nous délivre alors son plus grand bénéfice, qui tient à une entière autonomie spirituelle – nous sommes encore ouverts à ce qu’autrui voudra nous partager de sa sagesse et de sa compréhension de l’existence, mais c’est toujours avec cette réserve souriante qui vient du fait d’avoir reconnu le Maître à l’intérieur, et de cheminer avec l’Ami, celui que les soufis nomment si justement le Bien-Aimé de l’âme. C’est pourquoi les rêves et leur écoute sont si importants pour notre époque où il appartient à chacun de définir sa propre spiritualité : c’est une voie qui ne permet aucune dépendance, même envers la Source des rêves, qui ne fait jamais que la moitié du chemin vers nous. Ils nous portent l’antidote à la désespérance qui caractérise notre monde désenchanté et apparemment déserté par les dieux, antidote grâce auquel chacun peut retrouver en lui-même une petite lumière pour éclairer chacun de ses pas, lumière dont la présence rend à notre existence son caractère d’aventure sacrée.

lundi 7 octobre 2013

La clé et le poisson

L’art de l’interprétation des rêves ne s’apprend pas dans les livres; les méthodes et les règles ne sont bonnes que pour ceux qui sont capables de s’en passer. (Jung)

Quand il s’agit de parler de rêves, il vaut toujours mieux parler des siens car on ne peut pas vraiment dissocier le rêveur du rêve. Commenter le rêve d’autrui est délicat : je ne puis parler que de comment je reçois le rêve. Il y a bien cette prétention à l’objectivité clinique qu’on trouve dans les livres, qui semble faire du rêve un objet manipulable par la pensée, mais le risque est grand alors de la réduction du rêve à une absurdité – entendre tout ce qu’il y a de "surdité" là, c’est-à-dire d’absence d’écoute de celui qui n’entend plus que ses propres projections, ou pire, les théories dans lequel il s'enferme.

Jung nous met en garde : 

« ce que vous faites au rêve, vous le faites à votre propre âme ».

Le rêve est d’abord une expérience subjective et la subjectivité du rêveur, ainsi que celle de l’analyste, ne peuvent en être séparées. L’interprétation n’est jamais qu’une reformulation du rêve et seul le rêveur peut vraiment en connaitre le sens. En commentant parfois les rêves d’autrui, ce que je ferai avec la permission des rêveurs concernés à moins que le rêve ne soit déjà dans le domaine public, je ne ferai que dire ce qu’ils m’inspirent, dans quelles méditations ils m’ont conduit, comment ils m’ont travaillé. Mais l’interprétation du rêve est moins importante que le mouvement intérieur qu’il décrit ou préfigure, auquel il invite – c’est ainsi que, suivant Jung, nous nous intéressons moins à la vérité de l’interprétation rêve qu’à son efficacité, ou comment l’énergie du rêve coule dans la vie, vient la fertiliser. En parlant de mes propres rêves, c’est ce mouvement que je veux mettre en évidence ainsi que la nature intime du dialogue qui se noue avec la source des rêves. Seul un  témoignage de première main peut rendre justice au travail du rêve et montrer combien il peut être éclairant, parfois transformant, illuminant.

Le rêve suivant a eu une grande importance dans mon parcours. Il est survenu le matin du jour où j’ai, voilà plus de 10 ans, pour la première fois interprété des rêves en public dans une classe. Je me suis couché la veille en me demandant, avec un peu d’inquiétude, comment j’allais faire pour interpréter des rêves de personnes que je ne connaissais pas. Voici le rêve qui m’a répondu : 

Je suis dans un jardin et je tiens dans mes mains une vieille et lourde clé de métal. Elle semble ouvrir la porte massive d’un vieux manoir que je vois sur ma droite, dont je sais qu’il est du XIIème ou XIIIème siècle et qui m’attire beaucoup. Devant moi, il y a un plan d’eau entouré d’arbres et je me sens invité à y jeter la clé que je tiens en main.

Je lance donc la clé dans l’eau et elle coule à pic mais je suis surpris d’apercevoir soudain un éclair blanc dans le fond de l’étang. L’instant d’après, je vois un gros poisson argenté sortir de l’eau en tenant la clé dans sa bouche. Il jaillit hors de l’eau et va déposer la clé sur un plateau carré surplombant un pilier rond au bord de l’étang que je n’avais pas remarqué jusqu’alors car il était dans la pénombre de la végétation entourant le plan d’eau.
   
Le moins que je puisse dire est que ce rêve m’a offert une clé, et avec celle-ci une indication précieuse sur comment écouter un rêve, et comment lui répondre, d’où doit venir l’interprétation que je suis amené à proposer. Il me rappelle ce que disait Carl Jung: « Quant à l’interprétation des rêves, étudiez tous les livres et toutes les méthodes. Mais quand vous êtes devant un rêve, écartez-les car chaque rêve est unique, tout comme chaque rêveur est unique. »

La clé que je tiens dans mes mains en rêve symbolise la méthode que j’ai apprise. C’est une vieille clé, qui ouvre une ancienne demeure, ce qui rappelle que la psychologie des profondeurs plonge ses racines dans le lointain passé, et particulièrement dans l’époque qui vit naître la Quête du Graal. Cette clé pèse son poids de tradition. Je suis intérieurement invité à la lancer dans un étang, c’est-à-dire à lâcher-prise quant à toute prétention consciente à savoir "a priori" de quoi il retourne avec les rêves que j’écoute. Les étendues d’eau symbolisent volontiers l’inconscient, et ici, c’est à un aspect collectif et naturel de l’inconscient que la clé est rendue. Mais alors, cela permet à quelque chose de très mystérieux de se manifester et de jaillir de l’inconscient pour placer la clé au centre d’un mandala. Le Soi se symbolise volontiers par un poisson, c’est-à-dire comme la vie qui habite les profondeurs, en particulier celles de l’Océan, image de l’Inconscient collectif. Le pilier forme un mandala tri-dimensionnel qui est aussi un symbole du Soi, d’autant qu’il réunit ici le féminin circulaire et le masculin carré, la sensibilité qui supporte la raison structurante. Le point important, c’est qu’après la surprise qui suit le jaillissement, il y a quelque chose qui se dépose, qui repose sans effort. La méthode trouve son écrin dans ce repos, ce lâcher-prise qui permet un véritable partenariat avec le Soi autour du rêve.

À chaque fois que j’en ai l’opportunité, je présente celui-ci à mes étudiant(e)s pour illustrer le processus créatif qu’est le travail du rêve. Ce n’est pas une science, c’est un art, au sens même où les alchimistes parlaient de leur art. Un lâcher-prise, une surprise – le jaillissement de quelque chose de nouveau, d’imprévu – et un repos de l’esprit, une bouffée de satisfaction intérieure qui suit le déclic. Je n’invente rien : Jung disait que la première chose qu’il pensait après avoir entendu un rêve, c’est « je ne sais pas ». C’est ce « je ne sais pas » la clé. Et comme le soulignait Marie-Louise Von Franz, qui fut la collaboratrice de longue date de Jung : 

« Si en interprétant un rêve, l’inconscient ne me donne pas un indice, je suis perdue. Dieu merci, l’inconscient est intéressé à ce que le rêve soit compris. »

samedi 5 octobre 2013

La voie du rêve

« Celui qui va jusqu'au bout de son cœur connaît sa nature d'homme. Connaître sa nature d'homme c'est alors connaître le ciel.» (Mencius)

La voie du rêve est un petit sentier à l’écart des autoroutes, par lequel il est possible d’explorer notre nature dans toute sa profondeur, bien souvent insoupçonnée. Il se trace à mesure que nous cheminons. Il descend dans notre propre obscurité, qui se révèle lumineuse, et débouche sur des sommets que nous n’aurions jamais envisagé. Nul ne saurait en tracer de carte car les contrées de l’âme qu’il traverse sont toujours en constante transformation. Il n’est qu’une façon de le parcourir et c’est en en épousant amoureusement les méandres.

C’est un chemin toujours solitaire à la rencontre du mystère que nous sommes à nous-mêmes, et où nous découvrons que notre solitude est habitée par une Présence dont on  ne peut rien dire. Il est possible d’y être accompagné par un autre pèlerin mais rien ne permet l’établissement d’une autorité qui saurait pour l’autre, ou un enseignement – il n’y règne que l’esprit du partage et du compagnonnage librement assumé, hors de tout dogme, à la croisée de toutes les traditions spirituelles. Nous ne pouvons y trouver d’autres guides que nous-mêmes, mais quel « nous-même » !? Il s’agit bien sûr de ce que Carl Jung a appelé le Soi, Celui/Celle-là même que nous sommes de toute éternité, dont le sourire bienveillant éclaire chacun de nos pas, Lumière de la Vie – « lumen naturæ » disait Paracelse – qui illumine le cœur comme le soleil notre belle planète.

C’est toujours un choc empreint de stupeur et de révérence que de se rencontrer ainsi Soi-même et de contempler le visage qui était le nôtre avant que nous ne soyons nés en ce monde. Quel que soit le problème ou la difficulté qui nous ont poussé, souvent de façon désespérée, sur le chemin, voilà qu’ils nous apparaissent soudain dans une perspective toute nouvelle, élargie à la grandeur de l’immensité de l’âme. Au-delà du désespoir, nous réalisons que le Soi qui rêve nos existences n’a rien de personnel, et nous revenons à l’intime de notre parenté fondamentale avec les animaux et les plantes, les pierres et les rivières, les montagnes et l’océan, les nuages et le vent…

Notre errance prend fin en même temps que nous comprenons que l’Univers entier est notre demeure, la terre un jardin merveilleux et le ciel notre terrain de jeux. Nous sommes enfin « rentrés à la maison », et nous prenons conscience que l’Amour nous y attendait patiemment. Nos souffrances trouvent enfin un sens, et cette découverte du joyau inestimable nous pacifie intégralement et nous libère des illusions qui obstruaient notre amour de la vie. C’est le temps de la réconciliation. Notre solitude se révèle alors peuplée de myriades d’étoiles et riche de toutes nos relations. Il devient alors enfin clair que la voie du rêve conduit directement à l’éveil au-delà de toute dualité ; ce n’est que bonne logique bien connue des Anciens qui veut que, pour s’éveiller à notre nature véritable, il faille traverser le rêve ! 

Puissent tous les êtres être heureux.

« Ce que l’on appelle exploration de l’inconscient dévoile en fait et en vérité l’antique et intemporelle voie initiatique. [...] seul un chevalier risquera la ‘queste et l’aventure’. »
(Carl Gustav Jung)