C’est bien sur le premier pas sur la voie des
rêves que de s’en souvenir, ou du moins de se souvenir de quelques-uns d’entre les
nombreux rêves que nous faisons chaque nuit. Sur 8 heures de sommeil, nous entrons
en moyenne en effet 5 à 6 fois dans une phase de sommeil paradoxal pendant
laquelle le cerveau est aussi actif que si nous étions éveillé. C’est au cours
de ces périodes de quelques minutes que nous rêvons. On observe le sommeil
paradoxal non seulement chez l’être humain mais aussi chez tous les mammifères
et chez les oiseaux. Certains animaux sont de bien meilleurs rêveurs que l’humain
mais nous ne pouvons pas connaître le contenu de leurs rêves.
Nous pouvons cependant en déduire que le simple fait de rêver apporte quelque
chose d'essentiel au système nerveux. Il semble que si nous sommes empêchés de rêver
pendant plusieurs jours, nous risquons la folie, c’est-à-dire une rupture de l’équilibre
psychique. Mais nous être humains avons en outre pour la plupart la possibilité
d’intégrer consciemment le contenu de nos rêves, et cela fait sans doute partie
de notre humanité. Encore faut-il s’en souvenir. C’est la question qui revient
le plus souvent dans mes cours et ateliers :
Est-ce que tu aurais un truc
pour que je me souvienne de mes rêves ?
Non, il n’y a pas vraiment de "truc",
mais c’est une question qui ouvre une vaste discussion. Le premier point, c’est
bien sûr qu’il faut décider de se souvenir de ses rêves, c’est-à-dire qu’il y a
une attitude consciente qui favorise la réminiscence. Ou dit autrement, il y a
des attitudes et des comportements qui sont défavorables, à commencer par
l’indifférence envers les rêves ou le désir de les fuir, par exemple consécutif
à un cauchemar récurrent tellement éprouvant qu’on finit par avoir peur de
dormir. Dans ce dernier cas, ou encore quand on est littéralement submergé par
les rêves, le problème est presque inverse : ce sont les rêves qui courent
après le rêveur, parfois avec une intensité telle qu’il ne peut les ignorer. Il
est alors particulièrement indiqué de leur faire face, c’est-à-dire de les
travailler pour relâcher la tension manifeste de l’inconscient. Un autre
facteur tient à l’usage de somnifères ou de drogues diverses, dont l’effet est
généralement d’atténuer la conscience des rêves au réveil. Cela n’empêche
cependant pas l’inconscient de percer quand il en éprouve le besoin ; il
le fait simplement plus rarement que pour la plupart, quand il a rassemblé
suffisamment d’énergie pour y parvenir. Ce sont en tous cas les premiers
éléments à vérifier si vous voulez établir un bon contact avec vos rêves :
y-a-t-il une peur plus ou moins consciente qui pourrait vous en couper ?
Avez-vous besoin de somnifères pour dormir ? Prenez-vous des intoxicants ?
L’expérience montre que même notre alimentation peut influer sur notre capacité
de nous souvenir de nos rêves : un régime végétarien et très léger le soir
favorise la clarté onirique.
La littérature recommande souvent de procéder à un petit rituel avant d’aller se coucher pour se souvenir de ses rêves. Par
exemple, vous pouvez boire la moitié d’un verre d’eau ou de lait avant d’éteindre
la lumière en vous rappelant que vous avez décidé de mettre cette nuit à profit
pour rêver et en retirer des informations utiles à votre bien-être. Le lait
sucré a longtemps été supposé avoir des propriétés favorisant particulièrement
un bon sommeil et des rêves agréables, mais on peut penser qu’il est simplement
associé à un symbole de présence maternelle sécurisante et réconfortante. Un
des intérêts connexe de boire un peu avant de dormir est qu’il est possible que
cela vous réveille en pleine nuit avec un besoin d’uriner ; c’est alors l’opportunité
d’attraper des rêves du début ou du milieu de la nuit. Beaucoup s’arrangent
pour avoir papier et crayons, ou une enregistreuse, sur la table de nuit pour
alors garder trace du rêve, mais encore faut-il donc se réveiller. Le rituel
dont je parlais plus haut est souvent complété en finissant le verre au réveil,
comme une façon de sonner la fin de la récréation pour l’inconscient. Comme
tout rituel bien compris, c’est-à-dire des gestes chargés d’une intention
consciente, ceux-ci ont l’avantage de délimiter une entrée et une sortie de l’espace
du rêve, et ont surtout pour intérêt de donner corps à l’intention de se
souvenir des rêves. À force de les répéter, cette intention devient une
habitude et une seconde nature, et voilà qu’à peine vous prenez conscience d’avoir
rêvé, ou d’être en train de rêver, votre attention est aiguisée avec le
commandement qui vient conditionner votre mental : il faut que je me
souvienne de ce rêve !
Il n’empêche que les rêves sont par nature
fuyants. J’aime comparer le travail d’onirologue à celui d’ornithologue car, outre la proximité phonétique,
nous nous intéressons à différentes sortes de volatiles. Les rêves s’envolent
beaucoup plus vite que les oiseaux. Jung disait que les rêves sont comme les
étoiles qui disparaissent au matin à peine le soleil de la conscience se lève.
Cette belle métaphore nous rappelle que c’est une illusion d’optique : en
réalité, les étoiles sont toujours là mais nous sommes simplement aveuglés par
la réflexion de la lumière dans l’atmosphère. Nous pouvons aussi en déduire que
le conscient est un espace clos sur lui-même en regard de l’immensité de la
psyché inconsciente. Mais alors, comment capturer les étoiles ?
La première chose à faire est de se ménager un espace de transition entre le sommeil et le réveil, d’éviter les réveils trop
brutaux avec la radio à tue-tête ou une sonnerie stressante. Il s’agit de se
donner tout simplement le temps de laisser remonter les rêves de la nuit. Or
nous avons fait une découverte étonnante en matière de physiologie du rêve depuis
les travaux de Jung : la mémoire du rêve est dans le corps ! Nous
verrons une autre fois que l’intelligence du rêve est elle aussi dans le corps
et que cela ruine l’idée qui voudrait que le rêve soit juste le produit d’un
désordre neuronal sans queue ni tête. Cette découverte a une immense portée
pratique pour nous : si vous voulez vous souvenir de vos rêves,
donnez-vous un temps d’immobilité dans votre lit dès que vous vous réveillez.
Ne bougez pas et demeurez simplement conscient(e) de ce que vous ressentez ainsi
que des images qui vous viennent à l’esprit. Et si des bribes de rêves vous
reviennent, racontez-les vous comme une histoire que vous
reconstitueriez. L’expérience montre que la mémoire du rêve n’est fixée, et l’oiseau
capturé, que lorsque nous nous le sommes racontés mentalement comme une
histoire. Peu importe d’ailleurs si vous avez toute l’histoire ou si c’est la
bonne histoire – en laboratoire, on a prouvé que les rêveurs réordonnent au
réveil les séquences de leurs rêves. Ce qui compte, c’est qu’une histoire
émerge, et plus vous lui prêterez attention, par exemple en en prenant note
avec tous les détails qui vous viennent à l’esprit, plus cette histoire s’enrichira
de nouveaux détails et d’émotions associées. Admettons que le rêve est alors
une co-création du conscient coopérant avec l’inconscient. Mais le point clé
est bien que la mémoire du rêve est d’abord dans le corps. C’est vérifiable.
Ainsi, après 10 minutes d’immobilité à rattraper les rêves encore présents à la
fin de la nuit, vous pouvez changer tout doucement de position pour revenir à celle
dans laquelle vous vous êtes endormi(e). Si vous passez encore 10 minutes
immobile dans cette position en prêtant attention encore une fois à vos
sensations, sentiments et aux images qui vous traversent, vous pouvez retrouver
les rêves du début de la nuit !
Il demeure un obstacle. Comme Jung l’a
souligné, ce qui fait fuir les rêves est
le lever du soleil conscient, et en fait, plus précisément, c’est l’activation
du mental. Vous pouvez rester immobile pendant une heure le matin, si votre esprit
est déjà en train de penser à la journée qui s’en vient, à ce qui vous attend
au travail ou aux factures à payer, il est pour ainsi dire impossible que les
rêves émergent. Il faut donc vous ménager un temps de véritable calme, un sas d’entrée
dans la journée. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire : nous
sommes tout simplement envahi par ces pensées, qui ont souvent beaucoup d’énergie,
signe du stress avec lequel elle sont associé. Et le stress est une réponse
naturelle à ce qui est ressenti comme un danger, avec un caractère d’urgence. Il est apparemment très difficile de s’en abstraire. En fait, ce n’est pas difficile mais cela réclame un
entrainement. Encore une fois, une intention souvent répétée devient une
seconde nature. Ici, l’intention est de trouver un espace de calme pleinement
conscient, et l’exercice qui le favorise est la méditation. Si vous méditez
régulièrement, vous constaterez que vous développerez une facilité à retrouver à
tout moment, et en particulier au réveil, cet état d’attention focalisé et
cependant spacieux qu’on appelle la pleine conscience. Vous réalisez alors que
les rêves sont encore présents, à peine voilés par l’esprit. Grâce à la
méditation, vous pouvez défusionner d'avec vos pensées même s’il y a du stress
derrière celles-ci : vous pouvez reconnaitre leur présence comme des
nuages passant dans le ciel et vous cachant les étoiles, et puis détourner
votre regard pour aller voir où le ciel est clair. Encore une fois, la
meilleure aide est le corps : si vous prêtez attention à ce que vous
sentez, à votre respiration, à comment vous vous sentez dans votre corps et à vos sentiments, vous dépotentialisez l’énergie des pensées qui dès lors se
dispersent. Encore une fois, cela réclame un entrainement, et le meilleur est
dans les techniques douces qui favorisent la conscience corporelle comme l’antigymnatisque,
le yoga, le tai-chi, etc.
Il reste que, malgré tous les efforts que nous pouvons faire, nous ne nous souvenons pas de tous nos rêves. Une explication
classique est que le sens porté par le rêve est encore trop profondément enfoui
dans l’inconscient pour nous parvenir, ne trouve pas encore assez d’énergie
pour se manifester en images imprégnant le conscient. Mieux : après avoir
mis au point toute une discipline de vie pour se souvenir de nos rêves avec la
méditation, le yoga et une alimentation idéale, et j’en passe des meilleures,
voilà qu’on ne se rend compte qu’il y a un dernier obstacle. C’est notre
volonté, la tension consciente que nous introduisons dans le processus. C’est
le paradoxe de l’inconscient : il veut devenir conscient et cependant il
fuit la lumière, il résiste à la conscience. La clé pour se souvenir de
ses rêves est de se détendre profondément et d’accepter qu’on se souvient des
rêves dont on doit se souvenir, et de laisser aller les autres. En bref, il s’agit
de remettre cela entre les mains de l’inconscient en lui faisant confiance et
en nous montrant simplement disponible et pleinement attentif à ce qu’il nous
amène. Si nous travaillons nos rêves de façon satisfaisante, la source nous en amènera d’autres,
ne serait-ce que pour nous aider à ajuster notre compréhension.
Or, en conclusion, il apparait que, le plus souvent,
quand quelqu’un demande comment se souvenir de ses rêves, cela va avec le fait
que la personne ne prête pas attention aux petites images qui lui viennent – on
voudrait n’avoir que des grands rêves, n’est-ce pas ? Cependant, les grands
rêves sont beaucoup plus difficiles à travailler et il faut généralement
commencer par écouter les tout petits rêves. En l’absence de rêve, il suffit de
prendre conscience du sentiment avec lequel nous nous réveillons, ou comme le
propose Johanne Hamel dans son livre « de l’autre côté du miroir » : quel
est le sentiment indéfinissable que nous laisse le rêve perdu ? Si vous
prenez simplement le temps de méditer avec ce sentiment indéfinissable, vous
réaliserez que la nuit informe le jour à chaque début de cycle avec la même
régularité que les vagues de l’océan qui viennent humidifier la plage. Mais
alors, vous prendrez aussi conscience qu’il n’y a pas de véritable séparation
entre la nuit et le jour, entre les rêves nocturnes et ce rêve dense que nous
appelons la réalité, mais seulement un mouvement subtil qui nous porte et nous éclaire, un souffle qui nous traverse.
Se souvenir de ses rêves. C'est pas compliqué et en même temps c'est pas simple. Il faut vouloir se souvenir de ses rêves.
RépondreEffacerOn rêve dans le sommeil paradoxal, entre le sommeil profond et l'état d'éveil. Si on se pratique, entre les deux, on SAIT qu'on .. vient de rêver. Alors il faut FAIRE L'EFFORT de se souvenir.
Mon truc est le suivant :: Je suis entre le rêve et l'état de veille et JE DÉCIDE de me souvenir. Je DÉCIDE de me souvenir des éléments importants du rêve (lieu, atmosphère, personnages, intrigue). Je fais un topo, une répétition.
Et quand je me réveille définitivement, je note.
Il faut vouloir se souvenir de ses rêves. Point barre.
Merci sl_point pour cette contribution. Le point clé est bien de décider de se souvenir de ses rêves, et en effet, c'est un effort conscient. Il reste que "il faut... point barre" est un peu court. Je ne mets pas en doute que lorsque des personnes m'interrogent sur comment se souvenir de leurs rêves, c'est qu'elles le veulent et décident de le faire, mais rencontrent là une frustration. Le tout est en effet de "se pratiquer", mais pratiquer quoi ? L’haltérophilie mentale ? Je cherche dans ce long message qu'il s'agit de pratiquer une sorte de discipline méditative...
RépondreEffacerQuel cadeau que ce blog!
RépondreEffacerPour une néophyte comme moi, j'y trouve que de la générosité de la part de Jean qui nous partages ses recherches, ses connaissance et ses expériences. Il nous offre une prise de conscience sur la richesse de vivre et comprendre ses rêves.
J'en veux encore! Mo
Merci cher Jean,
RépondreEffacerA la suite d'un rêve prémonitoire, ou plutôt porteur de message à l'intention d'une amie, j'ai commencé à noter mes rêves depuis une semaine, et voilà un bien bon support que ton article. Le simple fait de noter m'aide à me rappeler plus précisément des rêves au fur et à mesure que les jours passent. En effet, il faut pratiquer. Merci pour ce blog. Au plaisir de te lire et de te revoir.
Merci Fabien pour ce message. En effet, noter ses rêves aide à se les rappeler ! L'inconscient apprécie l'attention donnée aux rêves et ceux-ci s'en trouvent plus clairs au réveil. Et le fait de les noter renforce aussi la discipline de l'attention aux productions de l'inconscient. Au plaisir !
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