Cela devient un leitmotiv quand j'écris pour ce blogue : je commence par constater que cela fait bien longtemps que je n'ai pas pris la plume pour écrire ici. Bien sûr, vous êtes en droit de vous demander si "la voie du rêve" est encore vivante. Je vous assure que oui. Elle est même tellement vivante que je ne trouve pas le temps, et l'espace intérieur, pour mettre cette vie en mots. La vie, c'est bien connu, il faut la vivre d'abord, et éventuellement, on l'écrit ensuite... et pour l'instant, "la voie du rêve" (se) marche surtout en silence. Non pas un silence sec et mort mais un silence plein, habité. Comme je m'inquiétais un peu de ce que ce silence se prolonge, une bonne amie a éclaté de rire et m'a dit :
- Ce n'est pas comme s'il n'y avait rien à lire dans ton blogue, Jean !...
Certes. Il faudrait même que j'y mette un peu d'ordre, que je propose une carte pour s'y retrouver, rendre la navigation plus facile. Mais il y aussi ces amis bien intentionnés, experts en marketing, pour susurrer gentiment dans un coin de mon cerveau :
- Tu sais, un blogue où il n'y a pas de publication pendant plusieurs mois, c'est un blogue qui ne vit plus, que les lecteurs désertent...
Ce sont les mêmes qui, il y a quelques années, me disaient tout aussi gentiment :
- Tes articles sont bien trop longs. Tu devrais écrire des articles de 500 mots...
A l'époque, je m'étais insurgé. Cela m'avait permis d'affirmer : il y a assez de blogues de 500 mots qui s'en tiennent bien souvent à la surface des choses. Pour ma part, j'écris pour les personnes qui veulent aller plus loin, plus profond que ce que permettent 500 mots. J'avais alors remercié ces amis car ils me permettaient au fond de préciser ce qui constitue "ma couleur". Et j'avais ajouté : ne vous en faites pas, je persisterai et j'enfoncerai toujours le même clou. Parce que je ne suis pas là pour chercher comment je pourrais plaire au plus grand nombre pour lui vendre ma camelote. Parce que j'aime simplement écrire, et que je vais mon chemin...
Je me retrouve aujourd'hui dans une discussion, essentiellement intérieure, similaire. Pour nombre de mes collègues, et je ne leur jetterai pas la pierre, un blogue est surtout un élément dans une stratégie de mise en marché de leur produit. Dès lors, leur écriture est inféodée à des buts qui n'ont rien à voir avec l'écriture elle-même. Elle vise à vendre quelque chose. La communication devient moins l'art de dire ce qu'on a à dire que de le dire d'une façon telle que cela incitera la personne qui nous entend ou nous lit à acheter quelque chose. Et j'ai assez d'amis dans ces milieux pour savoir que bien souvent, cette logique mercantile ne rend pas heureux celles et ceux qui sont pris dedans, dans la pression permanente du "devoir vendre"...
Pour ma part, je fais le choix de n'écrire que quand cela me chante, c'est-à-dire quand j'en éprouve le besoin intérieur. C'est ma liberté, que j'affirme en face de l'ordre marchand. Non contre lui, car nous vivons de toute façon dans cet ordre marchand. Pour vivre de mon travail, j'ai besoin de vendre moi aussi : des consultations, des livres, des stages... Et comment échapper à ce paradoxe qui veut qu'ainsi, j'entretienne l'image de quelqu'un qui se tient un peu à la marge du supermarché spirituel, qui privilégie une certaine forme d'authenticité, et qu'ainsi, j'ai un filon aussi vendeur que les autres (rires) ? Mais je crois que nous devons veiller à ce que l'ordre marchand ne pervertisse pas notre rapport à ce que nous avons de plus précieux, qui est justement ce que nous avons à communiquer...
A communiquer, non à mettre en marché.
C'est parce que ce qu'ils aiment le plus et qu'ils cherchent à offrir au monde devient l'objet d'une mise en marché, sous la pression permanente de la recherche d'une rentabilité, que nombre de mes collègues ami.e.s finissent par être dégouté.e.s et épuisé.e.s par leur travail. Nous avons besoin, j'en suis convaincu, de garder une certaine dimension de gratuité et finalement de liberté par rapport à l'ordre marchand dans lequel nous vivons, sinon nous finissons par devenir nous-mêmes des marchandises. C'est un rêve qui, il y a bien longtemps déjà, m'avait alerté sur ce danger. A l'époque, je me lançais en tant que tout jeune analyste de rêves et je désespérais un peu car je constatais que j'aurai bien du mal à nourrir ma petite famille avec ce travail. Je réfléchissais aux moyens de mieux rentabiliser mon temps de travail et publiciser ce dernier. Et puis j'ai rêvé :
Je suis dans une cheminée obscure et je grimpe. J'aperçois un peu de lumière en haut. Je vais y arriver. Cependant, alors que je grimpe, j'ai la sensation que mon pied s'appuie sur quelque chose de mou. Alors je regarde sur quoi je prends appui et je vois alors que ma botte écrase le visage d'une femme que je reconnais immédiatement. C'est la femme qui illustre la carte Harmony du Tarot d'Osho. Je me réveille angoissé.
Ce rêve a été une grande leçon pour moi. Il m'a montré qu'en aucun cas, je ne pourrai "marcher sur la figure" de mon anima, écraser ma propre sensibilité, pour parvenir à mes fins. Il m'a alors enseigné la nécessité de toujours conserver une dimension de gratuité, de don et de liberté dans mon travail avec les rêves. Et c'est ce que je fais encore aujourd'hui de différentes façons, et en particulier en n'écrivant que par nécessité intérieure. Toute autre attitude consisterait en finalement prostituer mon anima...
Dans ce silence que j'observe depuis plusieurs mois, il y a aussi un besoin de retrait devant les polémiques qui agitent notre monde. Je m'accorde un temps de réflexion en profondeur et le silence me semble bien souvent la seule réponse possible devant la situation collective que nous vivons, au risque sinon de tomber dans l'ultracrépidarianisme, c'est-à-dire l'art fort répandu ces temps-ci de donner son avis sur des sujets sur lesquels on n'est pas compétent. C'est Etienne Klein qui a élargi mon vocabulaire en me suggérant d'y ajouter ce mot - ultracrépidarianisme - qui sied fort bien dans les conversations de salon, et permet de clore élégamment nombre de discussions qui ne mènent nulle part. Mais c'est encore un rêve qui m'a suggéré le plus clairement l'attitude à avoir devant l'évolution actuelle de notre monde. Le rêveur qui me l'a partagé me disait au début de notre rencontre qu'il avait été frappé par le fait que, quelques jours auparavant, j'avais annoncé à mes amis Facebook que je me mettais en retrait. Cela l'avait interpellé, et voici ce qu'il a alors rêvé :
Je suis à l'entrée d'une grotte avec une rivière souterraine, et de l'eau à l'entrée de la grotte. Il y a un passage à gauche qui permet d'y entrer et j'y vais, puis je me retrouve à marcher dans l'eau, d'abord peu profonde puis plus profonde. Il parait naturel d'y aller. Le débit se fait plus fort et bientôt, je suis obligé de m'immerger, puis de nager emporté par le courant. Enfin, je sors de la grotte de l'autre côté et je constate qu'il y a là un petit lac avec des rondins de bois qui flottent, et une rivière tumultueuse qui part vers la droite. Une amie est là aussi. Je saute d'un rondin à l'autre pour rejoindre la berge qui est ensoleillée, me semble paisible et lumineuse. L'amie est à l'embranchement entre le lac et la rivière. Elle semble agitée. Je lui demande si elle a besoin d'aide et elle répond, sur le ton d'une leçon :
- On peut faire des choses faciles comme rejoindre la berge ou plonger dans le tumulte de la vie...
Je lui réponds :
- Tu choisis la voie de David Guetta ? Mais que serait la vie si l'on choisissait la voie de Mozart ?
Nous avons exploré ce rêve en écoute intérieure, c'est-à-dire en revisitant le rêve en imagination pour déceler les émotions et sentiments encapsulés par chaque image. Au début du rêve, il est clair que le rêveur est invité à une exploration d'une dimension de l'inconscient qui se révèle un peu dangereuse, soulève de la peur. Il y a cependant une profonde jubilation et un soulagement à y aller, car cela fait longtemps qu'il est appelé à entrer dans ce flux que lui présente le rêve. Surgit alors l'image tout à fait archétypique du soleil qui est régénéré par la traversée de l'obscurité. C'est donc clairement à une initiation auquel le rêveur est convié en s'engageant dans ce passage...
La suite du rêve s'éclaire quand il apparait que l'amie du rêveur est très engagée politiquement et déterminée à se battre. Pour elle, quand le rêveur va ressentir de l'intérieur ce qu'elle exprime, il est clair que la vie est un combat et qu'elle a pour mission de changer le monde. Le fait que le rêveur choisisse d'aller sur la berge lui donne le sentiment qu'il abandonne le combat, qu'il est perdu pour la cause et qu'il est lâche. Cependant, le choix se pose donc finalement pour le rêveur entre la vie selon David Guetta, c'est-à-dire dans un staccato mécanique qui n'a pas d'enracinement dans le cœur, ou la vie selon Mozart, dans une musique universelle qui connecte au divin en trois notes, selon les mots mêmes du rêveur. La musique est une expression intime du sentiment. Du point de l'inconscient, l'attitude juste consiste donc en se mettre à l'écart du tumulte pour aller sur la berge paisible et ensoleillée où il pourra goûter la divine musique. Ce sont la paix et la beauté qui changeront le monde.
J'aurais pu appeler cet article "la voie de Mozart" et rester simplement sur ces derniers mots, qui font écho à ce que disait Dostoïevsky :
« La beauté sauvera le monde. »
Ce rêve, même si ce n'est pas moi qui l'ait rêvé, - mais quand on entend un rêve, il devient "notre" rêve car on le rêve à nouveau - m'a profondément impacté. J'ai souri de l'aller-retour avec le rêveur qui est venu me voir troublé par la position que je prenais de retrait devant les événements, et qui a son tour a alimenté mon évolution intérieure vers une position plus assumée et consciente à camper sur la berge ensoleillée au lieu de me perdre dans le tumulte du monde. C'est le privilège de l'analyste de rêves de bénéficier non seulement de la guidance de ses propres rêves, mais aussi de ce qu'éveillent les rêves qu'il entend...
Je ne vous cacherai pas que j'entends aussi ces derniers temps d'autres rêves qui me donnent à penser que nous allons vers des temps difficiles, dans lesquels il faudra se positionner très clairement sur le plan intérieur. En voici deux qui parlent pour ainsi dire d'eux-mêmes :
La rêveuse arrive dans une clairière où elle ramasse une grande plume d’aigle contenant 7 étoiles argentées. Elle se dirige ensuite vers un pommier. Dans la clairière, il y a des hommes en toges blanches qui semblent faire un rituel. La vision de la rêveuse se dédouble et elle voit d'une part des gens étouffer dans une ville grise, et d'autre part, la cérémonie tenue par les hommes en blanc. Après avoir ramassé la plume aux 7 étoiles, elle se dirige vers le pommier (soleil couchant) et cueille une pomme rouge en s’adressant à la personne à ses côtés : « est-ce vraiment bientôt la fin ? »
On peut reconnaître là un ensemble de symbole archétypiques : la plume d'aigle évoque un lien à l'Esprit renforcé par les 7 étoiles argentées. Le 7 est un chiffre qui indique souvent la complétion d'un cycle temporel, comme par exemple dans les 7 jours de la semaines. Le soleil couchant est un autre élément évoquant une fin de cycle. La pomme symbolise volontiers la connaissance essentielle. La rêveuse semble placée elle aussi devant un choix, ou du moins invitée à prendre conscience de la dualité entre un monde où les gens étouffent, ne serait-ce que spirituellement, et un espace où se perpétue l'ancienne tradition. Les hommes en blanc semblent évoquer la tradition celte des druides qui célébraient des rituels autour des pommiers - cet arbre était considéré comme une des 7 essences consacrées, avec le gui, le noisetier, le chêne, etc. Mais les soufis, les esséniens, et bien d'autres lignées spirituelles sont représentées par des hommes en blanc, et on peut penser que le rêve parle donc simplement de la tradition spirituelle cachée, qui se perpétue au travers des siècles...
La question finale, bien sûr, est glaçante et nous pouvons tou.te.s nous la poser. Il est frappant de voir comment nous pouvons collectivement nous démener pour relancer la machine économique ralentie momentanément par la pandémie, alors que cette même machine va sans doute nous précipiter dans une catastrophe écologique bien plus meurtrière. Mais voilà donc que je risque de me faire taxer d'ultracrépidarianisme. Je m'en tiendrai donc aux rêves, qui semblent indiquer que nous approchons d'un tournant. En voici un autre qui m'a particulièrement saisi :
La rêveuse est dans un désert vert et dorée qui lui fait penser à la Mongolie. Elle voit un général suivie d'une armée avancer, passer devant elle. C'est l'armée des ombres, qui va se déverser sur terre. Les morts arrivent...
Quand elle me raconte son rêve, elle me dit penser à l'armée des morts que mobilise Aragorn dans le Seigneur des Anneaux pour stopper l'invasion des orcs. Elle n'a pas peur, elle est simplement témoin de quelque chose qui semble inéluctable.
Une partie plus personnelle du rêve, que je ne raconterai pas ici, m'a fait penser au terrible poème de William Butler Yeats "le second avènement" (que j'ai déjà cité ici) qui, dès 1919, présageait des années noires qui approchaient :
Tournant, tournant dans un cercle toujours plus large,
Le faucon ne peut plus entendre le fauconnier.
Tout se disloque. Le centre ne peut tenir.
L'anarchie se déchaîne sur le monde
Comme une mer noircie de sang : partout
On noie les saints élans de l'innocence.
Les meilleurs ne croient plus à rien, les pires
Se gonflent de l'ardeur des passions mauvaises.
Sûrement quelque révélation approche ;
Sûrement le second avènement approche.
Le second avènement ! À peine ces mots dits
Qu’une énorme image issue du Spiritus Mundi
Me trouble le regard : quelque part dans les sables du désert,
Une forme au corps léonin et à la tête d’un homme,
Une fixité aussi terne et sans pitié que le soleil,
Remue ses cuisses lentes, tandis que tout autour
Tournoient les ombres d’oiseaux indignés du désert.
La noirceur tombe à nouveau, mais maintenant je sais
Que vingt siècles de sommeil pierreux
Furent vexés en cauchemar par un berceau,
Et son heure enfin revenue, quelle bête rugueuse
Erre-t-elle vers Bethléem pour naître ?
« Les meilleurs ne croient plus à rien, les pires se gonflent de l'ardeur des passions mauvaises » - c'est me semble-t-il ce que l'on peut observer sur les réseaux sociaux. Mais on peut espérer, comme nous le laisse entendre le poème, que la noirceur qui s'étend sur le monde présage d'une renaissance... et la musique de Mozart pourrait bien favoriser cette issue. C'est ce que je nous souhaite, en tous cas.
* * *
Je suis resté en silence tous ces derniers mois, et cependant, je n'ai pas arrêté de parler. C'est un des paradoxes de mon existence. Voici quelques liens pour prolonger cet article et combler le silence jusqu'au prochain :
- Dans une vidéo enregistrée sur Youtube intitulée "demain la paix", je parle d'un rêve que j'ai reçu il y a déjà quelques années et qui donne des indications sur la façon de traverser la crise que nous vivons : demain la paix.
- J'adore lire de la poésie à haute voix. J'ai enregistré un texte de Christian Bobin, "le Christ aux coquelicots", que vous pouvez écouter sur Youtube ou en format audio mp3.
- J'ai aussi enregistré un texte zen essentiel, le Hsin Sin Ming, ce que l'on peut traduire comme "l'écrit sur l'esprit de la confiance sereine", que vous pouvez écouter sur Youtube ou en audio mp3.
- J'ai donné un cours de psychologie des profondeurs (Jung) et d'interprétation des rêves en 10 séances de 3 heures chacune. La partie théorique a été enregistrée en audio mp3. Vous pouvez écouter ici la présentation d'introduction et le premier cours : grandeur et déclin du rêve, et vous pouvez acheter l'ensemble du cours (16 heures d'enregistrement et un ensemble de documents de support du cours) ici : cours d'interprétation.
Enfin, j'ai le plaisir d'annoncer que je reprendrai bientôt mes ateliers en présentiel. Je donnerai du 30 août (soir) au 5 septembre un stage résidentiel à Aniane (Hérault) sur les approches des rêves qui emmènent au-delà de l'interprétation. Pour plus d'information, voyez le flyer du stage "rêves, ailes de l'âme".