Paule Lebrun, in loving memory |
Dans les mois précédant son décès, Paule Lebrun m’a demandé de mettre en place une école de mystère au sein de l’organisme qu’elle avait créé, Ho Rites de Passage. Dans l’esprit de Paule, du moins tel que j’ai compris sa demande, il s’agissait de compléter la formation en pratiques rituelles qu’elle avait mise en place par une autre formation qui donnerait accès à ce dont le travail rituel n’est que la couverture extérieure. Nous l’envisagions comme une sorte de « maîtrise » qui serait proposée aux étudiants ayant fait le premier niveau de formation. J’ai alors intensément réfléchi à sa demande, m’interrogeant sur ce que pourrait être une école de mystère contemporaine, et j’ai formulé une proposition en l’étayant avec un texte intitulé « Fondements pour une école de mystère» que je vais rendre disponible dans un prochain article (mais si vous êtes pressés, vous pouvez le lire ici : fondements). Mais, pour différentes raisons circonstancielles, et tout simplement parce que ni les temps, ni moi-même, n’étions mûrs pour porter une telle proposition, celle-ci n’a pas abouti.
J’ai discuté de ce projet avec différentes personnes, et j’ai retenu en particulier l’avis d’une de mes enseignantes, qui animait elle-même une retraite méditative dont la pratique pointe directement vers le mystère dont il est question ici. Elle m’invitait à prendre garde à ne pas me charger de l’héritage de l’inaccompli dans la vie d’une personne qui s’apprêtait à partir, aussi chère me soit-elle, car cela pourrait être de nature à m’empêcher de vivre ma vie. Alors, je suis allé vivre celle-ci…
Mais voilà que quelques années après le décès de Paule et mon retour en Europe, qui ont été concomitants, la question de la transmission m’a rattrapé. Plusieurs personnes m’ont demandé au début de 2020 quand je mettrai en place une formation pour transmettre les techniques de travail avec les rêves que j’ai apprises et élaborées. Une amie chère m’a proposé comme objectif commun la mise en place d’une école de mystère dans la prochaine décennie. Un autre ami, parmi les personnes les plus qualifiées que je connaisse peut-être pour enseigner l’approche des mystères, m’a invité à réfléchir avec lui à la mise en place d’une telle école. Je me suis senti gentiment cerné, et ce d’autant plus qu’au cours du confinement, j’ai eu le temps de rêver et d’imaginer quelle forme cette aventure pourrait prendre. J’ai commencé à en poser quelques jalons, ne serait-ce que dans le monde imaginal, mais il demeurait un certain nombre de questions avec lesquelles je suis allé marcher en montagne cet été. Ce sont ces questions, et les réponses qui ont commencé à en émerger comme le papillon du cocon, que je veux vous partager ici.
Stèle des Mystères d'Eleusis |
Tout d’abord, il convient de préciser de quoi nous parlons quand il est question d’école de mystère. Disons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une école, du moins tel qu’on l’entend habituellement, avec un cursus, des matières obligatoires et d’autres optionnelles, des examens et une diplomation. Ce n’est rien qui ressemble à une université, ou un lieu où est transmis un savoir que l’on peut mettre en mots, dans un livre ou dans un cours. C’est pour cela qu’on parle de mystère. La définition lapidaire que j’avais formulée en réponse à la demande de Paule, c’est qu’une école de mystère est une école dont le but est d’initier au Mystère d’Être. Je ne développerai pas cette idée pour l’instant, me contentant simplement dans l’immédiat de faire remarquer qu’il est question d’initiation – j’y reviendrai plus loin. Je poursuivais la réflexion en disant :
« Le modèle archétypique de la démarche initiatique de l’École de Mystère est donné dans notre culture par la célébration du Mystère d’Éleusis. Il s’agit d’une descente dans les profondeurs obscures où l’initié(e) meure littéralement à son ancienne personnalité au contact de Perséphone pour renaître au lever du soleil avec un épi de blé symbolisant son alliance renouvelée avec Déméter, et sa connaissance de l’Éternité vivante. À la différence des écoles initiatiques ésotériques qui mettent l’accent sur la discipline et l’effort, le Mystère a une dimension proprement féminine qui préside au mystère de la mort et de la (re)naissance, symbolisée ici par la Reine des Enfers et la Terre Mère. »
Parmi les images archétypiques qui évoquent cette initiation, il y a aussi celle de la crucifixion qui permet à l’initié(e) de triompher de la mort, et celle du démembrement dont émerge, renouvelé, un chaman. Jung a beaucoup élaboré autour de la crucifixion comme symbole de l’identification aux opposés dont émerge la totalité que nous appelons le Soi. Le démembrement est une image typique des cultures chamaniques, symbole du démantèlement de l’ancienne personnalité dont émerge une nouvelle relation à la réalité. Il n’y a que les ignorants pour dresser des murs entre ces différentes façons de parler du mystère de la transformation de l’être humain, d’une conscience restreinte au petit « moi » à une conscience plus vaste, embrassant le Soi.
Un dénominateur commun à ces approches du mystère est qu’il est toujours question de la mort, ne serait-ce que symbolique, comme porte d’entrée d’une immensité océanique. Tant qu’on veut croire que la Lumière est seulement douce et gentille, prodigue seulement en caresses, on n’est pas prêt(e) à risquer cette aventure car on veut rester en enfance, on attend du Divin qu’il se comporte comme un bon père ou une bonne mère. Or la Lumière tue et vivifie, disaient déjà les anciens alchimistes, soulignant par-là la nature paradoxale du processus. Celui-ci n’est pas sans rappeler la mise à mort de la chenille par les « cellules imaginatives » qui constitueront le papillon, et se nourrissent du cadavre de cette dernière. Il n’y a rien de romantique là. On voit régulièrement de telles images, par exemple de démembrement, resurgir dans les rêves de personnes qui ignorent tout de ces processus de mort-renaissance. On retrouve là ce qu’écrivait Joseph Campbell :
« Pour finir, il faut que vienne le psychanalyste qui réaffirmera la sagesse éprouvée des anciens enseignements prospectifs que dispensaient les danseurs masqués exorciseurs et les sorciers guérisseurs. Nous découvrons alors que l’ancien symbolisme initiatique est créé spontanément par le patient lui-même au moment où il le permet. Apparemment, ces images ont quelque chose de si nécessaire à la psyché que si le monde extérieur ne les apporte pas, par l’entremise du mythe et du rituel, il faut qu’elles soient retrouvées au travers du rêve, de l’intérieur, faute de quoi nos énergies resteraient enfermées dans une banale et anachronique chambre d’enfant au profond de la mère ».
Osho |
Dans l’esprit de Paule Lebrun, l’école de mystère était centrée sur un maître, à l’image de ce qu’elle avait connu en Inde auprès d’Osho. Mais pour ma part, je crois que ce modèle est révolu et qu’il s’agit de développer désormais une nouvelle pédagogie du mystère, qui reste à inventer. Celle-ci doit tenir compte de l’exigence d’individuation qui fait que chaque chemin est strictement unique, et de la nécessité de l’émergence d’une nouvelle conscience collective qui caractérise l’Ère du Verseau. Mais surtout, elle doit s’ancrer dans le fait que c’est le Mystère lui-même, ou en termes jungiens le Soi, qui initie l’impétrant de l’intérieur…
Ce sont là à peu près les éléments de base avec lesquels je suis parti marcher dans la montagne pour explorer quelques questions qui me taraudaient. La première se formulait ainsi :
Que transmettre ?
C’est-à-dire d’abord : qu’ai-je reçu, qui vaille la peine d’être transmis ?
La réponse, après avoir bien transpiré en grimpant sur quelques sommets ensoleillés, est devenue évidente. D’abord disons-le : je ne suis pas intéressé à transmettre des techniques, des méthodes qui ne font jamais que dessécher le sujet, ni même des théories, un prétendu savoir qui n’épuise jamais, précisément, le mystère. Pour cela, il y a des livres que les étudiants peuvent lire, et quantité d’enseignants, d’écoles, qui étanchent la soif d’informations mais ne donnent pas à boire de cette eau qui, quand on la boit, ôte toute soif. Au fond, la seule chose qui vaille d’être transmise, c’est ce que Paule appelait le Cadeau. Elle l’avait reçu d’Osho, et pour ma part, je l’ai reçu de Paule, mais aussi de ses complices Ma Premo et Chandra Kala... et surtout de Richard Moss, que je considère comme mon maître spirituel. Lui-même l’a reçu d’un papillon noir...
Qu’est-ce que le Cadeau ?
C’est difficile à dire. Vaut pour le Cadeau, comme pour toutes les réalités existentielles importantes comme l’amour, la vie, etc... ce que Saint-Augustin disait du temps : « tant que l’on ne m’interroge pas sur ce qu’est le temps, je sais très bien ce que c’est, mais si l’on m’interroge, je ne le sais plus. »
Le cadeau est insaisissable par le mental. Mais essayons tout de même d’en dire quelque chose. D’abord, remarquons la dimension de gratuité qui est attachée à la notion de cadeau. Cela ne s’achète pas, un cadeau. C’est un don. On ne peut pas dire ce qu’est le Cadeau mais on peut en décrire les effets : une liberté, une joie, une paix intérieure avec ce qui est, ce qui a été, ce qui sera…
Une unité intérieure.
Une connexion à l’essentiel, à la dimension créatrice de l’Être, à l’Ouvert…
L’Évangile de Thomas dit merveilleusement de quoi il est question :
« S’ils vous demandent : quel est le signe du Père qui est en vous ? Dites-leur : c’est un mouvement et un repos. »
Un mouvement et un repos... |
Yvan Amar a fort bien éclairé ce sujet en montrant que ce qu’on appelle communément les Dix Commandements ne sont des commandements que pour l’esprit qui veut être commandé, mais pour les esprits libres, ce sont des indicateurs qui peuvent se comprendre ainsi, dans ma formulation :
Quand on a reçu le Cadeau, on aime l’Éternel, son Dieu, que l’on reconnaît dans tous les dieux. On honore ses parents, quoi qu’ils aient fait, qui qu’ils aient été. On ne vole plus car nul ne peut rien s’approprier. On ne tue pas car la vie est sacrée. On ne convoite pas la femme de son voisin car on est un avec son voisin, et avec sa femme... Etc.
Voilà ce qu’en disait Paule dans une interview donné au magazine Vivre :
« J’ai actuellement un sentiment d’achèvement. Je me suis inscrite dans plus grand que moi et c’est dans ce plus grand que moi que j’ai trouvé une force. Ce changement de perception m’a amené beaucoup de joie. »
« J’ai été quelques années en Inde dans une école de mystère qui a chambardé ma conception de l’existence, m’a mise au monde une seconde fois et a allumé une flamme dans mon cœur. J’y ai reçu un grand cadeau que je formulerais ainsi :
La vie n’est pas un problème à résoudre mais un mystère à vivre.
Mine de rien, on se retrouve devant un changement radical de perspectives, surtout pour moi qui venait du monde de la psychologie. J’ai pour ainsi dire basculé personnellement dans ce paradigme là. J’avance dans ce mystère. »
Paule formule ici deux éléments importants qui permettent de mieux saisir la nature du Cadeau.
Elle évoque l’inscription dans plus grand que soi, et par là ce qui constitue sans doute notre plus grand besoin existentiel. C’est l’inscription dans plus grand que soi qui donne un sens à l’existence – un sens qui ne tient pas dans une explication de l’existence, qui demeure un mystère, mais comme le disait Jung, dans la conscience qu’a la main d’être reliée au corps. Par cette inscription dans plus grand que soi, la séparation est abolie car la main sait bien qu’elle n’est rien si elle s’imagine coupée du corps. Avec la fin de la séparation vient la fin du conflit permanent avec soi-même et le monde, ainsi que la réconciliation avec ce qui est, avec notre destinée – quelle qu’elle soit.
C’est la seule guérison véritable.
Et puis elle souligne qu’il s’agit d’une seconde naissance. Ce qui n’est pas sans évoquer en filigrane que pour renaître, il a fallu mourir – l’ancienne personnalité accrochée à ses breloques a du mourir. Un des signes les plus certains de ce qu’on a reçu le Cadeau est d’ailleurs dans la façon de mourir, quand la mort physique se présente. Tous ceux qui ont côtoyé Paule dans sa dernière année de vie peuvent en témoigner : elle marchait son enseignement. Elle savait intimement qu’elle était autre chose que ce corps physique en train de mourir, et sa liberté nous irradiait…
On pourrait dire enfin du Cadeau, en jouant avec les mots, que c’est le Présent. Un présent, c’est en effet un cadeau, mais le présent, c’est tout ce que nous avons en réalité. C’est ce qui est. Quand on a reçu le Cadeau, on ne chiale plus sur les circonstances de l’existence car tout, finalement, fait partie du Cadeau. On est en accord intime avec soi-même, avec la Vie, parce qu’il est évident que nous ne sommes autres que la Vie, ou pour le dire autrement, que la Vie nous est – et que cette forme que la Vie adopte en nous, dans l’instant présent, n’est que temporaire, se dissoudra… mais la Vie continuera.
Toutes ces considérations peuvent sembler bien abstraites à qui les examine sans les vivre, et c’est ce qui, marchant dans la montagne, m’a obligé à faire un pas de plus dans la direction de la transmission à laquelle m’invitait Paule. Tout d’abord, je me dois de revendiquer d’avoir reçu le Cadeau. C’est une responsabilité à laquelle je ne peux me dérober. Responsabilité envers Paule…
Un rêve, récemment, me pointait cette nécessité. Dans celui-ci, j’étais dans la mer tout habillé au milieu d’autres gens, eux aussi habillés, et je parlais avec Marie-Lise Labonté. Outre que son nom évoque la bonté qui est au cœur de toute chose, ce qui fait que la vie est bonne... il faut vous dire que mon mentor de rêves, Nicolas Bornemisza, et Marie-Lise travaillent ensemble de longue date et ont élaboré ensemble une méthode de guérison par le travail avec les images intérieures. Marie-Lise représente donc pour moi le féminin, de nature très spirituelle, de ce travail avec les profondeurs auxquels introduisent les rêves, et elle y ajoute d’ailleurs la dimension du corps et une remarquable intuition. Or elle me disait dans le rêve qu’elle avait décidé de dissiper le flou qui entourait son travail, ce qui me réjouissait grandement. En méditant ce rêve, j’ai bien compris que l’anima me faisait obligation de dissiper le flou dans lequel moi-même je dissimule la nature spirituelle de mon travail. J’étais au beau milieu d’un stage intensif dans lequel j’assemblais toutes les pièces du puzzle – le travail des rêves, la méditation, le corps, … – et il était clair que je ne pouvais plus échapper à la nécessité de montrer l’image qui émergeait de ce puzzle assemblé. Mais si je puis et je dois dire que j’ai reçu le Cadeau, cela ne veut pas dire que je sois arrivé où que ce soit. On reçoit le Cadeau, mais encore faut-il le déballer… et cela prend une vie. Yvan Amar exprimait cela fort bien en disant que ce n’était pas l’Éveil qui était difficile à atteindre, mais c’est l’incarnation de l’Éveil qui est difficile, le véritable défi.
J’ai donc bien reçu le Cadeau – merci ! Merci… – mais j’en suis encore à le déballer. Et la question de la transmission fait partie justement du papier cadeau...
Le Sigmarillion |
Quant à la nature du Cadeau que j’ai reçu, car il a toujours une couleur personnelle, il y a deux rêves en particulier que j’ai déjà exposé dans ce blogue qui la mettent en évidence. Il s’agit en premier lieu du rêve des oiseaux de feu, où j’entrevoyais l’oiseau merveilleux des contes mais désespérais car j’étais le seul à le voir. Dans le second rêve, je trouvais « le cœur de la montagne », un appartement où j’étais chez moi dans la nature, et je me confrontais à un homme en cravate qui riait des légendes amérindiennes évoquant cet endroit. Dans l’un et l’autre cas, je n’étais pas encore prêt à assumer la solitude qui va avec le Cadeau. Or le rêve avec Marie-Lise Labonté se terminait avec le fait que je rentrais seul chez moi. Ma relation à la solitude existentielle a changé depuis les rêves que je rappelais et c’est ce qui me permet d’assumer d’avoir reçu le Cadeau. C’est une charge en réalité car il me faut maintenant le transmettre. En effet, comme le dit l’Évangile de Thomas :
« Nul n’allume une lampe pour la mettre sous le boisseau. »
Mais ce n’est pas moi en réalité qui porte la charge. C’est le Soi, car la transmission n’a de sens qu’en s’inscrivant encore une fois dans la relation avec ce qui est plus grand que soi. Mieux, c’est à partir d’un certain point la meilleure façon de continuer à apprendre que de transmettre. Non seulement faut-il vider sa tasse pour qu’elle soit à nouveau remplie, mais il est bien connu qu’on enseigne jamais que ce que l’on a besoin d’apprendre. A chaque fois que je donne un stage, les questions des participant.e.s me font approfondir la matière. Si charge il y a, elle n’est donc pas un fardeau mais plutôt de l’ordre de la responsabilité. Et finalement, c’est un privilège que de transmettre ce qui nous est le plus cher, ce qui nous semble être de la plus haute valeur…
Comme me l’a souligné ma compagne, avec qui je marchais dans la montagne, quand je lui ai partagé ces réflexions : que transmettre d’autre que la joie et la légèreté ?
Une autre question redoutable avec laquelle je suis allé marcher en montagne me faisait simplement me demander en quoi j’étais qualifié pour essayer de transmettre le Cadeau. Ce qui me préoccupait là n’est pas tant le problème de l’égo qui se pète les bretelles avec n’importe quoi, de toute façon, car la vie, quand il s’agit du Cadeau, nous ramène toujours au fait qu’on ne sait rien, on ne possède rien, on n’est rien. Et on peut toujours rire de l’égo, de ses prétentions. Mais dans le fond, il s’agit surtout là de relever le défi du retour dont parle Joseph Cambell dans son analyse du monomythe du héros : in fine, le véritable challenge n’est pas vraiment d’aller chercher le trésor caché, même si cela implique de triompher de quelques dragons qui jouent bien leurs rôles d’épouvantails. La véritable difficulté, devant laquelle beaucoup ont reculé – car pourquoi troubler sa paix avec des gens qui, quoi qu’ils en disent, ne veulent rien entendre (ce que Jodorowsky formule en disant que la thérapie consiste en se battre avec son client pour l’amener là où il a réclamé d’aller) – est d’incarner l’enseignement reçu, de ramener le Cadeau à la communauté que l’on a dû quitter pour aller le chercher.
C’est un rêve, encore, qui m’a donné la réponse la plus profonde à cette question. Je l’ai reçu en décembre 2018, dans les mois qui ont suivi mon retour en France. J’y voyais une grande flamme sous cloche, et à côté de celle-ci, une petite flamme jaillissait. Gordon – le compagnon de Paule – se réjouissait en disant : « ça y est ! Elle est repartie ! ». Je me retrouvais avec cette flamme dans les mains, que je tenais devant moi, et j’allais la porter dans un cercle de gens qui se trouvaient dans l’obscurité.
Ce rêve n’appelle pas grand commentaire. Disons que j’ai reçu mon ordre de mission par ce rêve, et ma feuille de route. Il prend tout son sens quand on se souvient que Paule signait ses emails avec une devise :
Keep the flame alive !
Gardez la flamme vivante !
Le fait que la grande flamme soit sous cloche signale qu’elle a besoin d’être préservée, protégée, et c’est ce que fait Ho Rites de Passages. Je me retrouve avec une petite flamme entre les mains, et celle-ci n’ôte rien à la grande flamme. C’est simplement la flamme qui essaime, et me fait obligation de faire le nécessaire pour qu’elle demeure vivante. Ainsi, nous sommes nombreux et nombreuses à avoir été allumé.e.s par Paule et il apparaît qu’il est temps que la flamme essaime entre les mains de toutes celles et de tous ceux qui peuvent la porter. Cela répond à un besoin d’époque, qui rejoint la préoccupation de Paule de semer les germes pour un ré-enchantement du monde. Une autre façon de le formuler, c’est la nécessité collective dans laquelle nous sommes, remarquablement bien exposée par Charles Eisenstein dans « Notre cœur sait qu’un monde plus beau est possible », de sortir de la vieille histoire de la séparation.
Un cadeau à lire... |
La responsabilité qu’implique le fait d’avoir reçu le Cadeau, et de devoir dès lors le transmettre, a été dès lors éclairée sous un nouveau jour. Il ne s’agit pas seulement d’honorer mes maîtres et de leur témoigner ma gratitude. C’est aussi par là que je trouve la réponse au questionnement qui m’a amené à m’éloigner des réseaux sociaux au début de l’été : comment contribuer au monde sans ajouter à la confusion ambiante en y amenant notre agitation intérieure ? Comment s’ancrer dans la paix, la joie et l’amour, pour faire face aux défis de la transition collective que nous traversons tou.te.s ensemble ? Dans cet espace se rencontrent le militant et le méditant… et cela prend d’autant plus de sens qu’il semble, au vu de nombreux indices, que notre civilisation sinon notre planète soient appelées à vivre une grande initiation collective, une mort-renaissance. Dès lors, il y a urgence à répandre cette paix et cette joie qui entourent le Cadeau. Saurons-nous faire de cette fin d’un monde une opportunité spirituelle ?
Ce qui m’amène à la dernière question avec laquelle j’ai marché dans la montagne, et qui était :
Comment transmettre le Cadeau ?
Pour moi, il y a là une évidence. Cela ne peut être que par le vécu expérientiel partagé (les concepts viennent après), et ce vécu, en ce qui me concerne, c’est comment la Source de toute sagesse nous guide au travers des rêves et des synchronicités. Comme le formule le zen depuis longtemps, ce n’est pas une question de méthode ou de technique, mais cela se transmet seulement d’âme à âme, I shin den shin. Cela passe par une relation interpersonnelle qui accompagne une recherche intense, complètement individuelle. C’est l’Évangile de Thomas encore qui décrit le mieux le processus :
« Que celui qui cherche ne cesse de chercher
Quand il aura trouvé, il sera bouleversé.
Étant bouleversé, il sera émerveillé
Et il régnera sur le Tout. »
Pour accompagner la recherche, il faut aussi des pratiques. Il est bien connu que « l’illumination est un accident et la pratique renforce les chances d’avoir un accident ». Osho lui-même racontait qu’il s’était éveillé en tombant d’un arbre, et que par conséquent, il ne pouvait pas transmettre l’illumination. Il pouvait seulement reconnaître qui la vivait, et qui ne la vivait pas encore. Il y a beaucoup de pratiques radicales – au sens de « qui vont à la racine » – de méditation et d’investigation fondamentales qui peuvent favoriser la réception du Cadeau. L’erreur commune est de croire qu’il pourrait y avoir là une relation de cause à effet, et que telle ou telle pratique confère automatiquement le Cadeau. Tout au plus, une bonne pratique nous rend-elle réceptif, disponible… pour recevoir l’Invité. Mais s’il est donc une chose que l’on peut transmettre, c’est la pratique, et l’esprit dans lequel faire la pratique pour qu’elle ouvre une brèche dans nos défenses. Car finalement, le Cadeau est toujours là, et c’est nous qui nous en défendons, qui ne voulons pas le voir, le recevoir.
J’ai donc le plaisir de vous annoncer en conclusion de mes promenades en montagne que je vais mettre en place dans les prochains mois une formation qui sera complètement individualisée (si vous voulez en savoir plus, contactez-moi), dans laquelle je demanderai essentiellement aux étudiant.e.s de travailler une question existentielle avec le support des rêves et de la méditation. Ils recevront pour cela un accompagnement par l’écoute des rêves et la méditation, ainsi qu’un étayage théorique de la démarche et le support de la communauté de chercheurs qui s’engageront dans celle-ci avec moi. Il y aura des pratiques radicales et des ateliers qui seront proposés à la carte, bien sûr, mais cette dernière sera ouverte à toutes sortes de propositions, même extérieures à l’équipe que j’envisage de constituer pour accompagner la recherche des étudiant.e.s...
Car finalement, à notre époque, une école de mystère digne de ce nom ne saurait être centrée sur un enseignant, une méthode, une approche particulière… mais est une aventure collective, émergeant d’une communauté. C’est cette communauté de pratiques qu’il nous faut bâtir, dans l’ouverture à toutes les visions nourrissant la foi dans la bonté de la Vie, pour traverser les temps que nous vivons., Ce que nous avons en commun, ce qui nourrit la communauté issue de Paule et de beaucoup d’autres enseignant.e.s, sans exclusive d’approches ou d’horizons spirituels, ce qui finalement enseigne et transforme celles et ceux qui cherchent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé, c’est-à-dire qu’ils deviennent eux-mêmes le Cadeau, c’est cette flamme que Paule nous enjoignait de garder vivante.
Le feu sacré.