dimanche 22 mars 2020

Aux confins de soi


Nous y voilà. Nous y sommes. Où cela ? Peut-être à l’orée d’un grand changement.

Vous êtes sans doute, en particulier si vous vivez en France ou en Belgique, confinés chez vous, comme moi et comme 900 millions de personnes dans le monde à ce jour. Et même si vous ne l’êtes pas, je me joins à toutes les voix raisonnables pour vous enjoindre de limiter vos déplacements, de veiller à une distance sociale permettant d’éviter la propagation du virus COVID-19. Ce n’est pas seulement pour votre sécurité, c’est pour celle de ceux qui vous entourent, que vous croisez, et celle de ceux qui croiseront ces derniers, etc. Plus que jamais, nous sommes à l’heure de la responsabilité sociale : chacun.e de nous fait sa part, ne serait-ce qu’en restant chez soi, pour limiter le désastre…

Si c’était un rêve… ce serait peut-être bien un cauchemar dont nous aurions hâte de nous réveiller, pour nous retrouver, nous embrasser… et puis, que nous dit-il, ce rêve ?

Je ne me joindrai pas aux doctes savants qui nous expliquent, en décortiquant la Bible ou en lisant dans le marc de café, que tout cela fait partie d’un plan divin pour sauver l’humanité d’elle-même. Pour certains, c’est Kali, la grande déesse de la destruction, qui nous frappe. Pour d’autres, en étirant un peu les choses pour les faire coller à leurs théories, tout cela était annoncé dans l’Apocalypse de Jean. Je ne mettrai pas ces recherches de sens tout à fait sur le même plan que les dénonciations d’un effroyable complot destiné à enrichir l’Institut Pasteur ou l’électrification de la terre et l’arrivée en Asie de la 5G – élucubrations qui ne résistent pas à un examen minutieux, et où, si on a envie d’être indulgent, on peut voir un étalement de projections. Des rêves les yeux ouverts...

Moi-même, je suis assez fasciné par le fait que ce virus est modélisé (rappelons-nous que personne ne l’a vu) sous la forme d’une couronne, d’où son nom de corona-virus. Or la couronne nous renvoie symboliquement au 7ème chakra, dit coronal, ou encore à Kether, la séphira qui symbolise le plus haut degré de contact avec le divin dans l’Arbre de Vie hébraïque. Dans un cas comme l’autre, la couronne ceint le front de celui / celle qui est appelé(e) à régner sur le Royaume et représente le point de contact avec la Totalité cosmique. En sa présence, nous sommes ramenés au fait que nous sommes peu de chose en regard de l’immensité du Mystère qui nous entoure. Je ne crois pas utile d’élaborer, mais peut-être est-ce l’occasion de contempler cette image du chakra coronal, de méditer avec elle, de la laisser nous parler…


Encore une fois, je ne dénie pas la valeur que peuvent avoir certaines analyses symboliques de la situation. Et il est même possible que nos amis complotistes, s’ils n’ont pas raison, n’aient peut-être pas tout à fait tort et qu’on puisse voir ce qui arrive comme résultant de l’hyper-technologisation de notre monde et de la dictature financière qui a conduit, par exemple, à fermer 17500 lits d’hôpitaux en France depuis 2003. Pour ma part, j’aime penser que le pangolin, petit animal en voie de disparition, nous adresse un cadeau d’adieu en remerciement de la façon dont nous, les humains, l’avons traité. La nature commence à se rebiffer, à nous adresser un sérieux avertissement…

Mais ne passerions-nous pas, en discutant de causes extérieures et en cherchant le sens de ce qui arrive ailleurs qu’en nous-mêmes, à côté de quelque chose ?

Le sens de ce qui arrive, pour chacun.e de nous, est précisément dans ce qui arrive. Juste là, sous notre nez, dans l’instant présent. Comme dans un rêve, qui est toujours la meilleure expression de ce que la source du rêve cherche à nous faire entendre. Mais nous n’écoutons pas. Nous cherchons à côté, dans des dictionnaires de symboles ou des vidéos Youtube. Nous sommes tellement loin de nous-mêmes que nous ne sommes pas capables d’entendre ce qui crie dans ce que nous vivons, ce que nous rêvons…

Il y a sans doute un sens collectif pour toute l’humanité, et plus largement pour la planète qui respire un peu mieux depuis que nous sommes confinés, et puis il y a un sens pour chacun.e de nous. Et notre première responsabilité est de nous occuper de celui-ci. Alors, le sens collectif apparaîtra de lui-même de plus en plus clairement. C’est à chacun.e de nous de retourner le regard pour examiner en quoi nous sommes part de cette situation, ce qu’elle nous dit, à quoi elle nous appelle. Car si nous n’entendons pas l’appel, nous prenons le risque qu’il soit plus violent encore une prochaine fois. 

Responsabilité, c’est-à-dire « response ability », capacité à répondre, est sans doute le mot clé de cette situation. Ce n’est pas le temps de désigner des coupables, des responsables autres que nous-mêmes. Si nous voulons vraiment que les choses changent, que cette crise soit l’occasion d’un tournant, alors nous devons tou(te)s examiner quelle responsabilité nous pouvons prendre dans cette situation, comment nous pouvons y répondre au mieux…

Notre première responsabilité à ce point est de contribuer à la prophylaxie, c’est-à-dire aux mesures prises pour éviter la propagation du virus. Ne serait-ce que par égard pour les personnels soignants qui sont sur le front, les forces de l’ordre qui s’emploient à faire respecter les consignes, les personnes qui s’exposent en continuer à travailler pour garder ouverts les commerces essentiels. Et puis il y a une prophylaxie mentale à laquelle nous devons veiller en prenant garde aux messages que nous véhiculons. Qu’apportent-ils ? Contribuent-ils à une responsabilisation collective ou répandent-ils la peur, ou pire, la haine ? Alimentent-ils la paix et l’amour dont nous devons tou(te)s nous armer à ce point pour traverser le désert qui s’ouvre devant nous ?

Car voilà que, si nous ne sommes pas appelés en première ligne face au virus, et si nous avons la chance de ne pas être malades, nous sommes à l’orée du désert, d’un grand vide. Un vide qui est empli encore de beaucoup de choses, et peut-être d’êtres chers si nous sommes confinés avec notre famille, mais un vide tout de même dès lors qu’il nous faut nous arrêter. D’une façon ou d’une autre, beaucoup d’entre nous sommes invités, pour une durée indéfinie qui pourrait s’étaler sur de nombreuses semaines, à vivre nos « quarante jours dans le désert », une sorte de quarantaine spirituelle. Et si, quand encore une fois nous avons la chance de pouvoir rester chez nous en bonne santé – ce qui n’est pas donné à tout le monde –, il y avait là une fantastique opportunité ?

L’idéogramme chinois pour « crise » fait se rencontrer « danger » et « opportunité ».


Le danger est évident. L’opportunité l’est peut-être moins pour beaucoup d’entre nous.

C’est pour cela que je m’élève gentiment contre les explications kabbalistiques ou astrologiques de ce qui arrive. Elles satisfont peut-être le mental. Elles donnent l’impression que nous comprenons quelque chose à la situation, et si nous la comprenons, nous avons alors le sentiment subtil de commencer à la maîtriser. Nous au moins, n’est-ce pas ? on a compris. Mieux que le voisin, mieux que nos gouvernants. D’ailleurs, on devrait nous confier les responsabilités suprêmes car nous saurions comment faire beaucoup mieux que tous ces … qui sont aux prises avec une situation dramatique dans laquelle leur incompétence, parfois, ressort. Mais voilà bien ce qui est caractéristique de l’inflation, que l’on dénonce toujours facilement chez les autres alors que nous devrions commencer par nous occuper de la nôtre. 

Et donc, nous remplissons le vide d’explications.

Nous évitons de nous abandonner à la situation, et au fait de ne pas savoir.

Nous nous protégeons du vide, de notre propre vide. Des fois qu’on tomberait dedans…

C’est cependant bien ce qui risque de nous arriver au bout de quelques semaines de confinement, s’il se prolonge. Quand nous aurons usé toutes les explications, regardé toutes les vidéos, lu tous les livres, le vide sera encore là. Il nous attend. Il nous invite, les bras ouverts, à le visiter.

C’est une invitation à aller aux confins de soi, à vivre la déconfiture intégrale de tous nos plans et de toutes nos explications, à nous laisser confire par la situation, en évitant surtout, tout confinés que nous soyons, de jouer au con fini en perdant le sens de l’humour et de l’amour...

Si nous avons de la chance, une vraie chance, nous ne lui échapperons pas, à notre vide. 

Il nous tendra un miroir. Et peut-être nous rencontrerons-nous dans celui-ci.

Sinon, ce n’est pas grave, le vide attendra. 

Au pire,  nous y ferons face sur notre lit de mort, quand il sera trop tard pour le laisser nous transformer de fond en comble. Car le vide fait partie intégrante du passage. En psychologie de la transition, on sait que le moment déterminant d’un processus de transformation est le « passage par le vide », ou ce qu’on appelle la zone neutre. Mieux, la psychologie nous explique que la réalité et la profondeur du changement sont fonction de la mesure dans laquelle la personne qui vit le passage saura s’abandonner au vide sans chercher à le combler le plus vite possible. Car si elle le comble, ce sera avec du connu, du passé, et cela ne laissera aucune chance à quelque chose de nouveau d’émerger…

Le Tao Të King dit fort bien l'attitude requise par la situation :

Aurez-vous la patience d’attendre
Que la boue se dépose
Et que l’eau de l’étang
Redevienne claire ?

Aurez-vous le courage
De rester immobile
Jusqu’à ce que l’action juste
Surgisse d’elle-même ?


Ce qui est intéressant, c’est que nous ne sommes pas seuls à ce point à descendre dans le vide. 

J’ai le privilège d’accompagner bien souvent des individus qui, pour une raison ou une autre – par  exemple parce qu’ils ont perdu leur travail ou sont en burn-out, ou encore à l’occasion d’un deuil ou d’une séparation – descendent dans le vide. Mais voilà que c’est toute la planète qui semble conviée à un tel passage. Souvent, la maladie est l’opportunité d’un temps d’arrêt, une façon que notre corps a de dire « stop! ». Là, c’est toute la planète qui est malade…

Ne plaisantons pas avec cela. Rappelons-nous que l’épidémie de grippe espagnole en 1918 a fait entre 20 et 50 millions de morts à une époque où nous étions bien moins nombreux. Aujourd’hui, si la moitié de l’humanité est infectée par le COVID-19, avec un taux de létalité moyen de 3%, nous déplorerons plus de 100 millions de morts. Et il suffit d’un(e) seul(e) décédé(e) dans notre entourage pour nous dévaster. A Bergame, en ce moment, chaque personne connaît une personne dans un état grave ou dores et déjà morte. 

Mais il se pourrait qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire au travers de tout cela.

Il se pourrait que nous soyons à un moment de vérité, personnelle et collective.

Un moment de vérité par exemple pour ces couples qui ne se supportaient plus qu’en étant chacun le plus loin possible de l’autre, et qui vont devoir vivre ensemble dans un espace confiné...

Un moment de vérité pour ces gens qui étaient si éloignés d’eux-mêmes qu’ils ne vivaient plus qu’à travers l’extérieur, leurs relations ou leur travail. C'est toute leur vie, ou ce qu'ils prenaient pour leur vie, qui leur échappe soudainement...

Un moment de vérité aussi pour les personnes qui détestaient leur travail et se retrouvent soudain avec le bonheur de rester chez elles, de pouvoir s’occuper à ce qu’elles aiment…

A chacun(e) sa vérité, le sens de ce temps d'arrêt, l'opportunité cachée dans cette crise.

Il se pourrait que, pour beaucoup d’entre nous, le confinement et l’arrêt de toute activité soit l’occasion d’une crise existentielle majeure, comme un tsunami qui vous submerge ou un tremblement de terre qui amène le sol à se dérober sous vos pas. Si tel est le cas, ne restez pas seul(e) avec ça (voyez entre autres ci-dessous ma proposition). 

C’est une autre des lignes de front de la crise : nous devons prendre soin les uns des autres...

Il se pourrait aussi que nous soyons à un moment de vérité pour la planète, puisque cette crise montre les limites de nos politiques néo-libérales qui, à force de détruire les services publics, nous rendent infiniment vulnérables à la crise sanitaire. Il se pourrait que ce qui arrive soit juste la première secousse, une étape préliminaire de l’effondrement de nos systèmes techno-industriels. 

Mais là aussi, même si nous pouvons l’espérer, un peu de décence est requise : avant de nous en réjouir, ne serait-ce qu’en pensée, songeons à celles et ceux qui risquent de rester enterré(e)s sous les décombres. Car bien sûr, c’est encore dans les pays les plus démunis, en particulier en Afrique, que le virus risque de tuer le plus de gens. Et pourtant, ce ne sont pas ces populations qui auront le plus contribué au désastre écologique et social qui fait le lit de cette crise.

Il se pourrait donc qu’il émerge quelque chose de nouveau de ce passage.

Une vraie mondialisation, de l’amour et de la paix ? Une solidarité planétaire ?

Un changement de cap ?

La Troisième Révolution ?



La bonne nouvelle que nous porte ce virus, c’est que nous sommes capables de prendre les mesures drastiques qui s’imposent, par exemple, pour remédier à la crise bien plus grave encore qui nous pend au nez avec les changements climatiques, la destruction de la biodiversité, la pollution. Nous sommes capables de nous réveiller, de faire ce qu’il faut. Individuellement et ensemble.


On demandait à l’anthropologue Margaret Mead quel était le premier signe de l’émergence d’une civilisation chez les hominidés. Sa réponse a surpris les étudiants. Il s’agit d’un fémur, sur lequel on pouvait lire le signe de la réparation d’une fracture. C’est-à-dire de l’émergence d’une solidarité. Car si un animal se brise une patte, il meurt. Il ne peut plus courir,  échapper à ses prédateurs. Mais pour qu’une fracture du fémur soit réduite, il a fallu un geste de solidarité, et que quelqu’un reste auprès du blessé pour le protéger et pourvoir à ses besoins. Il a fallu de l’amour. C’est le signe distinctif de la civilisation, de l’humanisation, même si les animaux sont cependant capables de solidarité (peut-être est-il temps que nous arrêtions de nous supérioriser sur eux aussi). C’est le signe de la conscience de l’autre qui grandit. Peut-être sommes-nous prêt.e.s à un nouveau pas en avant dans cette humanisation, le développement de cette conscience avec amour ?

Plutôt que de vous servir une explication de ce qui arrive, je vous propose donc une direction dans laquelle cheminer. C’est la direction de la gentillesse et de la compassion. 


C’est pourquoi j’invoque ici la présence bienveillante de Kwan Yin, la déesse de la gentillesse connue aussi sous le nom de Kwannon, ou Kannon. Kwan Yin nourrit tous les êtres vivants, même les démons, même les capitalistes, mêmes les virus. On dit que pour nourrir les démons, elle descend en Enfer. Mais elle risquerait de les effrayer avec sa gentillesse, alors elle se déguise en démon pour leur amener à manger…

Une autre image salvatrice est celle de Tara la Blanche, la grande Mère universelle qui soulage les peurs et les souffrances des êtres humains. Pour l'invoquer, on peut chanter ou écouter le mantra: OM TARE TUTTARE TURE SOHA.


Je vous propose ces images comme supports de méditation, puisque nous avons le temps, enfin, de nous arrêter devant une image et de la laisser nous parler. Dans cette situation, dans laquelle nous pourrions redécouvrir les bienfaits de la contemplation, on peut invoquer aussi Marie, la Mère de Dieu, ou n’importe quelle déesse qui déverse son amour sur terre – nous sommes vraiment au moment où les barrières doivent tomber, et les « mon Dieu est meilleur que le tien » se taire. Nous sommes au moment du silence, de la méditation et de la prière..

Je sais, ces propositions paraîtront bien naïves à certains de mes lecteurs. Si tel est votre cas, c’est l’occasion d’interroger ce que nous avez fait de votre innocence d’enfant et de la clé qui vous rendait simplement ouvert(e) à la beauté de la vie. Ne vous inquiétez pas, nous prierons pour vous aussi, en songeant à ce que dit Marianne Williamson, comme quoi la vie sait fort bien s’employer à amener chacun(e) d’entre nous, à sa façon, à se mettre à genoux. Espérons que cela vous fasse le moins mal possible, surtout.

Je n’ai pas de prétention, en vous exposant à ces images, aux remèdes miracles ni aux talismans de protection, comme voudrait nous y faire croire par exemple le psaume 91 qui dit que si nous sommes dans la main de Dieu, nous serons épargnés – mais bien sûr, les méchants seront contaminés et mourront. Quelle indécence ! Voilà qui témoigne précisément des formes spirituelles dont nous devons sortir, qui flirtent toujours avec la culpabilité, la punition, le jugement et in fine, la supériorisation, l’inflation...

Admettons donc que si nous mourrons, ce sera ensemble, et que si nous vivons, ce sera ensemble, car le soleil de la Vie éclaire tout le monde, les justes comme les méchants, ceux-qui-savent et tous les autres. Alors nous pouvons considérer que celles et ceux qui partent en ce moment donnent tout simplement leur vie pour nous tou(te)s, parce qu’il faut que l’humanité paie un tribut au pangolin pour l’avoir décimé, ou pour quelque autre raison, et peut-être pour un meilleur futur pour l’humanité que celui que nous dessinait la trajectoire du néo-libéralisme. Nous pouvons donc les remercier et nous joindre à celles et ceux qui les pleurent...

Hier, c’était le premier jour du printemps.


Je vous souhaite que la paix, la joie et l’amour fleurissent dans vos cœurs en ces temps difficiles.

Peut-être est-il temps d’éclore ?



Pendant tout le temps du confinement, j’offre une écoute et un accompagnement à qui veut, par moyens électroniques (Skype, Zoom, WhatsApp, Messenger, téléphone...), sur le mode de la contribution libre et consciente.

Il se peut que vous ayez des rêves… ou simplement besoin de parler, d’être écouté.

Contribution libre et consciente, cela veut dire que vous donnez ce que vous voulez en retour, en fonction de vos moyens. Ce n’est pas gratuité, mais plutôt une façon de sortir de l’économie marchande pour entrer dans celle du don réciproque. Si vous ne pouvez rien donner, je vous inviterai simplement à « donner au suivant », c’est-à-dire à rendre à votre tour service à quelqu’un sans attendre de retour.

Bien sûr, si vous faites partie des personnels médicaux, des forces de l’ordre ou de ces personnes qui sont exposées en première ligne pour conserver des services et des commerces essentiels, je vous prie de considérer que vous avez déjà donné tout le nécessaire. Pour vous, c’est gratuit, avec mes remerciements...

Je vous invite aussi à rejoindre le groupe Facebook « à l’écoute des rêves », où nous sommes un bon nombre à discuter de rêves. Une initiative récente nous amène à explorer les rêves qui pourraient émerger maintenant pour dessiner l’avenir...

Enfin, la situation m’amène à innover et expérimenter de nouveaux medium. J’ai le plaisir de vous annoncer que j’offrirai prochainement des cercles (loges) de rêves en ligne et sans doute des ateliers de formation. Vous recevrez des propositions à vous y joindre par courriel ou encore en visitant la page Facebook de « la voie du rêve ».

mardi 3 mars 2020

Pluie de feu


J’ai entendu récemment un rêve remarquable. Le voici in extenso, avec des éléments de contexte que la rêveuse m’a bien gentiment fourni, tel qu’elle me l’a communiqué avec seulement quelques ajustements de mise en page pour en faciliter la lecture :

* * *

Rêve : « Et dans le Grand Canyon, risques de précipitation de langues de feu »

Je reviens de Paris. Toute la semaine j’ai raconté des contes, de cette famille qu’on appelle les « contes merveilleux ». Ce sont d’étranges êtres, à la fois modestes et immenses, à la fois féroces et tendres. Parmi les contes de cette semaine, une belle version de « l’apprenti magicien » (qui, d’après Viviane Labrie était encore racontée il n’y a pas longtemps au Québec par les scieurs de long lors de leurs campagnes dans les bois). J’adore les images de cette version : le palais vide mais habité d’esprits qui font le lit et dressent la table, les pièces remplies de livres du sol au plafond, et dans l’écurie, pendues à un clou, les peaux de ceux qui, avant le héros de l’histoire, ont tenté l’aventure…

Par les bizarreries tarifaires de la SNCF, j’ai eu une place en 1ere classe. Le paysage d’hiver défile, je suis au chaud et je somnole un peu. Deux places plus loin devant moi, une inscription sur la vitre me fait réagir : laissez-vous rêver. Dans un demi-sommeil je m’étonne et me demande :

- Me laisser rêver oui, mais par qui ?


Le paysage défile, ma tête dodeline, je me cale et je m’endors…

Derrière l’inscription sur la vitre, apparaît un paysage type plaine américaine. Amérindienne. Et des rayons dorés, comme une couronne, une auréole baroque qui  se transforme en coiffe amérindienne… mouvement de plumes… je suis déjà partie…

Gros plan sur la structure de plumes géantes : calame, rachis, barbes.

Ces plumes sont si denses, si solides que ce pourrait être des armes.

- C’est un ange ? Je me demande. Non, un oiseau fabuleux.

Il y a là un oiseau si grand que je ne peux le voir dans son entier : c’est un monde !

J’aperçois ses pattes à la peau soupe et solide, aux serres puissantes. Je vois sa nuque, écailles-plumes vertes, bleu-nuit, dorée.

- C’est un dragon ? Je me demande. Non, un oiseau : le Simorgh ou l’oiseau Rokh.

Il a des mouvements, déploiement d’ailes qui pourraient produire un ouragan !

Je descends le long d’une corde pendue à son bec. 

Près du cou, du jabot,  les plumes sont plus douces ; c’est un duvet chaud, presque maternel… et en passant devant, je peux entendre le cœur de l’oiseau qui bat. Simorgh, ou oiseau Rokh, c’est un mâle en tous cas.


Je descends encore je m’installe, au bout de la corde, dans une sorte de pomme de touline, tressage de corde comme un hamac ou un nid… C’est assez confortable, et je suis en sécurité là-dedans, même si ce pendule tenu au bout de son bec par l’oiseau, oscille, dans l’immensité vide. 

J’ai déjà rêvé de cet oiseau. J’ai déjà voyagé avec lui.

Du coup, je me concentre sur des détails :

1/ C’est un loooooong voyage.

L’oiseau vole et semble rapide mais, on semble ne pas avancer.

C’est qu’on est comme hors de l’espace (trop haut ou simplement « ailleurs » ?) et hors du temps – ou du moins dans un temps qui n’est pas notre temps de veille ordinaire et pas à l’échelle de notre vie. Et tout prend une autre dimension.

2/ Je m’aperçois que dans l’oscillation du pendule dans lequel je voyage, je m’endors parfois sans trop m’en apercevoir. Il me semble que ces « absences » peuvent parfois durer des centaines d’années. 

Je m’étais déjà rendu compte de ça lors du précédent rêve de voyage avec cet oiseau, et j’en avais alors conclu que ces périodes de sommeil-éveil,  c’était  peut-être ce que nous appelons vie-mort. Alors je n’y fais pas plus attention que ça. Par contre,  je me concentre sur l’oiseau :

Tout en volant et sans que ça semble interférer sur sa vitesse et sa direction, il change parfois de couleur et de matière. Quelques fois il est très dense, quelques fois très subtil comme une onde ou une fumée. Quelques fois il est orangé-rose-doré comme un soleil couchant ou levant. Quelques fois il est bleu, et quelques fois même, il est cramé ! Tout noir, juste un squelette volant. 

Et tout semble normal….

3/ Le « pendule » qu’il porte au bout du bec et dans lequel je suis parait donc à certains moments, la seule chose vraiment tangible, immuable, dans cet univers. C’est un axe. Une verticalité oscillante.

4/ Si je me focalise dessus, je peux percevoir que cet oiseau émet un son. Un son formidable, d’ailleurs. Étrange qu’il faille y prêter attention tellement, quand on le perçoit, il semble omniprésent !

Nous arrivons quelque part. Il y a comme des falaises à pic, et l’oiseau stoppe au-dessus de celles-ci. Le « pendule-pomme-de-touline » dans lequel je suis est bien vertical, et j’ai l’impression que l’oiseau cherche à se mettre dans l’axe. Pomme, corde, bec, il s’aligne, lève le reste du corps pour s’aligner. En faisant ça, il se renverse, se retourne (comme on ferait avec un gant de toilette ou mieux encore un parachute qui « décroche »), et devient une sorte de flammèche, pointe en bas flammes-ailes en haut.

Je m’avise à ce moment-là qu’ils sont, que nous sommes, des milliers. Dans le soir tombant, au-dessus du grand canyon, des milliers de langues de feu s’apprêtent à fondre sur la terre. Des images de tableaux religieux et des souvenirs de ma maigre culture biblique (Pentecôte, langues de feu et Bonne Nouvelle) me traversent.


Ce que je comprends, là, c’est que ces oiseaux de feu vont tomber comme une pluie de flammèches et que « nous » (j’ignore qui c’est « nous » : si ce sont tous des gens, comme moi, ou bien aussi des animaux, des plantes, ou encore seulement des idées) dans les pommes de touline, sommes des graines à planter. On nous a emmenés là pour ça. C’était le but du voyage : ensemencer la terre qui est dessous. Ouah ! Je me dis. Quelle pluie de feu ! Je n’ai aucune idée de ce que nous sommes et donc de ce qui est censé pousser, mais je me dis : 

- y’a plus qu’à attendre que ça pousse, donc…

Secousse du train, annonce du type de la voiture bar, avant que je me réveille tout à fait, mon rêve boucle avec l’image du début, avec laquelle je me suis endormie : l’inscription la vitre du TGV : laissez-vous rêver.

J’émerge avec une drôle d’impression :

- Est-ce que j’ai rêvé d’un Simorgh ou, l’espace d’un instant, j’ai été son rêve ?

* * *

Je ne me permettrai pas d’interpréter un tel rêve. Il ne demande de toute façon pas d’interprétation. Ma première réaction quand je l’ai entendu a simplement été d’exprimer de la révérence. J’ai rappelé le logion 13 de l’Évangile de Thomas où Yeshua demande à ses disciples de lui dire à quoi il ressemble. Pierre lui répond qu’il ressemble à un ange, tandis que Matthieu, plus ancré et surtout plus grec, le voit comme un philosophe. Mais Thomas répond :

- Maître, ma bouche n’acceptera absolument pas de dire à quoi tu ressembles…

C’est un des traits qui signale la présence du numen, du sacré : il y a un silence qui s’impose, un saisissement. Le mental se tait. Cela nous ramène au fait que l’étymologie du mot mystique est le grec muos, qui signifie « muet » : ce qu’entrevoient les mystiques les laissent muets, sans voix. Ou alors c’est pour chanter, pas pour disserter...

Tant qu’on y était avec les références religieuses à la Pentecôte, etc... j’ai songé aussi à : « Et si le grain ne meurt, il demeure seul, mais s’il meurt, il portera beaucoup de fruits ». Ce rêve, me disais-je, nous parle d’incarnation, et nous rappelle que nous sommes tou.te.s des graines appelées à nous planter en terre.

Nous étions dans un atelier de constellations de rêves et je me suis demandé comment nous allions pouvoir consteller un tel rêve sans être écrasés par sa dimension archétypale. Et puis cela s’est fait naturellement, nous offrant une expérience très intéressante à vivre. Par la magie du jeu, sans nous prendre plus au sérieux que des enfants visitant un espace merveilleux, nous avons représenté tous les aspects du rêve : la rêveuse, la plume, l’oiseau, le pendule-pomme-de-touline, le grand canyon, les innombrables flammes, les graines... et nous sommes convenus en en sortant qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire. L’expérience elle-même était significative : en constellant un tel rêve, nous avons célébré un Mystère…

Quelques éléments appellent à de rapides commentaires.

On peut se demander pourquoi un tel rêve est échu à la rêveuse. Que cherche-t-il à lui dire ? Il s’inscrit dans une série de « grands rêves » dans lesquels on retrouve le thème du long voyage, mais aussi celui de l’oiseau extraordinaire. Dans un rêve reçu quatre mois avant celui-ci, elle a voyagé déjà avec l’oiseau dont il ressortait déjà qu’il changeait de forme, jusqu’à être parfois un squelette calciné, tout noir. Et l’oiseau, dans ce rêve, s’est finalement retrouvé en gestation dans son ventre. On peut voir là une allusion au mystère de l’incarnation sous un autre angle, comme une invitation à donner naissance au Divin. La rêveuse est porteuse d’images archétypiques et semble appelée à les mettre au monde. Ce n’est pas sans danger car il n’est pas donné à toutes d’accoucher d’un oiseau-univers. Mais nul doute que sa longue fréquentation des contes merveilleux, son amour immodéré pour ces histoires, l’a préparée depuis longtemps à porter ces rêves. 

Marie-Louise Von Franz
Marie-Louise Von Franz expliquait que c’est précisément le bénéfice de l’écoute des rêves et des contes que nous préparer à accueillir des contenus de l’inconscient qui auraient pu, sans le filet protecteur que tissent les images archétypiques, nous submerger. En présence d’un patient présentant un risque de psychose, elle recommandait de le nourrir de connaissances symboliques, de façon à lui fournir un fil auquel se raccrocher le moment de la crise venue. Elle dit qu’une « certaine connaissance du symbolisme agit, pour ainsi dire, à la manière d’un filet permettant de recueillir le mystère indicible d’une expérience immédiate de l’inconscient ». Mais il n’est pas question là tant d’une connaissance intellectuelle des symboles que de l’expérience de la vie des images, ce qui est précisément le cas de notre rêveuse. Avec un tel rêve, plus d’un quidam pourrait se sentir appelé à devenir le messager de Dieu sur terre et sombrer ainsi dans l’inflation, mais elle est suffisamment familière des images plus grandes qu’elle pour ne pas s’en lisser les plumes…

Le thème même du conte de « l’apprenti magicien » qu’elle a raconté avant ce voyage en train me semble faire écho à son rêve. Elle est certainement engagée dans un apprentissage, et il y a une parenté subtile et néanmoins très significative entre les mots « magie » et « image », qui sont des anagrammes. Dans cet espace du rêve qui s’ouvre à elle, il y a des esprits qui mettent la table et servent les plats, mais il y a aussi les peaux des héros qui ont tenté l’aventure auparavant. Or le voyage dans l’inconscient est dangereux, du moins si on est présomptueux et qu’on lui manque de respect. Et comme il est mentionné dans le rêve, c’est un très loooong voyage, ce que les anciens appelaient la longissima via, la voie très longue.

Je reviendrai sur l’interrogation qui appelle le rêve car elle lui donne en conclusion une nouvelle perspective. Auparavant, il me semble intéressant de nous arrêter un instant sur le détail de la couronne, cette « auréole baroque » de rayons lumineux qui se transforme en coiffe amérindienne et par association, conduit à considérer les plumes, et au bout des plumes, l’oiseau. Avec la couronne, nous avons là une évocation du septième chakra, ou chakra coronal, qui est celui de la connexion avec l’Unité. Cela amène de l’eau au moulin d’une théorie dont j’ai discuté avec Connie Kaplan : il y a de bonnes raisons de penser que nos rêves sont rattachés à un chakra, c’est-à-dire à un plan de conscience. Il y aurait des rêves du chakra racine, qui se préoccupent essentiellement de la survie, des rêves du chakra sacré, où il est question de sexualité et de créativité, des rêves du cœur, etc. Et donc il y a aussi des rêves du septième chakra, qui n’ont plus rien de personnel. Mme Kaplan était très en faveur de cette théorie que je cherche pour ma part à avérer. Il faut faire attention avec une telle théorie parce que j’entends déjà quelques personnes qui ne doutent de rien arriver avec des énoncés du genre : voilà, je vous amène un rêve du 12ème chakra… tandis que d’autres n’oseront plus parler de leurs rêves parce  qu’ils leur semblent venir des chakras dits inférieurs. Or la couronne posée sur la tête des personnages royaux, dont il faut rappeler qu’ils étaient censés manifester la volonté divine sur terre, n’a rien à voir avec l’ego trip des puissants de ce monde. Comme l’auréole des saints, elle représentait la lumière rayonnante qui émane du septième chakra quand il est ouvert. Ce rêve pourrait bien nous donner un aperçu de ce que l’on entrevoit alors...

Il est fort intéressant aussi d’observer ici comment l’inconscient procède par associations de la plaine amérindienne avec une couronne de rayons dorés à la coiffe de plumes, aux plumes et par là, illustrant le principe pars pro toto (de la partie au tout) à l’oiseau merveilleux. Edward Edinger souligne qu’il y a trois formes de pensée. Celle avec laquelle nous sommes le plus familier, c’est la pensée rationnelle, dirigée avec un but et une méthode de raisonnement essentiellement déductive. Il y a une autre forme de pensée que l’on peut définir comme étant pré-rationnelle et c’est celle de l’inconscient, mais aussi des jeunes enfants, et qui associe simplement les images. Nous en avons là une illustration. Et puis il y a une troisième forme de pensée, que l’on peut dire être trans-rationnelle, qui associe ces deux mouvements et les unit. C’est ce que Jung appelait la pensée psychologique ou pensée symbolique, qui tisse un réseau d’images autour d’un sujet central, sans perdre de vue la nécessité d’un traitement rationnel. La pensée pré-rationnelle n’est pas capable d’aborder le symbole autrement que littéralement. La pensée rationnelle ne comprend pas qu’il puisse y avoir quelque chose de vivant derrière l’image ; elle catégorise le symbole, l’explique, le dissèque et le tue en même temps. Il faut une pensée trans-rationnelle pour aborder le symbole vivant, l’entendre. 

Nous voilà donc, au contact de ce rêve, en présence de l’Oiseau fabuleux. Le rationnel se caractérise là par son : « mais il n’existe pas », tandis que l’enfant y croira tout simplement, comme si on pouvait l’emmener voir l’oiseau merveilleux des contes au zoo. La pensée symbolique sait que l’Oiseau vit dans un espace imaginal qui est celui des contes, des mythes, et aussi des rêves. Cela n’ôte rien à son existence en temps que fait psychique, qui a inspiré d’innombrables histoires. La rêveuse mentionne le Simorgh, un oiseau de la mythologie perse qui est capable de se régénérer dans le feu comme le Phoenix et qui est tellement grand qu’il peut transporter un éléphant. Il est dit être si vieux qu’il a déjà assisté trois fois à la destruction du monde. L’oiseau Rokh est un autre de ces oiseaux fabuleux issu de la mythologie orientale, capable lui aussi de transporter un éléphant, et que l’on retrouve dans les aventures de Simbad le Marin, dans les Mille et Une Nuits. Mais en fait, l’oiseau dont il est question ici évoque quelque chose qui est encore à une autre échelle : c’est un monde. Tellement grand qu’il est impossible de le percevoir tout entier. Il me fait penser pour ma part à l’Aigle de la cosmogonie toltèque, source de la conscience de l’homme, dont parle Carlos Castaneda :

« Les anciens voyants, en prenant des risques follement dangereux, (...), virent véritablement la force indicible qui est la source de tous les êtres sensibles. Ils l'appelèrent l'Aigle car, dans les rares et brèves visions qu'ils purent soutenir, ils virent cette force sous une forme qui ressemblait à celle d'un aigle noir et blanc, d'une dimension infinie. Ils virent que c'est l'Aigle qui donne la conscience. L'Aigle crée les êtres sensibles afin qu'ils vivent et enrichissent la conscience qu'il leur donne en même temps que la vie. Ils virent aussi que c'est l'Aigle qui dévore cette conscience enrichie après avoir fait en sorte que les êtres sensibles s'en dessaisissent au moment de leur mort. »


On peut rapprocher cette image de l’Oiseau-monde de l’Esprit, et même de ce qu'on appelle le Saint-Esprit, car les oiseaux symbolisent volontiers l’esprit, au sens de ce qui fait le lien entre le ciel et la terre. Et c’est encore ce dont il est question dans ce rêve, à savoir de comment l’Oiseau-monde vient ensemencer la terre. Mais si nous commençons à parler de l’Esprit, il doit être clair que nous essayons d’expliquer quelque chose que nous ignorons par quelque chose que nous ignorons encore plus, ignotum per ignotius disaient les anciens alchimistes. Et il est donc temps de mettre notre main devant notre bouche.

Remarquons cependant que le pendule, cette « verticalité oscillante », s’apparente symboliquement à ce que les mythes chamaniques appelaient l’axe du monde, qui se balance ici. Le rêve nous fournit une explication du cycle vie-mort-vie comme tenant de l’éveil et du sommeil dans ce balancement. Il n’y a pas grand-chose à ajouter car le rêve parle de lui-même. Dans la constellation, nous avons observé comment le mouvement de l’oiseau impliquait un soudain renversement de perspectives, et comment la terre attendait ce moment de la fécondation par les oiseaux de feu. C’était très émouvant, et je crois que cela a communiqué à chacune des participantes, moi compris, un sens profond de la nature de notre existence. On parle volontiers de l’enveloppe corporelle des êtres, mais peut-être sommes-nous tout proche d’une vision renversante si nous considérons que celle-ci est simplement l’enveloppe d’une graine plantée en terre, qui pourrait être appelée à pousser, grandir et fleurir.

C’est précisément ce qu’évoque la question qui coure en filigrane de ce rêve : mais qui me rêve donc ? Qui rêve ma vie ? On retrouve là l’interrogation de Tchouang-Tseu qui avait rêvé d’un papillon et se demandait si ce n’était pas le papillon qui rêvait de Tchouang-Tseu. De telles questions sont balayées par la pensée rationnelle comme nulles et non avenues car ne conduisant à aucun profit en Bourse, ce en quoi nous ne la démentirons pas. Mais elles débouchent, si elles sont considérées sérieusement comme un koân, sur une vision illuminante. C’est ce que l’on appelle l’investigation fondamentale, qui est résumée le plus souvent en une interrogation qui sert de pelle excavatrice pour une vérité indicible :

- Qui suis-je ?

Sri Ramana Maharshi
Sri Ramana Maharshi, qui a été reconnu comme un des plus grands saints illuminés que l’Inde moderne ait compté, n’enseignait qu’en posant cette question : qui es-tu ? Qui pose la question ? Elle suffit. Aucune simagrée, aucune autre pratique n’est véritablement utile ou nécessaire si l’on va au bout de l'interrogation qui retourne la conscience vers la source de la conscience. Toutes les pratiques ne servent qu’à supporter cette investigation. Une autre version de la même interrogation, tout aussi radicale, consiste en demander :

- Qui rêve ma vie ? Qui « me » rêve ?

Répondre à cette question, c’est « contempler le visage que nous avions avant d’être nés », pour reprendre une expression traditionnelle. Le yoga du rêve des tibétains en fait un objectif clairement défini. Les moines s’entraînent à prendre conscience de ce qu’ils rêvent pendant qu’ils rêvent, et quand ils sont lucides dans le rêve, à méditer dans celui-ci. Ils ancrent ainsi la conscience d’être en train de rêver jusque dans leur vie ordinaire et se préparent à se réveiller de ce rêve d’existence. Ils savent que ce n’est pas le petit « moi » qui rêve. Lui, il est rêvé. On peut dire poétiquement, comme savent le faire les rêves, que Cela qui rêve est un Oiseau-monde dont les ailes touchent à l’Infini, et qui parfois prend feu pour planter une graine de conscience en terre…

En prendre conscience, abandonner l’idée d’un moi qui agit pour réaliser qu’il est rêvé par quelque chose de bien plus grand, d’incommensurable, et dont on ne peut parler que de façon détournée, par symboles, c’est ce que l’on appelle l’Éveil. Ce n’est pas le moi qui se réveille, c’est le rêveur. Carl Jung avait déjà eu un rêve allant ce sens, où il voyait un méditant en train de le rêver. C’est exactement de genre de questions, et de pensées, que suscite l’ouverture du septième chakra, de la couronne dont il était question dans l’introduction du rêve, comme quoi le moindre détail est, dans l’écoute du rêve, est significatif.

C’est de ce genre de rêves que sont nées des histoires que nous nous racontons encore. Nous avons là un aperçu de ce qui pourrait être la naissance d’un mythe, qui reprend dans une forme nouvelle de très anciennes idées que nous sommes obligés de qualifier de religieuses. Et puis il y a, comme une signature caractéristique de la source des rêves, l’humour de l’avertissement météo qui vient contrebalancer le poids écrasant du rêve : 

- Attention, dans le Grand Canyon, risques de précipitation de langues de feu !...

Extrait du Livre Rouge, de C.G. Jung