mardi 31 mai 2016

Pause

Je mets ce blogue en pause pour quelques temps.

Une pause pour méditer et rêver, lire et écrire, aller jouer dehors et me promener...


À bientôt !

samedi 7 mai 2016

Rêves et pleine conscience


Cet article reprend et amplifie les principaux éléments que j’ai présentés lors d’une conférence au colloque de l’International Association for the Study of Dreams (IASD) à Montréal le 7 mai 2016.

Nous sommes encore, en Occident, à l’école primaire du rêve en regard d’autres cultures. Un siècle après que Freud, et surtout Jung, ont redonné ses lettres de noblesse au travail des rêves, nous apprenons encore à lire et écrire dans ce domaine. Lire les rêves consiste à les interpréter, à nous efforcer de comprendre ce qu’ils veulent nous dire. Nous redécouvrons ce qu’Eric Fromm a appelé « le langage oublié » des symboles. Mais qu’est-ce donc qu’écrire à l’école du rêve ? Cela a trait à la capacité d’utiliser la visualisation et l’imagination active pour dialoguer avec l’inconscient, et plus profondément, pour nous guérir et pour transformer nos vies. Nous redécouvrons depuis quelques décennies le pouvoir de ces techniques par exemple dans le domaine de la santé : dans les années 1980, les Simonton, par exemple, ont commencé à proposer l’utilisation de la visualisation créatrice pour lutter contre le cancer. Depuis, ces techniques se multiplient. Parmi celles-ci, je dois mentionner en particulier la méthode dite des Images de Transformation™ mise au point par mon mentor Nicolas Bornemisza et Marie-Lise Labonté.

Nous sommes encore jeunes en matière de travail et de compréhension des rêves, mais nous sommes encore dans les langes, au mieux à la maternelle, en ce qui concerne la méditation. Cela ne fait que quelques décennies qu’on apprend à méditer en Occident, grâce aux échanges avec de nombreux enseignants d’Orient. Mais nombre des techniques enseignées nous semblent ésotériques car elles font partie de traditions spirituelles comme le bouddhisme ou le tantrisme qui nous sont étrangères. Depuis les années 1990 cependant, nous redécouvrons ce qu’on appelle désormais la « pleine conscience », mindfulness en anglais, un terme associé aux travaux du Dr Jon Kabat-Zinn[1] en particulier, qui a introduit la méditation à l’hôpital autant pour les patients que le personnel soignant. Avec la pleine conscience, nous disposons maintenant d’une approche complètement dégagée de toute école religieuse, que nous pouvons nous approprier sans aucun exotisme spirituel. Parmi toutes les techniques de méditation en vogue, la pleine conscience est celle qui a le plus le vent en poupe actuellement car elle présente l’avantage d’être entièrement laïque et très simple.

Qu’est-ce que la pleine conscience ? C’est l’art d’être entièrement présent, et de développer une attention vigilante et sans jugement à nos sensations, émotions et pensées. Cela se pratique de toutes sortes de façons : une fois qu’on l’a intégrée au travers d’exercices spécifiques, la pleine conscience participe de notre quotidien. Rien de tel que de faire la cuisine, de déguster un repas, d’échanger avec quelqu’un ou de se promener en pleine conscience. Un de mes amis fait remarquer qu’en fait, on devrait parler de « pleine attention » car la conscience est duelle, toujours prise entre les opposés, mais l’attention au flot des images, des pensées, des émotions amène à sortir de la dualité, à simplement ressentir le flux impermanent des choses.

Pour l’expérimenter, commencez simplement par prendre conscience de votre corps. Vous êtes probablement assis(e) : observez les points de contact de votre corps avec le siège dans lequel vous vous trouvez ; prenez note des tensions s’il y en a, d’un éventuel inconfort ou de votre détente. Pour aller un peu plus loin, prenez conscience de votre respiration sans rien chercher à y changer. Et enfin, observez maintenant votre atmosphère intérieure : qu’est-ce qui est présent ? Quelles sont les émotions, les pensées qui vous traversent ? Il y a peut-être des idées qui agitent votre esprit, des interrogations ou des critiques qui vous viennent à la lecture de cet article. Ne cherchez pas à les changer, à les diriger. Observez…

Pour aller plus loin dans l’expérimentation de la pleine conscience, je recommande les vidéos de Christophe André, un psychiatre français, que vous trouverez sur Youtube. Je suggère en particulier : https://www.youtube.com/watch?v=pu0X3Mbf904

Beaucoup de gens pratiquent la pleine conscience sans le savoir, comme Mr Jourdain faisait de la prose sans la nommer comme telle. Les personnes qui pratiquent le yoga, le Chi Kung, le Taï Chi et les arts martiaux s’entrainent alors à la pleine conscience, dont l’accès le plus direct est la présence attentive dans le corps. Les sportifs, les artistes, etc… connaissent souvent des moments de pleine conscience qui sont aussi des moments de « flow » ou de créativité pure. D’autres vont simplement à la pêche pour goûter des moments de paix qui sont aussi des temps de pleine conscience. Car pratiquer la pleine conscience, c’est un peu comme trouver l’œil du cyclone en nous, l’endroit où l’on peut rester centré(e) en conscience tandis que tout s’agite autour de nous.

La méditation et le rêve sont encore bien souvent comme deux mondes qui communiquent peu, deux navires qui se croisent dans le noir sans qu’il n’y ait personne sur le pont pour héler l’autre. C’est dommage. Pour ma part, cela fait plus d’une vingtaine d’années que j’explore ces deux domaines et que je poursuis l’intuition qu’ils se rencontrent en de nombreux points. En particulier, il m’est apparu de plus en plus clairement avec le temps que le rêve devrait toujours être abordé d’un point de vue méditatif si on veut en retirer le plus grand bénéfice. Mais c’est en rencontrant Richard Moss, un éveillé contemporain, que j’ai trouvé confirmation de cette approche. En observant sa façon de travailler les rêves, j’ai vu la pleine conscience en action et cela a constitué un tournant dans ma propre évolution, me libérant de tout présupposé intellectuel sur la nature des rêves et de ce qui se passe quand on les écoute.

En Orient, depuis des millénaires, il y a un yoga du rêve, qui figure entre autre parmi les 6 yogas de Naropa, et qui propose des exercices de méditation pour entrer en rêve lucide : non seulement s’agit-il de devenir conscient de rêver (lucidité onirique) mais aussi d’utiliser le temps de rêve à des fins spirituelles, de méditer dans le rêve pour finalement s’éveiller dans la réalité, réaliser que la vie est une sorte de rêve. En Occident, on commence tout juste à associer pleine conscience et rêve lucide, à se rendre compte que la meilleure technique pour se préparer à la lucidité onirique est simplement de revenir au présent en pleine conscience et de se demander : « Suis-je en train de rêver ? » en cherchant les indices oniriques, les incongruités qui signalent qu’on a quitté la réalité ordinaire. Pour ceux que cela intéresse, il y a un livre très intéressant qui est paru récemment : Dreams of awakening, de Charley Morley. Mais pour la plupart d’entre nous, moi compris, ces choses relèvent de l’acrobatie de haute voltige alors nous devons nous demander : qu’est-ce que la pleine conscience peut apporter au travail du rêve, aux rêveuses et rêveurs ordinaires que nous sommes ?

Beaucoup de choses. Une étude scientifique[2] récente montre que les gens qui pratiquent la pleine conscience vivent moins d’émotions négatives en rêve, en particulier moins d’anxiété. Mon observation, c’est qu’en outre, cette pratique donne accès à des rêves plus archétypiques, qui semblent venir de couches plus profondes de la psyché que lorsqu’on ne médite pas. Cela s’explique par le fait qu’en rêve reviennent d’abord les impressions reçues dans la vie diurne que nous n’avons pas rendues conscientes. Par exemple, nous avons vécu un incident et dans le feu de l’action pour y réagir, nous n’avons pas pris conscience de notre peur et de notre colère. Et voilà qu’on va rêver que la ville est en feu et qu’on est paniqué. Ou une parole piquante nous a été adressée et dans notre énervement, nous n’avons pas fait attention aux mémoires de vieux jugements parentaux qui ont été réveillées. Une nuit, dans la suite d’un épisode de cet ordre, j’ai rêvé que j’avais la peau d’une fesse brûlée au deuxième degré, qu’on ne pouvait pas effleurer sans que je pousse les hauts cris.

En se donnant des moments de pleine conscience, c’est-à-dire d’attention vigilante à tout ce qui se passe en dedans – pensées, émotions, sensations, imaginations, mouvement intérieur, couleur de l’atmosphère psychique dans laquelle on baigne – ces émotions ou mémoires associées remontent plus facilement à la surface. On leur fait de la place, on leur donne de l’espace. En même temps, on évite de se laisser embarquer par les affects, on les observe en s’en détachant. Au lieu de ruminer sans cesse : « il n’aurait pas dû me parler ainsi », – rumination qui témoigne qu’on est dans le passé et non dans le présent – on cherche le « sweet spot » d’où l’on peut regarder ce qui nous arrive en se disant : « oulala ! je suis accroché à ce qu’il m’a dit, là… »

Dans mon expérience et selon ce que j’ai observé autour de moi, la pratique de la pleine conscience permet de nettoyer ces premières couches de la psyché et d’avoir des rêves souvent plus archétypiques. Mais la pleine conscience est aussi un ingrédient essentiel du travail du rêve. C’est Richard Moss, qui connait très bien la psychologie des profondeurs et l’enrichit d’une expérience d’éveil spontané qu’il a enraciné avec des décennies de méditation, qui m’a éclairé sur ce sujet. Pour lui, le rêve et la méditation sont chacun un pilier du travail intérieur, avec le service entre autres. Je recommande en particulier le chapitre qu’il a consacré à ce sujet dans son livre intitulé Le second miracle. Dans sa pratique, il enseigne que nous faisons souvent deux erreurs typiques dans l’approche du rêve :


  • Nous abordons le rêve comme s’il s’agissait d’un objet séparé de nous, à la recherche d’une compréhension « objective ».

  • Nous approchons le rêve à partir de notre tête, avec des théories pour parler « sur » le rêve au lieu de laisser parler le rêve.

Mais le rêve fait partie de nous, c’est l’expression d’un processus psychique, c’est-à-dire vivant en nous. Quelque chose d’inconscient dans la psyché veut devenir conscient et prend forme d’images intérieures, au sens large – c’est-à-dire non seulement d’images visuelles mais de tout ce qui stimule nos sens intérieurs. Une image intérieure, cela peut être aussi un son, une musique, un parfum ou une odeur, une sensation et même une émotion, ou encore une atmosphère indéfinissable. Il s’agit de nous laisser travailler par ces images intérieures qui surviennent du dedans, qui portent toutes un noyau de conscience.

La compréhension profonde des rêves repose souvent plus sur une attitude intérieure d’ouverture au rêve que sur toutes les méthodes ou grilles d’analyse. Jung dit bien qu’il faut étudier tous les livres mais que devant un rêve, il faut tous les mettre de côté car le rêve est unique comme le rêveur est unique. Cette ouverture, on ne peut la trouver que dans le présent. Il s’agit d’écouter le rêve sans aucune idée préconçue qui nous viendrait du passé, ni anticiper déjà comment on va répondre au rêve, ni juger le rêveur, ni se perdre dans une théorie. Il faut être présent au rêve, à la façon dont les images nous touchent, à ce qu’elles déclenchent en nous, qu’on soit la personne qui a rêvé ou qu’on entende le rêve d’autrui. On ne devrait aborder les rêves qu’à partir de l’instant présent de son écoute, qui nous ramène au fait que le rêve se déroule toujours dans l’instant présent du rêve. 

Car un rêve, c’est un vécu, et on ne vit que dans le présent.

Alors, si on approche le rêve dans une attitude d’ouverture à l’inconnu en nous, tôt ou tard le rêve s’ouvre. Ce n’est pas nécessairement qu’on le comprend, qu’on peut se l’expliquer. Mme Von Franz soulignait fréquemment que la compréhension intellectuelle peut avoir quelque chose de brutal, de mutilant pour la psyché. Mais quelque chose devient tôt ou tard conscient. Jung recommandait de tourner autour du rêve, de le garder à l’esprit en vaquant à nos occupations, jusqu’à ce qu’il s’éclaircisse. On peut donc ajouter qu’autant que possible, il faut tourner autour du rêve en pleine conscience, sans perdre le contact donc avec notre vie extérieure mais surtout, en ce qui concerne le rêve, avec ce que chaque image nous fait ressentir, ce qu’elle meut en nous.

Le premier pas dans ce sens, c’est de raconter le rêve au présent, que ce soit en l’écrivant dans notre journal ou en le disant à une oreille attentive, ou encore en se le remémorant. En racontant très lentement le rêve au présent, et en commençant toujours par se situer – « je suis… » et non « j’étais… » –, on sollicite les émotions associées à chaque image, à chaque élément du rêve, et on suit sa dynamique, son cours émotionnel. J’insiste sur la lenteur nécessaire. Il faut prendre son temps pour sentir ce qui se passe en dedans. Une astuce consiste à détacher chaque mot si on parle, et à prendre une respiration à chaque fin de phrase. En méditation profonde, en faisant l’exercice de revivre ainsi notre rêve, on peut respirer « dans » chaque image, en restant simplement présent à ce qu’elle nous fait ressentir.

Un exemple : Je rêve que je suis assis sur le bord d’une rue ensoleillée, et que je vois une petite fille de trois ou quatre ans en robe rouge traverser la rue. Elle est adorable, une petite boule d’énergie pure. Mais voilà qu’elle trébuche et tombe de tout son long. Elle n’a pas le temps de se relever, ni moi de me soulever de ma chaise, qu’une voiture arrive à toute allure. Je suis saisi de peur, paralysé. La voiture freine et s’arrête à quelques centimètres de la petite fille qui se relève et repart comme si rien ne s’était passé, joyeuse et insouciante.

Passons sur l’analyse symbolique que j’ai pu faire de ce rêve, qui m’a parlé des inquiétudes que je nourrissais concernant un projet professionnel et créatif. J’avais beau l’interpréter, il continuait à me solliciter jusqu’à ce que j’aie pris le temps de méditer avec ce rêve. Ce n’est qu’en restant entièrement présent à toutes les émotions associées aux images du rêve que j’ai pris conscience que l’essentiel du rêve n’était pas la peur que j’avais ressentie, et l’anxiété à laquelle je pouvais la relier, mais l’amour que suscitait en moi la petite fille, la joie et la légèreté qu’elle me communiquait. La pleine conscience appliquée au rêve m’a finalement permis de me relier consciemment à cette petite fille en moi. Car pour dialoguer avec nos personnages de rêve en imagination active, il faut encore s’enraciner dans le présent, dans le corps en particulier, pour concentrer notre attention sur nos pensées et émotions.

Cette approche vaut non seulement pour le travail de nos propres rêves que pour l’écoute d’autrui. J’ai déjà mentionné comment il faut être présent au rêve et à la personne qui a rêvé en respectant ce qu’ils ont d’uniques, ici et maintenant. L’écoute du rêve réclame un certain silence intérieur, pour accueillir les images, et l’analyste aussi – et surtout – est tenu d’être présent à ce qui se passe en lui à l’écoute du rêve, ce qui permet un dialogue authentique avec la personne qui a rêvé. Il arrive que l’analyste sente des choses dont le rêveur ne peut pas prendre immédiatement conscience. Et puis, plutôt que de chercher à intellectualiser les images intérieures, on peut toujours simplement demander :

« Et qu’est-ce que tu sens quand tu évoques cette image ? Qu’est-ce qui te vient là, maintenant, avec cette image : quelle émotion, quelle pensée ? »

Vous observerez que la plupart des gens, à cette question, répondent « je ne sais pas » ou encore, après un temps de réflexion : « je pense que… », ce qui est révélateur du fait qu’ils ne sont pas en contact avec leur senti. Il est alors tout à fait indiqué de pratique la méditation de pleine conscience.  La clé est en effet de ressentir le rêve en profondeur, et ressentir, cela se passe toujours dans le présent. Quand on est bien ancré dans le senti, il devient aisé d’observer les pensées qui viennent par association et de faire des connexions avec d’autres ressentis, qui viennent de la vie diurne. Cela ne nécessite aucun diplôme, ou savoir spécifique. On peut le pratiquer entre conjoints, avec des enfants, au bureau ou entre amis. Il n’y a aucun dommage qui puisse être causé par la question : « et qu’est-ce que tu sens avec cette image de rêve, qu’est-ce que cela te donne à vivre ? »

Une amie m’a téléphoné. Elle a rêvé qu’elle a été cambriolée, qu’elle a trouvé son lit souillé, ses affaires retournées, et quand elle est allée dans la salle de bain, elle a été fort surprise de constater qu’un mur avait été abattu, et qu’elle avait vue sur la chambre à coucher des voisins, en grand désordre, jonchée de détritus. Elle se disait ébahie de découvrir ainsi la réalité cachée de ces voisins si propres sur eux dans le réel. Nous n’avions pas le temps de nous lancer dans une grande analyse. Je lui ai simplement demandé d’abord de prendre le temps de bien s’ancrer dans l’instant présent, et je lui ai posé la question : « Qu’est-ce que tu sens quand tu revois l’image de ton appartement cambriolé ? » Elle est exercée à ces jeux, et après trente secondes de silence pendant lesquelles je l’entendais profondément respirer, elle s’est ouverte à l’image et m’a répondu avec une économie de mots : « indignation ». Et nous avons continué avec le lit souillé, les affaires retournées, la salle de bain, le mur abattu, la chambre à coucher des voisins : « Comment tu te sens, avec cette image ? Qu’est-ce qui se passe en toi si tu prends le temps de rester avec elle ? »

Une fois que nous avons déchiffré ce que j’appelle la « grammaire émotionnelle » du rêve, c’est-à-dire la structure de son phrasé émotionnel, je lui ai posé la question subsidiaire : « Dans quel domaine de ta vie ressens-tu des choses similaires, et pour commencer cette indignation ? » Après un temps d’écoute intérieure, une forte émotion est montée. Elle avait vécu dans les jours qui ont précédé le rêve une situation professionnelle où elle avait eu le sentiment qu’un collègue n’avait pas respecté ses frontières personnelles, mais elle n’avait pas pris conscience de l’indignation que son comportement suscitait en elle, et de la mesure dans laquelle elle se sentait atteinte dans son intimité. Nous avons continué à parler en restant proches de ce qu’elle ressentait et du rêve. Il est apparu que cet incident avait souillé son espace relationnel avec les hommes, qu’elle avait tendance dans sa colère à tous rejeter pour cette muflerie. Mais finalement, elle a éclaté de rire car elle pouvait maintenant connecter l’ébahissement qu’elle ressentait devant le mur abattu et la vue sur la chambre des voisins à celui qui lui venait en pensant à ce que ce comportement révélait de son collègue, de sa façon d’être en relation avec les femmes, de sa propre intimité.

On peut enfin voir un lien organique entre la visée des rêves et la pleine conscience au sens large : la compréhension d’un rêve élargit notre conscience en l’enrichissant d’éléments qui étaient jusque-là inconscients. Le travail des rêves, c’est-à-dire la façon dont les rêves nous travaillent quand on y prête attention, tend vers une pleine conscience des situations que nous vivons, de nos besoins, de nos désirs, des subtilités relationnelles, etc. Quand on parle d’inconscient, l’erreur la plus commune est d’en faire un concept dont on peut parler, qu’on peut manipuler mentalement, alors que c’est simplement ce qu’on ne voit pas à propos de nous-mêmes, de notre vie, des situations que nous vivons. Par exemple, on a eu une dispute et on ne voit que notre point de vue, et le rêve vient gentiment nous montrer l’autre côté de la situation, en quoi le point de vue de l’autre est aussi légitime que le nôtre. Nous n’en étions pas conscients, et voilà que cela devient une réalité présente : c’est ainsi que l’inconscient devient conscient, aidé par notre pleine attention…

En conclusion, je vous renvoie au modèle de la fleur de conscience[3] que j’affectionne particulièrement. On ne peut en fait parler de ces choses que métaphoriquement, au travers de symboles. Dans ma compréhension, un rêve est une fleur de conscience, comme une jeune pousse qui perce la croute de terre et sort de l’obscurité, tend vers la lumière. C’est quelque chose qui pousse d’elle-même, naturellement, dans la psyché et qui tend à devenir conscient au travers des images intérieures. J’ai découvert récemment que Jung utilisait la même métaphore :

« Comme une plante produit des fleurs, la psyché crée ses symboles. Tout rêve témoigne de ce processus. »

Dès lors, sachant qu’on n’aide pas une plante à pousser en tirant dessus, il semble que le travail des rêves demande la patience du jardinier, c’est-à-dire d’être simplement présent pour arroser de notre attention ce qui est là, sans projet.



[1] Professeur émérite de médecine, Jon Kabat Zinn a fondé la Clinique de Réduction du Stress de l’Université médicale du Massachusetts. Il a publié de nombreux livres dont le remarquable Au cœur de la tourmente.
[2]  Mindfulness and dream quality: The inverse relationship between mindfulness and negative dream affect - Simor, P., Köteles, F., Sándor, P., Petke, Z. & Bódizs, R. (2011) https://www.researchgate.net/publication/51062097_Mindfulness_and_dream_quality_The_inverse_relationship_between_mindfulness_and_negative_dream_affect