mardi 7 janvier 2020

Ecoute intérieure du rêve


J’aimerais vous parler ici, dans un article de synthèse dans lequel vous trouverez de nombreux renvois à d’autres articles pour approfondir le propos si le cœur vous en dit, de l’aboutissement provisoire de ma recherche en matière de travail avec les rêves. Je dis « provisoire » car bien sûr, la rivière serait présomptueuse de se croire arrivée tant qu’elle ne s’est pas jetée dans l’océan mais j’ai la conviction que s’est établi, au cours ces deux dernières années, le socle de mon approche des rêves. Celles et ceux qui me connaissent bien savent que j’aime les mots et je les emploie avec précision : je ne parle pas de méthode de travail avec les rêves mais bien d’une approche, comme on approche à pas légers un mystère, un animal sauvage pour ne pas l’effaroucher, une personne aimée pour l’embrasser dans son cou. Les rêves sont tout cela et bien plus encore : un mystère vivant, une réalité sauvage et une source d’amour.

C’est de la relation vivante avec les rêves dont je veux vous entretenir aujourd’hui. Ce faisant, j’ai à l’esprit les mots de mon enseignant spirituel Richard Moss dont je regardais une vidéo hier dans laquelle il nous invitait à considérer la relation comme un être vivant. Toutes nos relations, à commencer par notre relation avec nous-même, la relation avec autrui, la relation avec la Terre, la relation avec le grand Mystère d’être. C’est un changement radical de paradigme que de considérer la relation comme étant un être vivant ayant ses propres besoins, sa propre vie et sa propre intelligence. Par exemple, dans le dialogue entre deux êtres, il se produit un shift radical en considérant qu’une fois entendus les besoins et points de vue de chacun, la relation a son propre point de vue et ses besoins propres à exprimer. Tout à coup se produit un élargissement de perspective. En termes spirituels, nous pouvons parler alors de l’irruption du Saint Esprit qui relie les deux que sont le Père/Mère et le Fils/Fille. Il est qualifié de « saint » car l’ultime de la relation est l’Amour qui ré-unit les deux en une unité, qui les amène à se re-connaître.

Voilà pour le contexte spirituel du travail dont je veux vous parler, qui n’est qu’un élément d’un Travail plus vaste que Byron Katie comme Richard Moss, et avant eux d’innombrables enseignants, ont appelé simplement « the Work ». Le Travail de conscience. Il n’a qu’une visée : la libération de la conscience de toutes les illusions qui l’enchaînent. L’éveil, la sortie du grand sommeil dans lequel nous sommes tou.te.s plongé.e.s. J’en ai amplement parlé dans un article présentant ce que j’appelle la voie du rêve, où le paradoxe est qu’il faut traverser le rêve pour sortir de notre endormissement, de l’hypnose dans laquelle nous maintient notre attachement aux choses extérieures.

Cela fait longtemps que j’explore le croisement entre le travail avec les rêves et la méditation, ou plus précisément, le mariage entre rêves et pleine conscience.

Richard Moss
Le travail avec les rêves ne peut donc se réduire à une pratique psychothérapeutique poursuivant des buts de développement personnel de bien-être à tous prix. La recherche d’une guérison, d’un chemin hors de la souffrance, est souvent le point d’entrée dans le travail avec les rêves, tout comme il est le point de départ de toutes les voies d‘éveil selon les Quatre Nobles Vérités du Buddha Gautama. Mais en écoutant les rêves, nous faisons une découverte dont mon grand-père spirituel Carl Jung a abondamment parlé : il y a quelqu’un en nous qui sait ce qui est bon pour nous, qui nous connaît mieux que nous-mêmes, qui nous prend volontiers par la main pour nous emmener à la rencontre de nous-mêmes, de Qui nous sommes vraiment.

Voilà donc que nous parlons du fameux Inconscient qui est la source des rêves. Disons-le, c’est un épouvantail à moineaux auquel les idiots qui ont besoin de certitudes accrocheront toutes sortes de fantasmes, mais la seule définition valable de l’inconscient est celle qu’en donnaient Freud et Jung qui proposaient là un concept négatif qui n’affirme rien mais désigne tout ce dont nous sommes inconscients à propos de nous-mêmes. L’inconscient, c’est ce qui est hors du champ de notre conscience et dont nous ne pouvons rien savoir directement, dont nous ne pouvons pas donc parler autrement qu’en termes négatifs. Nous ne pouvons le connaître qu’à travers ses « rejetons », c’est-à-dire la façon dont il intervient dans notre vie psychique au travers des rêves, mais aussi des idées qui nous viennent, de nos fantasmes et de nos imaginations, de nos obsessions et nos omissions, de nos émotions, de nos lapsus linguae, de nos attirances et nos répulsions, de nos symptômes, etc.

Dans l’inconscient, il semble qu’il y ait d’une part tout ce que nous avons oublié de nous-mêmes et de notre histoires, nos mémoires, qui ne sont pas des mémoires simplement personnelles mais dans lesquelles on retrouve des mémoires familiales, transgénérationnelles et bien au-delà, des mémoires qui nous ramènent au commencement des choses, à toutes nos âmes. Et puis il y a une source créative toujours neuve, qui est capable de toujours proposer une vision nouvelle, une solution inédite aux problèmes que nous rencontrons. Quand nous vivons une situation, nous avons tendance à y réagir à partir de nos mémoires conscientes et inconscientes, du connu, mais il est fréquent que le passé ne puisse répondre au défi présent. Et puis, en écoutant nos rêves, nous y trouvons éventuellement des indications qui permettent d’élargir notre vision des choses et des propositions créatives. De « réaction » à « création », il n’y a qu’une lettre, le C de « conscience » qui se déplace.

Une vie à l’écoute des rêves est une vie de moins en moins réactive, de plus en plus créative.

Il semble, selon plusieurs études et les traditions chamaniques, que l’avenir se crée dans les rêves. C'est-à-dire que nos rêves contiennent beaucoup d'éléments qui appartiennent au futur...


Je ne qualifierai pas la nature de cette source créative en nous mais je crois pour ma part qu’au travers des rêves, nous sommes en lien avec le mouvement Créateur qui nous prête vie. Nombre d’indices laissent penser que cette source est à la fois transcendante et immanente, et possède une sorte de « savoir absolu », pour reprendre les mots de Jung. C’est là ce qu’il appelait le Soi, qui est le diamant caché dans le voile de notre inconscience. Dans la lignée de Jung, dont je me réclame, le travail avec les rêves est un moyen d’entretenir une relation intime avec cette source sans que n’interfère aucune autorité, aucune théorie, aucun prêtre…

C’est pour cela que je ne vous parlerai pas d’une méthode de travail des rêves non plus que d’une théorie infaillible. La faille qu’il y a dans toutes les théories m’intéresse plus que toutes les certitudes. On pourrait dire que toutes les théories ont un point aveugle, une zone d’inconscience, et que c’est par là que s’engouffre l’Infini, ce qui ne se laisse pas limiter mais qui est à l’œuvre, dans les rêves comme dans la vie. C’est l’ouverture d’un espace à ce mouvement qui m’intéresse plus que toutes les tentatives de le mettre en boîte, dont Alan Watts signale qu’il est aussi vain que de tenter d’attraper de l’eau courante à mains nues. Je propose donc une approche des rêves qui n’est ni psychologique, ni spirituelle, mais qui se veut poétique, au sens originel du mot grec poiêsis qui réfère à la création, et qui évoque aussi le libre jeu des images intérieures et des métaphores, du grec métaphoros – ce qui emmène plus loin. Plus loin que ce nous connaissons. Vers le Nouveau.

Il existe d’innombrables méthodes de travail avec les rêves. Elles sont toutes (plus ou moins) valables, tout comme toutes les voies qui permettent d’escalader une montagne sont valables. Ce qui compte, c’est d’arriver au sommet, et non la voie qu’on prend, à condition de ne pas s’arrêter en chemin. Elles sont adaptées à différentes personnes, différentes situations, différentes demandes, différents rêves. Ce qui est inacceptable, c’est la prétention de certaines d’être universelle et de s’élever au-dessus des autres ou de nier leur valeur ; c’est dans la mesure où il y a une prétendue supériorité et une certitude définitive qu’on est en présence d’une forme d’escroquerie. Quand une méthode prétend à l’universalité, elle nie la diversité créatrice illimitée des rêves – on pourrait dire qu’elle prétend limiter le Divin. C’est le problème avec toutes les méthodes : une méthode est un moyen que le conscient emploie pour tenter d’enfermer quelque chose qui le dépasse dans un schéma pré-défini…

Le problème avec les théories et les méthodes du rêve, c’est que, même si elles mettent un concept du Soi au centre pour nous expliquer comment il nous interpelle, elles vont avoir tendance inconsciemment à tordre le rêve pour qu’il rentre dans la théorie, qui devient un lit de Procuste. Le Soi se rit de ce genre d’artifice, et tôt ou tard survient un rêve incompréhensible, irréductible à la théorie. Il faudrait qu’une méthode marche tout le temps, avec tous les rêves et toutes les personnes, et voilà, le « problème » du rêve serait réglé. Cela ne marche pas ainsi. Pas plus qu’il n’y a une méthode pour vivre. Tout au plus y-a-t-il un art de vivre, et un art du travail avec les rêves.

Une approche poétique, amoureuse. Y-a-il une méthode pour aimer ?


Je m’appuie donc pour ma part sur ce que disait Jung, dont je fais un principe central :

« Étudiez toutes les méthodes, lisez tous les livres, mais devant le rêve, écartez-les car le rêve est unique comme le rêveur est unique. »

C’est l’unicité du rêve, l’unicité de la personne, l’unicité du moment qui méritent d’être rencontrées, pas la théorie avec laquelle le mystère vivant du rêve pourrait être étouffé. C’est pourquoi, plutôt que travailler les rêves pour en extraire un sens, comme on viole la terre pour en extraire du minerai, je propose que nous nous laissions travailler par les rêves comme le rocher est sculpté patiemment par les vagues de la mer. Quand on écoute en profondeur les images de rêve, ce qu’elles nous font ressentir, comment nous résonnons à celles-ci, nous en sommes profondément émus, c’est-à-dire que surgit un mouvement d’énergie (e-motion) et transformé.e.s.

Je viens sans avoir l’air d’y toucher d’évoquer une notion clé : la résonance.

Le travail avec les rêves que je propose est un travail qui va au-delà de l’interprétation, qui bien souvent d’ailleurs est une explication du rêve. Je n’ai rien contre l’interprétation, qui consiste en lire le rêve et le traduire dans d’autres mots. J’interprète moi-même volontiers des rêves quand il y a lieu. Je prétends que pour pouvoir aller vraiment au-delà de l’interprétation des rêves, en tous cas pour enseigner des voies qui mènent à cet au-delà, il faut bien connaître l’interprétation. Sinon, on va volontiers dire des âneries. Mais je suis très fermement opposé aux explications du rêve car elles réduisent celui-ci à quelque chose de connu : bah, « si tu rêves ça, c’est parce que tu as vu un film à la télé », ou « ton rêve, ce n’est que ta sexualité infantile qui remonte ». De telles affirmations sont des crimes contre le rêve, des tentatives de meurtre.

Or ce qu’on fait à un rêve, on le fait à sa propre âme, nous disait Jung en nous mettant en garde.

Il nous faut donc abandonner une certaine prétention à l’objectivité du travail avec les rêves. Nous ne pourrons que résonner subjectivement au rêve, et laisser celui-ci se déployer dans son objectivité qui lui est propre. Jung parlait de « l’objectivité de la psyché » en parlant du rêve, c’est-à-dire qu’il disait que la psyché nous renvoyait un reflet dans un miroir objectif. Certains interprètes de rêve veulent croire que leur méthode et théorie leur permet de prétendre à être eux-mêmes objectifs dans leur interprétation. On alors est devant le syndrome du moi qui s’identifie au Soi, de l’humain qui se prend pour Dieu – ils disent simplement et naïvement ainsi qu’ils sont en inflation. C’est la psyché et le rêve qui sont objectifs, et l’interprète est nécessairement subjectif, déterminé et aveuglé par son propre inconscient. Il faut se garder de toute affirmation quant à la vérité du rêve.

Quand le message du rêve nous parvient, on le sent. C’est un mouvement intérieur, un haha !

Nous devons donc toujours réaffirmer avec Von Franz, la proche collaboratrice de Jung, que « toute interprétation est une projection », n’en déplaise à ceux qui ont cru pouvoir s’élever au-dessus de leur propre subjectivité, en particulier chez les jungiens.

C’est là qu’intervient la notion de résonance. En physique, un matériau résonne à un autre matériau quand il vibre à la même fréquence que ce dernier. Prenez deux plaques de métal posées l’une en face de l’autre. Donnez un coup dans l’une d’elle. Cela va faire un son. Après un moment la seconde plaque de métal va, sous l’influence du son qui est la propagation de la vibration dans l’air, se mettre à vibrer à la même fréquence que la première. Pour le vérifier, poser votre main sur la seconde plaque de métal. Vous serez surpris de sentir qu’elle vibre…

L’expérimentation en cercles et loges de rêves m’a montré que nous résonnons spontanément aux rêves. C’est-à-dire que chacune des personnes qui entend un rêve éprouve des ressentis émotionnels et physiques, et voit monter en elle des images intérieures, qui répondent au rêve. Quand ces images et ressentis sont exprimés à la personne qui a rêvé, le rêve est mis en mouvement dans la psyché de cette personne, c’est-à-dire que s’ouvrent tout à coup des perspectives insoupçonnées qui amènent à une compréhension inédite du rêve. Il n’est pas question de proposer une interprétation du rêve mais seulement des résonances dans le senti, et des images qui tiennent tout à fait de la projection assumée – chacun.e offre sa résonance subjective au rêve.

En loges de rêves, le rêve n’est pas interprété, il est déployé en de multiples facettes.

Moins on croit en savoir sur les rêves, plus c’est facile. Les seules personnes qui ont de la difficulté avec ce travail sont les interprètes et les analystes de rêves qui montent tout de suite dans leurs têtes au lieu de rester en contact avec le senti du rêve. Ce sont les même qui s’offusquent éventuellement des projections proposées en réponse au rêve, sans réaliser que dès lors que la subjectivité de ces images est assumée, le rêveur ou la rêveuse est libre d’en faire ce qu’il ou elle en veut, sans le prendre pour argent content. En fait, leur effroi est le reflet de leur propre inconscience devant les dégâts qu’ils peuvent faire en assenant leurs interprétations en leur donnant force de vérité. Ils sont invités à descendre de leur piédestal de sachant à propos du rêve, et ce n’est pas facile du tout.

Pour tous les autres, qui ont la simplicité de cœur qui consiste à être simplement en contact honnête avec leur ressenti, c’est une voie royale dans laquelle il n’est besoin d’aucune connaissance psychologique préalable. Ils rejoignent en cela nos ancêtres, qui n’ont pas attendu que nous ayons des universités pour très bien comprendre les rêves qui leur advenaient.

Curieusement, il n’est même pas besoin de connaître le contexte. Plus nous avons de contexte à propos d’un rêve, plus nous sommes portés à analyser, c’est-à-dire à tirer des liens conscients entre les éléments. Or ce dont il est question ici, c’est de la résonance dans le senti.


Quelques principes simples guident ce travail :

Le rêve est vivant. On le constate au fait qu’un rêve a plus ou moins de vitalité, contient plus ou moins d’énergie psychique. Il arrive souvent qu’une personne vienne dans un cercle avec dans l’idée de présenter un rêve, et que ce soit un autre rêve qui se précipite au moment où elle arrive dans le cercle en disant : « moi, moi ! ». Plus avant, le rêve a sa propre volonté et sa capacité propre de trouver ses voies pour faire parvenir ce qu’il veut à la conscience du rêveur, de la rêveuse…

Nous pouvons faire confiance au rêve, au lieu de prétendre l’assujettir à une méthode, pour trouver son propre chemin. J’ose dire que si les rêves amènent une compréhension éclairante, c’est le plus souvent non pas grâce aux méthodes employées pour le faire parler, mais malgré les méthodes, qui tiennent souvent des forceps, alors que l’accouchement du rêve est naturel.

Quand nous entendons un rêve, il devient notre rêve. Ce sont aux images qu’il a suscité en nous que nous résonnons. C’est ce qui nous permet de rester ancrés dans la subjectivité du rêve.

Les rêves viennent d’un espace où nous ne sommes pas séparés. Il n’est pas rare qu’une personne reçoive la réponse dont elle avait besoin aux questions qu’elle se posait en entendant le rêve d’une autre personne – c’est ce que je constate depuis longtemps dans les cercles de rêves, et qui m’a permis de toucher à la réalité vivante de l’inconscient collectif dont parlait Carl Jung. C’est ce qui nous permet d’entrer en résonance avec le rêve et de toucher aux aspects transpersonnels de celui-ci.

Le rêve est une énergie qui cherche à s’incarner. En fait, il ne s’agit pas tant de comprendre ce que veut dire le rêve comme s’il s’agissait d’un message. Cette vision du rêve comme d’une lettre qui nous serait envoyée par un sage résidant en nous est très limitée. Selon la vision des peuples premiers amérindiens, le rêve est la réponse créative qui nous renvoie la Source lorsque nous lui apportons, au cours de la nuit, nos expériences de vie. C’est une énergie qui cherche à provoquer un mouvement de vie en nous...

Il faut éviter de parler sur le rêve comme si nous en étions séparés, pour chercher plutôt à faire parler le rêve à travers nos ressentis. Le rêve prend voix à travers nos sensations, nos émotions, les images intérieures qu’il suscite en nous. Il s’agit d’écouter le rêve en profondeur, à l’intérieur, pour être capable de lui prêter notre voix en toute humilité, avec notre subjectivité.

Je n’insisterai jamais assez sur le fait que l’élément essentiel de ce travail ne tient pas dans une méthode mais dans une éthique du travail, c’est-à-dire dans une certaine qualité de relation au rêve et aux personnes qui rêvent. C’est l’attitude intérieure de la personne qui facilite le travail, que ce soit en cercle de rêves ou dans le cabinet analytique, qui va permettre à l’esprit du rêve d’opérer son Alchimie dans l’athanor. On peut parler alors à juste titre du travail de l’Esprit Saint tant les résultats sont parfois miraculeux, et tant pis pour celles et ceux qui ne veulent pas entendre parler du caractère sacré de ce travail, qui tient de la célébration du Mystère, de la communion. Quand je parle ici de "miracle", je ne veux pas dire que quelqu'un s'est mis à marcher sur l'eau dans sa baignoire ou parler de guérison miraculeuse mais simplement de changement radicaux de perception dans le registre qu'évoque Marianne Williamson dans son livre Un retour à l'amour.


C’est à partir de là, de ces prémisses et de l’expérimentation tant en loges de rêves, en laboratoire avec de petits groupes de chercheuses et chercheurs, que dans le travail analytique en tête à tête, que cela devient passionnant…

Tout ce que j’ai dit précédemment s’enrichit encore de deux éléments qui ont une portée à mon sens encore insoupçonnée et qui constituent le cœur de cette approche que j’appelle désormais l’Écoute Intérieure du Rêve.

Les deux dernière idées que je veux vous amener ici coulent de source à partir de ce qui précède et s’appliquent aussi bien dans le travail en cercle ou loges de rêves que dans le travail individuel. Elles pavent la voie à une approche direct du cœur du rêve.

La première de ces idées, qui découle du principe qui veut que le rêve est une énergie vivante, est que le rêve est produit par l’intelligence globale du corps, et non par le seul cerveau. Il y a des preuves expérimentales de cette affirmation comme par exemple le fait avéré que la mémoire du rêve et dans le corps, ou le constat de ce que les émotions s’inscrivent dans le corps (voir par exemple le travail de libération des cuirasses de Marie-Lise Labonté, et toutes les approches psycho-corporelles). C’est le corps qui résonne aux images de rêves, et non le mental, qui n’est pas capable de résonner, mais seulement de raisonner. Comme disait le chaman Chura à Luis Ansa dans les Sept Plumes de l’Aigle : un cerveau, ça ne sent pas…

C’est le corps, et notre ressenti corporel et émotionnel (mais les émotions sont toujours inscrites dans le corps) qui sont notre principal instrument pour résonner à un rêve, pour nous orienter dans la direction que suggère l’énergie du rêve. Il ne s’agit pas pour autant de dissocier le corps du mental mais plutôt d’entrer dans une vision unitive de l’ensemble corps-mental, de la même façon que les bouddhistes parlent du body-mind en affirmant de façon tranchante : il n’y a rien d’autre que le corps et le mental. C’est-à-dire qu’il y a le ressenti et la re-présentation que nous nous en faisons, de quelque ordre que ce soit cette représentation : intellectuelle, symbolique, etc.

C’est l’ancrage dans le senti du corps qui nous permet de savoir si nous faisons fausse route, ou si nous sommes en accord avec le rêve. C’est dans le corps que le mouvement intérieur du rêve est ressenti, et c’est encore dans le corps que se produit le déclic éclairant du rêve intégré.

J’ai été amené à cette conclusion par différents biais. D’abord, ma pratique conjointe de la méditation et du travail avec les rêves m’a amené, dès les premiers cercles de rêves que j’ai donné en 2007, à expérimenter avec l’interprétation des rêves selon qu’elle était précédée par des méditations actives ou non. J’ai constaté alors que plus nous étions ancrés dans le corps par des pratiques de pleine conscience, plus l’interprétation était économe de mots et pertinente, pour ne pas dire percutante. J’en ai tiré un principe simple de travail :

On devrait toujours approcher un rêve en pleine conscience.

Si on n’est pas en pleine conscience au moment de l’écoute d’un rêve, on est « parti » dans notre tête, dans le passé ou dans le futur, dans un jugement ou dans une théorie. L’ancrage dans la pleine conscience de notre corps, de notre senti, est le fine tuning de notre instrument d’écoute.

Ensuite, j’ai beaucoup expérimenté depuis deux ans avec le déploiement du rêve dans des exercices sonores (chant spontané) et/ou corporels (mouvement authentique, rituels spontanés). J’ai constaté que ce type d’exercice amplifiait remarquablement l’intégration de l’énergie du rêve, au point qu’il n’était plus vraiment important de le comprendre. Le rêveur ou la rêveuse est tout simplement amené.e « ailleurs », plus loin, par l’énergie du rêve mise en mouvement.

Enfin, j’ai constaté dans mes premiers ateliers d’écoute intérieure du rêve que ce dernier résonne d’autant plus clairement qu’on laisse d’abord le corps s’exprimer, et les autres étages (émotionnel, intellectuel, etc) s’exprimer ensuite. Ainsi, j’ai été amené à proposer en loges de rêves que la personne qui résonne à un rêve prenne d’abord la posture que lui inspire le rêve, et offre sa résonance à partir de cette posture, en la maintenant. Cela est cohérent avec le fait que l’énergie de notre psyché se traduit de façon primaire, et généralement inconsciente, par une posture associée à un ressenti, ce qu’apprennent à déchiffrer les personnes habituées à la lecture du langage corporel. Il s’est avéré que plus l’ancrage dans le corps était approfondi, plus la résonance était incisive, avec une économie de mots, et encore une fois, pertinente sinon percutante.

L’autre idée qui s’avère déterminante pour ouvrir la perspective de l’écoute intérieure du rêve, c’est que chaque élément du rêve a sa propre subjectivité, c’est-à-dire qu’il est lié à un ressenti émotionnel et corporel, et qu’il a des choses à dire, sa propre voix, sa volonté. C’est la conséquence pratique d’un lieu commun à propos des rêves qui veut que tout ce qu’il y a dans un rêve fait partie de nous. Je dis que c’est un lieu commun car ce n’est pas tout à fait vrai si l’on s’en tient à une définition seulement personnelle de ce « nous » : tout ce qu’il y a dans un rêve ne fait pas nécessairement partie de « moi ». On touche parfois (souvent) par là à des choses qui sont au-delà de notre petit « moi » et même de notre inconscient personnel. Mais le point qui est important, c’est que même si les symboles du rêve nous relient à des éléments de l’inconscient collectif, nous y avons un accès par l’intérieur, par notre ressenti. C’est là qu’on entre dans le domaine du travail du rêve avec l’imagination active, ou mieux, avec l’imagination créatrice…

La clé, que m’a amené un analyste jungien nommé Robert Bosnak, dont je parle en particulier dans une conférence que vous pouvez voir ici, c’est que le rêve s’avère être un écosystème dynamique de subjectivités qui interagissent. Le rôle de la conscience dès lors est d’entrer en relation avec ces différentes subjectivités, qui sont autant de points de vue différents qui vivent en nous, et aussi de faciliter la prise de conscience que ces différentes subjectivités peuvent avoir les unes des autres. Car comme nous, elles ont tendance à se croire isolées, seules au monde, mais en réalité, personne n’existe seul, sans être en relations. Dès lors, il se produit un effet de seuil remarquable quand la conscience tient ensemble toutes ces subjectivités, les amène à co-exister consciemment avec en particulier une conscience claire des ressentis liés à chacune d’elle. Il se produit alors généralement une ré-organisation du système psychique dans ce qu’on appelle une « transition de phase », c’est-à-dire que le système passe par un « saut quantique » d’un état de relatif désordre à un nouvel ordre émergent. Je vous renvoie aux thèses d’Illya Prigogyne sur les système dissipatifs pour les détails de cette métaphore à caractère physique, mais non seulement puisqu'elle concerne tous les systèmes énergétiques.


Prenons rapidement l’exemple d’une image de rêve simple. Le rêveur rêve qu’il est dans la rue, devant un pot de fleur, et qu’au moment où il constate que la fleur qui est dans ce pot manque d’eau, et est en train de se dessécher, une voiture passe qui klaxonne et le fait sursauter. Il lève alors la tête et voit une jolie femme venir vers lui sur le trottoir.

Avec l’écoute intérieure du rêve, on va éviter d’aller dans l’interprétation pour commencer même s’il y aurait des avenues assez évidentes. En tant que facilitateur, ma résonance est qu’il serait bon de savoir ce qui se passe si le rêveur donne de l’eau à la plante, mais d’abord, nous allons explorer le rêve en questionnant :

Comment se sent le rêveur ? Il est un peu perdu, avec les jambes qui flageolent un peu. Comment est cette rue ? Elle est ouverte, ensoleillée. Qu’est-ce que c’est d’être un pot de fleur ? Tout de suite, le rêveur parle d’un resserrement dans sa poitrine, d’une légère difficulté à respirer avec un sentiment d’oppression. Allons voir plus loin : qu’est-ce donc que d’être une fleur qui a soif dans ce pot de fleur ? Une tristesse monte avec une pointe au cœur. Qu’a-t-elle à dire ? A partir du ressenti, c’est très clair : occupe-toi de moi.

Avant de donner à boire à cette plante en imagination, voyons les autres éléments du rêve. Qu’est-ce donc que ressent cette voiture qui klaxonne ? Ça fourmille dans les jambes. Il y a un élan là vers la vie, une envie d’avancer. Elle klaxonne pour dire « je suis là. Réveille-toi ! ». D’où le sursaut du rêveur. Et cette femme, que vient-elle faire là ? Que ressent-elle ? Ah, là ce n’est pas facile car le rêveur commence à parler de ce qu’il ressent en voyant cette femme : elle est jolie, lui semble attirante et enjouée. Il aimerait entrer en relation avec elle, lui parler mais il n’ose pas. Oui... mais que ressent-elle donc, elle ? Une tension dans les épaules, les bras. Elle est impatiente. Elle en a marre, elle a envie qu’il se secoue.

Que se passe-t-il donc quand le rêveur donne à boire à la plante ? Dans son imagination, la femme sourit et se détend. Il y a une possibilité de rencontre. L’oppression disparaît, la poitrine s’élargit. Il y a une envie de danser qui se fait sentir dans les jambes. Et que se passe-t-il si on reprend maintenant l’ensemble des ressentis subjectifs en les maintenant ensemble : tout à la fois les jambes qui flageolent et l’ouverture ensoleillée, le sentiment initial d’oppression, l’élan avec le fourmillement, la tension dans les épaules… et en examinant le ressenti de libération ? Un blanc. Je ne sais pas, dit le rêveur. Ah oui, il est vraiment temps que je me mette au projet créatif que je repousse depuis si longtemps, ajoute-t-il enfin en souriant…

A partir de là, il peut être intéressant de proposer une interprétation, une analyse du rêve, car elle prendra un sens profond. Symboliquement, la fleur est volontiers liée au sentiment, qui a donc besoin d’être arrosé : la dimension du cœur réclame une attention. La voiture symbolise souvent la façon de conduire sa vie, et demande donc que le rêveur se réveille. On reconnaîtra dans la femme une figuration de l’anima, le féminin intérieur de l’homme, qui est généralement porteuse entre autres choses de sa créativité. Elle est impatiente qu’il s’y mette. A terme de cette discussion, le rêveur arrive beaucoup plus facilement à imaginer entrer en relation avec elle. D’ailleurs, il lui semble qu’elle sourit. On peut entrer dans un dialogue en imagination active…


A partir de ces éléments que je vous ai proposé plus haut, dont vous aurez bien compris qu’ils ne sont pas des certitudes théoriques mais des hypothèses de travail validées par l’expérience, s’ouvrent d’innombrables pistes de recherche. Ce ne sont que des tremplins pour plonger dans l’océan du rêve. C’est le plongeon qui est intéressant, pas le tremplin. Parmi ces pistes, celles qui m’intéressent le plus sont d’explorer le lien entre rêves et créativité, et d’observer en particulier le déploiement de ces idées dans la création artistique et dans (mon dada) l’écriture, qui est, au moins dans le registre de la fiction, une façon de rêver les yeux ouverts.

Une autre piste ouverte par ces recherches, c’est la possibilité de travailler avec des constellations de rêves, dans lesquelles différentes personnes vont représenter les symboles vivant dans le rêve. Une forme de psychodrame, dans lequel le ressenti, et encore une fois le corps, permettent de faire vivre le rêve dans sa dimension collective. Mais j’ai développé ce thème dans un article spécifique.

Le dernier point que je veux souligner à propos de cette approche du rêve, c’est qu’elle repose sur l’idée qui veut que seul le rêveur ou la rêveuse peut vraiment entendre ce que le rêve cherche à lui communiquer, parce que c’est cette personne qui rêve qui ressent cette énergie faire son chemin en elle. Les autres vont aussi entendre le rêve, mais ce qu’ils entendront, c’est leur résonance au rêve, le chemin subjectif qu’il fera en eux. Ceci étant posé, il faut considérer ceci :

Le Soi, dont vient le rêve est en nous, et nous sommes dans le Soi.

Le « savoir absolu » du Soi, dont le rêve est une expression objective, est notre savoir oublié à propos de nous-mêmes, de notre véritable nature.

Une définition alternative de l’inconscient, c’est qu’il est simplement ce que nous ne savons pas que nous savons, mais nous le savons quand même, intuitivement, instinctivement.

Le pire que nous puissions faire, c’est de nous couper de nous-même, de notre âme, de ce qui sait et qui aime en nous. Par exemple en mettant la source des rêves ou la capacité d’entendre nos rêves à l’extérieur de nous…

Il s’agit donc simplement d’écouter, avec une oreille aussi fine que possible, en arrêtant de parler tout le temps pour commenter ce qui se passe, pour l’expliquer, etc. Alors nous rendons conscient ce que nous avons toujours su, mais que nous avions oublié, et que les rêves, mais aussi les synchronicités et tout ce qui fait le côté souriant de la vie, qui nous aime, ne cesse de chercher à nous rappeler.

Tout cela était connu de longue date par les anciens. En témoigne une histoire qu’aimait raconter Jung : on demanda à un rabbin pourquoi il n’y avait plus de prophètes et de voyants comme par les temps passés, quand ils arpentaient le désert ? Oh, c’est simple, répondit-il, il n’y a plus personne pour se pencher assez bas pour entendre...


Encore une fois, non seulement ces idées ne remettent pas en question tout ce que Jung et la psychologie des profondeurs ont mis en lumière mais au contraire, couronnent celles-ci. Plus que jamais, les notions d’archétypes et d’inconscient collectif en particulier sont sollicitées, tout comme les pratiques de l’ordre de l’amplification symbolique et de l’imagination active. Nous verrons que même l’interprétation analytique du rêve retrouve sa juste place au terme de cette aventure dans l’espace du rêve à laquelle je vous convie.

Je dois dire enfin que je n’ai rien inventé.

Non seulement Carl Jung et Marie-Louise Von Franz ont formulé des idées qui forment bien souvent les prémisses et les fondations à partir desquelles il devient possible d’édifier solidement l’approche du rêve que je propose, mais d’innombrables analystes jungiens ont déblayé les voies que je parcoure. Je cite en particulier Marion Woodman, qui exigeait de ses analysants qu’ils s’impliquent dans un travail corporel pendant leur analyse, et qu’ils développent par là leur conscience corporel, qu’ils affinent leur senti. Un autre analyste jungien envers qui j’ai une dette certaine est Robert Bosnak, dont je parle rapidement plus haut. Et bien sûr, je me dois de rendre ici hommage à mon mentor Nicolas Bornemisza qui a, en reconnectant la psychologie des profondeurs et les voies d’éveil du Yoga et du Tantra, ouvert une porte sur un jardin que je ne cesse d’explorer.

Mais il n’y a pas que les jungiens qui ont ouvert des perspectives essentielles au travail avec les rêves. Bien sûr, il convient de rendre hommage à Freud, qui a redonné ses lettres de noblesses au rêve et aux freudiens, en particulier à Lacan et à Françoise Dolto. Mais je songe aussi et surtout à Fritz Perl, le père de la Gestalt, et à Eugène Gendlin, à qui on doit le Focusing, des approches qui remettent le corps et les émotions au centre de l’écoute des rêves. Je dois beaucoup aussi à Connie Cokrell-Kaplan, dont les cercles de rêves m’ont beaucoup inspiré pour élaborer les loges de rêves.

Enfin, à tout seigneur, tout honneur, je ne peux terminer cet article sans rendre hommage à Alejandro Jodorowsky, dont la psychomagie est certainement l’expression la plus avancée que je connaisse de ce travail avec le fameux inconscient, et à mon enseignant spirituel, Richard Moss. Mais les mots ne suffisent pas pour dire tout ce que je lui dois...


Mise à jour du 27 septembre 2022

Je vous invite à visionner cette vidéo où je présente en détail l'approche de l'écoute intérieure des rêves ainsi que la formation que ma compagne et moi-même donnerons à partir de janvier 2023 à cette méthode :


Pour plus d'information concernant la formation, voyez le Flyer Formation 2023 ou le document de présentation de la formation.