J’aimerais vous parler ici, dans un article de synthèse dans
lequel vous trouverez de nombreux renvois à d’autres articles pour
approfondir le propos si le cœur vous en dit, de l’aboutissement
provisoire de ma recherche en matière de travail avec les rêves. Je
dis « provisoire » car bien sûr, la rivière serait
présomptueuse de se croire arrivée tant qu’elle ne s’est pas
jetée dans l’océan mais j’ai la conviction que s’est établi,
au cours ces deux dernières années, le socle de mon approche des
rêves. Celles et ceux qui me connaissent bien savent que j’aime
les mots et je les emploie avec précision : je ne parle pas de
méthode de travail avec les rêves mais bien d’une approche, comme
on approche à pas légers un mystère, un animal sauvage pour ne pas
l’effaroucher, une personne aimée pour l’embrasser dans son cou.
Les rêves sont tout cela et bien plus encore : un mystère vivant,
une réalité sauvage et une source d’amour.
C’est de la relation vivante avec les rêves dont je veux vous
entretenir aujourd’hui. Ce faisant, j’ai à l’esprit les mots
de mon enseignant spirituel Richard Moss dont je regardais une vidéo
hier dans laquelle il nous invitait à considérer la relation comme
un être vivant. Toutes nos relations, à commencer par notre
relation avec nous-même, la relation avec autrui, la relation avec
la Terre, la relation avec le grand Mystère d’être. C’est un
changement radical de paradigme que de considérer la relation comme
étant un être vivant ayant ses propres besoins, sa propre vie et sa
propre intelligence. Par exemple, dans le dialogue entre deux êtres,
il se produit un shift radical en considérant qu’une fois
entendus les besoins et points de vue de chacun, la relation a son
propre point de vue et ses besoins propres à exprimer. Tout à coup
se produit un élargissement de perspective. En termes spirituels,
nous pouvons parler alors de l’irruption du Saint Esprit qui relie
les deux que sont le Père/Mère et le Fils/Fille. Il est qualifié
de « saint » car l’ultime de la relation est l’Amour
qui ré-unit les deux en une unité, qui les amène à se
re-connaître.
Voilà pour le contexte spirituel du travail dont je veux vous
parler, qui n’est qu’un élément d’un Travail plus vaste que
Byron Katie comme Richard Moss, et avant eux d’innombrables
enseignants, ont appelé simplement « the Work ». Le
Travail de conscience. Il n’a qu’une visée : la libération
de la conscience de toutes les illusions qui l’enchaînent.
L’éveil, la sortie du grand sommeil dans lequel nous sommes
tou.te.s plongé.e.s. J’en ai amplement parlé dans un article
présentant ce que j’appelle la
voie du rêve, où le paradoxe est qu’il faut
traverser le rêve pour sortir de notre endormissement, de l’hypnose
dans laquelle nous maintient notre attachement aux choses
extérieures.
Cela fait longtemps que j’explore le croisement entre le travail
avec les rêves et la méditation, ou plus précisément, le mariage
entre rêves
et pleine conscience.
Richard Moss |
Le travail avec les rêves ne peut donc se réduire à une pratique
psychothérapeutique poursuivant des buts de développement personnel
de bien-être à tous prix. La recherche d’une guérison, d’un
chemin hors de la souffrance, est souvent le point
d’entrée dans le travail avec les rêves,
tout comme il est le point de départ de toutes les voies d‘éveil
selon les Quatre Nobles Vérités du Buddha Gautama. Mais en écoutant
les rêves, nous faisons une découverte dont mon grand-père
spirituel Carl Jung a abondamment parlé : il y a quelqu’un en
nous qui sait ce qui est bon pour nous, qui nous connaît mieux que
nous-mêmes, qui nous prend volontiers par la main pour nous emmener
à la rencontre de nous-mêmes, de Qui nous sommes vraiment.
Voilà donc que nous parlons du fameux Inconscient qui est la source
des rêves. Disons-le, c’est un épouvantail à moineaux auquel les
idiots qui ont besoin de certitudes accrocheront toutes sortes de
fantasmes, mais la seule définition valable de l’inconscient est
celle qu’en donnaient Freud et Jung qui proposaient là un concept
négatif qui n’affirme rien mais désigne tout ce dont nous sommes
inconscients à propos de nous-mêmes. L’inconscient,
c’est ce qui est hors du champ de notre conscience et dont nous ne
pouvons rien savoir directement, dont nous ne pouvons pas donc parler
autrement qu’en termes négatifs. Nous ne pouvons le connaître
qu’à travers ses « rejetons », c’est-à-dire la
façon dont il intervient dans notre vie psychique au travers des
rêves, mais aussi des idées qui nous viennent, de nos fantasmes et
de nos imaginations, de nos obsessions et nos omissions, de nos
émotions, de nos lapsus linguae, de nos attirances et nos
répulsions, de nos symptômes, etc.
Dans
l’inconscient, il semble qu’il y ait d’une
part tout ce que nous avons oublié de nous-mêmes et de notre
histoires, nos mémoires, qui ne sont pas des mémoires simplement
personnelles mais dans lesquelles on retrouve des mémoires
familiales, transgénérationnelles et bien au-delà, des mémoires
qui nous ramènent au commencement des choses, à toutes nos âmes.
Et puis il y a une source créative toujours neuve, qui est capable
de toujours proposer une vision nouvelle, une solution inédite aux
problèmes que nous rencontrons. Quand nous vivons une situation,
nous avons tendance à y réagir à partir de nos mémoires
conscientes et inconscientes, du connu, mais il est fréquent que le
passé ne puisse répondre au défi présent. Et puis, en écoutant
nos rêves, nous y trouvons éventuellement des indications qui
permettent d’élargir notre vision des choses et des propositions
créatives. De « réaction » à « création »,
il n’y a qu’une lettre, le C de « conscience » qui se
déplace.
Une vie à l’écoute des rêves est une vie de moins en moins
réactive, de plus en plus créative.
Il semble, selon plusieurs études et les traditions chamaniques, que
l’avenir se crée dans les rêves. C'est-à-dire que nos rêves contiennent beaucoup d'éléments qui appartiennent au futur...
Je ne qualifierai pas la nature de cette source créative en nous
mais je crois pour ma part qu’au travers des rêves, nous sommes en
lien avec le mouvement Créateur qui nous prête vie. Nombre
d’indices laissent penser que cette source est à la fois
transcendante et immanente, et possède une sorte de « savoir
absolu », pour reprendre les mots de Jung. C’est là ce qu’il
appelait le Soi, qui est le diamant caché dans le voile de notre
inconscience. Dans la lignée de Jung, dont je me réclame, le
travail avec les rêves est un moyen d’entretenir une relation
intime avec cette source sans que n’interfère aucune autorité,
aucune théorie, aucun prêtre…
C’est pour cela que je ne vous parlerai pas d’une méthode de
travail des rêves non plus que d’une théorie infaillible. La
faille qu’il y a dans toutes les théories m’intéresse plus que
toutes les certitudes. On pourrait dire que toutes les théories ont
un point aveugle, une zone d’inconscience, et que c’est par là
que s’engouffre l’Infini, ce qui ne se laisse pas limiter mais
qui est à l’œuvre, dans les rêves comme dans la vie. C’est
l’ouverture d’un espace à ce mouvement qui m’intéresse plus
que toutes les tentatives de le mettre en boîte, dont Alan Watts
signale qu’il est aussi vain que de tenter d’attraper de l’eau
courante à mains nues. Je propose donc une approche des rêves qui
n’est ni psychologique, ni spirituelle, mais qui se veut poétique,
au sens originel du mot grec poiêsis qui réfère à la
création, et qui évoque aussi le libre jeu des images intérieures
et des métaphores,
du grec métaphoros – ce qui emmène plus loin. Plus loin
que ce nous connaissons. Vers le Nouveau.
Il existe d’innombrables méthodes de travail avec les rêves.
Elles sont toutes (plus ou moins) valables, tout comme toutes les
voies qui permettent d’escalader une montagne sont valables. Ce qui
compte, c’est d’arriver au sommet, et non la voie qu’on prend,
à condition de ne pas s’arrêter en chemin. Elles sont adaptées à
différentes personnes, différentes situations, différentes
demandes, différents rêves. Ce qui est inacceptable, c’est la
prétention de certaines d’être universelle et de s’élever
au-dessus des autres ou de nier leur valeur ; c’est dans la
mesure où il y a une prétendue supériorité et une certitude
définitive qu’on est en présence d’une forme d’escroquerie.
Quand une méthode prétend à l’universalité, elle nie la
diversité créatrice illimitée des rêves – on pourrait dire
qu’elle prétend limiter le Divin. C’est le problème avec toutes
les méthodes : une méthode est un moyen que le conscient
emploie pour tenter d’enfermer quelque chose qui le dépasse dans
un schéma pré-défini…
Le problème avec les théories et les méthodes du rêve, c’est
que, même si elles mettent un concept du Soi au centre pour nous
expliquer comment il nous interpelle, elles vont avoir tendance
inconsciemment à tordre le rêve pour qu’il rentre dans la
théorie, qui devient un lit de Procuste. Le Soi se rit de ce genre
d’artifice, et tôt ou tard survient un rêve incompréhensible,
irréductible à la théorie. Il faudrait qu’une méthode marche
tout le temps, avec tous les rêves et toutes les personnes, et
voilà, le « problème » du rêve serait réglé. Cela ne
marche pas ainsi. Pas plus qu’il n’y a une méthode pour vivre.
Tout au plus y-a-t-il un art de vivre, et un art du travail avec les
rêves.
Une approche poétique, amoureuse. Y-a-il une méthode pour aimer ?
Je m’appuie donc pour ma part sur ce que disait Jung, dont je fais
un principe central :
« Étudiez toutes les méthodes, lisez tous les livres, mais
devant le rêve, écartez-les car le rêve est unique comme le rêveur
est unique. »
C’est l’unicité du rêve, l’unicité de la personne, l’unicité
du moment qui méritent d’être rencontrées, pas la théorie avec
laquelle le mystère vivant du rêve pourrait être étouffé. C’est
pourquoi, plutôt que travailler les rêves pour en extraire un sens,
comme on viole la terre pour en extraire du minerai, je propose que
nous nous laissions travailler par les rêves comme le rocher est
sculpté patiemment par les vagues de la mer. Quand on écoute en
profondeur les images de rêve, ce qu’elles nous font ressentir,
comment nous résonnons à celles-ci, nous en sommes profondément
émus, c’est-à-dire que surgit un mouvement d’énergie
(e-motion) et transformé.e.s.
Je viens sans avoir l’air d’y toucher d’évoquer une notion
clé : la résonance.
Le travail avec les rêves que je propose est un travail qui va
au-delà
de l’interprétation, qui bien souvent
d’ailleurs est une explication du rêve. Je n’ai rien contre
l’interprétation, qui consiste en lire le rêve et le traduire
dans d’autres mots. J’interprète moi-même volontiers des rêves
quand il y a lieu. Je prétends que pour pouvoir aller vraiment
au-delà de l’interprétation des rêves, en tous cas pour
enseigner des voies qui mènent à cet au-delà, il faut bien
connaître l’interprétation. Sinon, on va
volontiers dire des âneries. Mais je suis très fermement opposé
aux explications du rêve car elles réduisent celui-ci à quelque
chose de connu : bah, « si tu rêves ça, c’est parce
que tu as vu un film à la télé », ou « ton rêve, ce
n’est que ta sexualité infantile qui remonte ». De telles
affirmations sont des crimes contre le rêve, des tentatives de
meurtre.
Or ce qu’on fait à un rêve, on le fait à sa propre âme, nous
disait Jung en nous mettant en garde.
Il nous faut donc abandonner une certaine prétention à
l’objectivité du travail avec les rêves. Nous ne pourrons que
résonner subjectivement au rêve, et laisser celui-ci se déployer
dans son objectivité qui lui est propre. Jung parlait de
« l’objectivité de la psyché » en parlant du rêve,
c’est-à-dire qu’il disait que la psyché nous renvoyait un
reflet dans un miroir objectif. Certains interprètes de rêve
veulent croire que leur méthode et théorie leur permet de prétendre
à être eux-mêmes objectifs dans leur interprétation. On alors est
devant le syndrome du moi qui s’identifie au Soi, de l’humain qui
se prend pour Dieu – ils disent simplement et naïvement ainsi
qu’ils sont en inflation. C’est la psyché et le rêve qui sont
objectifs, et l’interprète est nécessairement subjectif,
déterminé et aveuglé par son propre inconscient. Il faut se garder
de toute affirmation quant à la vérité du rêve.
Quand le message du rêve nous parvient, on le sent. C’est un
mouvement intérieur, un haha !
Nous devons donc toujours réaffirmer avec Von Franz, la proche
collaboratrice de Jung, que « toute interprétation est une
projection », n’en déplaise à ceux qui ont cru pouvoir
s’élever au-dessus de leur propre subjectivité, en particulier
chez les jungiens.
C’est là qu’intervient la notion de résonance. En physique, un
matériau résonne à un autre matériau quand il vibre à la même
fréquence que ce dernier. Prenez deux plaques de métal posées
l’une en face de l’autre. Donnez un coup dans l’une d’elle.
Cela va faire un son. Après un moment la seconde plaque de métal
va, sous l’influence du son qui est la propagation de la vibration
dans l’air, se mettre à vibrer à la même fréquence que la
première. Pour le vérifier, poser votre main sur la seconde plaque
de métal. Vous serez surpris de sentir qu’elle vibre…
L’expérimentation en cercles et loges
de rêves m’a montré que nous résonnons
spontanément aux rêves. C’est-à-dire que chacune des personnes
qui entend un rêve éprouve des ressentis émotionnels et physiques,
et voit monter en elle des images intérieures, qui répondent au
rêve. Quand ces images et ressentis sont exprimés à la personne
qui a rêvé, le rêve est mis en mouvement dans la psyché de cette
personne, c’est-à-dire que s’ouvrent tout à coup des
perspectives insoupçonnées qui amènent à une compréhension
inédite du rêve. Il n’est pas question de proposer une
interprétation du rêve mais seulement des résonances dans le
senti, et des images qui tiennent tout à fait de la projection
assumée – chacun.e offre sa résonance subjective au rêve.
En loges de rêves, le
rêve n’est pas interprété, il est déployé en de multiples
facettes.
Moins on croit en savoir sur les rêves, plus c’est facile. Les
seules personnes qui ont de la difficulté avec ce travail sont les
interprètes et les analystes de rêves qui montent tout de suite
dans leurs têtes au lieu de rester en contact avec le senti du rêve.
Ce sont les même qui s’offusquent éventuellement des projections
proposées en réponse au rêve, sans réaliser que dès lors que la
subjectivité de ces images est assumée, le rêveur ou la rêveuse
est libre d’en faire ce qu’il ou elle en veut, sans le prendre
pour argent content. En fait, leur effroi est le reflet de leur
propre inconscience devant les dégâts qu’ils peuvent faire en
assenant leurs interprétations en leur donnant force de vérité.
Ils sont invités à descendre de leur piédestal de sachant à
propos du rêve, et ce n’est pas facile du tout.
Pour tous les autres, qui ont la simplicité de cœur qui consiste à
être simplement en contact honnête avec leur ressenti, c’est une
voie royale dans laquelle il n’est besoin d’aucune connaissance
psychologique préalable. Ils rejoignent en cela nos ancêtres, qui
n’ont pas attendu que nous ayons des universités pour très bien
comprendre les rêves qui leur advenaient.
Curieusement, il n’est même pas besoin de connaître le contexte.
Plus nous avons de contexte à propos d’un rêve, plus nous sommes
portés à analyser, c’est-à-dire à tirer des liens conscients
entre les éléments. Or ce dont il est question ici, c’est de la
résonance dans le senti.
Quelques principes simples guident ce travail :
Le rêve est vivant. On le constate au fait qu’un rêve a
plus ou moins de vitalité, contient plus ou moins d’énergie
psychique. Il arrive souvent qu’une personne vienne dans un cercle
avec dans l’idée de présenter un rêve, et que ce soit un autre
rêve qui se précipite au moment où elle arrive dans le cercle en
disant : « moi, moi ! ». Plus avant, le rêve a
sa propre volonté et sa capacité propre de trouver ses voies pour
faire parvenir ce qu’il veut à la conscience du rêveur, de la
rêveuse…
Nous pouvons faire confiance au rêve, au lieu de prétendre
l’assujettir à une méthode, pour trouver son propre chemin. J’ose
dire que si les rêves amènent une compréhension éclairante, c’est
le plus souvent non pas grâce aux méthodes employées pour le faire
parler, mais malgré les méthodes, qui tiennent souvent des forceps,
alors que l’accouchement du rêve est naturel.
Quand nous entendons un rêve, il devient notre rêve. Ce sont
aux images qu’il a suscité en nous que nous résonnons. C’est ce
qui nous permet de rester ancrés dans la subjectivité du rêve.
Les rêves viennent d’un espace où nous ne sommes pas séparés.
Il n’est pas rare qu’une personne reçoive la réponse dont elle
avait besoin aux questions qu’elle se posait en entendant le rêve
d’une autre personne – c’est ce que je constate depuis
longtemps dans les cercles de rêves, et qui m’a permis de toucher
à la réalité vivante de l’inconscient collectif dont parlait
Carl Jung. C’est ce qui nous permet d’entrer en résonance avec
le rêve et de toucher aux aspects transpersonnels de celui-ci.
Le rêve est une énergie qui
cherche à s’incarner. En fait, il ne s’agit pas tant
de comprendre ce que veut dire le rêve comme s’il s’agissait
d’un message. Cette vision du rêve comme d’une lettre qui nous
serait envoyée par un sage résidant en nous est très limitée.
Selon la vision des peuples premiers amérindiens, le rêve est la
réponse créative qui nous renvoie la Source lorsque nous lui
apportons, au cours de la nuit, nos expériences de vie. C’est une
énergie qui cherche à provoquer un mouvement
de vie en nous...
Il faut éviter de parler sur le rêve comme si nous en étions
séparés, pour chercher plutôt à faire parler le rêve à travers
nos ressentis. Le rêve prend voix à travers nos sensations, nos
émotions, les images intérieures qu’il suscite en nous. Il s’agit
d’écouter le rêve en profondeur, à l’intérieur, pour être
capable de lui prêter notre voix en toute humilité, avec notre
subjectivité.
Je n’insisterai jamais assez sur le fait que l’élément
essentiel de ce travail ne tient pas dans une méthode mais dans une
éthique du travail, c’est-à-dire dans une
certaine qualité de relation au rêve et aux personnes qui rêvent.
C’est l’attitude intérieure de la personne qui facilite le
travail, que ce soit en cercle de rêves ou dans le cabinet
analytique, qui va permettre à l’esprit du rêve d’opérer son
Alchimie dans l’athanor. On peut parler alors à juste titre du
travail de l’Esprit Saint tant les résultats sont parfois
miraculeux, et tant pis pour celles et ceux qui ne veulent pas
entendre parler du caractère sacré de ce travail, qui tient de la
célébration du Mystère, de la communion. Quand je parle ici de "miracle", je ne veux pas dire que quelqu'un s'est mis à marcher sur l'eau dans sa baignoire ou parler de guérison miraculeuse mais simplement de changement radicaux de perception dans le registre qu'évoque Marianne Williamson dans son livre Un retour à l'amour.
C’est à partir de là, de ces prémisses et de l’expérimentation
tant en loges de rêves, en laboratoire avec de petits groupes de
chercheuses et chercheurs, que dans le travail analytique en tête à
tête, que cela devient passionnant…
Tout ce que j’ai dit précédemment s’enrichit encore de deux
éléments qui ont une portée à mon sens encore insoupçonnée et
qui constituent le cœur de cette approche que j’appelle désormais
l’Écoute Intérieure du Rêve.
Les deux dernière idées que je veux vous amener ici coulent de
source à partir de ce qui précède et s’appliquent aussi bien
dans le travail en cercle ou loges de rêves que dans le travail
individuel. Elles pavent la voie à une approche direct du cœur du
rêve.
La première de ces idées, qui découle du principe qui veut que le
rêve est une énergie vivante, est que le rêve est produit par
l’intelligence globale du corps, et non par le seul cerveau. Il
y a des preuves expérimentales de cette affirmation comme par
exemple le fait avéré que la mémoire du rêve et dans le corps, ou
le constat de ce que les émotions s’inscrivent dans le corps (voir
par exemple le travail de libération des cuirasses de Marie-Lise
Labonté, et toutes les approches psycho-corporelles). C’est le
corps qui résonne aux images de rêves, et non le mental, qui n’est
pas capable de résonner, mais seulement de raisonner. Comme disait
le chaman Chura à Luis Ansa dans les Sept Plumes de l’Aigle :
un cerveau, ça ne sent pas…
C’est le corps, et notre ressenti corporel et émotionnel
(mais les émotions sont toujours inscrites dans le corps) qui
sont notre principal instrument pour résonner à un rêve, pour
nous orienter dans la direction que suggère l’énergie du rêve.
Il ne s’agit pas pour autant de dissocier le corps du mental mais
plutôt d’entrer dans une vision unitive de l’ensemble
corps-mental, de la même façon que les bouddhistes parlent du
body-mind en affirmant de façon tranchante : il n’y a
rien d’autre que le corps et le mental. C’est-à-dire qu’il y a
le ressenti et la re-présentation que nous nous en faisons, de
quelque ordre que ce soit cette représentation :
intellectuelle, symbolique, etc.
C’est l’ancrage dans le senti du corps qui nous permet de savoir
si nous faisons fausse route, ou si nous sommes en accord avec le
rêve. C’est dans le corps que le mouvement intérieur du rêve est
ressenti, et c’est encore dans le corps que se produit le déclic
éclairant du rêve intégré.
J’ai été amené à cette conclusion par différents biais.
D’abord, ma pratique conjointe de la méditation et du travail avec
les rêves m’a amené, dès les premiers cercles de rêves que j’ai
donné en 2007, à expérimenter avec l’interprétation des rêves
selon qu’elle était précédée par des méditations actives ou
non. J’ai constaté alors que plus nous étions ancrés dans le
corps par des pratiques de pleine conscience, plus l’interprétation
était économe de mots et pertinente, pour ne pas dire percutante.
J’en ai tiré un principe simple de travail :
On devrait toujours approcher un rêve en pleine conscience.
Si on n’est pas en pleine conscience au moment de l’écoute d’un
rêve, on est « parti » dans notre tête, dans le passé
ou dans le futur, dans un jugement ou dans une théorie. L’ancrage
dans la pleine conscience de notre corps, de notre senti, est le fine
tuning de notre instrument d’écoute.
Ensuite, j’ai beaucoup expérimenté depuis deux ans avec le
déploiement du rêve dans des exercices sonores (chant spontané)
et/ou corporels (mouvement authentique, rituels spontanés). J’ai
constaté que ce type d’exercice amplifiait remarquablement
l’intégration de l’énergie du rêve, au point qu’il n’était
plus vraiment important de le comprendre. Le rêveur ou la rêveuse
est tout simplement amené.e « ailleurs », plus loin, par
l’énergie du rêve mise en mouvement.
Enfin, j’ai constaté dans mes premiers ateliers d’écoute
intérieure du rêve que ce dernier résonne d’autant plus
clairement qu’on laisse d’abord le corps s’exprimer, et les
autres étages (émotionnel, intellectuel, etc) s’exprimer ensuite.
Ainsi, j’ai été amené à proposer en loges de rêves que la
personne qui résonne à un rêve prenne d’abord la posture que lui
inspire le rêve, et offre sa résonance à partir de cette posture,
en la maintenant. Cela est cohérent avec le fait que l’énergie de
notre psyché se traduit de façon primaire, et généralement
inconsciente, par une posture associée à un ressenti, ce
qu’apprennent à déchiffrer les personnes habituées à la lecture
du langage corporel. Il s’est avéré que plus l’ancrage dans le
corps était approfondi, plus la résonance était incisive, avec une
économie de mots, et encore une fois, pertinente sinon percutante.
L’autre idée qui s’avère déterminante pour ouvrir la
perspective de l’écoute intérieure du rêve, c’est que chaque
élément du rêve a sa propre subjectivité, c’est-à-dire qu’il
est lié à un ressenti émotionnel et corporel, et qu’il a des
choses à dire, sa propre voix, sa volonté. C’est la
conséquence pratique d’un lieu commun à propos des rêves qui
veut que tout ce qu’il y a dans un rêve fait partie de nous. Je
dis que c’est un lieu commun car ce n’est pas tout à fait vrai
si l’on s’en tient à une définition seulement personnelle de ce
« nous » : tout ce qu’il y a dans un rêve ne fait
pas nécessairement partie de « moi ». On touche parfois
(souvent) par là à des choses qui sont au-delà de notre petit
« moi » et même de notre inconscient personnel. Mais le
point qui est important, c’est que même si les symboles du rêve
nous relient à des éléments de l’inconscient collectif, nous y
avons un accès par l’intérieur, par notre ressenti. C’est là
qu’on entre dans le domaine du travail du rêve avec l’imagination
active, ou mieux, avec l’imagination créatrice…
La clé, que m’a amené un analyste jungien nommé Robert Bosnak,
dont je parle en particulier dans une conférence que vous pouvez
voir ici,
c’est que le rêve s’avère être un écosystème dynamique de
subjectivités qui interagissent. Le rôle de la conscience dès
lors est d’entrer en relation avec ces différentes subjectivités,
qui sont autant de points de vue différents qui vivent en nous, et
aussi de faciliter la prise de conscience que ces différentes
subjectivités peuvent avoir les unes des autres. Car comme nous,
elles ont tendance à se croire isolées, seules au monde, mais en
réalité, personne n’existe seul, sans être en relations. Dès
lors, il se produit un effet de seuil remarquable quand la conscience
tient ensemble toutes ces subjectivités, les amène à co-exister
consciemment avec en particulier une conscience claire des ressentis
liés à chacune d’elle. Il se produit alors généralement une
ré-organisation du système psychique dans ce qu’on appelle une
« transition de phase », c’est-à-dire que le système
passe par un « saut quantique » d’un état de relatif
désordre à un nouvel ordre émergent. Je vous renvoie aux thèses
d’Illya Prigogyne sur les système dissipatifs pour les détails de
cette métaphore à caractère physique, mais non seulement puisqu'elle concerne tous les systèmes énergétiques.
Prenons rapidement l’exemple d’une image de rêve simple. Le
rêveur rêve qu’il est dans la rue, devant un pot de fleur, et
qu’au moment où il constate que la fleur qui est dans ce pot
manque d’eau, et est en train de se dessécher, une voiture passe qui
klaxonne et le fait sursauter. Il lève alors la tête et voit une
jolie femme venir vers lui sur le trottoir.
Avec l’écoute intérieure du rêve, on va éviter d’aller dans
l’interprétation pour commencer même s’il y aurait des avenues
assez évidentes. En tant que facilitateur, ma résonance est qu’il
serait bon de savoir ce qui se passe si le rêveur donne de l’eau à
la plante, mais d’abord, nous allons explorer le rêve en
questionnant :
Comment se sent le rêveur ? Il est un peu perdu, avec les
jambes qui flageolent un peu. Comment est cette rue ? Elle est
ouverte, ensoleillée. Qu’est-ce que c’est d’être un pot de
fleur ? Tout de suite, le rêveur parle d’un resserrement dans
sa poitrine, d’une légère difficulté à respirer avec un
sentiment d’oppression. Allons voir plus loin : qu’est-ce
donc que d’être une fleur qui a soif dans ce pot de fleur ?
Une tristesse monte avec une pointe au cœur. Qu’a-t-elle à dire ?
A partir du ressenti, c’est très clair : occupe-toi de moi.
Avant de donner à boire à cette plante en imagination, voyons les
autres éléments du rêve. Qu’est-ce donc que ressent cette
voiture qui klaxonne ? Ça fourmille dans les jambes. Il y a un
élan là vers la vie, une envie d’avancer. Elle klaxonne pour dire
« je suis là. Réveille-toi ! ». D’où le sursaut du
rêveur. Et cette femme, que vient-elle faire là ? Que
ressent-elle ? Ah, là ce n’est pas facile car le rêveur
commence à parler de ce qu’il ressent en voyant cette femme :
elle est jolie, lui semble attirante et enjouée. Il aimerait entrer
en relation avec elle, lui parler mais il n’ose pas. Oui... mais que
ressent-elle donc, elle ? Une tension dans les épaules, les
bras. Elle est impatiente. Elle en a marre, elle a envie qu’il se
secoue.
Que se passe-t-il donc quand le rêveur donne à boire à la plante ?
Dans son imagination, la femme sourit et se détend. Il y a une
possibilité de rencontre. L’oppression disparaît, la poitrine
s’élargit. Il y a une envie de danser qui se fait sentir dans les
jambes. Et que se passe-t-il si on reprend maintenant l’ensemble
des ressentis subjectifs en les maintenant ensemble : tout à la
fois les jambes qui flageolent et l’ouverture ensoleillée, le
sentiment initial d’oppression, l’élan avec le fourmillement, la
tension dans les épaules… et en examinant le ressenti de
libération ? Un blanc. Je ne sais pas, dit le rêveur. Ah oui,
il est vraiment temps que je me mette au projet créatif que je
repousse depuis si longtemps, ajoute-t-il enfin en souriant…
A partir de là, il peut être intéressant de proposer une
interprétation, une analyse du rêve, car elle prendra un sens
profond. Symboliquement, la fleur est volontiers liée au sentiment,
qui a donc besoin d’être arrosé : la dimension du cœur
réclame une attention. La voiture symbolise souvent la façon de
conduire sa vie, et demande donc que le rêveur se réveille. On
reconnaîtra dans la femme une figuration de l’anima, le féminin
intérieur de l’homme, qui est généralement porteuse entre autres
choses de sa créativité. Elle est impatiente qu’il s’y mette. A
terme de cette discussion, le rêveur arrive beaucoup plus facilement
à imaginer entrer en relation avec elle. D’ailleurs, il lui semble
qu’elle sourit. On peut entrer dans un dialogue en imagination
active…
A partir de ces éléments que je vous ai proposé plus haut, dont
vous aurez bien compris qu’ils ne sont pas des certitudes
théoriques mais des hypothèses de travail validées par
l’expérience, s’ouvrent d’innombrables pistes de recherche. Ce
ne sont que des tremplins pour plonger dans l’océan du rêve.
C’est le plongeon qui est intéressant, pas le tremplin. Parmi ces
pistes, celles qui m’intéressent le plus sont d’explorer le lien
entre rêves et créativité, et d’observer en particulier le
déploiement de ces idées dans la création artistique et dans (mon
dada) l’écriture, qui est, au moins dans le registre de la
fiction, une façon de rêver les yeux ouverts.
Une autre piste ouverte par ces recherches, c’est la possibilité
de travailler avec des constellations de rêves, dans lesquelles
différentes personnes vont représenter les symboles vivant dans le
rêve. Une forme de psychodrame, dans lequel le ressenti, et encore
une fois le corps, permettent de faire vivre le rêve dans sa
dimension collective. Mais j’ai développé ce thème dans un
article
spécifique.
Le dernier point que je veux souligner à propos de cette approche du
rêve, c’est qu’elle repose sur l’idée qui veut que seul le
rêveur ou la rêveuse peut vraiment entendre ce que le rêve cherche
à lui communiquer, parce que c’est cette personne qui rêve qui
ressent cette énergie faire son chemin en elle. Les autres vont
aussi entendre le rêve, mais ce qu’ils entendront, c’est leur
résonance au rêve, le chemin subjectif qu’il fera en eux. Ceci
étant posé, il faut considérer ceci :
Le Soi, dont vient le rêve est en nous, et nous sommes dans le Soi.
Le « savoir absolu » du Soi, dont le rêve est une
expression objective, est notre savoir oublié à propos de
nous-mêmes, de notre véritable nature.
Une définition alternative de l’inconscient, c’est qu’il est
simplement ce que nous ne savons pas que nous savons, mais nous le
savons quand même, intuitivement, instinctivement.
Le pire que nous puissions faire, c’est de nous couper de
nous-même, de notre âme, de ce qui sait et qui aime en nous. Par
exemple en mettant la source des rêves ou la capacité d’entendre
nos rêves à l’extérieur de nous…
Il s’agit donc simplement d’écouter, avec une oreille aussi fine
que possible, en arrêtant de parler tout le temps pour commenter ce
qui se passe, pour l’expliquer, etc. Alors nous rendons conscient
ce que nous avons toujours su, mais que nous avions oublié, et que
les rêves, mais aussi les synchronicités et tout ce qui fait le
côté souriant de la vie, qui nous aime, ne cesse de chercher à
nous rappeler.
Tout cela était connu de longue date par les anciens. En témoigne
une histoire qu’aimait raconter Jung : on demanda à un rabbin
pourquoi il n’y avait plus de prophètes et de voyants comme par
les temps passés, quand ils arpentaient le désert ? Oh, c’est
simple, répondit-il, il n’y a plus personne pour se pencher assez
bas pour entendre...
Encore une fois, non seulement ces idées ne remettent pas en
question tout ce que Jung et la psychologie des profondeurs ont mis
en lumière mais au contraire, couronnent celles-ci. Plus que jamais,
les notions d’archétypes et d’inconscient collectif en
particulier sont sollicitées, tout comme les pratiques de l’ordre
de l’amplification symbolique et de l’imagination active. Nous
verrons que même l’interprétation analytique du rêve retrouve sa
juste place au terme de cette aventure dans l’espace du rêve à
laquelle je vous convie.
Je dois dire enfin que je n’ai rien inventé.
Non seulement Carl Jung et Marie-Louise Von Franz ont formulé des
idées qui forment bien souvent les prémisses et les fondations à
partir desquelles il devient possible d’édifier solidement
l’approche du rêve que je propose, mais d’innombrables analystes
jungiens ont déblayé les voies que je parcoure. Je cite en
particulier Marion Woodman, qui exigeait de ses analysants qu’ils
s’impliquent dans un travail corporel pendant leur analyse, et
qu’ils développent par là leur conscience corporel, qu’ils
affinent leur senti. Un autre analyste jungien envers qui j’ai une
dette certaine est Robert Bosnak, dont je
parle rapidement plus haut. Et bien sûr, je me dois de rendre ici
hommage à mon mentor Nicolas Bornemisza qui a, en reconnectant la
psychologie des profondeurs et les voies d’éveil du Yoga et du
Tantra, ouvert une porte sur un jardin que je ne cesse d’explorer.
Mais il n’y a pas que les jungiens qui ont ouvert des perspectives
essentielles au travail avec les rêves. Bien sûr, il convient de
rendre hommage à Freud, qui a redonné ses lettres de noblesses au
rêve et aux freudiens, en particulier à Lacan et à Françoise
Dolto. Mais je songe aussi et surtout à Fritz Perl, le père de la
Gestalt, et à Eugène Gendlin, à qui on doit le Focusing, des
approches qui remettent le corps et les émotions au centre de
l’écoute des rêves. Je dois beaucoup aussi à Connie
Cokrell-Kaplan, dont les cercles de rêves m’ont beaucoup inspiré
pour élaborer les loges de rêves.
Enfin, à tout seigneur, tout honneur, je ne peux terminer cet
article sans rendre hommage à Alejandro Jodorowsky, dont la
psychomagie est certainement l’expression la plus avancée que je
connaisse de ce travail avec le fameux inconscient, et à mon
enseignant spirituel, Richard Moss. Mais les mots ne suffisent pas
pour dire tout ce que je lui dois...
Mise à jour du 27 septembre 2022
Je vous invite à visionner cette vidéo où je présente en détail l'approche de l'écoute intérieure des rêves ainsi que la formation que ma compagne et moi-même donnerons à partir de janvier 2023 à cette méthode :
Pour plus d'information concernant la formation, voyez le Flyer Formation 2023 ou le document de présentation de la formation.