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Dans une pièce, il y a un drap bleu à demi-plié, sa fille Marie-Noëlle et un enfant nouveau-né de parent inconnu…
À un checkpoint israélien, un soldat lourdement armé regarde une femme palestinienne avancer lentement vers lui. Elle a les cheveux libres dans le vent, ne porte rien dans ses mains, et cependant le soldat se raidit. Elle
s’arrête et l’observe tandis qu’il tripote nerveusement son arme. Quand il se
détend un peu, elle avance à nouveau pour s’arrêter encore dès qu’il devient
nerveux. Derrière le rêveur, il y a d’autres soldats goguenards qui observent
avec lui la scène. À force de ce petit jeu, la femme se retrouve tout proche du
soldat. Elle se penche alors et défait un nœud de son paquetage, puis lui
dit : « Tu vois, ce n’était pas si compliqué… ».
Deux enfants jouent. L’un est juif, l’autre palestinien. Ils rentrent à la maison après le jeu et, de part et d’autre, les parents s’interrogent sur la nécessité de parler aux enfants de la guerre qui les opposent au peuple de son ami, mais ils laissent faire. La scène se reproduit à plusieurs reprises
jusqu’à ce que le rêveur voie la couverture d’un livre dont le titre lui apparait
comme :
Oui mais… laissons les enfants jouer…
Le rêve a
déclenché une émotion palpable dans le cercle où il vient d’être raconté. Le
rêveur explique comment lui-même pleurait en revenant à la conscience à la fin
du rêve, en observant ces enfants jouer. Des larmes me sont venues aux yeux au
même moment dans le récit, avec cette pensée : mais c’est un rêve
miraculeux, un rêve qui parle d’un miracle possible et même, semble-t-il
affirmer, inévitable. Le cercle convient que c’est un rêve à portée collective :
il apporte une réponse inédite aux interrogations que porte le rêveur et qui
sont partagées par beaucoup. La nouvelle perspective qui pointe dans le rêve
est symbolisée par cet enfant nouveau-né dont on ne sait où sont les parents,
qui va réclamer qu’on s’occupe de lui, mais qui représente l’apparition
miraculeuse de l’Enfant Divin, du jamais-vu et jamais-entendu, du créateur de
l’instant dans sa nouveauté toujours renouvelée, imprévisible.
Il n’est pas
étonnant que les rêves se mêlent de politique internationale dès lors que ces
questions revêtent une dimension de sens pour le rêveur, et la merveille du
rêve est de lui proposer une solution créatrice à la fois surprenante et
cependant « tombant sous le sens », allant de soi si nous prenons le
temps d’y penser. D’une part, le rêve suggère qu’une approche entièrement
non-violente et particulièrement attentive aux peurs de part et d’autres
pourrait permettre de dénouer le nœud – ce n’est pas si compliqué,
ironise-t-il. Le rêveur indique que les soldats en arrière de lui observant la
scène lui semblent représenter une forme de pression sociale sans laquelle le
jeune soldat serait peut-être plus avenant. Dans la dernière partie, cette
pression sociale est symbolisée par les parents. D’autre part, le rêve montre
qu’en laissant faire le temps, la nature qui fait jouer les enfants ensemble
reprendra ses droits. Les jeux des enfants, par lequel se manifeste la douceur
inexorable du Tao, l’emporteront sur la politique. C’est le consensus qui s’est
rapidement dégagé dans le cercle de rêves avec beaucoup d’émotion : quel
beau message, pour le moins apaisant.
Nous nous
intéressons ensuite aux aspects personnels du rêve : cette couverture de
livre peut sembler une invite à en écrire le contenu, à porter le message du rêve
dans les organisations et les forums où le rêveur intervient. À l’époque
romaine, il aurait pu être considéré comme un héraut des dieux délivrant un
avis sur la solution à apporter au problème moyen-oriental et son rêve être pris
en considération par le Sénat. À tout le moins, il semble lui proposer une
direction dans laquelle pourrait aller son énergie inemployée à l’aube de la
préretraite. Mais bien sûr, cela soulève des peurs et nous entrons dans la
symbolique personnelle de la peur représentée par le soldat israélien, et de la
sensibilité attentive de l’anima [*] avec laquelle le nœud peut être dénoué. Et
ce sera en laissant les projets jouer ensemble, sans mêler à cette dynamique
des conflits inutiles, qu’émergera doucement une solution à ses propres
conflits les plus difficiles. La présence du nouveau-né signe pour le
rêveur le commencement d’une nouvelle vie.
Il reste à
éclaircir la présence de sa fille, dont le nom évoque tant le féminin sacré,
avec la redondance du bleu du drap, couleur virginale par excellence, que la
naissance de l’Enfant Divin. Cette fille, dit le rêveur, lui ressemble
particulièrement dans sa façon de penser, mais se montre volontiers critique envers
ses engagements, interrogeant ses prises de risque. Elle pourrait lui refléter
ici ses propres doutes, avec qui il est donc en relation en présence de
l’enfant, du nouveau qui se manifeste ensuite. Le triangle peut indiquer
symboliquement une dynamique, un mouvement, et la recommandation initiale du
rêve serait de simplement aller avec ses doutes et ce qui se présentera de
nouveau dans son existence. Nous avons clos la séance du cercle avec le
sentiment d’une présence numineuse au contact de laquelle chacun se trouvait
rafraichi, apaisé, renouvelé.
[*]
Anima : le féminin intérieur du rêveur.