Je suis très heureux de vous annoncer la parution de mon livre "Feu et Vent", qui propose une trentaine d'articles tirés de ce blogue, augmentés de commentaires visant à les mettre en perspective. Le thème de ce premier recueil est surtout le rêve, avec de nombreux exemples d'interprétation. J'exprime ma gratitude à toute l'équipe de Réel-Editions, et particulièrement à mon éditrice, Mme Agnès Vincent, qui a permis à ce rêve de s'incarner.
Le titre réfère à une citation de Jung qui m'est particulièrement chère. Il écrivait en 1958 à un de ses amies :
« De folles discussions nous font voir ce qu’il adviendra de moi lorsque je serai devenu posthume. Tout ce qui aura été feu et vent dans ma vie sera mis dans l’alcool et changé en préparation morte. Ainsi les dieux sont-ils enterrés dans l’or et le marbre, et les simples mortels comme moi, dans le papier. »
Mon ambition avouée, en écrivant ce blogue et ce livre, est simplement de contribuer à libérer ce feu et ce vent qui ont animé Jung, et que l'on peut rencontrer dans les rêves laissés à l'état sauvage et libre qui est le leur naturellement. ils sont lumen naturae (lumière de la nature) et lumière de la Vie à laquelle je rends grâce. Je crois que nous avons plus que jamais besoin que l'incendie du cœur auquel ce feu et ce vent nous éclaire, nous embrase, nous vivifie.
Ma thèse, iconoclaste mais que Jung n'aurait pas démentie, j'en suis convaincu, est qu'il y a dans les rêves quelque chose de trop précieux pour être laissé entre les mains des seuls psychologues, et qui se fraye un chemin pour parvenir à notre conscience malgré toutes nos théories et nos pauvres méthodes. Celles-ci, bien souvent, sont à l'émergence du Soi, ce que les forceps et la péridurale sont à la naissance d'une nouvelle vie.
Vous pouvez vous procurer le livre directement sur le site de Réel-Editions à l'adresse suivante:
Il sera bientôt disponible dans les (meilleures :) librairies ainsi que sur Amazon.
Je vous offre de lire ci-dessous l'introduction du livre, dans laquelle je retrace le parcours qui m'a conduit à l'écrire, et que j'intitulerai avec une pointe d'humour :
Confessions d'un autodidacte du rêve
Ma passion pour les rêves ne date pas d’hier. Lorsque j’ai commencé à animer le blogue « La Voie du rêve » en octobre 2013, cela faisait déjà une trentaine d’années que je lisais tout ce qui me tombait sous la main sur ce sujet et que je m’intéressais en particulier aux travaux de Carl Jung. Une trentaine d’années qu’avant tout, je cherchais à comprendre mes propres rêves. Émigré au Québec en 1992, je suis entré l’année suivante en analyse jungienne. Après quelques temps, j’ai demandé à mon analyste s’il accepterait de me guider dans une analyse didactique et il a souri en me disant qu’il pensait que c’était ce dans quoi j’étais engagé depuis le début. À partir de ce moment, j’ai cherché à interpréter moi-même mes propres rêves sous sa supervision. Je crois qu’il n’y a pas d’autre façon d’apprendre le travail avec les rêves. Il y a quelque chose dans ces derniers, ou plutôt derrière le voile chatoyant qu’ils nous présentent, qui cherche à être connu, à se dévoiler, et qui seul est à même d’enseigner l’art de l’écoute des images intérieures. J’étais sans doute bouché : il m’a fallu plus de vingt ans pour commencer à y entendre quelque chose et discerner le sourire qui éclaire désormais mon chemin.
Je me
souviens avoir, lors de ces années où j’entrais dans la démarche, été fasciné
par l’impression sensible que quelque chose exerçait une attraction magnétique
sur moi, m’attirant toujours plus profondément dans le mystère de l’inconscient.
Et cela jouait à cache-cache avec moi : à chaque fois que je comprenais un
rêve, il y avait quelque chose qui m’échappait dans le rêve suivant qui
semblait me faire un clin d’œil et m’inviter à aller plus loin dans
l’exploration. J’en ai conçu assez vite l’idée qu’il y avait là quelque chose
de vivant, que je ne saurais approcher le mystère qui se cachait sous le voile
de l’inconscient qu’en entamant un dialogue avec lui. J’étais confirmé dans
cette approche par Jung, dont je me souviens avoir relevé qu’il disait, parlant
de sa propre expérience, que « sous le seuil de la conscience, tout est
vivant ». J’entretenais une relation particulière avec lui, presque
affective, qui m’a amené à le considérer comme mon « grand-père spirituel »,
un peu comme lui-même a pris Philémon comme guide intérieur. Ses écrits et ceux
de Marie-Louise Von Franz m’offraient un véritable asile intellectuel où je me
rafraichissais, comme dans une oasis au cours d’une traversée d’un désert
éprouvant.
Je menais
alors une double vie qui suscitait une énorme tension en moi. La nuit et à
mes heures perdues, je poursuivais mon exploration du domaine des rêves. Le
jour, j’étais informaticien et je travaillais aux avant-postes du développement
de l’Internet. J’étais un chercheur pour le compte des entreprises que
j’avais créé ou pour lesquelles j’agissais comme un consultant. J’avais pour
habitude de me présenter en riant comme un « gars à problèmes », ce
qui inquiétait mes interlocuteurs jusqu’à ce que je leur dise qu’ils n’avaient
qu’à me proposer un problème informatique, et que je leur dirai bientôt s’il
était possible de le résoudre, à quel coût et dans quel délai. A posteriori, je
considère cet entrainement à la recherche systématique, c’est-à-dire au fait de
ne rien considérer comme acquis et de toujours me frotter à l’inconnu, comme
faisant intégralement partie de mon apprentissage du travail avec
l’inconscient, qui est en réalité l’inconnu en nous, ce qui échappe au champ de
notre conscience. À l’époque, j’étais cependant bien souvent écartelé entre les
deux mondes, mais, comme Jung au cours de ses années de confrontation avec
l’inconscient, je trouvais un refuge apaisant auprès de ma famille. Je n’aurais
jamais pu traverser indemne ces années sans la présence aimante de ma conjointe
et de nos enfants qui m’offraient un précieux ancrage en terre, et à qui va
encore aujourd’hui toute ma reconnaissance.
J’avais
beau travailler mes rêves et les porter pour examen à mon analyste, je
constatais qu’à mon grand désarroi, les symptômes qui m’avaient amené en
analyse, parmi lesquels plusieurs addictions, ne disparaissaient pas pour
autant. L’addiction est un maître fantastique, qui nous enseigne que notre
volonté peut être divisée : on veut guérir et on ne veut pas. J’étais aux
premières loges pour comprendre ce que Jung dit de la névrose et de la division
intérieure. Et j’ai vérifié dans ma propre expérience ce qu’il affirmait quand
il disait que la maladie est en réalité une tentative de la nature pour nous
guérir, et que finalement, la « névrose est vraiment ‘liquidée’ quand elle
a corrigé la mauvaise attitude du moi ». Pour ma part, elle a joué le rôle
d’un aiguillon qui m’a bientôt conduit à poursuivre ma recherche hors du
cabinet analytique.
J’ai
bénéficié alors de la magnifique effervescence spirituelle du Québec dans les
années 1990 qui voyaient fleurir toutes sortes d’expériences, et j’ai attaché
mes pas à ceux d’une merveilleuse enseignante aujourd’hui décédée, Paule
Lebrun, qui a fondé l’école Ho Rites de Passage où j’ai beaucoup appris. Ma
recherche a été tout azimut, préfigurant l’arc-en-ciel spirituel que je porte
désormais dans le cœur. J’ai eu la chance d’explorer les voies chamaniques dans
la tradition amérindienne encore bien vivante au Québec, et en particulier de
faire une Quête de Vision, c’est-à-dire de « pleurer pour un rêve »
qui dirigerait ma vie. J’y ai vérifié le fait que les peuples premiers ont une
intelligence des rêves et des images intérieures qui ne doit rien aux
universités ni à quelque psychologie intellectuelle, mais qui recèle souvent
plus de sagesse que nos colloques savants. Après quelques années
d’expérimentation, j’ai pris conscience que le travail intérieur que me
demandaient mes rêves réclamait un ancrage dans la méditation, et j’ai eu
l’opportunité d’explorer les techniques venant de différentes traditions. Je me
suis frotté au zen, au tantra, au soufisme, en m’émerveillant à chaque fois de
découvrir une nouvelle facette du diamant.
J’ai délaissé l’approche jungienne
des rêves pour expérimenter d’autres formes de psychothérapies mettant en jeu
le corps et les émotions. Cependant, je suis revenu à Jung quand j’ai eu la
chance, en 2001, de rencontrer mon mentor en matière de travail des rêves,
Nicolas Bornemisza, qui a opéré la jonction nécessaire entre les voies
spirituelles orientales et la psychologie des profondeurs. Il a repris à son
compte, avec sa méthode du « yoga psychologique », l’ambition
affichée de Jung de jeter les bases d’un yoga pour l’âme occidentale. Je suis
bientôt devenu un de ses proches collaborateurs dans l’enseignement et le
développement de cette méthode, non sans y introduire mes propres variations.
La synthèse qu’il a opéré fait selon moi ressortir que l’œuvre de Jung nous
offre un axe conceptuel et méthodologique nous permettant désormais d’intégrer
toutes les traditions spirituelles dans une compréhension satisfaisante pour
l’être humain moderne.
À partir de
ce moment, mes rêves ont changé de nature et, même s’ils ont continué à m’aider
à éclaircir mon inconscient personnel, ils ont commencé à me faire obligation
d’écouter les rêves d’autrui si je voulais approfondir ma recherche. Certains
d’entre eux, que j’ai exposés dans mon blogue et que je présente dans ce
recueil, m’ont fourni des clés explicites pour le travail avec les rêves et ont
commencé à me proposer une tâche existentielle. Celle-ci a pris entre autres la
forme d’une recherche d’une dizaine d’années sur la façon de faire se
rencontrer méditation et travail des rêves dans une approche ouverte. J’ai
commencé à partir de 2007 à animer des cercles de rêves où toute personne qui
veut s’exposer au travail avec les rêves peut venir en faire
« déployer » un, ou simplement participer à la célébration de ce
mystère. Je dois beaucoup à ces cercles, qui m’ont servi de laboratoire pour
tester diverses approches des rêves et de la méditation pouvant convenir à des
novices en ces matières. Je dois encore plus au petit groupe de rêveuses et de
rêveurs qui, au sein d’un petit cercle privé d’ami(e)s, a approfondi avec moi
cette exploration jusqu’à ce que nous parvenions à une forme aboutie de travail
des rêves en groupe qui s’enracine dans le senti et l’intuition. Je consacre
désormais une grande partie de mon temps à faire connaitre cette approche que
je désigne sous le nom de Loges de rêves[1],
en référence aux dream lodges des
amérindiennes du Sud-Ouest des États-Unis dont la tradition nous a directement
inspiré.
Ma
recherche sur la conjonction entre le travail du rêve et la méditation a trouvé
son acmé quand, en 2011, j’ai rencontré Richard Moss, un éveillé contemporain
qui s’inscrit lui aussi au point de rencontre entre des deux grands fleuves.
Pendant longtemps, j’ai débattu avec Paule Lebrun de la nécessité de rencontrer
un maître pour voir s’ouvrir vraiment la voie spirituelle, et j’étais bien sûr
de ceux qui rejetaient cette idée. Elle me répondait en souriant que ma vie
changerait quand je rencontrerai un maître vivant, et je ne puis a posteriori
que lui donner raison. Je souscris désormais entièrement à ce que répondait
Arnaud Desjardins à cette question : il n’est pas certain qu’on ait besoin
d’un maître, mais on a certainement besoin de devenir disciple un jour,
c’est-à-dire d’entrer dans la discipline incarnée par un exemple vivant. Avec
Richard Moss, j’ai rencontré en chair et en os la liberté que je cherchais
depuis si longtemps, et cela m’a donné le point d’appui existentiel me
permettant de la vivre à mon tour. Lui-même se défend d’être un maître, tout en
acceptant de jouer ce rôle pour ceux qui ont encore besoin de se prendre pour
des étudiants, mais il offre volontiers son amitié. Il m’a montré que
l’essentiel ne saurait se transmettre de quelque autre façon que de cœur à
cœur, ou comme le dit la tradition zen : i shin den shin, d’âme à âme. Il n’est alors même plus question de
transmission.
Au fil de
ces années d’exploration et d’apprentissage, je me suis rendu compte que la
seule façon d’approcher le mystère du rêve était d’employer son langage fait
d’images, de symboles et de métaphores. Quelque effort que nous fassions pour
élaborer par exemple une psychologie scientifique, nous ne pourrons jamais
cerner entièrement la nature et le jeu chatoyant des rêves avec des concepts.
Il y a une raison simple à cela : nous ne pourrons jamais considérer les
rêves en toute objectivité car nous ne pourrons jamais les séparer du rêveur.
Les rêves permettent en cela d’approcher le mystère de la conscience, et nous
ne saurons jamais sortir du paradoxe qui veut que la conscience qui étudie la
conscience soit aussi la conscience qui est étudiée. Le serpent se mord la
queue, et à condition qu’il ne serre pas trop ses crocs conceptuels, cela ne
fait pas trop mal. Mais s‘il prétend mettre dans une petite boite mentale le
rêve ou la conscience, ou quelque réalité existentielle que ce soit – comme
l’âme, par exemple, dont on peut seulement avoir l’expérience sans pouvoir
saisir ce que c’est – alors c’est lui-même qu’il blesse. Pour beaucoup d’entre
nous, l’âme est une réalité négligeable, au même titre que nous disons d’une
fantaisie pourtant riche de sens et de beauté, « ce n’est qu’un
rêve ». Ceux qui tiennent de tels propos, se croyant forts de leur
rationalité dans laquelle ils sont enfermés comme dans un château sans portes
ni fenêtres, ne savent pas à quel point ils étalent ainsi leur propre indigence,
une forme de misère malheureusement très répandue.
Dans mon
propre développement du « yoga psychologique » élaboré par mon ami
Nicolas Bornemisza, je me suis arrêté sur la distinction qu’opère l’Orient
entre le yoga et le tantra. En quelques mots, on peut dire que le premier est
une méthode qui réclame beaucoup d’efforts pour parvenir à un certain résultat,
présenté comme la libération. Le second est à l’inverse une approche
entièrement dénuée d’efforts, favorisant la détente et la présence attentive à
ce qui est là plus que la tension volontaire, même si elle inclue des
pratiques, et qui pointe vers le fait qu’en réalité, la libération ou l’éveil
recherchés ont toujours été présents, font partie intégrante du chemin. Il
s’agit là de l’approche dite non-duelle qui proclame que le chemin est la
destination. Encouragé par Nicolas à suivre mon propre chemin, ce qui est la
marque même de l’individuation jungienne, j’en suis donc venu bientôt à
élaborer une métaphore qui m’est propre pour parler du travail avec les rêves.
Ou plutôt, elle s’est élaborée en moi et dans ma pratique, tant avec mes
propres rêves que dans l’écoute des rêves d’autrui.
Je propose
de considérer le rêve comme une fleur de conscience cherchant à s’épanouir
naturellement. Il n’est nul besoin de tirer sur celle-ci pour l’aider à
pousser. Il suffit de l’arroser et de faire preuve de patience. Mon hypothèse
fondamentale de travail est qu’il y a, dans le rêve, quelque chose qui cherche
à devenir conscient, et qu’il nous suffit de lui ouvrir un espace avec une
attention vigilante pour que ce sens se déploie. Non seulement, comme le disait
Jung, le rêve ni ne ment ni ne déguise la vérité qu’il veut porter à la
conscience, mais si celle-ci est capable, par une attitude d’ouverture qu’on
peut rapprocher du silence méditatif, d’accueillir ce qui se présente à elle de
nouveau dans les images vivantes du rêve, ce dernier fleurit et porte fruit
sans nécessiter aucun effort ni aucune méthodologie. Cela n’empêche pas
d’interagir avec le rêve, d’interroger les associations et les émotions, mais
on le fait alors surtout dans le but d’alimenter le mouvement intérieur qui a
suscité les images pour l’amener à son terme.
Dans cette
approche, l’inconscient et le conscient ne sont pas deux réalités séparées que
l’on pourrait encore une fois objectiver, mais en fait, ce sont deux moments
d’un même processus de création de conscience auquel le rêve participe
activement. Un effort de conscience est bien requis, mais ce n’est pas l’effort
consistant en soumettre le rêve à un travail, c’est-à-dire à une certaine forme
de torture, pour en extraire le sens comme on en presserait l’huile. En
réalité, il s’agit moins de travailler le rêve que de se laisser travailler
patiemment par les images intérieures qui veulent nous emmener quelque part.
L’effort de conscience requis consiste dès lors en s’ancrer dans une ouverture
sans préjugé face au rêve, en gardant à l’esprit que le rêve amène à la
conscience quelque chose qui était préalablement inconnu, inconscient. C’est la
règle d’or du travail : que m’apprend le rêve ? Il ne confirme jamais ce
que nous croyons savoir, et cela, fait remarquer Jung, vaut pour l’analysant
comme pour l’analyste qui doit, plus que tout autre, se garder de croire savoir
ce que veut dire le rêve.
Bien sûr,
nous devons nous garder des projections et de tout ce qui peut entraver le
déploiement du sens d’un rêve, mais nous devons aussi nous rappeler que
finalement, toute interprétation est une projection. Dès lors, ce n’est pas de
la projection elle-même dont nous devons nous garder, car elle traduit
simplement la participation de l’inconscient au processus, mais de
l’identification de la projection à la vérité. Nous devons éviter de
« tuer » le rêve en croyant le saisir par une méthode ou une autre
car c’est finalement une réalité vivante qui cherche à venir au monde. Le
travail avec les rêves est une maïeutique. Ainsi, j’en suis venu à concevoir
que toutes les méthodes de travail des rêves peuvent apporter quelque chose
dans l’accouchement du sens du rêve, mais finalement, cela tient surtout au
fait que ce dernier trouve toujours, grâce à l’aide des méthodes et malgré leur
interférence, la voie pour se faire entendre.
Jung ne
disait pas autre chose quand il nous invitait à lire tous les livres et étudier
toutes les méthodes, mais aussi à les écarter quand nous serions face à un
rêve, car le rêve comme la personne est unique. Il indiquait aussi qu’en fait
de méthode, il suffisait de tourner suffisamment longtemps autour d’un rêve
pour que quelque chose en émerge. Il s’agit d’une circumambulation, d’un
mouvement circulaire qui fait le tour du rêve en l’explorant sous toutes ses
coutures plutôt qu’une méthode linéaire et logique qui pourrait satisfaire
notre mental aristotélicien. Ce « quelque chose » qui en émerge n’est
pas nécessairement une compréhension ou une explication du rêve. Ce peut être
une inspiration, un sourire ou une œuvre d’art. C’est l’expression d’un
mouvement intérieur, et celui-ci a toujours une dimension créatrice : il
amène du nouveau à la conscience. D’un point de vue psychologique et spirituel,
nous pouvons dire qu’il s’agit d’une émergence du Soi, mais ayant dit cela,
nous n’apportons pas grand-chose au propos. Cependant, il est nécessaire de
remettre le travail du rêve dans la perspective du Soi qui est à peu près
évacuée par la psychologie désormais.
Le Soi est,
au-delà des notions d’inconscient collectif et d’archétypes, la principale
(re)découverte de Jung. Je m’accorde entièrement à l’énoncé de Pierre Trigano[2]
qui explique qu’au fond, nous ne saurions être disciples de Jung car nous
sommes disciple du Soi qui s’est exprimé par Jung, et par bien d’autres. Du
Soi, nous pouvons seulement dire que c’est un facteur transcendant, au sens
kantien d’une incapacité à le conceptualiser, qui œuvre sans trêve à la
conciliation des contraires, au dépassement des opposés, ou en termes
spirituels à la mode ces temps-ci, à l’émergence de la non-dualité. Avec le
Soi, nous arrivons aux limites de la psychologie car nous touchons à
l’essentiel et à la mystique, au sens noble de ce mot dont l’étymologie nous
renvoie au mystère devant lequel on ne peut que se taire. C’est la Pierre
philosophale que cherchaient les alchimistes car, là où toutes nos tentatives
de soigner (Soi-nier) ont échoué, elle seule guérit (gai rit), c’est-à-dire
amène à retrouver un gai rire…
En ouvrant
ce blogue, je ne savais pas où l’écriture des articles qui s’y sont égrenés m’entrainerait. J’avais
simplement pour intention d’explorer plus avant la métaphore de la fleur de
conscience en l’exposant publiquement. Après plusieurs années, j’ai fait une
pause de quelques mois et j’ai pris du recul. C’est alors que je me suis aperçu
qu’il se dégageait de l’ensemble des articles que j’avais écrit une cohérence
que je n’avais pas prémédité. J’y ai vu le déploiement progressif d’idées qui
n’étaient qu’en germe au moment où j’ai publié mon petit manifeste de « la
voie du rêve », et j’ai constaté qu’elles m’emmenaient beaucoup plus loin
que je ne l’avais envisagé. D’une part, elles s’étaient étoffées au fur et à
mesure que je les développais, et en particulier dans les discussions qu’elles
suscitaient avec mes lecteurs, et d’autre part, elles me faisaient de plus en
plus obligation d’en tirer certaines conclusions dans ma vie. C’est par là,
ai-je alors réalisé, que j’étais amené à vivre ma propre expérience du Soi.
Dans cette
période pour moi critique, j’ai dû écarter définitivement l’idée de rentrer
dans les rangs des analystes jungiens et j’ai compris qu’il me faudrait assumer
de marcher sur un petit chemin solitaire essentiellement voué à la dimension
poétique et spirituelle du travail avec les rêves. Cette démarche avait déjà
pris forme quelques années auparavant dans l’ouverture d’un blogue poétique[3]
parallèlement à « la voie du rêve. Je ressuscitais par là le jeune homme
que j’ai été, qui s’était d’une certaine façon suicidé devant l’impossibilité
de vivre la vie poétique qu’il souhaitait. La tension entre les opposés en moi
s’est résorbée comme crève un nuage lourd de pluie, en entrainant des changements
drastiques qui m’ont projeté dans une nouvelle vie, imprévisible. Par un jeu de
circonstances inattendues dont le mystère de vivre a le secret, j’ai été alors
amené à prendre le risque de consacrer mon existence à mes passions pour
l’écriture et les rêves, seule façon pour moi de guérir et d’assumer ma
relation avec le Soi.
La
sélection d’articles présentés [dans ce livre] – près d’une trentaine sur la centaine que
comptait le blogue au moment où elle a été arrêtée – retrace ce parcours
intellectuel et spirituel. Mon ambition en constituant ce recueil a simplement
été de fournir tous les éléments qui permettront aux amoureux des rêves
d’enrichir leur propre réflexion, sans m’encombrer de la prétention à ouvrir
une nouvelle voie ou créer une méthode inédite. Certains articles ont été
annotés au moment de la conception de ce recueil. Ces nouvelles notes sont
lisibles en bas de page. La forme du blogue implique parfois des répétitions,
en particulier des thèmes abordés et de certaines citations clés qui reviennent
comme, encore une fois, dans une circumambulation, un parcours circulaire
autour d’un centre. Nous avons choisi de les laisser telles quelles en l’état
car elles reflètent le parcours de la pensée et le déploiement progressif des
idées. Les articles n’ont pas été retouchés sauf des corrections mineures pour
les mettre en contexte ou préciser des approximations. Une correction a
cependant été régulièrement apportée, qui traduit l’évolution de ma pensée
depuis l’écriture de ces articles : assez souvent, là où figurait le mot
« l’inconscient » ou « l’Inconscient » (c’est-à-dire
l’Inconscient collectif), il s’est imposé de remplacer ce terme par « le
Soi ».
[1] Vous trouverez plus d’information à
ce sujet dans cet article publié en juin 2017 sur mon blogue, non inclus dans
ce recueil : http://voiedureve.blogspot.fr/2017/06/loges-de-reves_55.html
[2] Pierre Trigano, Psychanalyser Jung, Réel-Editions 2016.
[3] Blogue "La joie d’être un âne" : http://jubilarium.blogspot.com.