J’ai entendu cet été un rêve très particulier. C’est le genre de rêve qui vous marque, qu’on le reçoive ou qu’on en soit simplement le témoin. Disons-le tout de suite, c’est un rêve terrible, comme le titre que j’ai donné à cet article le laisse entendre. Âmes sensibles s’abstenir, et pourtant… au-delà de l’horreur apparente qui le rend difficile d’accès, c’est un rêve précieux et en fait archétypique, qui signe un passage très important dans la vie de la rêveuse. Le rêve lui-même tient du rite de passage, et peut être mis en lien avec un très ancien rituel de renouvellement. Au-delà de sa dimension personnelle, c’est un rêve qui peut tou(te)s nous concerner car l’archétype est une dimension collective, et c’est pourquoi j’ai demandé à la rêveuse la permission de l’exposer et de le commenter ici. Je veux illustrer ainsi ce que l’on peut appeler à bon droit « l’alchimie du travail avec les rêves », c’est-à-dire le fait qu’en travaillant avec les éléments difficiles qui ressortent de nos rêves, nous grandissons et nous mûrissons – nous nous transformons.
La rêveuse a reçu ce rêve
dans la nuit précédant sa signature d’une offre d’achat pour
une maison, signature qui a marqué pour elle l’approche d’un
grand changement puisqu'elle a passé les 3 années antérieures
dans une vie de nomade, sans avoir vraiment de domicile fixe.
L’achat de cette maison va avec le projet d’offrir un gîte aux
pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, comme une
façon pour elle de continuer à marcher sur le Chemin. Ce point
mérite d’être mentionné car il pointe vers l’arrière-plan
spirituel du rêve, et sa dimension alchimique – Saint-Jacques est
le patron des alchimistes, et il y a dans ce rêve un élément
frappant qui nous renvoie symboliquement à l’ancienne Égypte,
patrie d’origine de l’alchimie occidentale. Et puis, pour
approcher un tel rêve, nous avons bien besoin de la protection
symbolique de la mérelle1.
Voici
le rêve :
Je marche sur un large chemin de terre montant en pente douce, au
milieu d'une forêt de grands arbres. Le sous-bois est clair et
laisse passer la lumière. J'arrive sur un plateau le chemin débouche
dans une immense clairière. Au centre de celle-ci un très grand lac
entouré de prairies d'herbes hautes et vertes, elles-mêmes
entourées d'arbres identiques à ceux de la forêt traversée. L'eau
est de couleur sombre et brillante (une eau miroir presque noire). Le
chemin amène à ce lac. A la fin de celui-ci, juste au bord de
l'eau, un jeune homme de dos d'une vingtaine d'année tient de sa
main droite la main gauche d'une petite fille. Ils avancent lentement
vers l'eau. Une femme "âgée", cheveux long libres et gris
blancs, en longue robe, marche vers eux sortant de la forêt et
traversant la prairie sur la droite du lac. Elle prend la main droite
de l'enfant dans sa main gauche et avance avec eux vers l'eau. Je
suis juste à la lisière de la forêt et des prairies et je les vois
donc de dos.
Ils commencent à entrer dans l'eau. J'aperçois du bois flottant au centre et à l'extrémité opposée du lac. Un pré-sentiment, une intuition me font sentir que cela peut être dangereux. Je les appelle. Pas de réaction de leur part. Je continue à avancer.... mon regard change et je commence à voir à travers l'eau, comme si je radiographiais ou scannais celle-ci. Elle est trouble mais je distingue de mieux en mieux. Les morceaux de bois sont des crocodiles. Certains laissent juste voir leurs dos à la surface de l'eau, beaucoup restent en dessous. Ils convergent lentement vers les trois personnes qui ont maintenant de l'eau jusqu'aux hanches pour l'homme et la femme et jusqu'au cou pour l'enfant. Je continue à les appeler et même à crier qu'il y a un danger. Je crains que les crocodiles les aient sentis et si l'un d'eux mordait, le sang attirerait tous les autres et l'homme, la femme et l'enfant seraient déchiquetés et disparaîtraient, entraînés au fond du lac.
Je suis en colère pour ce qui me parait être de l'inconscience de cette femme. Pour moi, elle devrait être sage et pleine d'expérience. Ce que je prévoyais arrive, ma vision me montre les crocodiles qui attaquent. Les corps sont démembrés, déchiquetés sous l'eau. Je regarde la scène. Ils ne disparaissent pas.
La rêveuse précise : « Je me
réveille. Ce rêve fort n'a pas été vécu comme un cauchemar. »
Le fait que ce rêve n’ait pas
soulevé un sentiment d’horreur chez la rêveuse est évidemment le
premier point qui a attiré mon attention, comme une incongruité
signalant que le rêve n’est pas nécessairement ce qu’il semble
être. Le conscient, en s’emparant de telles images, va y voir
nécessairement un cauchemar que l’on interprétera éventuellement
comme cristallisant des peurs inconscientes de la rêveuse, mais son
sentiment au réveil dément une telle approche. Les incongruités
sont nos portes d’entrée dans le rêve, là où se signale
l’inconscient, c’est-à-dire que quelque chose échappe au
conscient…
Disons-le d’emblée : c’est
un rêve qui réclame une interprétation, et beaucoup de prudence
dans l’intégration de son énergie transformatrice. Ce n’est pas
le genre de rêves avec lequel je travaillerais directement avec le
ressenti corporel et émotionnel, tout simplement parce que je ne
prendrais pas le risque d‘exposer la rêveuse à une identification
avec les protagonistes du rêve. Avec tous les rêves présentant des
thèmes évoquant la désintégration ou le déchiquetage d’un
corps, nous sommes tenus à la plus grande prudence car nous nous
trouvons en présence d’images évoquant un risque de morcellement
ou de fragmentation psychique. Cela ne veut pas dire que la rêveuse
soit psychotique mais nous avons des précautions d’usage à
respecter devant de tels rêves. C’est là que le travail
d’interprétation s’avère tout particulièrement justifié –
il ne faut pas rester avec un tel rêve non interprété – et tenir
en fait du bouclier, et du filtre, permettant d’approcher et
d’absorber la puissance disruptrice du rêve.
C’est la fonction du symbole, et
de l’élaboration symbolique, que de faciliter l’approche de
contenus inconscients qui, s’ils émergeaient directement à la
conscience, pourrait en menacer l’intégrité. Von Franz signale
que lorsque des personnes présentant un risque psychotique sont
exposées à des images symboliques vivantes, qu’elles proviennent
de leurs rêves ou de contes, de mythes, la compréhension symbolique
qu’elles en retirent les aident à faire face à l’expérience
accablante d’une irruption de l’inconscient. Nous vivons tou(te)s
des processus de transformation, c’est-à-dire souvent de
désintégration, dans notre psyché inconsciente, mais c’est notre
capacité à communiquer ce qui en parvient à la conscience qui
garantit notre santé psychique. Ainsi Von Franz écrit-elle que :
« Une certaine connaissance du
symbolisme agit, pour ainsi dire, à la manière d’un filet
permettant de recueillir le mystère indicible d’une expérience
immédiate de l’inconscient. »
La forêt et le lac sont deux
symboles caractéristiques de l’inconscient. La première symbolise
un aspect de la vie naturelle, dans laquelle la rêveuse va par un
Chemin en pente douce, tandis que le lac évoque la dimension
émotionnelle de la relation avec l’inconscient. Et il y a dans ce
rêve un élément typique qui appelle immédiatement l’attention :
le contraste entre la belle lumière dans laquelle baigne la forêt,
et la noirceur de l’eau du lac, « de couleur sombre et
brillante » : « une eau miroir presque noire ».
C’est un peu comme si la lumière de la conscience était présentée
là comme un écrin au centre duquel se tient le joyau de l’obscurité
sombre et brillante qu’il va falloir approcher. Un travail
intérieur avec l’aspect obscur de la psyché se dessine.
Fort heureusement, ce n’est pas la
rêveuse qui entre dans ces eaux noires mais un trio non moins
typique : une femme, un homme, une enfant prépubère. C’est
une image de l’inconscient dans lequel il y a une représentation
du féminin, du masculin, et de la nouvelle vie qui naît de leur
union. Du point de vue symbolique, il faut souligner qu’avec ce
trio et la rêveuse, nous avons quatre personnages dans ce rêve, et
donc une représentation de la totalité psychique. Il y a un bel
équilibre dans cette image, que ce soit par la présence de la
fillette (puer) et de
la vieille femme (senex)
que celles du masculin et du féminin dominant. Les trois âges de la
vie sont aussi représentés avec l’enfant, le jeune homme et la
vieille femme. On peut donc penser que ce rêve porte la signature du
Soi, c’est-à-dire qu’il parle de la prochaine étape qui se
dessine dans l’individuation de la rêveuse.
Compte tenu des circonstances dans
lesquelles il est survenu, il est vraisemblable qu’il s’agit d’un
rêve initial donnant la note du nouveau cycle de vie dans lequel la
rêveuse s’est engagée en signant son offre d’achat. Un tel
augure, à l’abord d’une nouvelle aventure de vie, en ferait
reculer plus d’un(e). Ce n’est pas le cas de la rêveuse, qui a
la maturité spirituelle lui permettant d’envisager, dès nos
premières discussions autour de ce rêve, sa dimension initiatique.
Il faut préciser qu’elle a beaucoup cheminé sur la voie
chamanique, or la tradition rapporte que le candidat à l’initiation
chamanique est souvent symboliquement démembré ou découpé en
petits morceaux par les esprits, ce qui prélude à une recomposition
à un autre niveau.
On retrouve ce thème du
morcellement dont je parlais plus haut, qui, quand la crise n’est
pas vécue dans sa dimension transformatrice et initiatique, présente
le visage hideux de la folie, et qui cependant est une étape
décisive de croissance pour les chamans. Il semble qu’il n’y ait
pas de psychotiques dans les sociétés traditionnelles car le cadre
symbolique qu’offre une culture en prise avec la nature et
l’inconscient permet d’intégrer ces épisodes. Dans notre
culture, on retrouve la même thématique dans l’alchimie avec
l’œuvre au noir et la putréfaction qui suit la nécessaire mort
symbolique. C’est l’angle sous lequel j’ai proposé à la
rêveuse de considérer son rêve :
C’est un grand rêve qui annonce
une transformation radicale qui tient de l’initiation chamanique,
dans lequel les crocodiles symbolisent la puissance transformatrice,
le Destructeur qui permet par son action au nouveau d’apparaître.
Il est d’une grande importance dans la vie personnelle de la
rêveuse à l’abord du nouveau cycle de vie qui s’ouvre à elle,
mais il a aussi une portée collective dans ce que nous sommes
tou(te)s, individuellement et collectivement à l’heure où nous
devons envisager l’effondrement de notre civilisation, à risque de
rencontrer celui que les anciens égyptiens appelaient Sobek, le
Purificateur d’Âme, le dieu-crocodile. Il constelle le thème du
sacrifice, et plus précisément celui du sacrifice de l’enfant,
symbole d’innocence, mais aussi, comme nous le verrons plus loin,
celui de l’« enfant
intérieur » qui doit être sacrifiée pour permettre à
l’adulte psychologique d’émerger.
Dans le dictionnaire des symboles
(Jean Chevalier et Alain Gheeerbrant), le crocodile est décrit comme
un cosmophore, un porteur du monde. C’est une divinité nocturne et
lunaire qui règne sur les eaux primordiales, « dont la
voracité est celle de la nuit dévorant chaque soir le soleil ».
Il symbolise certains aspects des forces maîtresses de la mort et de
la renaissance. Certains peuples y voient un grand ancêtre, avec
souvent un rôle initiatique. En Égypte, il y avait des crocodiles
sacrés dans certains temples car on leur prêtait un rôle dans le
jugement divin des défunts : ceux qui échouaient à la pesée
des âmes étaient dévorés par le grand Crocodile. Mais alors que
dans plusieurs cultures, dont la Chine et les Mayas, le crocodile est
aussi associé à la fertilité et l’abondance, nous en avons une
vision seulement négative en Occident, où il y a un relatif
consensus à dire qu’il représente « une attitude sombre et
agressive de l’inconscient collectif ».
En psychologie des profondeurs, nous
considérons avec Jung que les animaux qui apparaissent dans les
rêves symbolisent des forces instinctuelles. Quand il s’agit
d’animaux à sang froid, comme les serpents ou les crocodiles, il
s’agit de puissances archaïques très éloignées de la conscience, encore
très loin de pouvoir s’humaniser. C’est dangereux. On ne peut
pas faire confiance à un crocodile. Je me souviens d’avoir été
effrayé dans une loge de rêve d’entendre un jeune homme expliquer
qu’il s’approchait d’un crocodile sans aucune peur, en le
sentant complètement pacifique. Pour moi, une telle attitude signale
un idéalisme spirituel qui ne tient pas compte de l’ombre et
invite le crocodile à mordre pour délivrer sa leçon de vie. Dans
un autre rêve que j’ai entendu récemment, nous convenions avec la
rêveuse que le crocodile pouvait renvoyer aux réflexes possessifs
et agressifs du cerveau dit reptilien. Car le crocodile, comme tous
les reptiles, n’a pas de cerveau limbique, c’est-à-dire aucune
capacité de relation émotionnelle. C’est une force brute,
destructrice, qui symbolise fort bien les aspects sombres de la
nature et de l’inconscient.
Cependant, il n’y a pas
d’initiation, et donc de croissance réelle, sans qu’intervienne
le Destructeur que la mythologie hindoue symbolise sous les traits de
Shiva. La mort symbolique prélude à la renaissance, et le
démembrement est nécessaire pour un rem embrement, c’est-à-dire
une recréation à un niveau supérieur d’organisation et de
conscience. En 2013, j’ai eu la chance de vivre un rite de passage
remarquable inspiré de la tradition celtique sur ce thème
archétypique du démembrement – remembrement. C’est alors, sans
que j’en ai conscience sur le moment, que s’est décidé au
profond de ma psyché le changement radical de vie qui m’a ramené
en Europe quelques années après. J’en ai retenu le passage par un
état très particulier de mise à nu intérieure, dans une
vulnérabilité qui va avec l’absence de toute forme définie, de
toute carapace protectrice, entre le démembrement de l’ancienne
personnalité qui meure et le remembrement préfigurant la nouvelle
personnalité qui s’apprête à émerger. C’est à partir de
cette expérience et de ma formation de passeur dans Ho Rites de
Passage, où je me suis particulièrement intéressé à ces
processus de transformation et à leur cadre symbolique, que j’ai
interprété ce rêve. Cela n’exclue pas qu’il y ait d’autres
niveaux d’interprétation possibles, tout aussi valables. A partir
de là, on peut creuser…
La rêveuse, après que nous ayons
discuté de cette interprétation, m’a indiqué que le sentiment
qui lui restait avec ce rêve était une grande colère envers la
femme de ne pas voir prévenu l’enfant. Plus tard, en loge de
rêves, la rêveuse a été submergée par une vague de tristesse en
disant que la petite fille avait été conduite au sacrifice. Ma
résonance alors avait rappelé une parole de Jung qui s’exclamait
que « Dieu est terrible », et qu’on pouvait penser que
la tisseuse des rêves prévenait la rêveuse avec ce rêve de la
présence de crocodiles dans la psyché. Poursuivant la discussion du
rêve, nous en sommes arrivés à évoquer la présence en filigrane
de la Grande Mère, d’Isis, et la rêveuse a inscrit son rêve dans
le mythe du démembrement d’Osiris par Seth, et a commencé à
accepter que ce dernier pourrait à avoir un rôle positif à jouer
dans l’histoire. Elle a relié son rêve au mythe de la conception
de la Reine de Saba, qui veut que sa mère, se baignant dans un
fleuve, a été fécondée par un crocodile. Elle a parlé d’un
processus de « dé-mentalement » des structures...
Après quelques mois, je l’ai
recontactée pour finaliser l’écriture de cet article, et elle m’a
encore parlé de ce « dé-mentalement » qui semble être
la signature énergétique du rêve. Et nous sommes entrés dans le
vif du sujet quand j’ai évoqué l’horreur de voir l’enfant
démembrée et qu’elle m’a dit que non, il n’y avait pas de
sentiment d’horreur. On en revenait à cette incongruité qui est
la porte d’entrée dans le rêve, et elle a continué en
interrogeant : mais qu’est-ce qui mérite chez l’enfant
d’être démembré ? En cheminant avec le rêve, elle en
venait à se dire qu’il s’agissait de détruire le faux self de
l’enfant, l’illusion attachée à l’idéalisation de l’enfance
et à l’identification avec la blessure, le traumatisme, etc. Elle
avait entendu Pierre Trigano, parlant à la radio d’un autre rêve,
mentionner que le crocodile peut représenter le matriarcat, et cela
avait pris tout son sens pour elle. Isis,
la Grande Mère, a une dimension totalisante, pour ne pas dire
totalitaire, qui maintient dans l’enfance et empêche le moi adulte
d‘émerger. Il s’agissait
d’arrêter de continuer à attendre que la mère prenne
la rêveuse par la main et
montre le chemin, conduise à la sécurité.
C’est alors, dans la discussion,
que la clé du rêve est apparue. La rêveuse m’a dit : « la
femme sait ». Elle est revenue dans le rêve. Elle voit dans
les eaux troubles et elle distingue clairement les crocodiles, mais
surtout elle « voit » que la femme sait, et qu’elle
aussi se sacrifie, « pour accompagner la petite fille dans la
transformation ». Le jeune homme ne sait pas, lui, et va donc à
la mort dans une certaine inconscience. Mais la vieille femme est
entièrement consciente de ce qu’elle fait. Elle
accomplit le rite de passage du sacrifice de l’enfant intérieur
pour entrer vraiment dans l’âge adulte. Notre discussion m’a
fait alors penser à ce qu’en
dit Ginette Paris dans « au-delà de la honte et de
l’orgueil » (nouvelle édition de « la sagesse des
larmes ») :
« Tous les individus, de
toutes les races et de toutes les cultures, hommes et femmes, sont
pour la plupart placés devant le défi de la survie (le travail) et
le défi des relations (l’amour sous toutes ses formes). Donc, pour
sortir d’un narcissisme propre à l’enfance et pour s’orienter
dans le bon sens, le premier pas consiste non pas à se tourner vers
son enfant intérieur, comme le suggère une certaine psychologie
populaire, mais de s’en éloigner. (...) Les approches basées sur
le monomythe de l’enfant intérieur monopolisent aujourd’hui la
conscience de bien des individus. Les blessures, les besoins, la
vulnérabilité de l’enfant ont reçu une attention qui a fait de
cet archétype une divinité tyrannique. Ce Dieu Enfant fait écho à
un monothéisme répressif; nous avons simplement remplacé Dieu le
Père par un Dieu Enfant, tout aussi unique, jaloux et omnipotent.
Il ne s’agit pas de nier que
l’enfant-en-nous mérite notre attention, et que cet archétype
représente non seulement la vulnérabilité fondamentale, mais qu’il
est aussi le symbole de la joie, du jeu, de la spontanéité et du
renouvellement. Toutes les écoles de sagesse et de disciplines
spirituelles s’entendent pour dire qu’il faut porter attention à
cet enfant intérieur et de ses besoins propres, car, pour qu’il
cesse de geindre et de manipuler, il faudra développer envers lui
une attitude de compassion pour lui permettre d’évoluer. Mais en
faisant de lui le centre de notre conscience psychologique nous
allons tout droit vers une victimisation: l’enfant intérieur
deviendra vite un tyran, pour soi-même et pour les autres. »
On retrouve donc ici le problème du
Puer aeternus (l’enfant éternel) dont parle Marie-Louise Von Franz
en analysant le cas de Saint-Exupéry dans des conférences et un livre sur ce thème. Cet enfant ne
veut pas grandir, ou plutôt, nous ne voulons pas cesser de nous
identifier à lui. C’est
aussi ce qu’on appelle le syndrome de Peter Pan, car ce dernier ne
veut pas vivre dans le monde réel. Ce qui caractérise l’enfant,
c’est le manque : il a besoin d’une mère pour pourvoir à
ses besoins. A force de rechercher dans le passé d’où s’origine
notre blessure fondamentale, nous nous identifions inconsciemment à
celle-ci – nous restons dans ce passé. Mais
alors, ce sont l’enfant intérieur et la nécessité de satisfaire
ses besoins, de le protéger, qui guident notre comportement dès
lors infantile. Cependant, l’enfant a besoin pour grandir que nous
soyons adultes et que nous soyons à même de l’accueillir à
partir de ce point de vue adulte. Cela implique de renoncer à
l’idéalisation sous quelque forme que ce soit, et de prendre nos
responsabilités. C’est le sacrifice de l’enfant intérieur,
offert à la dimension obscure de la psyché pour permettre le
renouvellement de celle-ci ,
auquel semble donc s’engager notre rêveuse en signant une promesse
d’achat qui augure pour elle une toute nouvelle vie.
1 La
coquille Saint-Jacques ou Mérelle de Compostelle est le symbole le
plus connu du Chemin. Elle est portée mystiquement par tous ceux
qui entreprennent le travail et cherchent à obtenir l'étoile.
Mérelle signifie mère de la lumière. Elle sert à désigner le
principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore
"l'eau benoîte" des Philosophes.