lundi 22 juillet 2019

Constellations de rêves


La première fois, il y a plus de 10 ans, que j’ai participé à une session de constellations familiales, j’ai été proprement esbaudi. J’en suis sorti en marchant pour ainsi dire sur les mains. Je me disais : « voilà, on a trouvé l’appareillage expérimental qui prouve la dimension collective de l’inconscient ! » En physique, rien n’importe plus que l’appareillage expérimental. On peut développer toutes les théories que l’on veut, se livrer à des calculs infiniment complexes mais tant qu’on n’a pas élaboré l’expérience qui prouve la théorie, celle-ci reste du vent. Par exemple, l’existence du boson de Higgs a été postulée mathématiquement en 1964 mais n’a été démontrée qu’en 2012 dans ce qui relève d’un exploit absolu de la science expérimentale grâce à l’utilisation du Large Hadron Collisionner du CERN, un énorme dispositif permettant de faire entrer en collision des protons à haute énergie, qui a requis la collaboration de milliers d’ingénieurs et de chercheurs. Et voilà donc que, pour mettre en évidence une caractéristique fondamentale de la conscience, il suffit d’une poignée d’humains jouant à un drôle de jeu, me disais-je en jubilant. Et puis j’ai assez vite déchanté : bien sûr, si le dispositif expérimental repose sur des humains, cela ne prouvera rien à ceux qui ne se livrent pas à l’expérience. Je n’ai pas fini de réfléchir à ce paradoxe de la nature de la conscience, qui veut que l’on ne puisse l’approcher qu’au travers de la subjectivité. Mais dès lors, j’ai commencé à penser aussi à la possibilité de consteller un rêve, de le travailler en constellation systémique. 

Le principe du travail en constellation est de représenter un système d’interactions psychiques au travers de personnes qui se prêtent au jeu en tant que représentants, et d’observer par là les dynamiques propres à ce système. Le champ d’application le plus connu de cette méthodologie est la thérapie familiale, si bien que cette approche a été popularisée sous le nom de « constellation familiale » qu’on assimile improprement à une forme de psychothérapie fondée sur des jeux de rôles et des psychodrames. Je dis « improprement » car cette définition évacue le principal intérêt des constellations qui tient au fait que les représentants ne jouent pas de rôles théâtraux mais sont affectés par des ressentis qui ne peuvent être compris que dans le cadre de l’observation du système représenté. La méthode des constellations familiales a été mise au point par Bert Hellinger, un ancien prêtre converti à la thérapie. Elle s’intéresse à la mise en lumière des conflits dans un système familial en tenant compte de sa dimension transgénérationnelle mais aussi de tous les éléments participant à l’inconscient de ce système. Ainsi, s’il a fallu qu’un amant s’écarte ou meure pour que se rencontrent le grand-père et la grand-mère dont l’union a abouti, quarante-cinq ans plus tard, à la naissance de la personne dont le système est constellé, il sera tenu compte de cet amant dans la représentation, qui encore une fois n’a rien à voir avec une simple mise en scène. 

Lors d’une session de constellation familiale, toutes les personnes impliquées dans le système familial sont représentées par des représentant.e.s qui ne savent rien d’eux. Une fois qu’ils ont été disposés dans l’espace, on observe les interactions, et en particulier qui voit qui, qui est en relation avec qui. Mais surtout, on interroge chacun.e des représentant.e.s sur leur ressenti, et alors, on entend souvent des choses surprenantes, comme si le représentant était « branché » directement sur le vécu de la personne représentée, qu’elle soit vivante ou décédée, présente ou absente. Il n’est pas rare que des secrets familiaux soient révélés dans ce qui ressemble à des séances de médiumnité collective, et cependant en diffère fondamentalement car il n’est normalement aucun ego sur patte pour prétendre là être « le médium », avoir des capacités particulières de voir dans l’invisible. Toutes les personnes impliquées dans la constellation médiatisent le système, et l’invisible parle tout seul. Tout l’art de la personne qui facilite le travail est alors de mettre en évidence les dynamiques, de dénouer les nœuds relationnels, de faire en sorte que tous et toutes soient vu.e.s et entendu.e.s, de redonner à chacun.e.s sa place dans le système, d’aider à la reconfiguration de ce dernier. Non seulement la personne qui fait consteller son système familial ressort souvent transformée de la session, mais il est fréquent que des personnes distantes soient affectées au travers de fortes synchronicités, que des relations évoluent soudainement de façon surprenante.

J’ai été représentant à quelques reprises dans des sessions de constellation familiale et j’ai été à chaque fois impressionné par la force des ressentis émotionnels et corporels qui m’ont alors affecté sans que je ne puisse leur trouver de cause autre que l’implication dans le système. Je me souviens d’une fois où je me suis senti vidé de toute énergie, les jambes molles et le ventre en révolution, dès que j’ai été désigné pour représenter l’oncle d’une constellante. Je suis entré dans l’espace du système à reculons, avec l’envie de me cacher jusqu’à ce qu’une énorme colère me prenne quand j’ai été mis en face de la personne qui représentait le grand-père. Cela s’est éclairci quand j’ai appris que cet oncle était mort dans les Aurès après avoir tout tenté pour échapper à la guerre d’Algérie, et avoir subi les brimades et moqueries de son père, militaire qui s’estimait déshonoré par ce pacifiste. Il a fallu que je hurle cette colère qui était devenue mienne, et qu’enfin mon « père » me prenne dans ses bras pour que je sois apaisé, et en même temps que moi, la constellante a été soulagé d’un énorme poids qui lui ôtait tout désir de « se battre » dans la vie. 


Mais l’expérience la plus déterminante pour moi a été la constellation d’un poème de Hafiz. J’assistais, en tant qu’observateur, à une session de formation en constellations quand la formatrice a lu un poème et a demandé qui voulait le consteller. J’ai été fort surpris de sentir ma main se lever d’elle-même. Je ne vous raconterai pas ce travail par le menu car ce serait bien trop long. Je peux dire qu’il a transformé ma vie en mettant en lumière une dynamique qui m’était complètement inconsciente. Je me souviens de mon émotion quand j’ai réalisé que l’homme que j’avais désigné pour me représenter ressentait l’angoisse qui me travaillait alors bien souvent. Il était devenu pâle comme un linge, et ses yeux soudain étaient emplis d’une tension que je connaissais trop bien. Je suis allé m’excuser auprès de lui à la fin de la session de lui avoir infligé cette épreuve, ce à quoi il a souri : il était habitué à se prêter à ce travail. Mais l’enseignement le plus remarquable que j’ai retenu de cette session a donc été que l’on peut consteller tout ce qui participe à un système psychique, incluant par exemple la relation à l’argent ou à l’amour, un poème ou un film qui nous inspire, un rêve, etc. C’est à partir de là que j’ai commencé à songer sérieusement à la possibilité de consteller un rêve. Et la nuit suivante, comme en écho à ces interrogations naissantes, j’ai rêvé que ma femme, mes filles et moi-même nous tenions chacun dans un coin d’une pièce, comme si nous occupions chacun une place dans un espace défini. Il s’agissait clairement que nous entrions en relation les un.e.s avec les autres. J’ai compris alors ce rêve comme me proposant une direction de travail, mais je ne saisissais pas bien encore quelle elle pouvait être. 

A partir de là, j’ai donc commencé à me renseigner sur le travail des rêves en constellation. J’ai entendu parler de plusieurs praticiens qui s’y essayaient mais je n’ai jamais eu l’occasion d’échanger avec aucun d’eux. Il m’a fallu faire mon propre chemin avec ça. Après avoir étudié plus en profondeur le travail de Bert Hellinger, j’ai commencé à me livrer à différentes expérimentations voilà un peu plus d’un an. J’ai eu la chance de pouvoir approfondir ces expérimentations avec un petit groupe de recherche au cours de la dernière année, et mon approche théorique du rêve en constellation a été enrichi de façon décisive par les travaux de Robert Bosnak, dont je parle dans mon article précédent : au-delà de l’interprétation des rêves. Bosnak met en lumière le fait que le rêve est un écosystème de subjectivités qui se caractérisent par des sensations corporelles, des émotions et un langage spécifiques, des postures singulières tant physiques que psychologiques, une façon de voir les choses, un « point de vue » dans une dynamique complexe tissée de multiples points de vue.  Ce n’est que récemment, avec l’aide de ce petit groupe de recherche qui s’est prêté à l’expérimentation en laboratoire, que j’ai vu émerger une forme satisfaisante du travail d’un rêve en constellation. L’ingrédient essentiel s’est avéré être le corps, c’est-à-dire l’attention scrupuleuse accordés, au cours du déploiement de la constellation, aux ressentis émotionnels et surtout corporels de la personne qui constelle son rêve.

Voici, à partir de l’exemple d’un rêve déployé en constellation, une présentation rapide de la méthodologie. La rêveuse est une femme en pleine transition de vie, qui se cristallise tout particulièrement dans une violente crise professionnelle. Elle reçoit alors ce rêve :

Je suis sur un lieu sinistré dont je fais le tour comme pour y faire mes adieux. Je suis en hauteur. Le lieu est inerte, désert, triste et froid, une eau glauque noirâtre a envahi les lieux au sol.

Je suis habillée d’une façon élégante et raffinée qui me va bien. Je ne suis pas atteinte par cette noirceur.

Je perçois que mes collègues dirigeants sont là, je ne les vois pas sauf celle qui assure l’intérim de mon poste de direction et qui m’aperçoit. Elle me lance «  tu es belle ».

Je m’approche alors de ma petite valise rouge qui est ouverte, où un grand sac de terreau universel prend toute la place. Je me dis que ce terreau n’est plus adapté à la situation à venir et je le remplace par un sac plus petit d’engrais pour rosiers.

Le rêve est d’abord accueilli dans une loge de rêves où, sans analyse ni prétention à l’interprétation, les membres du cercle lui font écho dans leur ressenti et leur imaginaire. Il en ressort une évocation de la fertilité des eaux noires, puis du terreau et de l’engrais, et une invitation à cultiver son jardin en y faisant pousser des roses. Bien sûr, le contexte de la crise professionnelle que vit la rêveuse s’impose, mais le rêve lui donne une perspective existentielle plus profonde. Une carte du Symbolon tirée au début de la session par la rêveuse symbolisait merveilleusement son sentiment de passer en jugement dans son ancien travail :


Le conflit ressort dans la présence en arrière-plan des collègues dirigeants, mais ils sont comme dépotentialisés (invisibles) et l’accent est mis sur sa belle persona (le fait qu’elle soit bien habillée) ainsi que surtout sur l’affirmation « tu es belle » que lui lance celle qui l’a remplacée. On peut voir là une symbolisation de la résilience de la rêveuse, éventuellement compensatoire de la blessure du jugement, qui la conduit à envisager l’avenir autrement. Elle reconsidère ce qu’elle emmène avec elle, son bagage. Et finalement, elle semble dès lors invitée à faire ce qu’elle aime, car les roses sont le symbole de l’amour, non seulement romantique mais surtout comme tenant du désir secret de l’âme, et qu’à ce point dans sa vie, le « terreau universel » n’est plus adapté. Il s’agit peut-être de sacrifier le désir d’être capable de tout faire pour se concentrer sur les rosiers et les roses. Dans le contexte du jugement, il pourrait bien s’agir d’une invitation à laisser tomber la culpabilité de ne pas « y arriver » dans son ancien emploi, pour s’occuper plutôt de faire ce qui est important pour elle. Mais même si le rêve montre clairement une dynamique positive, sa compréhension ne permet pas à la rêveuse d’échapper au sentiment d’être aux prises avec les eaux noires de l’inconscient. Nous avons donc décidé de concert de consteller ce rêve qui se prête très bien à ce genre de travail. 

Pour ce faire, il faut commencer par recenser tous les symboles du rêve et désigner pour chacun d’eux, en commençant par le « moi de rêve » de la rêveuse, un représentant. Tous les éléments du rêve, incluant les lieux et les objets inanimés, peuvent être représentés, selon le principe qui veut que tous les éléments du rêve font partie de la psyché qui rêve. Ce sont autant d’éléments distincts de subjectivité auxquels il s’agit de donner voix, et que le rêve, amplifié par la constellation, met en relation. Ici, la rêveuse a désigné des représentants pour elle-même, le lieu sinistré, l’eau glauque et noirâtre, les habits de la rêveuse, les collègues dirigeants, la directrice qui la remplace, la valise rouge, le sac de terreau universel, le sac d’engrais pour rosiers. Idéalement, il faut désigner un représentant distinct par symbole, mais il est possible qu’une personne représente plusieurs symboles, ce qui a été notre cas lors de cette pratique car nous étions un nombre insuffisant.

Une fois les représentants désignés, la rêveuse lit le rêve phrase après phrase, en prenant le temps de bien ressentir ce qui se passe en elle à chaque étape. Et, au fur et à mesure de l’activation des symboles, les représentants entrent en scène et vont se positionner selon leur intuition et leur ressenti. Ainsi, la première phrase fait entrer en jeu la rêveuse et le lieu :

Je suis sur un lieu sinistré dont je fais le tour comme pour y faire mes adieux. 

Les personnes représentant la rêveuse et le lieu sont interrogées sur ce qu’elles ressentent tandis que la première tourne autour de la seconde. La principale difficulté à ce point est de s’en tenir aux ressentis et d’éviter les élaborations mentales en forme de : « je pense que... ». Ce sont les ressentis physiques et émotionnels qui nous intéressent, pas ce que les représentants imaginent. Ici par exemple :

- rêveuse : j’ai les jambes lourdes, j’ai du mal à avancer…

- lieu : je me sens vide, abandonné…

… Une eau glauque noirâtre a envahi les lieux au sol.

La personne qui a représenté l’eau noirâtre dit qu’elle se sentait irrésistiblement attiré par la terre, avec le besoin d’être enterrée. Elle s’est retrouvée couchée en croix sur le sol dans le besoin d’être accueillie par la terre, de s’en remettre à celle-ci. La terre dès lors sera un des fils conducteurs du rêve jusqu’au sac d’engrais en fin de celui-ci. La représentante de la rêveuse exprime à son tour sur ce qu’elle ressent en présence des eaux noires, et finalement, la rêveuse est interrogée sur son senti corporel. Elle a la gorge bloquée, c’est un ressenti fort et elle semble avoir du mal à respirer. Ce ressenti va évoluer tout au long de la session au fur et à mesure de ce que le rêve est déployé. Nous allons suivre l’évolution du blocage énergétique qui va descendre dans le plexus.

On procède ainsi phrase après phrase, en interrogeant les représentants sur l’évolution de leurs ressentis dans chaque étape. Ainsi, il est intéressant de savoir ce que ressent la personne représentant la rêveuse quand il s’avère qu’elle est en hauteur, puis quand il est dit qu’elle est habillée de façon élégante et raffinée, quand elle est complimentée par la directrice, quand elle constate qu’un grand sac de terreau universel prend toute la place de sa valise rouge, etc. Au fur et à mesure de leur intervention, l’eau glauque et noirâtre, les habits, les dirigeants, la directrice, la valise rouge, le sac de terreau et le sac d’engrais sont aussi interrogés sur leurs ressentis. On prête attention aux moindres modifications de la configuration, et par exemple, il faut interroger le sac de terreau sur comment il se sent de prendre toute la place, puis à l’idée d’être remplacé par un petit sac d’engrais. 

Mais le point clé du travail du rêve en constellation tient à la nécessité de revenir régulièrement, étape après étape, aux ressentis émotionnels et surtout corporels de la personne dont le rêve est constellé. Sans ce retour, le rêve est essentiellement objectivé par la représentation des symboles, c’est-à-dire que ceux-ci deviennent extérieurs à la personne qui a rêvé. On en arrive alors facilement à l’impression que le rêve est objectif, et par exemple dans notre cas, qu’il parle essentiellement de la situation de crise professionnelle que vit la rêveuse. Pour éviter cet écueil, il faut interroger la rêveuse sur ce qu’elle ressent à chaque fois qu’elle a lu une phrase, mais aussi et surtout après que les représentants se soient exprimés, et en prêtant donc particulièrement attention aux ressentis corporels qui ancrent l’énergie du rêve. C’est là que l’on relève les évolutions les plus significatives, semble-t-il. Ainsi la rêveuse, que j’interrogeais sur les temps forts qui lui restaient de cette expérience après plus d’un mois, m’écrit-elle récemment :

« Les temps forts étaient les ressentis dans le corps, très impressionnant de constater comment l’énergie bloquée dans la gorge et le plexus avec une forte pression dans la poitrine au niveau du thymus pouvait à nouveau circuler lorsque les participants me renvoyaient eux-mêmes leurs impressions, ressentis. Comme un verrou qui sautait pour laisser apparaître la blessure du cœur avec une forte sensation au niveau d’une porte du cœur qui cherchait à se décristalliser... » 

La décristallisation s’est faite dans « un feu d’artifice », selon ses propres mots, quand l’énergie est descendue dans le ventre en même temps que nous en venions au remplacement du terreau universel par l’engrais pour rosiers. La gorge et le plexus se sont alors libérés avec des impressions de forces et de lumières intérieures au corps et qui sont allées avec une libération perceptible de la tension. Tout le groupe pouvait ressentir que quelque chose était transformé, l’atmosphère générale avait changé, s’était joyeusement allégée. Je n’ai pas eu besoin d’aller au bout du protocole de Bosnak et de demander à la rêveuse de juxtaposer les différentes sensations pour tenir tous les éléments subjectifs du rêve ensemble, la dynamique de transformation s’est enclenchée d’elle-même. On pouvait sentir qu’un étau venait de se desserrer. Ici, il faut souligner que le support du groupe est essentiel car le vécu du groupe donne une enveloppe objective, dans lequel l’inconscient vivant est reflété à la rêveuse, à son expérience intérieure. Quelques jours plus tard, comme je venais de lui demander la permission de parler de sa constellation dans ce blogue, elle écrit :

« La magie de la constellation en lien direct entre le ressenti des participants et le ressenti dans mon corps apporte une réelle alchimie qui harmonise la libre circulation de la Vie potentialisée en un feu d’Artifice où tous les possibles fusent comme l’eau féconde qui jaillit de la source. »


Les bénéfices de ce travail dans le déploiement d’un rêve sont remarquables et réclament des recherches plus approfondies. D’emblée, il y a une distanciation de la rêveuse d’avec son rêve qui prend vie devant ses yeux dans un théâtre symbolique. Elle fait face à l’inconscient du rêve qui, en prenant forme, devient partageable et symbolisable sans injonction ni directivité, dans un mode rodgérien. Le danger là, du point de vue du travail avec le rêve, serait d’objectiver les symboles c’est-à-dire d’en faire quelque chose d’extérieur, ou plus précisément de séparée, de la rêveuse. D’où le retour fréquent aux sensations corporelles de la rêveuse qui nous met en contact avec le mouvement intérieur du rêve au profond de la rêveuse, et permet finalement d’incorporer le rêve, d’en ancrer l’énergie dans le corps. C’est une démarche complémentaire de l’analyse, qui ne l’invalide pas, mais qui la complète et amène la compréhension du rêve à un autre niveau, plus cellulaire. Elle porte encore la rêveuse des semaines après, lui donnant un support sur lequel s’appuyer au travers des péripéties de la transition. Car le rêve est une réalité vivante.

Les ressentis corporels, et accessoirement émotionnels (mais ils ne priment pas), nous offrent des indicateurs extrêmement sensibles de la force des symbolisations dans un espace dégagé de tout filtre d’interprétation toute faite où les subjectivités et les singularités se conjuguent. Le symbole est compris comme une énergie. Sa représentation va, dans un certain contexte d’ouverture, créer une différence de potentiel et susciter par là-même un mouvement, une mise en jeu de l’énergie. La représentation dans le contexte du groupe offre un contenant qui permet d’accueillir toutes les émotions, dont les plus difficiles, en leur donnant la prise de terre du corps. L’accent n’est pas mis sur le processus de l’émotion mais sur celui du ressenti corporel : les émotions sont accueillies, reconnues, mais ce qui nous intéresse, c’est comment le corps réagit.. Robert Bosnak nous livre une clé en affirmant que la conscience a pour rôle non de comprendre mais de permettre aux différentes subjectivités constituant l’écosystème psychique de prendre conscience les unes des autres. Dès lors, des changements en profondeur tenant d’une réorganisation de l’écosystème psychique sont envisageables mais imprédictibles : comme souvent dans le travail avec les rêves, il s’agit de faire confiance à la dynamique globale d’actualisation du Soi, de laisser-faire « quelque chose de plus grand » en se gardant d’interférer avec une théorie ou un objectif particulier.

Au fond, les ingrédients de ce travail avec le rêve sont très simples. Il s’agit essentiellement de mettre en place un cadre contenant dans laquelle la symbolisation pourra se déployer dans un espace sécuritaire où toutes les subjectivités vont pouvoir s’exprimer, avoir leur place. Plus important encore que le cadre fonctionnel que j’ai décrit, qui pourrait être modifié de différentes façons et éventuellement transposé à un travail en individuel, c’est le cadre éthique qui est déterminant pour le déploiement du rêve en constellation. La personne qui facilite doit tenir l’espace comme on le fait en loges de rêves, c’est-à-dire dans une entière non-directivité, suivant simplement le processus en s’assurant que chaque subjectivité invoquée puisse s’exprimer, être entendue. On en revient à une des injonctions chère à Carl Jung : « do not interfere ! », n’interférez pas ! Cette approche éthique du rêve et du rêveur, toujours uniques, singuliers - offre un socle solide sur lequel s’appuient ressentis, émotions et besoins pour s’exprimer dans un cadre limitant. Alors l’indicible, l’insondable, trouvent des moyens de se dire, d’être entendus, accueillis sans jugement. 


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Je remercie toutes les personnes qui ont participé à cette recherche et qui ont contribué à cet article. A noter que je donnerai une fin de semaine d'atelier sur les constellations de rêves en région parisienne les 26 et 27 octobre prochains. Pour plus d'information et inscription, voyez le flyer.