vendredi 26 janvier 2018

Jeu créateur


Les tenants du Secret[1] semblent souvent croire au Père Noël : si nous nous visualisons avec assez de conviction au volant d’une Ferrari rouge, elle se garera prochainement devant notre porte et son chauffeur viendra sonner à notre porte. C’est ce qu’on appelle de la « pensée magique ». C’est un stade de pensée où le petit enfant se croit encore au centre du monde et responsable de tout ce qui arrive. Cette idée est souvent la racine d’une névrose, par exemple quand un petit garçon pense que son père s’est tué en voiture parce qu’il le détestait d’accaparer parfois l’attention de sa mère, et qu’il a imaginé à quel point il serait mieux sans lui. Il y a certainement quelque chose de vrai dans la notion de pouvoir de l’intention mais heureusement, cela ne marche pas ainsi. Heureusement, car cela voudrait dire que l’ego serait tout-puissant, pour ainsi dire divin, et quand on voit déjà les dégâts que peuvent causer des egos essentiellement impuissants, nous ne pouvons que nous féliciter que l’Univers repose sur des lois limitant le pouvoir de l’ego.

Le Secret est généralement mal compris. Ce qui est vraiment intéressant, c’est que si on essaye de l’appliquer avec une pensée magique, la réalité nous joue des tours : les choses ne se passent pas comme nous voulons. La Ferrari se présente sous la forme d’une petite voiture pour enfant sur laquelle on glisse pour se retrouver sur le derrière en maugréant. La fine ligne entre une pensée magique et une pensée opérative tient à la façon de considérer cette difficulté. C’est l’occasion de réfléchir à la nature de la réalité : Jung disait que la réalité est ce qui nous résiste, et que Dieu est ce à quoi on ne peut rien. Or la pensée magique nous dit généralement que si notre intention ne se réalise pas comme nous le voudrions, c’est que nous entretenons des croyances restrictives et qu’il nous faut changer notre façon de penser. C’est encore une fois diviniser l’ego et le mental qui pense, qui entretient la fiction de cet ego : l’ego se prend pour Dieu.

Attention, un « gros mot » est lâché ! Nous voici en pleine scatologie intellectuelle : Dieu, qui appelé ou non appelé sera présent[2], a été invoqué. Par « Dieu », nous désignons sans savoir de quoi nous parlons, simplement de ce pourquoi et par quoi les choses sont, et sont ce qu’elles sont. Un athée peut concevoir Dieu comme le hasard combiné à un ensemble de lois dictées par la nécessité – c’est alors un Dieu du non-sens autre que la nécessité. Dans une vision autopoïétique[3], Dieu peut aussi être envisagé comme l’aspect autocréateur de l’univers, de la vie et de la conscience et finalement concerne aussi notre propre autocréation. En termes psychologiques, hors de toute métaphysique, « Dieu » est un concept générique pour ce qui crée la réalité ; bien sûr, cela est transcendant dans le sens où cela dépasse toutes nos catégories mentales – on ne peut rien en dire – mais on touche là à quelque chose de sacré : ça crée ! Et cela a son intention propre, qui se montre contraire à notre intention de départ quand survient la difficulté : c’est alors, plus clairement que jamais, que nous éprouvons sa réalité.

L’alternative à la pensée magique consiste à considérer que la vie est un jeu créateur avec « Dieu[4] », quoi que ce soit qu’on entende par ce mot, pourvu que cela définisse par nature la réalité qui nous résiste, et que ce jeu créateur réclame notre ouverture en conscience, un lâcher-prise total de l’ego sur ce qui arrive. Dans cette perspective, notre désir le plus vrai, le plus profond, est une vague d’énergie qui tend à se réaliser, et une fois qu’il est parti dans l’Univers, tout ce qui nous est demandé est d’accepter de jouer le jeu créateur, c’est-à-dire d’une part agir et d’autre part laisser advenir, accepter tout ce que la réalité nous renverra comme définissant le meilleur chemin possible pour arriver là où nous voulons vraiment aller. C’est ce que les mystiques disent quand ils énoncent que Dieu est Amour. Ils n’affirment rien sur le Mystère mais ils résument les termes d’une attitude intérieure :

« La vie est bonne, la réalité est bonne, je peux dire « oui » et m’ouvrir à ce qui est, simplement. Je vais dans la vie avec foi, avec confiance dans la bonté de la vie, avec gratitude pour tout ce qui est. »

C’est un chemin de conscience qui réclame, plutôt que de rentrer dans l’illusion d’une ingénierie des croyances, comme si le mental pouvait se programmer lui-même, beaucoup de travail sur soi pour découvrir ce que nous voulons vraiment. Le mot « découvrir » suggère l’image d’un voile d’inconscience que l’on retire de la vérité du désir qu’il couvrait, mais la question cruciale est : Qui désire donc ? Est-ce encore l’ego ou est-ce ce qu’on pourrait appeler l’âme, notre part éternelle, divine, créatrice ? Et que faire de tous ces désirs contradictoires qui vivent en nous, de ces ombres auxquelles nous ne permettons pas de s’incarner dans nos existences ? Qu’est-ce que nous refusons de vivre en affirmant notre intention, et qui pourrait nous mettre des bâtons dans les roues ? Finalement, la question décisive est celle-ci : cette dimension créatrice que nous appelons Dieu, qui définit la réalité hors de notre contrôle conscient, est-elle à l’extérieur ou à l’intérieur de nous ?

C’est là que tous les fils de cette réflexion se rejoignent et que Le Secret s’éclaire sous un autre jour. Tant que l’on affirme l’un ou l’autre, on est dans la dualité ; la réponse opérative est celle qui abandonne le « ou » pour embrasser le « et ». Ce qui crée la réalité est tout à la fois extérieur et intérieur à nous, et se situe bien au-delà de cette dualité qui est définie en fait par notre perception de la réalité, notre mental dualiste. C’est ce que les mystiques disent quand ils affirment : « Je suis en Dieu et Dieu est en moi », ou « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». En nous, cette part divine, c’est ce qu’on peut appeler l’âme, et l’âme est en nous ce qui aime. Dire que l’âme est éternelle et divine, qu’elle est une partie de Dieu, c’est affirmer psychologiquement qu’au travers des circonstances que nous vivons, seul l’amour mérite d’être gardé, que c’est l’amour seul qui donne sens et valeur durable, réelle, à ce que nous vivons. Ainsi revenons-nous au fait que l’amour est l’énergie créatrice par excellence, et quand nous disons que Dieu est Amour, nous affirmons donc que nous participons à la divinité en aimant, et que nous regardons l’Univers tout entier comme étant l’expression de cet Amour.

Dès lors, les règles du jeu créateur sont claires. Le nom du jeu est Amour[5]. C’est une danse dans laquelle Dieu nous tend un miroir qui plonge toujours plus profondément à l’intérieur de notre conscience jusqu’à ce qu’Il/Elle s’y trouve, et alors, par définition, Sa volonté est la nôtre et notre volonté la Sienne. Quand quelque chose nous arrive, ou n’arrive pas comme on voudrait, nous pouvons en faire une occasion de travail sur soi – ou mieux : avec Soi – pour partir à la recherche du désir secret de notre âme qui réunit toutes nos parties, qui nous permet d’être entier et ne projette pas d’ombre, ne nie rien en nous. Nous prenons pour acquis que quoi il arrive, c’est le meilleur qui puisse arriver en regard de notre plus profonde intention – de toute façon, il ne sert à rien de protester car cela est. Par contre, en disant « oui » et en acceptant de jouer le jeu de la réalité en conscience, avec amour et gratitude, nous pouvons prendre l’entière responsabilité de la façon dont nous répondons à ce qui est, et cela est encore l’expression de notre pure liberté créatrice, de notre âme.

Nous allons dès lors dans la vie en toute liberté et avec foi dans le fait qu’un jour, nous nous retournerons sur ce qui nous échappe et nous y verrons une bénédiction, c’est-à-dire que son sens et sa valeur nous apparaitront. Or c’est notre responsabilité en tant que conscience de donner sens et valeur aux choses et aux moments de notre existence, et c’est en cela surtout que nous sommes co-créateurs de nos vies. Le reste nous renvoie à cette prière qu’enseignait Richard Moss dans un atelier :

Puisse ce que votre âme veut pour vous et ce que vous voulez pour votre vie, être UN.



[1] Livre et film à succès sur la Loi d’Attraction : Le Secret, de Rhonda Byrne (2008)
[2] Au frontispice de la maison de Jung, il y avait cette inscription latine : vocatus atque non vocatus deus aderit, ce qui signifie « appelé ou non appelé le dieu sera présent ».
[3] Autopoïétique : relatif à l'autopoïèse d’un système. L'autopoïèse (du grec auto soi-même, et poièsis production, création) est la propriété d'un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir son organisation malgré le changement de composants (structure). Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Autopo%C3%AF%C3%A8seL’univers, la vie, la conscience peuvent être vus comme autopoïétiques, se produisant eux-mêmes du fait d’une dynamique interne.
[4] Ou l’Univers, ce qui est plus grand que nous, le Grand Esprit, le grand schmilblik, etc…
[5] Vous pouvez me lire à ce sujet ici : Le nom du jeu est Amour. Cela sonne mieux en Anglais: The name of the game is Love. Et c’est un jeu dans lequel tous les joueurs gagnent toujours à la hauteur de leur mise…

mercredi 10 janvier 2018

Rêve de désert



Et c'est cela le désert,
un silence qui parle,
une plénitude à faire rêver les rêves.

(Blanche de Richemont)

Je nourris un rêve en ce début d’année. C’est un rêve qui va s’incarner. En effet, je vais aller en mars prochain marcher dans le Sahara marocain avec des amis et un groupe de rêveurs. Cela fait longtemps que le désert m’appelle. Je l’ai déjà rencontré en Arizona, où il est peuplé de cactus et de rêves d’enfant avec des galops de chevaux sauvages dans des décors époustouflants de terre rouge et de mesa démesurées. Soudain, là-bas, on passe derrière le carton-pâte des western et on se rend compte que rien du technicolor ou du cinéma 3D ne saura rendre compte de l’immensité sauvage qui nous habite et ressort soudain en horizon illimité dans laquelle nous retrouvons notre juste place sur terre, celle d’un point qui embrasse l’infini. J’y ai vécu une sorte de coup de foudre, où quand l’expression qui veut que « le ciel nous tombe sur la tête » n’est pas faite de vains mots. S’il est un endroit où le ciel est bien vivant, piqueté de myriades d’étoiles et tout ouvert, c’est bien le désert…

Cette fois, le rendez-vous est avec le désert de dunes que parcourent depuis des temps immémoriaux les Touaregs. Nous y marcherons en silence, à l’écoute des rêves et des moindres mouvements de l’âme, car toute marche dans le désert s’apparente à une quête de vision, est une rencontre avec soi-même.

T.E. Lawrence, l’auteur des Sept piliers de la sagesse, écrivait :

« L'appel du désert, pour les penseurs de la ville, a toujours été irrésistible: je ne crois pas qu'ils y trouvent Dieu, mais ils y entendent plus distinctement dans la solitude le verbe vivant qu'ils y apportent avec eux. »

De tous temps, voyants et visionnaires, ces chamans qu’étaient les prophètes, sont allés dans le désert à la rencontre de l’inspiration, du souffle qui les transporterait au-delà d’eux-mêmes. C’est le lieu privilégié d’un ressourcement essentiel car on s’y trouve immédiatement dépouillé de tous les appendices artificiels qui prétendent être indispensables à notre existence. Tout à coup, nous voilà inatteignables par les nouvelles du monde qui peut continuer à tourner sans nous, hors des réseaux sociaux, des mailles du grand filet communicationnel qui nous maintient sans cesse à la surface de notre être. C’est une petite mort. D’une façon ou d’une autre, même marchant avec d’autres, le désert nous reflète notre incontournable solitude existentielle, celle-là même que nous passons tellement de temps à éviter par tous les moyens. Elle nous tend alors les bras et nous invite à la rencontrer, à l’épouser ne serait-ce que pour le moment fugitif d’une traversée du désert. Le silence s’impose, et avec lui, la profondeur intérieure dans laquelle nous allons puiser à la Source.

Nous sommes rendus à ce que Rilke appelait l’Ouvert, dans lequel tout se recrée en permanence, et il apparait que l’immensité au dehors reflète l’immensité vivante en dedans dont le murmure peut enfin prendre voix, se faire entendre.

« Homme, il faut savoir te taire pour écouter le chant de l'espace. Qui affirme que la lumière et l'ombre ne parlent pas ? » (Proverbe touareg)

Dans le désert, la terre et le ciel se rencontrent et s’unissent. On comprend que les anciens Égyptiens aient vu l’origine de tout dans la rencontre amoureuse de Geb et de Nout, le Père Terre et la Mère Ciel, et que cela ait pris une ruse pour les séparer et qu’enfin les dieux civilisateurs, le grand Osiris et la belle Isis, le vindicatif Seth et la mystérieuse Nephtys, viennent au monde. Les grands espaces désertiques sont peuplés de légendes et de mythes encore vivants dans le silence…

« Le désert est une femme nue qui se prélasse, fière de la beauté de ses rondeurs, brûlante sous un soleil de feu. Cette femme nue est indifférente aux regards, et de ses superbes formes naissent le désir. Sa nudité éveille les passions endormies, elle nous dénude. Son incroyable beauté vient des dieux. Ils ont tracé sur son corps des lignes aussi pures que le ciel. Cette nudité, loin d'être provocante, est dépouillement. Elle n'est pas un appel à la luxure mais à la paix. » (Blanche de Richemont)

Le désert est la patrie naturelle des rêves qui jaillissent comme la source d’eau vive qui, appelée par l’immensité, vient irriguer l’espace. Y pénétrer, c’est entrer nécessairement dans un rite de passage, un espace de transformation où l’âme va pouvoir affleurer. On ne peut que se perdre soi-même au contact de la vastitude, et c’est bien sûr pour mieux se retrouver, renouvelé, régénéré. Nous ne saurions conquérir la grandeur qui s’ouvre alors à nous, c’est elle qui nous conquiert. Ou comme nous le dit Isabelle Eberhardt :

« J'ai voulu posséder le désert et le désert m'a possédé ».

Mais autant il nous dépouille de tout ce qui nous encombre et qui appartient déjà au passé, autant le désert nous rend à nous-mêmes. Marie Hunter Austin l’écrit magnifiquement :

« Pour tout ce que le désert prend à l'homme il donne une contrepartie, des respirations profondes, un sommeil profond et la communion des étoiles. Il nous vient à l'esprit avec une force renouvelée, dans les silences de la nuit. »

Il s’agit d’aller rencontrer ce désert à l’intérieur, car alors c’est un chemin qui se trace de lui-même. Blanche de Richemont, dans son Éloge du désert, montre cette voie :

« Après quelques jours dans ce pays des sables, les pas qui avancent ne cherchent plus à s'illusionner, ils voient clair sur leur route. Et un pas qui sait, qui comprend d'où il vient, ne sait pas toujours où il va, mais il marche avec plus d'assurance. »

Je laisserai le dernier mot de ce billet à Albert Camus qui dit enfin tout ce que nous pouvons espérer en allant dans le désert, et à quel point c’est un lieu propice à la réconciliation avec la vie, le monde, soi-même :

« Mais à vivre dans le désert, on apprend à recevoir du même cœur le dénuement et la profusion. L’éternité du monde est fugitive, la fleur d’un seul jour justifie à certains instants toute l’histoire des hommes. » 


Méditations, marches, contemplation, chants, cercles de parole et loges de rêves...

Accompagnement :

- Caroline Von Bibikow, communicologue,  femme de désert et de rituels - www.komuniki.be
- Raphaël Collignon : musicien, accordeur d'âmes (professeur de yoga et thérapeute énergéticien) - www.soins-et-lumiere.com

- Jean Gagliardi...

Plus d'information : http://ecoledepierre.be/desert/Méharéepourtous.html

+32 495 505 407 ou info@komuniki.be