Après une dizaine d’années d’expérimentations
avec différentes configurations de cercles de rêves,
je suis parvenu récemment à une forme que je considère comme essentiellement aboutie.
Elle est à la fois la plus respectueuse du rêve que je puisse imaginer à ce
point et la plus inclusive de tou(te)s les participant(e)s, et elle permet un
équilibre entre les aspects chamaniques, méditatifs et psychologiques du
travail dans une dimension ritualisée qui restaure le caractère sacré du
travail.
Je dis « je suis parvenu… » mais je
devrais dire « nous » car cette forme a émergé au sein du petit
cercle de rêveuses et de rêveurs avec lesquels je chemine depuis un bout de
temps. Pour la petite histoire, j’ai dû fermer mon cercle public il y a bientôt
deux ans pour cause d’incompatibilité avec ma vie professionnelle d’alors.
Cependant, un petit groupe fait des piliers du cercle a continué à se réunir
spontanément, tout d’abord simplement autour d’un bon repas au cours duquel
nous ne pouvions bien sûr éviter de parler de rêves. Notre situation s’est
alors imagée dans un rêve qui m’est advenu :
Je suis avec plusieurs
personnes du cercle de rêve dans un autobus. Nous descendons par la porte
arrière. Nous nous dirigeons vers la porte avant pour remonter dans l’autobus
mais cette porte se ferme devant nous et l’autobus repart.
Nous étions descendus du véhicule collectif et
il ne nous restait plus qu’à marcher à pied, ce que nous avons fait. Nous avons
refait tout le parcours de la genèse de mes cercles de rêves en recommençant,
comme il y a 10 ans, par un groupe d’ami(e)s se réunissant dans un esprit
convivial autour de leurs rêves. Après quelques temps, l’exigence de réintégrer
la méditation et de donner une forme rituelle au travail s’est faite sentir.
Nous avons commencé à constater que l’âme du groupe se manifestait au travers
de rêves qui advenaient à certain(e)s d’entre nous et qui concernait l’ensemble
du cercle. Il était fréquemment question d’exploration et de voyage spatial. Et
puis nous avons constaté que nous avions atteint une limite et le cercle est
entré en travail créateur.
Comme par hasard, mais ce fait est selon moi
hautement significatif, ce sont les jeunes femmes du cercle qui ont porté le
changement en mettant en question la nature intellectuelle et analytique de nos
discussions autour des rêves. Elles ont attiré notre attention sur le fait que
les rêves n’étaient pas entièrement respectés par une approche que l’on peut
qualifier de masculine, au sens symbolique de l’accent mis sur l’intellect
(logos) au détriment de la sensibilité et de l’intuition, et finalement du
travail du rêve, quand il ne s’agit pas tant de torturer le rêve pour lui
arracher un sens que de se laisser travailler par les images. Comme par hasard,
ces interrogations rencontraient mes propres préoccupations du moment portant
d’une part sur l’émergence contemporaine du Féminin sacré, et d’autre part sur
la mise en question de l’approche jungienne orthodoxe des rêves par James
Hillman, que je résumerais par la nécessité de laisser parler les rêves plutôt
que de parler sur les rêves.
Je salue le courage, pour moi exemplaire, des
porteuse de la voix du Féminin sacré dans le cercle qui ont contesté non
seulement mon autorité souriante mais surtout le consensus installé pour
soulever des questions qui ont dérangé et ouvrir des perspectives inattendues.
Je dis « exemplaire » car elles ont su éviter l’ornière de
l’opposition systématique dans lequel s’enferre parfois la lutte pour la
reconnaissance de la liberté et de la dignité du Féminin, pour simplement se
tenir debout et faire entendre sa voix claire. Apposer plutôt qu’opposer. Et
bien sûr, le pas évolutif est venu de là où on ne l’attendait pas. Un jour,
l’une de nos pionnières est arrivée avec un livre qui l’avait bouleversée car
il répondait directement à ses interrogations. Il s’agit de l’ouvrage de Connie
Cockrell-Kaplan :
Les femmes et la pratique spirituelle du rêve.
L’auteure y présente le travail qui se fait
dans les cercles de rêves réunissant des femmes dans le Sud-Ouest américain.
Leur approche s’inscrit dans la tradition des Premières Nations, dans laquelle
l’écoute des rêves est sous l’égide de la Lune. Le titre définit clairement la
visée du travail : le rêve y est envisagé comme une pratique spirituelle,
ce qui n’exclue pas son approche psychologique mais évite sa réduction à
celle-ci, qui en fait une affaire de spécialistes. Le fait que le rêve y soit présenté
comme intéressant surtout les femmes ne m’a pas dérangé car cela correspond à
une réalité observable : dans tous les cercles et les ateliers de travail
des rêves, et plus largement de développement personnel à de rares exceptions,
on rencontre une majorité de femmes. C’est qu’en effet, ce travail a une
dimension essentiellement féminine faisant appel à l’intuition et à la
sensibilité.
Mais si, dans les Premières Nations régnait et
règne encore une vision genrée qui établit une équation simple entre le
principe féminin et les femmes, nous sommes en Occident désormais à une place
où, après Jung et les développements
des 50 dernières années, nous pouvons envisager clairement qu’il y a du féminin
(anima) chez les hommes, et tout autant qu’il y a du masculin (animus) chez les
femmes. Mieux, nous comprenons que l’une et l’autre, le féminin de l’homme et
le masculin de la femme, réclament d’être rendus conscients. En fait, ce n’est
pas seulement que nous pouvons l’envisager et le comprendre mais nous le devons
car notre monde est dans un tel excès de masculinité psychologique qu’il faut
que nous pesions toutes et tous, femmes et hommes, pour redonner sa place au
féminin et restaurer l’équilibre sacré entre les deux polarités créatrices de
l’énergie de vie. Il en va sans doute de notre avenir écologique et spirituel,
et cela nous permet d’envisager, comme l’avait semble-t-il entrevu Jung dans
ses prophéties, vers l’avènement d’un être humain total, réunissant en lui dans
une égale dignité le masculin et le féminin.
Osho a fort bien posé les choses, je ne saurais
le dire mieux :
« À chaque fois que les femmes se
rassemblent en cercle les unes avec les autres, le monde guérit un peu plus.
Dans le cercle, elles sont toutes égales. Il n'y a aucune autre femme derrière,
ni au-dessus, ni en dessous. Le cercle est sacré parce qu'il est conçu pour
créer l'Unité, et laisser émerger les mémoires sacrées en elles. »
Le cercle est selon moi la forme émergente
d’organisation collective pour notre époque, qui répond au mieux à notre besoin
de sortir de la hiérarchisation pyramidale qui a caractérisé l’ère du
patriarcat ainsi que l’accaparement du pouvoir et des richesses par une
minorité. La tradition a toujours associé le cercle au féminin, par exemple
dans les mandalas circulaires qui sont considérés comme inclusifs et
manifestant la capacité à se relier, en contraste avec les mandalas carrés dit
masculins qui mettent l’accent sur la structuration. Matthew Fox, dans a spirituality named compassion,
souligne comment l’Occident s’est construit sur la métaphore de l’Échelle de
Jacob qui suppose que certains soient plus près de Dieu que d’autres, mais
aussi qu’il existe depuis les temps bibliques une alternative symbolisée par le
cercle de Sarah, l’épouse d’Abraham, qui réunissait les femmes.
Les cultures premières, comme celle des
Amérindiens, n’ont jamais perdu la connexion essentielle avec la nature que
permet la forme du cercle. Quand on s’élève dans les hauteurs de l’esprit et
d’une prétendue supériorité, on s’éloigne de la terre, de la nature, et de
toutes celles et tous ceux qui restent en bas : les animaux, les plantes…
mais aussi les femmes, les enfants, les personnes âgées, malades et faibles, et
comme le dit si bien Pëma Chodron, « mon frère alcoolique et ma sœur
schizophrène ». À l’inverse, le cercle permet d’inclure tout le monde de
telle façon qu’il n’y a personne au-dessus, en-dessous ou en arrière. Si
quelqu’un vient au centre, c’est momentané. Nous sommes tous égaux, et le
cercle permet une participation de chacun(e) au vu de tou(te)s les autres. Il y
a toutes sortes de cercles, comme par exemple les cercles de parole (conciles),
les cercles de réconciliation, les cercles de pardon et les cercles de rêves.
L’Internet est un grand cercle qui réunit le monde entier, mais nous avons
besoin de multiplier les cercles autour de tous les sujets qui nous tiennent à
cœur et réclament une approche participative. Nous pouvons rêver d’un jour où
nos démocraties elles-mêmes deviendront circulaires !
C’est jusque dans la méthode de travail avec
les rêves et avec l’inconscient que l’approche circulaire s’impose. Jung disait que lorsque nous avons un rêve, si
nous tournons suffisamment longtemps autour, il finira par s’éclaircir. Les
méthodes qui prétendent mettre le rêve dans une petite boîte rationnelle sont
suspectes de jouer les lits de Procuste : elles vont souvent étirer le
rêve pour lui faire dire ce qu’il n’a pas dit mais qui soutient la théorie, ou
le raboter pour en écarter les aspects qui sortent de la boîte. Le but du
travail est plutôt de permettre au rêve de parler et de dire sa vérité
fondamentale, qui en termes jungiens est la vérité du Soi. C’est une vérité
circulaire, c’est-à-dire qu’elle ressort de la rencontre de plusieurs points de
vue dont aucun ne peut prétendre à la prééminence. Et c’est jusqu’au chemin de
la réalisation de Soi qui est nécessairement circulaire, ou spiralé, ainsi qu’en
témoignait Jung :
« Je commençais à comprendre que le but du
développement psychique est le Soi. Il n’y a pas d’évolution linéaire vers
celui-ci, mais seulement une approche circulaire, circumambulatoire. Un
développement univoque existe tout au plus au début ; après, tout n’est
qu’indication vers le centre. Savoir cela me donna de la solidité, et
progressivement, la paix intérieure se rétablit.»
Comme le dit Osho, à chaque fois que des femmes
se réunissent en cercle, le monde guérit un peu. Et quand des hommes se
joignent à elles, il guérit encore un peu plus. Les hommes peuvent se réunir en
cercles aussi et une des questions dont ils peuvent alors débattre, c’est
comment accompagner en tant qu’hommes l’émergence du Féminin sacré. Un premier
point dans ce sens est certainement, que nous soyons femme ou homme, de
reconnaitre et d’honorer le caractère sacré du cercle. Ainsi, les cercles de
rêves sont-ils des assemblées autour du mystère sacré du rêve, dans lequel ce
dernier peut se déployer. C’est ce mystère guérissant qui est au centre du
cercle et nous réunit.
C’est en
s’appuyant sur ces prémisses que je propose donc désormais des cercles de
rêves, ou plus précisément des Loges de rêves, comme j’appelle désormais la
forme particulière à laquelle a abouti ma recherche. Le nom lui-même me vient
de Paule Lebrun, qui m’invitait à donner des cercles de rêves dans son école Ho
Rites de Passage et
m’a suggéré cette dénomination qui a la vertu d’évoquer le contexte chamanique
du travail. Outre les expérimentations avec mon petit groupe d’ami(e)s, j’ai
animé au cours de la dernière année des Loges de rêves dans des ateliers de Ho
Rites de Passage au Québec, et dans une série d’ateliers en France et en
Belgique.
J’ai vérifié alors qu’il s’agit d’une forme
très inclusive et accessible du travail permettant à des gens de tous horizons,
sans aucune formation à l’interprétation des rêves ou à la psychologie, de
bénéficier du travail avec les rêves. Elle a l’avantage d’éviter le piège de la
discussion intellectuelle du rêve, des interprétations théoriques, des
polémiques et des discours sur le rêve,
en offrant un cadre dans lequel la sensibilité et l’intuition de chacun(e) peut
s’exprimer, et finalement dans lequel nous pouvons entendre le rêve parler.
Elle a pour moi en outre la vertu de réunir en un seul tenant tout ce que j’ai
appris dans ma formation de psychologie sacrée avec Ho Rites de Passage et mes
études et recherches en matière de rêves, de symbolique, de travail avec
l’inconscient. C’est, près de 10 ans après avoir reçu mon diplôme des mains de
Paule Lebrun, certainement la meilleure synthèse que je puisse proposer à ce
jour de tout ce que j’ai appris dans sa merveilleuse école et au cours de mon
exploration des profondeurs du rêve.
Le principe en est très simple.
Il faut commencer par préciser que le travail
proposé dans la Loge de Rêves n’est pas de l’ordre de la psychothérapie du
groupe ni du cours d’interprétation des rêves. On ne parle même pas
d’interprétation des rêves au sens strict – pour cela, il vaut mieux une séance
de travail individuel avec un interprète ou un analyste. Dans la Loge, nous
offrons simplement notre résonance aux rêves qui sont présentés, sur le mode
« si c’était mon rêve » qui permet de parler à partir d’une position
respectueuse qui évite le jugement et le « tu qui tue ». C’est un
travail de co-création autour des images de rêves sans prétention à la vérité
finale du rêve, et dans lequel cependant la personne qui a proposé un rêve voit
celui-ci se déployer sous de nombreux angles, avec des facettes surprenantes.
Dans le vocabulaire des Loges de rêves, on parle de « déployer un
rêve » plutôt que de l’interpréter.
Pour tenir une Loge de Rêves, il faut réunir
entre quatre et quinze, vingt au maximum, personnes dans un espace suffisant
pour qu’elles puissent s’installer en cercle. Bien sûr, celui-ci peut tenir de
l’ovale ou du rectangle formé autour d’une table en autant que l’esprit du
cercle soit respecté. La durée de la
Loge dépend du nombre de rêves présentés. Une des règles est que nous travaillons
a priori avec tous les rêves qui sont déposés dans le cercle, et que chaque
personne a l’occasion de s’exprimer au moins une fois en résonance avec chaque
rêve. J’ai facilité des Loges qui, avec 15 ou 16 personnes et 12 ou 13 rêves,
ont duré 5 ou 6 heures. Il semble difficile de tenir une Loge à plus de 20
personnes, encore qu’on peut imaginer qu’elle se poursuive sur plusieurs jours
et que la session soit fragmentée en plusieurs épisodes. Je l’ai expérimenté
dans le contexte d’ateliers dans lequel le temps dévolu au travail des rêves
était restreint, et on peut observer une bonne continuité entre les sessions.
Le travail de la Loge repose sur un outil
symbolique : la pierre de rêve. Celle-ci est l’équivalent d’un bâton de
paroles dans les conciles : seule la personne qui a la pierre en main peut
parler. Les autres personnes sont invitées à écouter en silence sans commenter
ni interagir avec la personne qui parle, ni entre elles. Les auditeurs peuvent
tout au plus marquer leur approbation de ce qui est dit par un hochement de
tête ou un « mmmh… », ou signaler leur émotion avec sobriété en
portant leurs mains devant leur cœur. Ce n’est pas une bonne idée de prendre
des notes pendant que quelqu’un parle car nous sommes alors invité(e)s à offrir
une attention entière à ce qui est dit, et il ne s’agit pas tant d’une
discussion dans laquelle les un(e)s vont répondre point par point aux autres
que d’un espace dans lequel exprimer chacun(e) est invité(e) à exprimer son
sentiment et son intuition. Il s’agit de se laisser toucher par le rêve et par
ce qui est dit, pour dire sans élaboration intellectuelle ce qui vient alors en
répons.
L’espace est organisé autour d’un centre, ce
qui fait partie des caractéristiques symboliques des cercles. Pour ma part, je
veille à ce qu’il y ait toujours là une référence à la Lune – évocation de la
grande Féminité sous les auspices de laquelle se déroule le travail. Un bol
tibétain sert de réceptacle à la pierre de rêves quand elle ne circule pas, et
symbolise l’élément féminin qui est accompagné par un élément masculin
symbolisé par le bâton qui fait résonner le bol, ou encore par un tissu rouge
évoquant le feu. On peut bien sûr créer toutes sortes de centres symboliques
incluant par exemple des fleurs, de l’eau ou des éléments naturels. Je
recommande simplement la sobriété.
Il importe de toujours commencer la Loge de
Rêves par un petit rituel symbolique d’ouverture de l’espace du rêve. C’est
l’équivalent symbolique du rite d’entrée dans un conte de fées qui tient dans
le « il était un fois… » : l’inconscient sait qu’il entre alors
dans un espace différent de celui de la vie ordinaire. Il est important de bien
tracer la frontière entre les espaces profanes et sacrés, ou tout simplement de
bien délimiter le temps du rêve. C’est ce qui garantit la solidité du contenant
dans lequel va pouvoir se déployer l’inconscient sans risquer de déborder sur
la vie ordinaire.
Pour ma part, je crois important aussi de
commencer ce rituel par un temps de retour à soi, c’est-à-dire simplement de
méditation silencieuse permettant de faire la coupure avec l’extérieur et avec
les préoccupations du jour, et de revenir ainsi dans l’instant présent par le
senti corporel et émotionnel. Je pose pour règle de travail qu’on ne devrait
jamais aborder un rêve sans vérifier qu’on est dans l’instant présent, hors de
quoi on risque fort d’être parti dans une élaboration mentale qui déforme le
rêve. Le premier pas d’entrée dans l’espace du rêve est donc ce moment de
retour à soi dans le silence, pendant quelques minutes. Je demande alors aux
participant(e)s d’aller chercher une image intérieure pour l’instant présent.
Cette image n’est pas nécessairement visuelle. Ce peut être une musique, une
chanson qui vient à l’esprit, une sensation ou une odeur, une émotion et même
une pensée. Ce qui importe est simplement qu’il s’agisse d’une expression
spontanée de la psyché dans l’instant présent, c’est-à-dire quelque chose de
non réfléchi qui dit la qualité de l’instant présent. Il peut arriver que je
demande aux participant(e)s de prendre simplement note de la couleur de
l’instant présent…
Les participant(e)s sont ensuite invité(e)s à
dire leur prénom et l’image qui leur est venue, puis à allumer une petite
bougie pour la placer au centre avec l’intention d’amener ainsi, symboliquement,
la lumière de leur conscience dans le cercle. En tant que facilitateur de la
Loge, je suis toujours le premier à me nommer, dire mon image intérieure et
allumer ma petite bougie. Cela donne le ton. La personne qui est sur ma droite
continue. Nous allons, pendant l’ouverture et le travail de la Loge, par la
droite c’est-à-dire dire dans le sens antihoraire, dans la direction de la
Lune. Si une personne n’a pas d’image à présenter, je l’invite à décrire ce
rien qu’elle dépose dans le cercle : quelle couleur a-t-il ? Quelle
texture ?
Il est important que chaque personne dépose une
image, fut-ce donc une absence d’image, car cela met tout le monde sur un pied
d’égalité : même celles et ceux qui ne livreront pas de rêves auront
partagé quelque chose de leur vie intérieure. Ce petit rituel crée un lien
inconscient entre tou(te)s les participant(e)s. En effet, l’espace du cercle
est tissé par ces images qui s’entrecroisent comme des fils invisibles et se
répondent, dessinant un motif qui est propre à chaque cercle. Nous ne
commentons ni n’interprétons pas ces images. Il est important de ne pas
chercher à interpréter toutes les images, de laisser un espace libre à
l’inconscient. Cela vaut en particulier pour moi et pour les personnes
expérimentées en travail des rêves : il s’agit de ne même pas chercher à
interpréter mentalement ces images, de les laisser en friche. De toute façon, l’image
communique subtilement à toutes les personnes présentes quelque chose de
l’endroit où se trouve celui ou celle qui la dit : les inconscients
individuels commencent à entrer en résonnance. Cela tient aussi de
l’échauffement des sens intérieurs pour nous préparer au travail des rêves.
J’aime dire que nous accordons nos violons, comme les instrumentistes d’un
orchestre au début d’un concert, en faisant chacun un « la ».
Quand toutes les personnes présentes ont déposé
une image dans le cercle, je fais sonner le bol tibétain au centre en allant
chercher la pierre de rêves. C’est une façon de bien marquer l’entrée dans le
temps du rêve, de signaler le franchissement de la frontière. Puis je fais
circuler la pierre de rêves, en commençant par la première personne sur ma
droite, pour que soient dits et entendus tous les rêves présents, qui
fourniront la matière de notre travail. Chacune à leur tour, la personne qui
reçoit la pierre, éventuellement accompagnée par une formule comme « dis-nous
s’il-te-plaît ton rêve », est invitée à dire un rêve. Ce peut être un rêve
récent comme un rêve datant de nombreuses années, ou encore des images venant
d’une vision, d’une imagination, d’un fantasme; la seule chose qui importe est
que ce soient des images vivantes dans l’esprit de la personne qui les dit. Il
arrive qu’une personne éprouve le besoin de dire deux rêves, pas nécessairement
de la même nuit, car elle ressent qu’il y a un lien, une continuité entre les
deux. Je ne mets aucune limite si ce n’est que j’invite la rêveuse ou le rêveur
à la concision de façon que l’attention soit soutenue et qu’il y ait de la
place pour tous les rêves.
Le rêve doit être dit autant que possible au
présent (« je suis » plutôt que « j’étais ») et lentement,
c’est-à-dire en prêtant attention aux mouvements émotionnels qui accompagnent
les différentes phases du rêve. Lors de cette première ronde, le rêve est dit
sans aucune autre information : peu nous importe de savoir quand le rêve a
été fait, dans quel contexte. Il ne doit recevoir aucun commentaire ou début
d’interprétation. L’idéal est alors d’écouter le rêve les yeux fermés en
prêtant simplement attention à comment il résonne à l’intérieur. La personne
qui a dit son rêve donne ensuite la pierre de rêves à la personne sur sa
droite. Si une personne n’a pas de rêves à présenter lors de cette session,
elle fait simplement passer la pierre à la suivante sans rien dire. Il n’est
pas utile de commenter en disant : « je n’ai pas de rêve », le
silence est éloquent. Et bien sûr, la pierre finit par me revenir.
Il est important qu’en tant que facilitateur de
la Loge, je propose moi aussi mes rêves au cercle car cela fait partie de
l’esprit du travail en cercle : il ne serait pas acceptable que les
participant(e)s s’exposent dans leur vulnérabilité si je n’étais pas prêt à
moi-même m’exposer tout autant sinon plus. Nous sommes tou(te)s au même niveau
et ma position de facilitateur ne me met pas en-dehors du cercle, au contraire.
Si le nombre de rêves le permet sans surcharge, je propose donc volontiers un
de mes propres rêves, de préférence un rêve que je ne comprends pas et qui
m’amène à exposer des éléments personnels qui peuvent me mettre dans un certain
inconfort. C’est la meilleure sinon la seule façon d’inviter tou(te)s les autres
participant(e)s à sortir de leur zone de confort.
Toute fausse position d’autorité ou prétention
à la supériorité fausse la dynamique du cercle. En fait, c’est même tout projet
directif que le facilitateur pourrait entretenir pour le cercle qui s’avère
contre-productif : le rôle d’un animateur de cercle est d’ouvrir un espace
et de tenir un contenant solide pour que la dynamique autonome du cercle opère
par elle-même. Tenir la structure signifie essentiellement poser les gestes
symboliques qui créent l’espace, montrer l’exemple du respect et de l’écoute,
garder le temps et veiller à ce que tout le monde puisse parler, veiller à ce
que certaines règles soient respectées lors des interventions et en particulier s’interposer fermement en cas
de tentative de prise de pouvoir d’une personne sur une autre ou sur le groupe.
Quand tous les rêves ont été dits une première
fois, le travail proprement dit commence. À nouveau, je fais circuler la pierre
par ma droite jusqu’à la première personne qui a déposé un rêve dans le cercle.
Celle-ci nous donne alors éventuellement quelques éléments de contexte pour son
rêve : quand l’a-t-elle fait ? Avait-elle une préoccupation particulière
au moment où elle a reçu ce rêve ? S’il y a des personnes ou des lieux connus
dans ce rêve, que lui évoquent-ils ? Une fois ces éléments de contexte donnés,
la personne redit son rêve, à nouveau au présent et en prêtant attention aux
mouvements émotionnels. Il n’est pas rare que lui reviennent alors des éléments
oubliés ou qu’elle mentionne une association d’images qui lui traverse
l’esprit. Quand elle a fini d’exposer son rêve, elle donne la pierre de rêves à
la première personne sur sa droite, qui est alors invitée à lui offrir sa
résonance avec son rêve.
C’est le cœur du travail, autant pour le
bénéfice de la personne qui propose son rêve au cercle que celle qui offre sa
résonance. Il est important que celle-ci parle à partir de son ressenti, et non
à partir d’une théorie psychologique ou d’un raisonnement intellectuel sur le
rêve. Les résonances autour d’un rêve peuvent prendre différentes formes :
-
Dans
le rêve, j’ai été touché par… (une image, une action).
-
Quand
j’ai entendu le rêve, j’ai ressenti… (une émotion, une sensation physique). Par
exemple, ma gorge s’est serrée et j’ai ressenti une tristesse qui m’a rappelé…
-
Si
c’était mon rêve, je me demanderais si / je penserais à / etc. Il n’est pas
rare que l’on propose alors, sur ce mode, une tentative d’interprétation du
rêve et il y a donc là une place pour les approches plus psychologiques, mais
il convient d’éviter de penser à voix haute sur le rêve en en décortiquant tous
les symboles, piège dans lequel tombent volontiers les habitués du travail des
rêves. Encore une fois, la concision est de rigueur et s’avère plus efficace.
Ce qui est important là, c’est de toujours,
autant que possible, parler au « je ». Une des modalités de réponse
les plus puissante fait l’économie de la formule « si c’était mon rêve »
pour s’impliquer directement dans le rêve. Au lieu de dire par exemple :
« si c’était mon rêve, je penserais que je suis en train de me
libérer », dire directement : « je me libère ». Cela
implique pour un homme de parler au féminin si la personne qui a proposé le
rêve est une femme, et réciproquement, c’est-à-dire d’entrer en empathie totale
avec la personne. L’affirmation sous-jacente à cette façon de faire est que,
dès qu’un rêve est partagé et entendu, il devient effectivement mon rêve :
je le rêve à mon tour.
S’il y a des questions qui ressortent de
l’écoute du rêve, elles peuvent être posées mais sans, généralement, attendre
de réponse immédiate : la personne qui propose le rêve y répondra quand la
pierre lui reviendra. On évite les interactions, l’instauration d’un dialogue,
car le but est d’offrir une résonance de l’intérieur au rêve, et non de le
discuter. En offrant aussi honnêtement que possible nos résonances au rêve,
nous visons simplement à l’éclairer sous différents angles et à le mettre en
mouvement dans la psyché de la personne qui l’a exposé. Il peut ainsi arriver
qu’une personne résonne au rêve en chantant, en dansant ou en se livrant à une
gestuelle. Cela a autant de valeur qu’une résonance émotionnelle ou une
proposition d’interprétation. Finalement, la résonance souvent la plus directe
à une image de rêve est une autre image, soit une image intérieure qui est
venue à l’écoute du rêve, soit encore un autre rêve dont la mémoire a été
éveillée.
La pierre circule ainsi de main en main, toujours
dans le sens de la Lune. Si quelqu’un se rend compte qu’il aurait quelque chose
à ajouter, il doit attendre que la pierre fasse un second tour. Quand elle revient
à la personne qui a partagé le rêve, celle-ci dit ce qu’elle a retiré du
travail de son rêve, où elle se trouve désormais avec celui-ci. Généralement,
elle a découvert des aspects surprenants de son rêve, de nouvelles perspectives
qui éclairent celui-ci : on voit alors l’inconscient à l’œuvre tout
simplement dans le fait qu’à son tour, elle entre en résonance avec les
propositions qui lui ont été faites. La plupart du temps, un seul tour de
pierre suffit pour déployer un rêve. Il arrive cependant qu’une personne ait
quelque chose à ajouter, auquel cas on fait encore circuler la pierre par la
droite jusqu’à ce qu’elle lui parvienne, ou que le travail réclame plusieurs
tours parce que la personne qui a proposé un rêve indique avoir besoin encore
d’éclaircissement. Il est important de vérifier que cette dernière a le
sentiment que le travail avec son rêve est complet avant de passer au rêve
suivant.
Certains rêves laissent une charge émotionnelle
importante dans le cercle. Il est alors particulièrement indiqué de prendre une
pause avant d’écouter le rêve suivant. Dans une session près de Toulouse en France
avec l’association Zique et Plume,
nous avons intercalé quelques minutes de chant improvisé entre chaque rêve. L’expérience
a été extraordinaire. À un moment, nous avons entendu un cauchemar qui nous a tou(te)s
laissé pantelant(e)s. Mais ensuite, nous avons chanté et cela a libéré l’énergie
pour nous amener dans une qualité de silence remarquable, comme si nous venions
de méditer pendant des heures. Nous étions prêts à écouter le rêve suivant.
Cela m’a amené à envisager comment nous pourrions nous mouvoir avec l’énergie du
rêve dans les Loges de rêves, et par exemple danser les rêves en silence, ou
encore les peindre, les modeler, faire du Tai-Chi, etc. Toutes les activités
favorisant l’expression créatrice et l’intériorisation s’accordent au travail
du rêve, et les cercles, quand ils n’ont pas de prétention à la psychothérapie,
peuvent être de merveilleux espaces de co-création.
Pour conclure la Loge de rêves après que nous
ayons entendu tous les rêves, j’invite les participant(e)s à un petit retour à
soi en silence pour simplement prendre conscience de l’instant présent et
mettre celui-ci dans un mot, le mot exprimant ce avec quoi lequel les personnes
repartent. Nous avons commencé avec une image intérieure et nous terminons avec
un mot, ce qui est une façon de réactiver le cerveau gauche. De même que nous
avions commencé par un petit rituel, nous terminons par un autre rituel :
cette fois, nous tournons dans le sens du soleil c’est-à-dire vers la gauche,
et chaque personne est invitée à dire son mot et à éteindre la bougie. En tant
que facilitateur, j’avais commencé le rituel d’ouverture en disant mon image le
premier, et je termine le rituel de fermeture en disant mon mot le dernier.
Puis je fais résonner le bol tibétain, ce qui marque clairement la frontière
entre l’espace du rêve et l’espace de la vie ordinaire dans laquelle nous
revenons alors.
On m’a fait plusieurs fois la remarque de ce
que le travail dans les Loges de rêves s’apparente à celui des constellations
familiales, à savoir qu’il y a un effet de champ. Celui-ci se fait sentir dans
la cohérence remarquable entre les rêves exposés dans le cercle. Il n’est pas
rare qu’une personne dise qu’elle pensait parler d’un autre rêve, ou qu’elle
venait à la Loge sans penser à un rêve particulier, et qu’un rêve s’est imposé
à son esprit comme réclamant d’être dit dans la Loge. Nous avons observé qu’il
y a généralement un thème à une Loge, et une continuité entre les rêves. Il y a
presque toujours au moins un rêve de nature spirituelle qui porte un
enseignement à l’ensemble du groupe. Finalement, l’effet de champ se fait
sentir aussi dans la cohérence des résonnances offertes à un rêve, qui s’avèrent
assez généralement « faire le tour » du rêve d’une façon remarquable.
C’est maintenant mon sujet de recherche : avérer cet effet de champ dans
le cercle, c’est-à-dire la manifestation de l’Inconscient dans son versant
actif et créateur, que nous pouvons tout aussi bien dénommer l’Esprit, le
Spiritus Mercurialis, qui nous réunit et facilite le travail, lui confère un
caractère sacré.
Tout le monde, moyennant un peu d’expérience du
travail avec les rêves et de facilitation des cercles, peut animer une Loge de
Rêves. Il faut bien sûr avoir tout de même une bonne connaissance des espaces
symboliques, une habileté à marcher entre les mondes et à bien délimiter les
frontières entre ceux-ci. Mais cela s’apprend facilement, et beaucoup de gens
en ont en fait une excellente intuition qui réclame simplement de faire
confiance à l’Esprit qui guide le travail. La seule difficulté que présente le
travail en Loge de Rêves est qu’il requiert des personnes qui croient en savoir
plus long que les autres sur l’interprétation des rêves de renoncer à leur
sentiment de supériorité. J’ai pour ma part été plus d’une fois surpris de ce
qui ressortait du travail d’un rêve en me disant, à propos de telle ou telle
résonnance qui faisait particulièrement sens pour le rêveur ou la rêveuse, que
je n’aurais jamais pensé à cela. Et malgré mes 30 années d’expérience, j’ai
toujours retiré un grand bénéfice d’exposer un de mes propres rêves dans un
cercle : il y a toujours quelque chose de nouveau qui en est ressorti.
Les Loges de rêves requièrent donc des amoureux
du rêve qu’ils se mettent simplement au service de celui-ci en abandonnant leur
prétention à en savoir plus long qu’autrui sur le sujet. C’est cependant un
espace où ils peuvent faire bénéficier les autres de leur expérience mais les Loges
de rêves poursuivent clairement deux objectifs :
-
Faire
expérimenter directement le travail du rêve en soulignant que cela ne prend pas
un doctorat en psychologie pour entendre les images intérieures. Il suffit d’un
esprit et d’un cœur ouverts.
-
Mettre
les rêves qui sont déposés dans le cercle en mouvement dans une co-création
avec l’Inconscient, en faisant confiance que ce mouvement portera son fruit à
la personne concernée.
Les psychologues qui liront le livre de Cokrell
Kaplan fronceront sans doute les sourcils devant ses références à l’astrologie
lunaire mais surtout, comme je l’ai fait moi-même, devant son incompréhension
de la nature de l’inconscient car elle tombe dans le préjugé commun qui
voudrait que l’inconscient soit inconscient, sans comprendre que c’est nous qui
en sommes inconscients. Ils diront peut-être aussi qu’il y a un danger de dire
n’importe quoi sur les rêves et qu’il convient d’entourer le travail de
précautions pour ne pas blesser la psyché rêveuse. J’en conviens, et c’est le
rôle de la personne qui facilite de veiller à ce que les résonances soient
toujours offertes à partir du cœur et sans ambition d’amener une vérité finale
du rêve, de prendre un pouvoir sur celui-ci. Moyennant cette honnêteté
fondamentale dans le travail, le rêve est sauf et va son chemin. Il y a dans
ces réserves un énoncé du fossé qui sépare encore les approches chamaniques et
psychologiques des rêves, mais je suis convaincu pour ma part que c’est une des
tâches collectives de notre époque que de jeter un pont entre ces deux visions,
et d’élaborer une forme de chamanisme qui soit propre au XXIème
siècle occidental. Les Loges de rêves cherchent modestement à y contribuer.
Je suis disposé à organiser des Loges de rêves
partout au Québec et en Europe francophone (quand j’y voyage) sur invitation. C’est-à-dire
que si vous souhaitez voir se tenir une Loge de Rêve dans votre ville ou
région, il vous suffit de réunir un groupe minimal de personnes (4 au moins) et
de trouver un lieu propice, puis de me contacter pour que nous en discutions. Je
demande généralement une contribution libre aux participant(e)s en posant tout
de même comme condition initiale que mes frais de transport et d’hébergement
soient couverts.
Je prépare des ateliers de formation à la tenue
de Loge de Rêves et d’approfondissement du travail des rêves qui seront offerts
sur demande. Pour plus d’information, contactez moi.