L’intelligence n’est pas de se fabriquer une petite
boutique originale. L’intelligence, c’est d’écouter la vie et de devenir son
confident.
Et il
enfonce allègrement le clou :
La vérité quand elle entre dans un cœur est comme une
petite fille qui entrant dans une pièce fait aussitôt paraître vieux tout ce
qui l’entoure.
La vérité
du poète n’est pas celle des philosophes, à moins qu’ils ne soient amoureux de
la sagesse. Le poème s’écoute comme un rêve : les images nous rentrent
dedans, éveillent quelque chose au-delà de notre compréhension,
court-circuitent notre cerveau logique. Voilà que la vérité est donc vivante et
qu’elle est neuve, tellement neuve que son innocence éternelle renvoie
immédiatement tout ce qui l’entoure au passé. Jung parle de cet aspect objectif
de la psyché qui, comme un miroir impassible, nous reflète notre vérité à
travers les rêves, c’est-à-dire le point de vue de l’âme. Ainsi, par exemple, à
un moment où je n’étais peut-être pas tout à fait honnête avec moi-même quant à
la nécessité de rompre avec une habitude malsaine, j’ai fait le rêve suivant :
Je vois une petite fille de 2 ou 3 ans avec de
grands ciseaux dans les mains. J’ai peur qu’elle se blesse et je lui prends les
ciseaux. Elle pleure à chaudes larmes.
Au réveil,
avec le souvenir du rêve, est montée une violente tristesse. Une évidence m’est
apparue au cours de la journée quand j’ai fait le lien avec le poème de
Bobin : la vérité pleurait en moi. Oui, il y a avait un risque qu’elle se
blesse et, ce faisant, qu’elle me blesse, que la vérité me devienne très
douloureuse. Cela mettait en lumière qu’il était de ma responsabilité consciente
de prendre les ciseaux qu’elle me présentait et de couper ce qui devait l’être,
ce n’était pas à elle de le faire. Mais je n’étais pas encore rendu là dans ma
vie, et la vérité en était très triste.
La poésie
touche à quelque chose d’éternel. Elle traverse les siècles sans une ride. Aux mots
de Bobin fait par exemple écho le chant de Kabir, un modeste tisserand du XVIème
siècle né brahmane mais adopté par une famille musulmane, un arc-en-ciel au-delà
de toutes les chapelles de l’Inde d’alors :
Ami, je demeure en ton
cœur, pourquoi me chercher ailleurs ?
La perle est dans l’huître, l’iris est dans l’œil
Le parfum dans la fleur et l’Absolu dans ton cœur.
La perle est dans l’huître, l’iris est dans l’œil
Le parfum dans la fleur et l’Absolu dans ton cœur.
L’Absolu dont parle Kabir est un autre nom
pour cette vérité vivante, dont il ressort qu’elle est paradoxale, à la fois
toujours neuve comme l’instant présent et cependant éternelle. Il est
intéressant de relever que les poètes s’accordent, par-delà le temps, sur le
lieu en l’humain où la vérité élit domicile, et c’est bien évidemment le cœur.
Kabir va plus loin, et nous livre le secret sans fioriture :
J’ai essayé tous les remèdes, mais nul n’est
plus puissant que l’amour.
Si une seule goutte tombe en toi, elle te transmue.
L’amour ne se vend pas dans les échoppes
Si tu es en quête d’amour, offre d’abord ta tête.
Étrange en vérité est la quête de l’amour
Qui la connaît devient muet.
Vient-il, il ne part plus,
Part-il, il ne revient plus.
Si une seule goutte tombe en toi, elle te transmue.
L’amour ne se vend pas dans les échoppes
Si tu es en quête d’amour, offre d’abord ta tête.
Étrange en vérité est la quête de l’amour
Qui la connaît devient muet.
Vient-il, il ne part plus,
Part-il, il ne revient plus.
Quel rapport avec les rêves, me direz-vous
peut-être ? Tout, absolument tout.
Les rêves nous ramènent implacablement à
l’essentiel, à ce pourquoi la vie ne passe pas pour rien. Ils nous parlent de
la vie de l’âme et, hors de toute définition métaphysique, l’âme est simplement
ce qui aime. La langue des oiseaux le dit assez clairement dans sa petite
musique qui tient de la comptine pour enfants encore capables de s’émerveiller :
âme, amour, amant, aimant… C’est là, dans le secret du cœur, que se trouve
notre Nord magnétique, celui qui toujours nous aimante et oriente notre
boussole intérieure. L’amour est cela seul qui sauve, c’est-à-dire qui éclaire
la vie quelles que soient les circonstances. Non pas tant l’amour qu’on a reçu
mais l’amour qu’on éprouve, l’amour qui vit en nous, richesse inépuisable. Il
n’y a pas d’amour impossible puisqu’il n’est jamais impossible d’aimer. Ce
n’est pas tant une question de sens de la vie, mais c’est d’abord une question
de valeur : qu’est-ce qui fait donc que la vie vaut d’être vécue ?
Cet amour, cette âme en nous, remuent et
cherchent à se libérer, c’est-à-dire à se vivre pleinement. Les rêves sont un
écho de ce mouvement au profond, et toujours ils nous interrogent : es-tu
vrai avec toi-même ? Vis-tu à la hauteur de ton amour ? Aimes-tu ta
propre vie ? Il n’est rien d’autre à espérer en effet que de trouver cet amor fati dont parlaient les anciens,
c’est-à-dire la réconciliation avec notre destin et l’amour de notre propre
vie, cette aventure sacrée. Or devant l’énigme de vivre, la théorie est vaine,
sauf si l’on revient à son origine grecque où théoria veut dire « contemplation », et plus activement
« regarder », « être conscient de ». La vie de l’âme, tant
nocturne dans les rêves que diurne dans les projections, l’imagination et les
synchronicités, ne se laisse pas saisir dans le filet d’une théorie. Cependant,
le miroir de la psyché peut donc nous permettre de distinguer dans cette
obscurité, à force de la contempler, des scintillements de sens qui
apparaissent alors comme des étoiles peuplant notre ciel intérieur. La poésie,
langage de l’âme, c’est justement quand les mots eux-mêmes se mettent à
scintiller, se font soleil. Et c’est à elle, bien sûr, que revient le dernier
mot, comme il ressort de ce que Jung confiait peu avant de mourir à Miguel
Serrano :
« Il y
avait une fois une fleur, une pierre, un cristal, une reine et un roi, un
château, un amant et sa bien-aimée, quelque part, il y a longtemps, longtemps,
dans une île au milieu de la mer, il y a cinq mille ans… Tel est l’amour, la
fleur mystique de l’âme. C’est le centre, le Soi… Personne ne comprend ce que
je veux dire. Seul un poète pourrait le pressentir… »
Au-delà de la poésie, il n’y a plus de mots. Il
ne reste que le silence, pure présence. C’est ce silence qu’il faut faire en
dedans pour entendre les rêves, et non seulement les rêves, mais aussi ce que
murmure doucement la flamme qui danse joyeusement sous le vent, dans la nuit.
C'est fou comment les mêmes thèmes aborder dans ton blog résonnent avec ce qui se passent dans ma vie ...onirique. Quelques semaines avant que tu aborde le thème du vent et du feu j'ai fait un rêve où je suis sur le bord d'une rivière avec un homme inconnu. C'est le crépuscule et il y a deux lunes (une normale et une plus petite comme un réplique de l'autre et elles sont pleines toutes les deux). Nous dormons et au réveil je me dis que les moustiques vont nous piquer mais un vent chaud arrive et je constate qu'il n'y a pas de moustiques. Je me sens comme libéré et frais (sentiment qui perdure encore). Probablement est-ce de la même essence de ce que tu traite dans cette partie. Le vent de la vie...??? Cette fois tu parle des ciseaux et dernièrement j'ai rêvé que j'étais dans une cuisine et un homme encore inconnu et indistinct qui me montre un mousqueton et une paire de ciseaux. Plus tard, je suis avec le même personnage sur le bord d'un quai face à la mer. Nous avons les pieds dans l'eau et il fait nuit. C'est paisible mais il y a plein de mousquetons et de paires de ciseaux dans l'eau translucide. L'eau est chaude voire même trop chaude pour se baigner. Cela traduit je pense une hésitation entre mon désir de rester accrocher à un mode de pensée (ou de vie) et me séparer de celle-ci...Bref, le but de ce commentaire n'est pas tant d'avoir des commentaires que de te dire à quel point ton blog me rejoint. Les images sont bien choisies et les textes bien mûris. Je souhaite longue vie à ton blog mon cher. Cela fait maintenant partie de mes rendez-vous hebdomadaire.
RépondreEffacerÀ bientôt !
Robert
Merci Robert pour ce commentaire. Je suis touché par ces résonances, en effet assez surprenantes, et j'apprécie l'encouragement que tu me prodigues. Je te souhaite que perdure ce vent de fraicheur libératrice, dont j'aime penser que oui, c'est le vent de la vie ! A bientôt donc, avec grand plaisir !
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