« Tu es convié.
Tu n’es même pas obligé.
Un simple service d’honneur.
Voilà tout.
Ni plus mais ni moins. »
(Christiane Singer)
Tu n’es même pas obligé.
Un simple service d’honneur.
Voilà tout.
Ni plus mais ni moins. »
(Christiane Singer)
La porte d’entrée est parfois une saine
curiosité : certains ont un monde onirique fascinant qui les appelle et
réclame leur attention. La meilleure des motivations est sans doute l’amour.
Cependant, nous sommes souvent amenés au travail sur soi, et sur les rêves en
particulier, par la souffrance : il y a quelque chose qui fait mal dans la
vie ou dans le corps, et il s’avère que les rêves ont quelque chose à dire à ce
sujet. On découvre alors que cette souffrance a un sens, qu’elle veut dire
quelque chose, et donc que le rêve en parle. Il nous présente un miroir dans
lequel nous pouvons apprendre à nous connaître en profondeur, c’est-à-dire dans
tout ce qui ne nous est pas directement, consciemment, accessible mais
participe tout de même à notre vie intérieure. Autrement dit l’inconscient. Le
rêve, voie royale, comme disait Freud. Nous, êtres humains, avons besoin de
sens comme les tournesols de soleil : dès que nous sommes en mesure de
donner un sens à ce que nous vivons, nous avons une façon de "vivre avec"
qui se fait jour. Plus profondément, la psychologie jungienne recense cinq
bénéfices majeurs à écouter et travailler ses rêves.
Le premier bénéfice est la fonction compensatrice du rêve qui vient rétablir l’équilibre de la
psyché. Nous avons tendance à ne voir dans toute situation qu’un côté des
choses, le nôtre – c’est-à-dire le point de vue qu’a épousé notre conscience et
qui satisfait ce qu’elle connait déjà. Mais la situation est riche de bien
d’autres possibilités, qu’il s’agisse du point de vue des autres protagonistes
ou simplement d’autres angles qui nous échappent. En règle générale, dès lors
que nous perdons de vue que la situation recèle des paires d’opposés – par
exemple que, dans telle discussion, nous avons raison et cependant tort – et
que nous en avons donc une vision unilatérale, nous perdons la voie du milieu.
Les rêves nous amènent bien souvent l’autre côté, la part manquante pour que
nous ayons une vision complète des choses, et viennent corriger notre attitude
consciente quand elle est trop rigide et limitée. Un exemple bien connu, mais dont beaucoup ont
l’expérience, nous vient de Goethe qui écrivait : « Je me suis endormi
profondément triste. J’ai eu un rêve charmant. Je me suis réveillé frais et
dispos. »
Le second bénéfice tient aux fonctions
d’apprentissage et de « digestion » des événements par la psyché, auxquelles contribuent les rêves. Nous
sommes des êtres sensibles, beaucoup plus sensibles que ce que nous voulons
souvent bien laisser voir, même à nos propres yeux. Les événements et les
changements inévitables dans notre environnement nous impactent souvent
beaucoup plus que nous n’en prenons conscience. Les rêves permettent d’observer
quel est réellement et en profondeur cet impact sur notre psyché, comment
celle-ci assimile progressivement les conditions nouvelles que nous
rencontrons, et quelle réponse créative elle suggère aux défis que nous
rencontrons. Le rêve est aussi un espace où nous allons pouvoir expérimenter
sans risque majeur de nouvelles possibilités de comportement que nous ne sommes
pas encore prêts à manifester dans la vie consciente. Cette fonction
d’apprentissage et de digestion par le rêve est commune à tous les mammifères;
c’est ainsi qu’en observant les mouvements involontaires de chatons en train de
rêver, on a mis en évidence qu’ils répétaient les apprentissages de la journée
et exerçaient leurs talents pour la chasse.
Le troisième bénéfice de l’écoute des rêves tient à leur fonction de prospective et de guidance,
c’est-à-dire leur capacité de prédire l’avenir et de nous offrir d’importants
conseils pour accomplir nos objectifs. L’inconscient dispose de beaucoup plus
d’informations que nous n’en traitons consciemment. Les rêves font volontiers
ressortir le potentiel des situations que nous vivons et nous montrent, sans
complaisance, quels pourraient être les conséquences de nos choix et de nos
attitudes. Plus profondément, il semble que les rêves viennent d’un lieu dans
la psyché où le temps n’existe pas et où règne une sagesse qui a réponse à
toutes nos questions. Ils ne nous disent cependant jamais quoi faire ni ne nous
jugent, mais ils nous ramènent à nos valeurs et nos objectifs fondamentaux, et
nous font entendre, comme le dit si bien Robert Moss, le « désir secret de
notre âme ». En cela, ils agissent comme la boussole de notre être
intérieur, toujours en mesure de nous indiquer où se trouve le Nord, et surtout
la direction de l’Amour, là où nous serons enfin Un avec tout ce qui est.
Le quatrième bénéfice du travail des rêves est très mystérieux. Il tient
à ce que Jung a appelé le « savoir
absolu de l’inconscient ». Les exemples abondent de scientifiques qui
ont résolu une énigme grâce à un rêve. Ainsi, le mathématicien Poincaré
entrevit la solution des équations fuchsiennes au cours d’une petite sieste, et
passa plusieurs années à refaire le chemin consciemment. Le chimiste Kekulé
rêva de serpents se mordant la queue alors qu’il travaillait sur la structure
du benzène, qui s’est révélée circulaire. Le tableau classant les éléments
chimiques a été élaboré à partir d’un rêve de Mendeleïev. William Blake a
inventé un nouveau procédé de métallurgie en rêve. Des œuvres littéraires
immenses, par exemple le Paradis perdu de Milton ont été élaborées en rêve. Les
rêves sont une source inépuisable de créativité et semblent puiser leurs
matériaux dans une dimension où rien n’est séparé, que ce soit dans le temps ou
dans l’espace. Les prédictions factuelles, les communications de pensée, les
synchronicités et les intuitions les plus saisissantes ne sont pas rares quand on écoute les
rêves, avec pour conséquence, et sans doute intention, de nous faire renouer
avec l’émerveillement de vivre dans un univers infiniment mystérieux.
Le cinquième bénéfice est le plus évident dès lors qu’on prête
minimalement attention à ses rêves. Chaque rêve a quelque chose à nous dire, un message existentiel à nous
délivrer. « Il n’y a pas de rêves stupides » disait Jung. C’est à
chaque fois exactement ce que nous avons besoin d’entendre à ce point dans
notre vie, un message que nous nous envoyons à nous-mêmes en tout amour et
toute perspicacité quant à ce qui nous rendra vraiment heureux. « Un rêve
non interprété est comme une lettre qui reste cachetée » disait déjà le
Talmud. Le nous-même qui envoie le message sait tout de nous, bien plus que
nous en savons consciemment, et il nous "écrit" à partir d’une place
où il n’y a que paix et amour, hors du temps, et où il nous attend. Il sait
aussi que nous n’aurons pas le temps de déchiffrer tout ce qu’il nous envoie,
et que d’ailleurs, il faut, pour que nous accordions quelque valeur à ses
messages, que nous fassions beaucoup d’efforts pour les comprendre. Mais quand
un rêve s’ouvre, c’est à chaque fois une petite illumination, un « ha ha
! » qui vient de la réunion à l’intérieur de quelque chose que nous
savions déjà, sans le savoir, avec notre conscience. C’est à chaque fois un pas
vers l’unité intérieur et une occasion de s’exclamer devant la beauté de vivre,
dans une gratitude et un émerveillement renouvelés.
Les rêves ont dans une grande mesure été
instrumentalisés par la psychologie et la psychothérapie. Tant mieux, car c’est
ce qui a permis au rêve de retrouver quelques lettres de noblesse dans notre civilisation
avec les grands pionniers, Sigmund Freud et surtout Carl Jung, sans oublier
Fritz Perl et tous les autres. Mais les rêves adressent tous les aspects de
l’existence et non seulement ce qui concerne le psychothérapeute. Ils peuvent
proposer des réponses créatives à des problèmes d’apparence insolubles dans tous
les domaines de la vie, ou amener des éléments de réflexion philosophiques si
tel est ce qui nous préoccupe. Un artiste y trouvera inspiration et de
précieuses indications sur ce qui favorise ou contrarie son processus créatif,
un poète y rencontrera la Béatrice qui lui fera traverser les Enfers jusqu’à
aboutir au centre de l’Univers. Finalement, chacun peut y trouver le meilleur
ami qui soit et un guide qui permet de traverser tous les aléas de l’existence
avec la paix au cœur, et cela jusqu’à la rencontre ultime avec le mystère de
vivre et de mourir.
Dans le fond, il n’y a pour moi qu’une seule
motivation fondamentale qui emmène au bout de ce travail. Dans toutes les
raisons énoncées ci-dessus, il demeure encore une tentative de se servir du
rêve pour en tirer quelque bénéfice conscient. Il y a encore un "moi"
conscient entièrement distinct de la Source des rêves et qui tente d’utiliser le rêve pour
servir ses objectifs. C’est pour cela que c’est un travail, dont l’étymologie
nous rappelle la notion de torture : c’est une haute lutte avec
l’Inconscient pour lui arracher quelque lumière. Mais j’évoquais le fait qu’il
se noue, à force de travailler la matière vivante des rêves, quelque chose
comme une profonde amitié. Éventuellement, il arrive un moment où le travail
devient un jeu créatif et où l’on ne se bat plus, pour se laisser alors simplement
emmener par la grâce d’une Présence en dedans qui nous prend par la main et
nous invite à danser…
L’écoute des rêves
nous délivre alors son plus grand bénéfice, qui tient à une entière autonomie spirituelle – nous sommes encore ouverts à
ce qu’autrui voudra nous partager de sa sagesse et de sa compréhension de
l’existence, mais c’est toujours avec cette réserve souriante qui vient du fait
d’avoir reconnu le Maître à l’intérieur, et de cheminer avec l’Ami, celui que
les soufis nomment si justement le Bien-Aimé de l’âme. C’est pourquoi les rêves
et leur écoute sont si importants pour notre époque où il appartient à chacun
de définir sa propre spiritualité : c’est une voie qui ne permet aucune
dépendance, même envers la Source des rêves, qui ne fait jamais que la moitié
du chemin vers nous. Ils nous portent l’antidote à la désespérance qui
caractérise notre monde désenchanté et apparemment déserté par les dieux, antidote
grâce auquel chacun peut retrouver en lui-même une petite lumière pour éclairer
chacun de ses pas, lumière dont la présence rend à notre existence
son caractère d’aventure sacrée.
Dit comme ça, on ne peut y voir que du bénéfique. J'imagine facilement que la majorité d'entre les humains seront séduits par la fonction compensatrice et la fonction digestive et, pour les plus convaincus, la fonction de guidante, qui permettent de donner du sens à l'existence consciente qui serait la partie anecdotique, le premier degré de.
RépondreEffacerMais dès que tu veux creuser un peu, j'aurais tendance à penser que l'autonomie spirituelle serait davantage un pré-requis qu'un bénéfice et que l'ouverture d'esprit serait une caractéristique nécessaire. Sinon, la personne n'y trouvera que ce qu'elle veut y trouver.
Qu'en penses-tu ?
Je crois en effet qu'il n'y a que du bénéfique à s'intéresser sincèrement aux rêves et à ce qu'ils peuvent nous dire. Mon mentor Nicolas Bornemisza dit volontiers qu'en 30 ans, il n'a jamais entendu un rêve qui soit nuisible au rêveur. Il est toujours bon de se rapprocher de soi-même, de ce que l'on sent vraiment...
EffacerQuant à l'autonomie spirituelle, c'est la poule et l’œuf. Il en faut un minimum, ou au moins un besoin fut-il inconscient d'en trouver, pour commencer à creuser sa terre intérieure, c'est certain. Et c'est selon moi le plus grand bénéfice que nous puissions retirer du travail: cette autonomie se confirme et se renforce avec le temps jusqu'à devenir un gai rire (guérir :) de liberté.
Bien sur, le risque existe toujours de réduire le rêve à ce qu'on croit déjà connaitre, ou d'y voir seulement ce qu'on aimerait y trouver. C'est pourquoi la règle d'or est bien de garder à l'esprit que le rêve ne nous dit jamais quelque chose que nous savons déjà. Il faut compter sur l'inconscient aussi pour nous aider à corriger nos interprétations, toujours approximatives, par un autre rêve; Jung insistait sur le fait que nous ne devrions jamais considérer nos rêves isolément mais toujours dans une série.
Mais finalement, oui, bien sur il faut une "ouverture d'esprit" minimale à ce que l'âme peut avoir à dire, sans quoi la pauvre âme étouffe. Cela prend une honnêteté vis-à-vis de soi-même; il est toujours possible de se mentir quelque temps à soi-même, et une des caractéristiques en est que l'on croit "détenir la vérité", ce qui dit bien qu'on l'a mise en prison. Auquel cas cela se paiera tôt ou tard quand elle s'évadera et qu'au lieu de se dire en rêves, elle se dira en symptômes douloureux. Mais s'il y a le minimum d'intérêt sincère pour ce que les rêves ont à dire, c'est que la vérité profonde est déjà en train de creuser un tunnel pour sortir à l'air libre. Cela prendra peut-être longtemps et beaucoup de détours, de déconvenues et donc aussi de persévérance, mais elle est finalement inévitable...
Tiens donc. Je me suis accroché les doigts dans le clavier et le message qui précède est parti avant que je l'approuve.
RépondreEffacerIl est rare que je lise un article avec autant d'intérêt. Amitiés.
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