Il n’est pas possible de parler du rêve, des symboles et de l’inconscient sans employer leur langage, c’est-à-dire la
métaphore. La raison peut en dire quelque chose, bien sûr, mais elle leur reste
extérieure et elle risque fort de les réduire à des absurdités manipulables.
Celles-ci sont facilement détectables car elles commencent généralement par une
affirmation en forme de : « ce n’est que ». Ainsi, pour
beaucoup, le rêve n’est que le produit d’un désordre neuronal tandis
l’inconscient n’est qu’une poubelle, et voilà tout l’être humain qui parle ainsi
qui se met lui-même dans cette poubelle avec son mystère, le mystère de vivre.
La raison elle-même en est un peu insultée car la raison elle-même, si on en
réfère à Kant et sa Critique de la Raison Pure, sait bien qu’à partir d’un
certain point, elle ne peut que se taire. C’est alors, dans ce silence,
qu’intervient la métaphore, du grec metaphoros, « qui emmène plus
loin », et qui donc prend la raison par la main pour l’ouvrir à une vision
plus large, l'amener à un élargissement de conscience.
Une des difficultés de la raison quand elle
aborde ces sujets, c’est qu’elle ne saurait concevoir que des objets. Pour la
raison, nous sommes dans un univers d’objets clairement séparés et dotés d’une
certaine solidité ainsi que d’une permanence qui permet d’en parler. C’est
l’expérience que nous avons de la réalité dans notre quotidien et déjà à ce
niveau, beaucoup de choses défient ce sens d’une réalité fragmentée en objets,
ne seraient-ce par exemple que l’eau qui coule et se mélange avec d’autres
liquides, ou le feu qui consume les matières les plus solides. La physique
quantique démontre que cette solidité est illusoire, ou du moins partielle. En
psychologie des profondeurs, nous rencontrons la même difficulté quand nous
tentons de parler de l’inconscient et du conscient comme s’il s’agissait
d’objets bien définis, entièrement séparés l’un de l’autre. En réalité, ou
plutôt à un niveau plus profond de la réalité, il n’y a que des processus, et
l’inconscient comme le conscient sont parties prenantes d’un processus que l’on
peut désigner comme celui de la « création de conscience ».
Voilà le grand mystère ! D’où émerge la
conscience ? Quel est son rôle dans l’univers ? Pour Jung, nous touchons là
à des questions qui nous font entrer dans l’intimité de Dieu. « La
création de conscience » est le titre d’un livre clé du grand psychologue
jungien Edward Edinger qui explore la thèse de Jung qui veut que la divinité
elle-même évolue au travers de nos prises de conscience. Rappelons que Jung ne
faisait pas de métaphysique mais s’intéressait à l’image de Dieu que l’on
trouve au centre de la psyché et par laquelle le Soi aime se symboliser. Avec
la création de conscience, nous effleurons une question vertigineuse qui porte
sur la nature de la réalité et la mesure dans laquelle nous sommes co-créateurs
de celle-ci. Je n’approfondirai pas pour l’instant cette question mais je veux
simplement souligner ici qu’en interrogeant la nature du rêve, nous l’abordons
par un autre versant. Pour les cultures chamaniques par exemple, notre réalité
ordinaire n’est que « le monde de la surface », et tout ce qui y advient
a commencé par être rêvé, jusqu’à ce que ce rêve prenne force de réalité.
Je cultive pour ma part une métaphore qui m’a
beaucoup servi pour entrer plus avant dans les mystères du rêve. C’est
simplement l’idée que le rêve est une fleur de conscience qui commence à
émerger : quelque chose veut devenir conscient, et voilà que cela perce la
croute de notre inconscience. Une jeune pousse apparait alors sous la forme de
quelques images de rêve. C’est encore bien loin de devenir conscient ; il
faut être jardinier pour en deviner le potentiel tant c’est encore proche de
l’obscurité qui régnait sous terre. Mais la bonne nouvelle, c’est que cela a
trouvé suffisamment d’énergie pour amener quelques images à la conscience, et
que cela pousse, cela grandit.
Contrairement aux concepts de Rossinante [*] la raison raisonnante, les métaphores ont cela d’utiles qu’elles suggèrent
souvent, par associations, des façons d’agir et d’aller plus loin. Ici, la
métaphore du rêve comme fleur de conscience peut être développée jusqu’à
proposer une façon de travailler, ou plutôt de jardiner les rêves. D’abord, il
ne sert à rien de tirer dessus avec tel outil ou telle méthode car on risque
fort alors de déraciner le rêve. Comme toute plante, la conscience encapsulée
dans le rêve a besoin pour se déployer d’être bien enracinée, c’est-à-dire
ressentie dans le corps et connectée à la vie du rêveur. Il faut lui apporter
l’eau de notre vie émotionnelle et le feu solaire de notre attention. Enfin,
elle a besoin de l’air de nos idées, de suffisamment d’espace pour pouvoir
croître. Comme résumant ces quatre éléments en une quinte essence, il faut au
premier chef aimer le rêve. Mais surtout, le rêve a besoin de temps pour se
développer jusqu’à la pleine conscience de son sens. Comme disait Jung, si nous
tournons suffisamment de temps autour du rêve en lui accordant notre attention,
partie de son message finira par se dévoiler.
[*] Rossinante est le nom du cheval de Don Quichotte dans le roman de Cervantes. Lorsque Don Quichotte
cherche un nom pour sa monture, il choisit Rossinante pour « signifier
clairement que sa monture avait été antérieurement une simple rosse,
avant de devenir la première de toutes les rosses du monde. »
Tourner assez longtemps autour du rêve pour que le message se dévoile. On ne peut pas vraiment faire ça tout seul, n'est-ce pas ? Ne serest-ce qu'un infime effet de miroir venant de l'autre, il en faut un, non ?
RépondreEffacerEt puis quand on rêve à toutes les fois qu'on dort (ou presque), on y passerait trop de temps et d'énergie conscients qu'on n'a pas ... Alors, comment choisir les rêves autour desquels il sera «utile» de tourner afin de cueillir la fleur de conscience ?
Excellentes questions, merci ! L'important est vraiment de "tourner autour", c'est-à-dire de garder une attention à la fois concentrée et ouverte, mobile et patiente, sur le rêve, jusqu'à ce qu'il se passe quelque chose. Un mouvement intérieur qui s'apparente souvent à une glissade qui nous amène ailleurs, souvent à un autre mouvement...
EffacerBien sur, le reflet offert par un autre est toujours très aidant. Il n'a pas besoin d'être spécialiste des rêves; le reflet sincère par un observateur "naïf" peut être aussi utile que l'avis d'un interprète, car ce qui compte, c'est la réaction, le mouvement intérieur que ce reflet provoque en nous. C'est ce mouvement qui va nous amener quelque part, et non l'avis de l'autre, d'où le danger de se fier à l'autorité d'un interprète. Alors en effet, il est bon de partager ses rêves avec son conjoint, ses amis, ses enfants, et d'écouter ce qui leur vient intuitivement.
Il est possible aussi de prendre "l'avis de l'univers" en observant simplement ce qui se passe autour de nous et comment cela nous semble répondre à notre rêve, les synchronicités. Et finalement, il faut bien comprendre que l'on ne s'engage vraiment dans le travail que quand on ose ne plus compter sur personne d'autre que soi-même et y aller tout(e) seul(e), avec confiance dans le fait que l'inconscient veut que nous devenions conscient(e) de quelque chose. Jung a dit un jour à Von Frantz qui voulait son éclairage sur un rêve: vous savez, moi je n'ai pas de Jung pour m'expliquer mes rêves...
Enfin, en effet on ne peut travailler tous les rêves. Un par semaine est déjà un bon ratio. Il faut aller vers les rêves où il y a la plus forte charge émotionnelle, dont les images nous paraissent les plus vivantes, et finalement, qui nous appellent le plus. C'est encore l'amour le meilleur guide, encore qu'il ne faille surtout pas négliger les cauchemars et les rêves désagréables; il a généralement là quelque chose qui crie en appelant notre attention...
Bonjour Jean,
RépondreEffacerLa poésie de ta plume, de ta sensibilité et de ta pensée sont pour moi émouvante ce matin. Elle m'inspire au respect du mystère, à la fébrilité délicate de la découverte et à la gratitude d'un temps et d'un espace qui donne accès à tout cela. Merci Jean.
Merci Anonyme pour ce commentaire qui me va droit au cœur "sans escale". Je ne le prends pas personnel et le reconduis à "Cela-qui-n'a pas-de-nom", que je remercie de m'inspirer ces mots. Ceux-ci se veulent simplement un hommage au mystère d'être. A la beauté de vivre et de rêver, aucune théorie ne rendra justice, mais un peu de poésie...
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