Je suis un iceberg. Je flotte, je goûte
de me laisser flotter, porter. Je réalise que je ne suis pas seule, il y a
d’autres icebergs qui flottent non loin de moi. Nous formons comme un cercle.
Il y a quelque chose d’invisible qui nous relie.
Sonya est une jeune femme frêle qui ne cache pas sa
fragilité et son inconfort à se retrouver dans un groupe comme celui auquel
elle participe pour un atelier sur les rêves. C’est une artiste qui réalise de
très beaux mandala de façon spontanée, sans élaboration théorique de sa part
sur leur signification mais avec un instinct très sur. Quand je l’invite à
parler de son travail, elle nous décrit merveilleusement bien le processus
créateur du centre vers la périphérie, en expansion, ou au contraire en
centration. Il est fascinant pour elle comme pour moi de constater qu’elle a
ainsi trouvé, en marchant sans le savoir dans les pas de Jung et sans autre
guidance que son intuition, sa propre voie de contact avec le Soi.
Au milieu des sept jours que dure l’atelier, Sonya
frappe un mur. Une mauvaise nuit, un rêve dérangeant l’amènent à se demander si
elle ne doit pas partir maintenant. Nous en parlons et nous convenons qu’elle
se trouve sans doute dans un passage dont elle ressortira bientôt, et que nous
en reparlerons avant la fin du séjour. Le dernier jour, elle nous raconte ce
rêve :
Son seul commentaire est le suivant : « le
premier jour, la première image que tu nous as présentée de l’inconscient,
c’est cet iceberg. Voilà, je suis l’iceberg ! » Son sourire éclatant, ses
yeux brillants de vie joyeuse, m’épargnent le besoin de poser quelque question
que ce soit, et même de reparler de son passage par les enfers. Sonya, c’est le
cas de le dire, a « brisé la glace » : elle n’est plus seule
désormais, plus isolée. Elle a reconnecté avec un grand courant de vie qui nous
réunit tous subtilement. Elle sait qui elle est, ce qu’elle est : un
iceberg parmi d’autres icebergs baignant dans l’océan. Un inconscient et un
conscient, ensemble.
Un Soi.
Quand je présente l’inconscient, j’aime montrer cette
photographie d’iceberg qui illustre le cliché le plus répandu, mais efficace,
pour décrire notre rapport à l’inconscient. On y remarque bien sur que la
partie immergée est au moins 20 fois plus profonde que la hauteur émergée, et
sans doute plusieurs centaines de fois plus lourde, conférant sa stabilité à
l’iceberg. Une autre remarque moins évidente, c’est qu’il n’y a pas de
véritable différence de nature entre la glace de l’iceberg et l’eau de l’Océan
dans lequel il flotte, mais seulement une différence d’état. C’est toujours de
l’eau, dans un cas solide, gelée dans l’illusion d’une fixité, dans l’autre
fluide…
Je suis un être humain, une composition d’inconscience
et de conscience. Je ne suis pas seul(e), il y a d’autres êtres humains comme
moi. Nous sommes dans la vie ensemble comme dans un cercle, baignant dans le
même inconscient collectif qui nous berce et nous réunit.
C’est ainsi que j’entends le rêve de Sonya et je me
réjouis – j’entends les Anges célébrer le retour d’un être humain parmi les
siens. Le cercle évoque l’ordre universel dans lequel tous les êtres sont
égaux. En effet, le cercle ne permet aucune précédence de position, que ce soit
entre êtres humains ou plus largement, dans diverses visions spirituelles,
entre tous les êtres vivants. C’est une des merveilles du rêve que d’être
absolument égalitaire d’une part, d’honorer de sa sagesse aussi bien le prince
que le mendiant. Mais surtout, qui que nous soyons, aussi isolés soyons-nous
dans nos peurs ou notre mégalomanie, le rêve, qui est nature, nous ramène dans
le giron de l’humanité. Il nous montre que nous sommes bien moins individuels
et conscients de la totalité de nous-mêmes que nous le croyons, et que nos
difficultés sont partagées par d’autres êtres humains qui vivent des
circonstances semblables. Et finalement, il peut donc nous faire toucher
l’intuition mystique qui interroge quelle est la véritable séparation entre la
goutte d’eau, l’iceberg et l’Océan tout entier ?
Une même substance, un même Être.
Le Soi.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire