vendredi 10 juillet 2015

Paréidolie mon amie


Depuis quelques temps, ma méditation matinale est troublée par une femme qui me fait l’œil. Elle ressemble à une institutrice avec un chignon et des lunettes, par-dessus lesquelles elle me regarde avec un sourire. Il faut dire que je médite les yeux ouverts. Il est beaucoup plus difficile de rester concentré les yeux fermés car l’intériorisation est propice à la rêverie quand ce n’est pas à la somnolence. Et puis, en méditant les yeux ouverts, on s’entraine à méditer en toutes circonstances, dans une file d’attente ou dans l’autobus, à chaque fois qu’une immobilité mentale est possible. Mais alors, il faut composer avec les distorsions de notre perception : quand je médite en laissant mon regard se poser sur le plancher devant moi, il y a une tâche dans le bois qui, avec les jeux de lumière et d’ombre du moment, prend forme de cette femme qui semble s’amuser de mes efforts pour ne pas la regarder.

Qui ne s’est pas couché dans l’herbe pour observer les nuages dans le ciel et jouer à y trouver des formes éphémères ? Souvent, on y discerne un visage énigmatique pendant quelques secondes mais on y peut y voir aussi par exemple des chevaux galopant, un bateau fendant les flots, une vague... Elles ont un beau nom, ces formes : ce sont des paréidolies, du grec ancien para-, « à côté de », et eidôlon, diminutif d’eidos, « image, apparence, forme ». Une paréidolie est une illusion d’optique qui, dixit Wikipédia : « consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale. » C’est une illusion très personnelle : chacun peut voir une chose différente dans un même nuage.

Il y a une grande part de projection dans ce phénomène. Il est à la base d’un test psychologique (Rorschach) très utilisé dans lequel le sujet est invité à dire ce qu’il voit dans des tâches d’encres. Dès lors, on peut l’utiliser aussi pour collecter et examiner des images intérieures : c’est un mécanisme cérébral de reconstruction de la réalité qui est à l’œuvre et qui nous introduit dans une irréalité, une sorte de rêve dans laquelle il y a aussi de la vie symbolique. Jung raconte comment, après avoir fait une première étude statistique pour valider l’astrologie qui lui avait donné un résultat étonnamment positif, il avait fait une seconde étude similaire qui lui avait donné un résultat contraire ; quand il a pris connaissance de ce résultat, il a observé que l’ombre qui tombait sur le mur à côté de lui dessinait un diable ricanant. Il a tout de suite compris que le diable riait de sa prétention à tenter de cerner un phénomène synchronistique avec la statistique.

Le danger de ce genre de pratiques consiste en voir des signes et des synchronicités partout : on n’arrête pas de recevoir des messages de l’Univers mais on ne les comprend pas. Dans ce cas, le mieux est sans doute de débrancher et de revenir aux messages de base de notre organisme : la faim, la soif, le sommeil… ainsi qu’aux messages que nous pouvons échanger avec notre entourage, dont on peut espérer qu’ils soient moins sibyllins. L’obsession dénote une crispation mentale, or l’attention aux synchronicités et aux images intérieures réclame d’abord de relaxer et de ne pas avoir d’attentes, de se laisser simplement emmener par ce qui se présente. Il s’agit de développer une forme de lucidité poétique de la profondeur symbolique de nos vies, dans laquelle la réalité est habillée de rêve. Il en va ainsi des paréidolies comme des synchronicités dont parle si bien Robert Moss :

« Suivre les synchronicités, ce n’est pas simplement accueillir des messages. Il s’agit plutôt de laisser s’épanouir la conscience poétique, cette conscience qui nous permet de goûter et de toucher à ce qui rime et résonne dans ce monde, et comment le-monde-derrière-le-monde se révèle en agitant doucement le voile de la réalité communément admise. »

Je suis retourné voir mon institutrice avec ces réflexions dans un coin de ma tête, et bien sûr, elle souriait. Mais en regardant mieux, j’ai vu qu’elle-même n’était qu’un élément d’un visage plus vaste, d’une veille femme qui semblait bien rire de moi

5 commentaires:

  1. Jouer à trouver des formes dans "l'informe" est un jeu très répandu...
    je l'ai moi-même beaucoup pratiqué étant enfant...

    Et puis, un jour, j'ai découvert que d'illustres personnalités y jouaient aussi...:-)

    "Souvent, sur des murs écaillés, dans la vase d'une mare,dans la braise qui s'émiette en cendres,dans l'assemblage fortuit de cailloux sur un sentier,au contour fluctuant des nuages, j'ai vu des paysages inattendus,des champs de bataille tumultueux, des visages d'une beauté indescriptible, des monstres, des démons et bien d'autres images stupéfiantes. Je n'avais qu'à choisir et à compléter."
    Léonard De Vinci



    RépondreEffacer
    Réponses
    1. C'est je crois le propre de nombreux artistes que de se prêter à ce jeu et à le pousser un cran plus loin en donnant forme à ce qui leur vient du dedans. Je pense à Michel-Ange expliquant que sculpter consistait à dégager la forme qu'il percevait dans le bloc de marbre. Je pense aussi à Jung disant que ce qui est jeu pour l'enfant devient travail créateur pour l'adulte.

      Effacer
  2. Merci pour cet article éclairant.
    Finalement les signes et les synchronicités ne parlent qu'à l'inconscient des personnes qui se projettent :)
    Dès l'instant où l'on comprend que l'autre est notre miroir, un révélateur de notre égo agissant malgré nous, inconsciemment. Par exemple, ma voix intérieure négative me dit telle et telle chose, je rencontre une personne qui me fait les mêmes reproches, faire taire le mental la voix intérieure négative permet d'attirer à soi de nouvelles expériences enrichissantes...celà permet d'y voir plus clair sur notre conception de l'univers, et notre place au milieu de tout celà. Car le miroir avant tout, présente une image inversée de soi, ne jamais l'oublier : nous ne sommes pas l'égo ni les voix négatives intérieures.
    En nous aimant mieux, nous changeons notre vie :)

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Merci pour ce commentaire, qui touche à quelque chose de très juste : le miroir ne nous présente qu'une image inversée. Et en effet, il s'agit dans ces images de nous surprendre, de nous voir, de nous rencontrer et finalement d'apprendre à nous aimer.

      Effacer
  3. Je répercute ici un commentaire reçu sur Facebook (merci Carole Normand) mais qui pourra être utile à plusieurs personnes, en particulier celles qui ne se souviennent pas bien de leurs rêves mais veulent entretenir une relation avec l'inconscient:

    Le dessin intuitif, Paule Boucher, éditeur Paule Boucher , 2008
    Un outil de croissance à la portée de tous.
    Faire un gribouillage coloré de pastel sec sur un papier sketch. Puis estomper avec un papier mouchoir.

    RépondreEffacer