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jeudi 24 mars 2022

Le Tiers-Aimant


Temps de lecture : environ 30 minutes.

Cela fait longtemps que je n’ai pas écrit pour ce blogue. Ce n’est pas que je n’ai rien à dire, au contraire. Dès la publication de mon dernier article, j’ai eu une idée assez claire du thème dont je vais vous parler, mais je n’avais encore aucune idée de comment j’en parlerai. Et puis il me faut à chaque fois trouver la bonne place à partir de laquelle écrire. Ce n’est pas tout de prendre la plume ou la parole, il faut s’assurer qu’on la prend du bon endroit. Si l’on parle à partir du mental qui divise et qui oppose, ou d’un cœur agité par la peur ou la colère, il vaut peut-être mieux se taire, rester en silence. D’un article à l’autre, c’est toujours un chemin intérieur que je parcoure donc, car c’est l’occasion d’explorer une idée, une intuition ou un rêve jusqu’à ce que je puisse en parler. Et puis bien sûr, il y a l’actualité qui s’en mêle et qui réclame elle aussi que je trouve le bon endroit à partir duquel je peux m’exprimer sans avoir l’impression d’ajouter à la cacophonie ambiante…

Quand je marche en silence ainsi, j’observe avec beaucoup d’amusement comment la vie et les rêves viennent nourrir le courant de réflexion qui me travaille. Cette fois, c’est un rêve entendu peu après le déclenchement de la guerre en Ukraine qui a amené la compréhension qui cherchait à se cristalliser en moi depuis plusieurs mois. La rêveuse est une jeune femme qui s’intéresse particulièrement au travail avec les rêves, auquel elle veut se former. Au moment où elle m’amène ce rêve, elle vit des difficultés relationnelles avec son conjoint et s’avoue très inquiète devant la guerre. Elle répète à plusieurs reprises au début de notre rencontre qu’elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas qu’on puisse choisir délibérément de faire la guerre ainsi et d’entraîner des milliers de personnes dans la mort. Elle ne comprend pas ceux qui, dans son entourage, justifient la guerre en répandant des mensonges inspirés par la propagande du Kremlin. Elle ne comprend pas son conjoint qui l’intimide en haussant le ton dans leurs discussions. Juste avant de me raconter le rêve, elle pleure. Et voilà le rêve :

Un homme et une femme se disputent. Ils sont debout, face à face, dans une pièce faiblement éclairée, avec une lumière un peu tremblotante, comme des bougies ou un feu de cheminée. La rêveuse est observatrice, détachée de la scène qu’elle observe comme au travers d’une vitre, d’une fenêtre. Elle n’entend pas ce qu’ils se disent. La femme est particulièrement virulente, furieuse. L’homme a l’air accablé mais il se redresse, fait front et lève même la main à un moment. Cependant, elle ne se démonte pas, elle s’approche de lui et lui crie sa colère au visage. Il recule avec un geste qui laisse entendre qu’il n’en peut plus. Et comme il a reculé, la rêveuse peut voir un enfant de deux ou trois ans qui se tient debout dans l’embrasure d’une porte et observe les adultes en train de se disputer. Il a les yeux extraordinairement lumineux. Il semble n’être absolument pas inquiet. Au contraire, il sourit en les regardant alternativement. La rêveuse est touchée par la présence de l’enfant, qui lui semble "non ordinaire", et à peine a-t-elle pensé cela qu’elle se retrouve dans le corps de l’homme, ce qui lui donne à ressentir un mélange de peur, de honte et de colère, de rage rentrée. La femme prend conscience de la présence de l’enfant et se tourne vers lui, immédiatement adoucie. Des larmes viennent sur le visage de l’homme… et la rêveuse se réveille.

Dans la résonance intuitive que j’ai proposée à la rêveuse, j’ai tout de suite mis l’accent sur la présence du tiers, un tiers « non ordinaire » bien sûr qui préside souvent à nos échanges même si nous n’en sommes pas conscients. J’ai interrogé : que s’est-il passé il y a deux ou trois ans ? Qu’est-ce qui est né alors ? La rêveuse n’a pas hésité : elle a découvert le travail avec les rêves il y a un peu plus de deux ans, et elle a été tout de suite bouleversée par le sentiment de ce que quelque chose de radicalement nouveau venait d’entrer dans sa vie. Quelque chose de magique. Elle a sursauté et m’a demandé en retour : « C’est l’Enfant Divin ? Dans le rêve, cet enfant… c’est l’Enfant Divin !? » Ce n’était pas vraiment une question, plutôt une affirmation dont elle cherchait confirmation. Je ne pouvais pas la démentir. C’est sans doute la meilleure façon de parler de cette présence qui manifeste l’éternellement Nouveau que de parler de l’Enfant Divin. Pour cette jeune femme qui a renoué avec sa foi chrétienne à peu près au même moment qu’elle a découvert les rêves, ce n’était pas une abstraction intellectuelle car les rêves, justement, lui avaient amené le sentiment de ce qu’il y avait, en tous temps, une présence aimante à l’intérieur...


Nous avons parlé cependant de la possibilité que le rêve symbolise par là son enfant intérieur à l’âge de deux ou trois ans, mais nous sommes convenus que c’était forcer le trait car rien ne lui permettait de se voir dans ce garçon aux yeux lumineux. Elle n’avait pas souvenir d'avoir été témoin de disputes dans sa famille. Et nous sommes restés avec la numinosité qui se dégageait de l’enfant souriant devant ces adultes – on pouvait penser que c’était ses parents – en train de se disputer. Nous avons discuté de sa propre colère envers son conjoint, et de la façon dont elle pouvait « rêver » de le faire reculer ainsi en criant plus fort quand il se montrait intimidant. Je l’ai invitée à visiter en imagination active la position des deux protagonistes et à aller voir ce qu’ils ressentaient. Elle en est ressortie avec beaucoup d’admiration pour la force de la femme, « une guerrière » m’a-t-elle dit. L’homme avait peur d’elle. Et l’enfant, que ressentait l’enfant quand il regardait ces deux adultes ? De l’amour. De la compassion. L’enfant, m’a-t-elle dit, est absolument en paix, tranquille, et toute cette dispute lui semble être un jeu. Il a envie de rire.

Je lui ai alors proposé une interprétation du rêve partant sa difficulté avouée avec les conflits pour aller jusqu’à l’une des clés majeures du travail avec les rêves. Dans celui-ci, elle observe la dispute d’abord de l’extérieur, en mode dissocié. Mais il est frappant que le rêve se termine au moment où elle s’associe directement à la scène en se retrouvant – ô surprise ! – dans la peau de l’homme, dont elle ressent la peur, la honte, la rage… et finalement la tristesse. Ce point, bien sûr, l’intriguait particulièrement : pourquoi ne s’est-elle pas retrouvée dans la peau de la femme, à qui elle s’identifierait volontiers ? Et bien peut-être, justement, parce qu’elle serait portée à s’identifier à la femme, à se projeter en elle… or il se pourrait bien que le rêve veuille lui faire « toucher du doigt » l’autre côté, la position de l’homme. Ce qui me paraît important, c’est justement que le rêve lui donne, à partir du moment où elle prend conscience de la présence de l'enfant et de sa nature "non ordinaire", à ressentir ce que vit l’homme. J’ai souligné que le rêve semble donc tracer un chemin qui va d’un endroit où elle est extérieure au conflit, et où elle n’entend rien, à un autre où elle ressent profondément ce que l’autre, qui est elle-même, ressent. Un chemin vers le ressenti profond. Elle a reconnu qu’elle-même ressentait cette peur, cette honte et tout particulièrement cette rage dans ses disputes avec son ami, et nous nous sommes retrouvés à discuter de comment ces sentiments pourraient bien être ceux de son animus, du masculin en elle, aux prises avec l’anima de son conjoint, symbolisé par la femme. Mais nous sommes convenus que le point clé du rêve, c’était donc le relâchement final de la tension quand le regard de la femme se portait sur l’enfant, qu’elle s’adoucissait, et que les larmes coulaient sur les joues de l’homme.

Notre discussion a ensuite porté sur la présence de ce tiers qui est bien souvent nécessaire pour que les protagonistes d’un conflit puissent parvenir à une vision élargie de ce qui se passe, et à une résolution de la dispute sans vainqueur ni vaincu. Et c’est à partir de là que je lui ai proposé un autre niveau d’interprétation du rêve en lui parlant d’un article de Pierre Trigano que je cite souvent dans mes cours, où il est question de la présence de ce Tiers qui intervient dans le travail avec les rêves. Mr Trigano nous y présente un rêve qui décrit le fondement de l’analyse au travers de la belle formule :

« Deux aiment trois, et trois aime deux »

Je cite l’interprétation qu’en propose l’article, que vous pouvez lire ici : éthique du rêve.

« Ces mots me paraissent exprimer de manière subtile la "formule" qui définit la singularité de la voie des rêves. Les "deux" sont évidemment la rêveuse et l’analyste, et le rêve semble enseigner que leur relation duelle, de personne à personne, n’est nullement à elle-même son propre but. La relation spécifiquement thérapeutique dans l’analyse des rêves n’est pas cette relation duelle, mais la relation que les deux ouvriront, au cours de leur travail, avec un « trois », un troisième, qui n’est autre que le Soi (…). »

Nous avons ici la clé peut-être la plus importante du travail avec les rêves, qui est souvent bien difficile à comprendre tant nous sommes pétris de "méthodes", de "techniques", de "théories" et de "savoirs" qui se voudraient infaillibles et qui permettraient d’en finir rapidement avec le rêve, de dire « ce n’est que... ». Or c’est l’erreur que commettent la plupart des débutants, et même des analystes chevronnés, de vouloir que le rêve soit réductible à une théorie, une méthode. Mais un rêve, ce n’est jamais que… et pour que le pouvoir transformant du rêve puisse agir et amener quelque chose de nouveau à la conscience, nous devons nous ouvrir à la présence vivante du rêve, c’est-à-dire à la présence vivante du Soi dans le rêve. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas étudier les méthodes et les théories, se contenter de l’intuition pure. Comme le disait Jung :

« Quant à l’interprétation des rêves, étudiez tous les livres et toutes les méthodes. Mais quand vous êtes devant un rêve, écartez-les car chaque rêve est unique, tout comme chaque rêveur est unique. »


Non seulement s’agit-il de respecter l’unicité du rêve, et du rêveur, qui ne pourront jamais se réduire au « ce n’est que... » d’une théorie générale. Mais il s’agit de faire confiance dans la volonté même de l’inconscient de se faire connaître. Von Franz s’en félicite : « Dieu merci, l’inconscient est intéressé à ce que le rêve soit compris. » Mais au-delà du désir de l’inconscient d’amener quelque chose à la conscience, nous pouvons simplement établir une relation de confiance au Soi qui préside au travail avec les rêves. La rêveuse a réagi à ce que je lui proposais là en souriant et en citant simplement l’évangile :

« Quand deux ou trois d’entre vous sont réunis en mon nom, je serai présent. »

Nous n’avons pas eu le temps d’élaborer plus sur la présence de cet Enfant Divin dans l’embrasure de la porte du rêve, image ô combien symbolique, car la séance était finie. Elle m’a cependant dit qu’elle était beaucoup plus en paix à l’issue de celle-ci, qu’elle comprenait sans pouvoir bien l’expliquer comment quelque chose de plus grand, encore une fois de « magique », agit à travers le rêve quand on lui prête attention, et combien il était rassurant pour elle de sentir cette présence numineuse du Soi… dans les rêves, dans la vie. Elle a rit en ajoutant qu'elle réalisait qu'il n'était pas important de "comprendre" pourquoi les gens entrent en guerre, etc... mais qu'il fallait trouver comment se positionner intérieurement devant ça. Pour cela, elle avait besoin de cette présence, du Soi. Nous avons conclu en jouant avec les mots, nous amusant de ce que quand l’âme agit… c’est la magie !

Ce rêve m’a donné beaucoup à réfléchir dans les jours qui ont suivi car le thème qui s’était imposé à mon esprit après la publication de « ce qui sauve » était justement celui du « Tiers aimant », sans que je puisse dire donc encore exactement de quoi il retournait. Or j’avais là, avec cette image de l’enfant contemplant avec des yeux lumineux, emplis d’amour, les adultes se disputant, de quoi nourrir ma réflexion. Mais il a fallu qu’un autre rêve me revienne en mémoire pour que je comprenne ce que représentait cet enfant, et à quel point il venait répondre aux questions que je me posais. Avant d’en venir là, il me faut vous parler un peu de comment l’actualité m’a fait faire tout un chemin intérieur…

Comme beaucoup je crois, j’ai été très troublé par la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, et à travers elle, à la démocratie. Il me semble qu’il est difficile de ne pas être troublé par de telles circonstances. J’ai admiré cependant quelques amies, toutes des femmes, qui ont gardé leur cœur complètement en paix au milieu de ce tourbillon de nouvelles, sans pour autant s’enfouir la tête dans le sable. Pour ma part, je me suis retrouvé déchiré entre une envie d’en découdre allant avec l’impression d’identifier clairement un visage du Mal, et le sentiment de la nécessité de trouver une autre réponse que celle qui consiste en me laisser entraîner par l’atmosphère belliqueuse. Il me fallait à la fois prendre position, et me garder d’être submergé. Au cours d’une réunion avec d’autres analystes, j’ai pris conscience de ce qu’il était complètement naturel d’être ainsi troublé et déchiré dans un moment de forte activation de l’inconscient collectif, où se sont les archétypes eux-mêmes qui entrent en mouvement comme des plaques tectoniques qui viennent faire trembler la terre sous nos pieds. Il m’a paru urgent d’amener quelques éléments de réflexion pour nourrir une perspective plus vaste…

Le premier point, c’est que plus que jamais il me paraît important de vérifier quelles sont les émotions que nous nourrissons quand nous prenons la parole, en particulier sur les réseaux sociaux. Cela nous ramène à la nécessité, dont je parlais en introduction à cet article, de vérifier à partir d’où nous parlons. Si nous parlons à partir de la peur, de la colère, nous nourrissons la peur et la colère, c’est ce que nous communiquons et nous attisons le feu dans le monde. On peut penser – nous en discuterons un peu plus loin, - que c’est un feu transformant, qu’il faut que notre monde brûle pour changer en mieux… mais en attendant qu’il soit transformé, ce beau monde, cela fait beaucoup de gens qui souffrent dans le feu. Ce que nous amenons dans le monde relève de notre responsabilité : on ne peut pas vouloir un monde en paix et attiser la guerre, la peur, la colère, la haine. Envers qui que ce soit.

Dans la situation que nous vivons, et compte tenu de la caisse de résonance qu’offre l’Internet, il me semble particulièrement important aussi de veiller à ne pas réduire une situation complexe à un « ce n’est que... » péremptoire. « Ce n’est que... » est la signature d’un biais cognitif tout à fait dommageable par les temps qui courent. Je crois que nous devons tous veiller, à ce point, à éviter tout simplisme, toute simplification abusive et réductrice de la complexité de la situation. Quand nous amenons des éléments de réflexion sur les réseaux sociaux ou dans des prises de position publiques, nous avons la responsabilité de nous assurer que ce que nous disons s’appuie sur la vérité, et si nous ne sommes pas certains de cette vérité, qu’au moins cela fasse du bien ou soit utile à autrui. C’est ce qu’on appelle les filtres de Socrate, dont j’ai déjà discuté dans un autre article. Il s'agit de se demander à chaque fois qu'on avance quelque chose :

- Est-ce vrai (comment peux-tu être certain.e que c'est vrai) ?

- Si tu n'es pas sûr.e que ce soit vrai, est-ce que cela fait du bien (à ceux qui te liront, ou t’entendront, pas seulement à toi) ?

- Si tu ne peux répondre positivement à ces deux questions, au moins est-ce utile ?

Pour plus d'informations sur les filtres de Socrate, je suggère de lire cet article : Les trois filtres de Socrate. Si le sujet vous intéresse, j'ai développé cette réflexion en août 2020 déjà dans la seconde partie de cet article : Trou noir.

Socrate

Quant à ce que nous pouvons faire pour répondre à la situation actuelle, tout dépend bien sûr d’où nous sommes. Il est naturel que certains se battent les armes à la main pour défendre leur pays, et si nous pouvons honorer leur courage, nous pouvons penser aussi à ces jeunes soldats qui sont engagés dans une aventure à laquelle ils ne comprennent rien, où ils sont censés être des libérateurs et vont cependant au devant d’une mort ignominieuse. Une des positions les plus nobles qui soit dans une telle situation est certainement celle des médecins et des infirmiers qui font ce qu’ils peuvent pour soulager les souffrances engendrées par la folie des hommes. Mais ceux-là, que ce soient ceux qui se battent ou ceux qui sauvent des vies sur le front, ne me liront pas. Il est probable que, comme je le suis moi-même, vous soyez simplement témoins distants et impuissants du drame actuel. J’ai déjà dit plus haut combien il me semble important que nous ayons une parole juste, qui n’ajoute pas au conflit en cours. Je pourrais ajouter qu’il est de notre responsabilité d’éviter d’être gagnés par l’ombre en participant en esprit aux violences à l’œuvre. Pour poursuivre cette réflexion, je vous livre in extenso un texte que j’ai publié sur Facebook :

« Plus que jamais, nous avons donc une responsabilité éthique dans la façon dont nous nous exprimons devant ce qui arrive. Et cette responsabilité nous oblige à faire un retour sur nous-mêmes plutôt que d’accuser autrui de tous les maux. Nous sommes face à un sérieux problème, c’est certain, que cristallise le petit tsar Poutine et l’idéologie nationaliste qui l’inspire... mais qui peut prétendre que nous n’y sommes pour rien ?

Quand je dis « nous », je dis nous en tant que sociétés occidentales dites « démocratiques » mais complètement gangrenées par le capitalisme, qui consomment plus de la moitié des ressources mondiales en laissant crever dans la misère la plus grande partie de la planète, tout en leur vendant des armes et en supportant des régimes dictatoriaux comme celui du maréchal Sissi en Égypte. Quand la Russie nous fait le coup des armes de destruction massive en Ukraine, elle nous renvoie à la façon dont les États-Unis ont justifié la guerre en Irak. Si l’on devait traîner la Russie devant un tribunal international, ne conviendrait-il pas de juger les États-Unis pour les destructions en Irak, qui ont fait au bas mot 500.000 morts…?

Et si l’élan de solidarité avec l’Ukraine est remarquable, et doit être salué, pourquoi notre indignation est-elle à ce point sélective que personne ne prête attention à la guerre récente du Tigré en Éthiopie, ou encore au conflit au Yémen qui perdure depuis plusieurs années ? Cette guerre abominable, alimentée par les occidentaux qui fournissent l’Arabie Saoudite en armes (dont la France), a déjà fait 400.000 morts. Mais c’est loin et cela ne nous concerne pas, semble-t-il. Et voilà donc que nous nous préparons à accueillir à bras ouverts les réfugiés ukrainiens… mais pourquoi n’accueillons-nous pas ainsi les Syriens... et toutes les victimes de la guerre économique que nous menons au reste du monde ?

Nous pouvons dire que nous sommes confrontés au "mal", incarné par l'idéologie nationaliste qui inspire Poutine (voyez l'édifiant éditorial d'Akopov). Ce mal, c'est aussi le mensonge qui règne partout, la falsification systématique de la vérité, sa manipulation - et nos médias n'en sont pas exempts. Cependant, au lieu de parler du mal qui ronge l'autre, ne devrions-nous pas examiner le mal dont nous sommes inconscients en nous-mêmes ? Ne devrions-nous pas tous prendre responsabilité (response ability : capacité de répondre, qui n'est pas "culpabilité") de la situation ?

Mais alors, que faire ?

D’abord, je crois qu’il faut que nous reconnaissions que nous sommes "en guerre", et que cela ne date pas d’hier. Les mesures de rétorsion économique que nous prenons contre la Russie sont des mesures de guerre, qui pourraient appeler des répliques militaires. Mais il faut bien comprendre que depuis longtemps, la façon dont la mondialisation capitaliste est conduite est une guerre menée contre les peuples. Je ne crois pas qu’ils soient bien nombreux en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine, à avoir envie de verser une larme sur le sort des pauvres européens aux prises avec Poutine. Au pire, ils risquent de penser que c’est un retour de bâton qui nous pendait au nez, et qui pourrait nous apprendre l’humilité. Et c’est tout notre « logiciel » qui est orienté vers la guerre. Quand notre président bien-aimé (sic) nous explique que nous allons gagner la guerre contre le virus, nous sommes en fait contaminés par sa logique : nous sommes en guerre contre le virus, contre la nature, contre la planète, et contre tout ce qui n’est pas nous…

Si nous voulons nous en sortir, il va falloir changer de logiciel et sortir de la logique de guerre. Individuellement d’abord, et collectivement autant que possible. C’est un chemin intérieur… mais justement, il n’y a peut-être de chemin praticable qu’à l’intérieur face à une telle situation. J’ai déjà publié par le passé deux articles portant sur la nécessité de « retourner le regard » (https://voiedureve.blogspot.com/2017/03/retourner-le-regard.html) et de nous ancrer dans une « paix dans le cœur » pour amener un changement dans le monde (https://voiedureve.blogspot.com/2014/10/paix-dans-le-coeur.html) mais j’aimerais amener aujourd’hui deux autres éléments de réflexion, qui ont alimenté ma réflexion de ces derniers jours...

Tolstoï et Gandhi

Le premier point, c’est la nécessité devant laquelle nous sommes de revenir aux racines de notre spiritualité occidentale pour nous y ancrer et peut-être, à partir de là, prendre un nouveau départ. Je suis particulièrement sensible pour ma part à la compréhension qu’a amené Tolstoï – un grand russe – du commandement du Christ qui fonde toute la non-violence (Matthieu 5.39) : « ne résistez pas au mal par le mal ». Cela ne veut pas dire "ne pas résister"... mais veiller à ne pas être entraînés dans la logique du mal. Vous trouverez ici un bel exposé de sa réflexion : La non résistance au mal par la violence chez Tolstoï.

Si nous opposons la violence au mal, alors le mal nous gagne de l’intérieur. Ce n’est pas une question de morale mais de psychologie : combattre l’ombre projetée sur autrui nous amène à être possédé par l’ombre. C’est ainsi que la plupart des révolutionnaires qui ont combattu des tyrans se sont révélés à leur tour tyranniques. L'aveuglement, c'est de nous identifier au "bien" et de rejeter tout le mal sur l'autre. Il nous faut absolument éviter de nous laisser entraîner par la logique de guerre, et bien au contraire, examiner comment nous contribuons à celle-ci...

Il semble donc que nous soyons acculés à « choisir notre camp », et ce n’est peut-être pas ce que l’on croit. Notre camp, c’est celui des peuples, qu’ils soient ukrainien ou russe, et des pauvres gens qui sont pris dans la spirale de la guerre… et il nous faut nous garder d’être contaminés par la haine, la violence et la logique belliciste qui nous est serinée jour après jour. Mais il y a des raisons d’espérer. Par exemple, on sait que les habitants de Kherson, ville occupée par les russes, multiplient les manifestations pacifiques pour chasser les occupants. On peut « rêver » d’un grand mouvement de masse non-violent qui mettrait en échec la logique guerrière de Poutine. Qui sait si son hubris ne l'entraînera pas à sa chute et sa perte ? Nous avons le droit, sinon le devoir, d'espérer que la paix triomphe. Mais alors, il faudra se souvenir que les russes sont nos frères et nos sœurs. Et nous avons le devoir de réinventer la démocratie, de l'arracher des mains des intérêts économiques qui nous conduisent droit dans le mur, et pourraient encore tirer parti de cette guerre...

Le second point, c’est une expérience scientifique rapportée par le Journal Of Conflict Resolution dans les années 1980 : un groupe de méditants, en cultivant un sentiment de paix pendant une semaine, a eu un effet mesurable sur le conflit israélo-libanais qui se déroulait alors. Vous trouverez un exposé de cette recherche ici : Des prières à l’effet Maharishi et je tiens l'article du JoCR à la disposition de qui cela intéresse. Comme le fait remarquer Didier Cauwelaert dans « la bienveillance est une arme absolue », où j’ai entendu parler pour la première fois de cette expérience, qui a été confirmée à maintes reprises et de différentes façons, ce qui est complètement fou, c’est que personne parmi nos dirigeants n’en a tiré de conséquence pratique. S'ils ne sont pas capables d'en tirer des conséquences, il faut peut-être que nous nous y mettions, et vite. Individuellement, et ensemble ! »


A ces mots, publiés sur Facebook le 9 mars dernier, j’ajouterai que depuis cette publication, j’ai lu un livre fort intéressant qui amène une perspective bien plus vaste sur ce que nous vivons collectivement. Il s’agit de Noosphère, de Patrice Van Eersel, où celui-ci nous présente les réflexions de Pierre Teilhard de Chardin et de Vladimir Vernadski, deux grands esprits qui étaient convaincus que l’évolution nous emmène nécessairement vers l’émergence d’une conscience collective. Dans ce livre, l’auteur cherche à répondre au désespoir d’un jeune homme qui est convaincu de vivre l'effondrement de notre monde - réchauffement global, dégradation de la biodiversité, pollution généralisée, le tout aggravé par une crise sanitaire mondiale et par la multiplication des guerres et des régimes ultra-autoritaires. Et au fond, ces interrogations nous concernent tou.te.s, tant il semble qu’on nous distrait du vrai problème en agitant les marionnettes militaires sur le devant de la scène : allô, les ami.e.s, on s’en va droit dans le mur climatique ! Et si c’était le seul problème, on pourrait imaginer climatiser la planète, comme le font encore quelques techno-imbéciles… mais nous sommes allègrement en train de franchir tous les seuils qui conduisent à l’effondrement généralisé de notre système.

A cette vision d’horreur qui se dessine devant nous, Teilhard de Chardin et Vernadski proposent une réponse nous laissant envisager que tout cela pourrait amener une conscience collective à émerger, et changer radicalement le paradigme. Ces savant avaient une vision désormais obsolète du progrès : ils croyaient que la science et l’industrialisation amèneraient à la création d’une nouvelle forme de conscience. Certains, qui prolongent cette technophilie, veulent croire que l’Internet est déjà d’une certaine façon une incarnation de cette fameuse Noosphère. Pour ma part, je serai plutôt porté à voir en elle une dimension spirituelle que l’on retrouve de plus en plus dans les cercles qui se constituent partout : cercles de femmes, d’hommes, de méditation, de rêves… et j’oserai rêver pour bientôt de "cercles de paix" (je vous en reparlerai). Une dimension qui est de l’ordre de l’évidence de la Conscience Une dont nous parle le Védanta, qui prend progressivement un peu plus conscience d’Elle-même à travers nous. Dans la perspective de Jung, on pourrait aussi y voir le Soi émergeant de l’Inconscient collectif sous la forme d’un Mariage sacré du Féminin et du Masculin sacrés, comme certaines de ses visions en fin de vie le laissaient entendre. Quoi qu’il en soit, il y a donc là une perspective optimiste qu’il est très important me semble-t-il de considérer à ce point, précisément pour ne pas désespérer et nourrir une vision positive du futur...

Pierre Teilhard de Chardin

La conscience de notre responsabilité éthique dans ce que nous amenons au monde, la prévention de la possession par l'ombre psychologique, la non-violence et la non-résistance au mal par le mal, la méditation qui répand la paix, la perspective de l'émergence d'une conscience collective qui nous amènerait "ailleurs"... nous avons là tout un "arsenal" pour faire face à la crise actuelle. A quoi nous pourrions ajouter la puissance de la bénédiction et du pardon, et aussi la conscience d'une présence souriante qui nous éclaire au travers des rêves et des synchronicités. J’en étais là de mes réflexions quand j’ai été ramené au rêve que je vous partageais en début de cet article. Il faut vous dire que j’ai récupéré il y a peu un grand nombre de cahiers dans lesquels j’ai écrit mes rêves depuis plus de trente ans. Un véritable trésor, d’autant que bien sûr, j’ai oublié la plupart de ces rêves. Et l’autre jour, en rangeant mes cahiers, je suis tombé sur ce rêve qui date d’une dizaine d’années :

Je parle avec un homme que je ne distingue pas. En effet, je suis accroupi devant un brin d’herbe tandis que l’homme est debout à côté de moi, à contre-jour – le soleil brille derrière lui. Je rigole en lui montrant le brin d’herbe qui pousse sur une terre nue et en lui rappelant un proverbe zen bien connu : on n’a jamais aidé un brin d’herbe à pousser en tirant dessus. L’homme rit lui aussi, et me rétorque :

- Tu sais, la force qui fait pousser les brins d’herbes, ce n’est pas le Tout-Puissant. C’est le Tout-Aimant !

Quand j’ai relu ce rêve, j’ai eu un électrochoc. J’ai repensé à mon « Tiers-Aimant », à cet article dont j’avais déjà écrit une première version mais auquel il manquait encore quelque chose. Le Tout-Aimant, bien sûr ! Cela qui aime tout. Comme le soleil qui brille sur tout le monde, les gentils et les méchants, et la pluie qui mouille tout le monde, avec la même générosité. Et j’ai repensé au rêve avec le garçon aux yeux lumineux, alors j’ai envoyé un message à la rêveuse pour lui dire que j’avais peut-être élucidé la nature de la présence qui se symbolise dans son rêve comme un enfant aux yeux pleins d’amour pour ces adultes qui se disputent. Au fond, ces adultes, c’est nous tou.te.s. Ce sont ces gens en guerre, qu’ils soient russes ou ukrainiens, éthiopiens ou tigréens, yéménites d’un bord ou de l’autre, etc. Et le Tiers qui nous contemple et sourit, c’est le Tout-Aimant, qui ne prend pas parti, n’est dans aucun camp, voit la souffrance de tous les protagonistes et les embrasse dans un regard lumineux. Un regard souriant qui les englobe dans leur humanité commune...

La rêveuse m’a répondu qu’elle était parvenue à une conclusion similaire de son côté, que mon propre rêve venait amplifier. Elle avait pour sa part suivi le fil de ses méditations spirituelles qui l’avaient amené à l’idée qu’il fallait redevenir comme de petits enfants pour revenir au centre. Alors, m’a-t-elle dit, et alors, seulement, on peut tous les aimer, aussi malades et fous qu’ils soient à jouer à la guéguerre ! Nous avons ri ensemble autour de l’image de la conscience poussant en nous et dans le monde avec la vaillance d’un brin d’herbe : cela prend du temps… et on ne peut pas l’aider en tirant dessus, mais on peut compter sur la présence du Tout-Aimant qui multiplie les brins d’herbes et les arrose d’amour.


Je n'ai pas de prétention à la vérité car j'endosse les mots de Albert Jacquard qui nous rappelle que : 

« Ceux qui prétendent détenir la vérité sont ceux qui ont abandonné la poursuite du chemin vers elle. La vérité ne se possède pas, elle se cherche. » 

Alors j’espère simplement que ces considérations vous seront utiles et vous feront du bien. Je vous souhaite un beau printemps !

vendredi 21 juillet 2017

Psychanalyser Jung

J’ai lu récemment un livre remarquable, de ceux qui font date dans un cheminement intellectuel. Il s’agit de Psychanalyser Jung, de Pierre Trigano, paru fin 2016. Curieusement, il n’a pas reçu grande audience semble-t-il dans les milieux qui se targuent d’être jungiens. Vous devriez voir mon sourire quand je dis ce « curieusement », car il est, je l’avoue, tout à fait ironique. Le principal tort fait à Jung, mis à part de l’ignorer purement et simplement, consiste en lui dresser une statue et se cacher derrière celle-ci pour recréer une sorte de dogme. Lui-même était conscient du danger que ferait courir à son œuvre l’inévitable entreprise hagiographique de ses  disciples. Il écrivait deux ans avant sa mort à la baronne Von Der Heyt :

« De folles discussions nous font voir ce qu’il adviendra de moi lorsque je serai devenu posthume. Tout ce qui aura été feu et vent dans ma vie sera mis dans l’alcool et changé en préparation morte. Ainsi les dieux sont-ils enterrés dans l’or et le marbre, et les simples mortels comme moi, dans le papier. »

C’est ainsi qu’à chaque fois qu’apparaît une conscience libre, le conscient collectif l’annexe et l’émascule en la déshumanisant. Les saints, n’est-ce pas, sont beaucoup plus inoffensifs que les vrais humains car nous pourrions nous reconnaître dans ces derniers, et en tirer quelque conclusion valable pour nous-mêmes. Cependant, notre tâche plus de 50 ans après la disparition de Jung, si être jungien signifie autre chose que de porter un colifichet intellectuel pour se réfugier dans une nouvelle identité collective, consiste en retrouver et libérer le feu et le vent qui ont traversé sa vie et son œuvre. Mr Trigano s’y était déjà employé de façon brillante dans un premier livre cosigné avec sa conjointe Agnès Vincent : Le sel des rêves, dans lequel ils nous invitaient à revenir à la source vive de la psychologie jungienne. Leur ambition annoncée était alors rien moins alors qu’une « refondation spirituelle de la psychothérapie par une lecture nouvelle de Jung », ce qui a attiré mon attention. Mais avec Psychanalyser Jung, dont il ne nous a livré pour l’instant que le tome 1, c’est la genèse de l’œuvre du grand homme que Pierre Trigano interroge dans ses profondeurs. Et elle y gagne beaucoup car étant mise en perspective, elle y acquiert du relief, et si celui-ci souligne des zones d’ombre, il fait aussi ressortir les sommets lumineux.

Dans son avant-propos, l’auteur nous invite à oser en le lisant une « confrontation psychanalytique du chemin personnel de Jung pour conscientiser son ombre, processus que le maître lui-même n’a pu réaliser pleinement ». Ce faisant, il souligne qu’il était jusque maintenant pour ainsi dire impossible de remettre en question le « vieux sage » de Kusnacht sans pactiser avec les tenants de l’intégrisme rationaliste qui l’accusait d’obscurantisme. Il fallait faire corps avec celui qui a eu l’audace de réintroduire l’âme dans notre civilisation et de ré-ouvrir « la voie qui ré-enchante la vie ». Mais, souligne-t-il, « la fascination que Jung exerce sur ses disciples les alourdit de sa propre ombre et les empêche d’intégrer vraiment cette voie de ré-enchantement qu’il a su pourtant ouvrir pour eux ». Je le dirai plus durement : en entretenant une image sacralisée du maître, les disciples évitent de prendre le risque de l’individuation radicale à laquelle, pourtant, Jung n’a eu de cesse de nous exhorter. Ils oublient que, maintenant que nous ne pouvons plus nous confronter à la réalité vivante de Jung et à son bon rire, nous devons nous expliquer aussi avec l’image que nous nous en faisons, qui est tissée de projections.

C’est une démarche salutaire, que Jung aurait certainement saluée et encouragée. La bonne nouvelle, c’est que le fait même que l’un d’entre nous entreprenne ce déboulonnage signale que nous sommes donc collectivement mûrs pour élaborer une nouvelle vision de Jung et de sa psychologie. Le travail de Mr Trigano est empreint de respect et même d’amour pour Jung. On peut y lire une profonde compassion pour la souffrance qui a motivé la recherche et est à l’origine de l’œuvre. Son approche n’a rien à voir avec l’entreprise de démolition de Richard Noll dans Le Christ aryen, où ce dernier s’est attaché à agiter tous les vieux démons qui ont pu traverser la vie de Jung sans qu’aucun ne l’emporte véritablement, sauf dans la haine que Richard Noll lui voue. Ici, il s’agit, en reprenant l’ensemble des matériaux dont nous disposons, c’est-à-dire en particulier Ma vie et la correspondance, de retracer le parcours du jeune Jung et le développement de sa pensée en lien avec le cours de son existence.

Ce sera peut-être une surprise pour certains : Jung n’est pas issu d’une naissance virginale. Il n’a pas eu la révélation dans son berceau de la psychologie des profondeurs, et elle n’est pas sortie toute armée de pied en cap de sa tête. On savait qu’il y a eu plusieurs Jung : le Jung alchimiste du Mysterium Conjonctionis (1960) n’a que peu à voir avec le Jung de 1925, qui lui-même a rompu  avec le Jung qui cherchait un père en Freud. Sa pensée n’a pas cessé d’évoluer jusqu’à sa mort. C’est un de ses immenses mérites et un exemple que nous serions bien inspirés de suivre au lieu de nous accrocher à des certitudes. On savait aussi qu’il a tenté de répondre à la crise de foi de son père Paul Jung, pasteur en proie à de grands affres car il ne croyait plus à ce qu’il prêchait en chaire, et qu’il a été aidé en cela par la proximité spirituelle de sa mère avec la nature. Mais ce que Mr Trigano met en évidence, c’est que Jung a été, pendant la première partie de sa vie, aux prises avec une sévère dissociation psychique dont il s’est auto-guéri. Ou pour être plus précis, car c’est toute la vertu de Psychanalyser Jung que de mettre ce point en lumière : le Soi a guéri Jung, et c’est de là que ressort son génie.

La dissociation qu’a vécue Jung n’est pas tout à fait une nouveauté, mais seuls les spécialistes bien informés avaient jusque ici l’occasion de se pencher sur ce sujet. En effet, le psychiatre Winnicott a dès 1964 réagi à la parution des mémoires de Jung en publiant une recension[1] dans laquelle il diagnostiquait chez le jeune Jung de 3 ans un effondrement psychotique dû à la dépression de sa mère qui a provoqué une séparation du couple parental. Winnicott, un spécialiste des psychoses infantiles, a trouvé dans Ma vie une image de la schizophrénie infantile. Il n’a pas alors posé ce diagnostic pour diminuer la valeur du travail de Jung, au contraire puisqu’il se dit impressionné par la force de la personnalité de ce dernier qui lui a permis de surmonter la dissociation, et qu’il souligne comment la psychose, si elle est le plus souvent désastreuse, peut être aussi à l’origine de réalisations exceptionnelles. La thèse de Winnicott a été alors mal reçue dans les milieux jungiens car elle venait jeter de l’huile sur le feu de l’animosité régnant entre freudiens et jungiens. Winnicott lui-même reconnait une certaine agressivité dans sa façon de tenter à partir de là de réévaluer de façon réductrice la notion jungienne d’inconscient. Ce qui est fort intéressant cependant, c’est que Winnicott lui-même, à l’occasion de ce travail sur la biographie de Jung, a reçu un grand rêve[2] qu’il dit avoir fait « pour Jung et pour certains de mes patients aussi bien que pour moi-même ».

On ne connaît pas le détail de ce rêve mais Winnicott dit qu’il l’a aidé à « réduire une dissociation » dont lui-même souffrait depuis toujours et que l’analyse ne lui avait pas permis de guérir. Sans en livrer le contenu, il en donne une interprétation détaillée dans une lettre à son ami Fordham au moment où il écrit cet article sur Jung. Ses termes sont saisissants : « Cela m’irait bien que quelqu’un accepte de me fendre le crâne (d’avant en arrière) afin d’en extraire quelque chose (tumeur, abcès, sinus, suppuration) qui s’y trouve et s’y fait sentir juste au centre, derrière la racine du nez ». Winnicott admet sans ambages qu’il y a quelque chose de malade dans sa tête et que cela prendrait une intervention qui tient du chamanisme chirurgical pour l’en délivrer. Il semble que ce soit Jung, c’est-à-dire le Jung auquel Winnicott se confrontait au travers de l’écriture de son compte-rendu, qui lui ait ouvert le crâne et l’ait aidé à faire sortir ce qui était malade. On pourrait dire en souriant que l’arroseur a ainsi été arrosé et qu’on ne peut pas s’attendre à moins quand on se frotte à Jung, qui tenait des anciens chamans. La caractéristique de ces derniers était justement qu’ils étaient ce qu’on appelle des « guérisseurs blessés », c’est-à-dire qu’au cours de leur apprentissage, ils traversaient la maladie et s’en guérissaient, c’est-à-dire en fait qu’ils en étaient guéris par les esprits. Y-a-t-il vraiment une autre façon d’apprendre ce dont il est question ici ?

Pierre Trigano apporte de l’eau à ce moulin, et quelle eau ! Il va beaucoup plus loin en profondeur que Winnicott, et cela sans doute grâce à sa sympathie pour Jung. Il remonte aux origines dramatiques de la dissociation. Il nous entraîne dans une enquête passionnante en revisitant les rêves et les expériences intérieures de Jung jusque, dans ce tome, en 1920. Il démontre que Jung a été victime d’un abus sexuel dans ses jeunes années, très probablement de la part d’un de ses oncles pasteurs. Jung lui-même a évoqué cet inceste dans une lettre qu’il a envoyée à Freud en 1907, dans laquelle il dit : « petit garçon, j’ai succombé à l’attentat homosexuel d’un homme que j’avais auparavant vénéré ». Sa biographe Deirdre Bair a recueilli des témoignages de proches permettant de confirmer l’abus et d’établir la responsabilité de la famille proche. L’établissement de ce fait éclaire d’une lumière crue le grand rêve que Jung a fait vers 3 ou 4 ans et dans lequel il descendait dans les profondeurs pour découvrir un énorme phallus érigé sur un trône d’or. Cette vision cristallisait une violente angoisse allant avec l’idée que ce dernier pourrait à tout moment descendre de son trône et ramper vers lui, angoisse redoublée par la voix de sa mère qu’il entend lui crier : « Oui, regarde-le bien, c’est l’ogre, le mangeur d’hommes ! » avant de se réveiller dans une violente terreur.

Dans son autobiographie, quand Jung raconte ce rêve, il tourne autour du pot. Il avoue s’être demandé a posteriori comment un si petit garçon pouvait avoir une représentation aussi claire et impressionnante d’un phallus en érection. Il semble avoir écarté d’emblée toute interprétation sexuelle pour y voir seulement le début de sa vie spirituelle. Ainsi, ce phallus serait-il selon lui une image archétypale remontant du fond de l’inconscient collectif et il élabore autour de cette notion du phallus rituel, dans lequel il voit « un dieu souterrain qu’il vaut mieux ne pas mentionner. » Il associe cependant cette vision à sa défiance précoce envers le « Seigneur Jésus », dont il dit qu’il n’a jamais été pour lui « tout à fait réel, jamais tout à fait acceptable, jamais tout à fait digne d’amour » car il avait conscience de sa contrepartie souterraine. Sans rien enlever à la dimension archétypale qui transparait au travers de toutes les images et les expériences, on peut voir là le danger de s’en tenir seulement à de telles altitudes devant un rêve. En effet, la façon même dont il n’est pas même fait mention d’une possible interprétation sexuelle pour mieux la réfuter ensuite fait penser à une occultation. Et les associations autour du côté sombre du Seigneur Jésus, quand on les rapproche du traumatisme de la trahison de la confiance mise dans l’oncle pasteur, c’est-à-dire représentant du Christ et néanmoins abuseur, permettent de comprendre quel est ce « dieu souterrain qu’il vaut mieux ne pas mentionner. »

C.G. Jung, Livre Rouge
Nous avons un autre indice important de dissociation psychique dans le jeu que Jung invente vers l’âge de 10 ans en sculptant un petit bonhomme en redingote noire qu’il cache et auquel il confie ses secrets. L’analogie entre le petit bonhomme noir et les pasteurs, qu’il décrit comme « des gens en redingotes noires et aux souliers luisants », est évidente. Au travers de ce jeu symbolique, l’enfant procède à une réduction fantasmatique de son traumatisme qui lui permet de contrôler les angoisses qui le tourmentent. Il commence ainsi à assimiler sur le plan imaginaire la toute-puissance de l’archétype masculin dont il a été victime. Il ne sait pas ce qu’il fait ainsi mais l’inconscient commence à le guider vers une résolution du traumatisme de la même façon qu’on peut observer en laissant des enfants ou des adultes meurtris jouer avec des figurines dans le jeu de sable. Ces différents éléments donnent aussi un sens renouvelé à la vision qui a assailli le jeune Jung quand il a vu Dieu lâcher un énorme étron sur la cathédrale de Bâle. Avant de laisser ce fantasme prendre forme dans son esprit, le collégien qu’il était a vécu un grand conflit psychique qu’il n’a résolu qu’en laissant couler les images en lui. Jung développe à partir de là sa conception de la nature terrifiante de la divinité qui veut le mal autant que le bien, et détruit les églises édifiées à sa gloire. Mais Pierre Trigano montre que plus fondamentalement, Jung commence à partir de là à s’identifier inconsciemment avec un archétype masculin en inflation.

La thèse principale de Psychanalyser Jung est que ce dernier a été en grand danger de succomber à cette inflation du masculin jusqu’à ce qu’émerge la figure du Soi, le guérisseur intérieur qui a rétabli l’ordre dans la psyché de Jung. En élaborant cette thèse, Mr Trigano montre qu’au-delà de l’aspect personnel du vécu de Jung, nous sommes concernés de façon collective par cette inflation de l’archétype masculin, et que son expérience est donc exemplaire, vaut pour nous tous. Dans la vie de Jung, cette inflation du masculin ressort en particulier dans ses relations avec les nombreuses femmes qui l’entouraient. Dans son livre Femmes autour de Jung, Nadia Neri montre que Jung doit beaucoup au Jung Frauen du Club de Psychologie de Zürich. Il aurait tiré nombre de ses concepts les plus remarquables, dont celui d’anima, de ses conversations avec celles-ci sans leur rendre justice publiquement. Mais c’est dans l’intimité de ses démêlés amoureux avec son épouse Emma Jung et sa maitresse Toni Wolff que l’inflation du masculin en Jung est la plus manifeste. D’une part, il apparait que cette inflation l’a conduit à imposer de façon brutale l’existence de Toni dans la maison d’Emma. D’autre part, il ressort que la relation qu’il entretient avec la jeune femme qu’était Toni lorsqu’il l’a rencontrée a un caractère symboliquement incestueux dans laquelle l’abusé qu’il était a pris la posture de l’abuseur.

En en faisant sa « femme-anima », une sorte de déesse qui avait le pouvoir de le faire accéder à l’inconscient, Jung a privé Toni d’une vie de femme différenciée. Elle a certainement trouvé de son côté une compensation narcissique à être « l’enfant préférée du père » au sein du microcosme gravitant autour de lui mais on ne peut éviter de considérer que, dans une certaine toute-puissance, il l’a empêché de connaître d’autres hommes, de se marier et d’avoir des enfants, pour n’exister finalement que pour Jung. Cela est tellement vrai que si cela n’avait tenu qu’à Jung, il semble que toute trace de la vie de Toni Wolff aurait été effectivement effacée : il a détruit toute sa correspondance avec elle et l’a fait effacer de ses mémoires. Sa disparition a cependant été empêchée par les témoignages de nombreuses autres personnes, patients et amis, qui ont côtoyé Mme Wolff. Cette affirmation sur la nature possessive de Jung, dont Mr Trigano se fait le relai, doit être atténuée par le fait que l’on sait désormais qu’Aniéla Jaffé, sa dernière secrétaire, a effacé toute mention d’Emma Jung et de Toni Wolff de Ma vie, à la demande de la famille. Mais la nature inflationniste de la relation ressort en particulier d’une lettre de Jung à Carol Jeffrey dans laquelle il écrit que certaines femmes ne sont pas faites pour avoir des enfants mais pour apporter à l’homme l’inspiration et la renaissance spirituelle. Elles sont ainsi psychologiquement asservies à l’homme, comme une fonction  interne de sa psyché qui font d’elles son objet. C’est ce que Toni Wolff a été pour Jung.

On ne peut balayer ces faits sous le tapis au motif que cela aurait été d’époque toute vouée au patriarcat dominant. Il ne s’agit pas non plus de juger Jung mais il faut examiner quelles ont été les conséquences de cette inflation du masculin dans l’œuvre de Jung. On peut en souligner deux, qui se perpétuent chez nombre de jungiens. La première est une certaine confusion entourant les notions d’anima et d’animus. D’une part, l’anima de l’homme est volontiers glorifiée dans son rôle d’inspiratrice au détriment d’aspects plus prosaïques ou terrestres qui pourtant font tout autant partie de la féminité. Or nous l’avons vu, réduire le féminin à une fonction d’inspiration est une façon de dénier son indépendance de l’homme et sa véritable puissance. D’autre part, le masculin en inflation apparaît être volontiers en conflit avec l’animus de la femme, qu’il diabolise et auquel il reproche de lui disputer la suprématie. Il faut bien dire que les écrits de Jung sur l’animus frisent bien souvent la misogynie, ce dont curieusement les disciples se sont rarement distancés. Marie-Laure Colonna raconte ainsi dans un article[3] comment il sied volontiers dans les milieux intellectuels jungiens, surtout masculins bien sûr, de prêter aux hommes une Muse, mais beaucoup moins de reconnaître aux femmes un Génie. Agnès Vincent a exploré dans L’âme des femmes, un ouvrage collectif de femmes que je présenterai en détail dans un autre article, les voies d’une réhabilitation et d’une réappropriation de l’animus par les femmes.

La seconde conséquence non moins redoutable de l’inflation du masculin chez Jung relève de l’occultation du Soi par le masculin tout-puissant. Pierre Trigano s’appuie sur l’idée, à laquelle je souscris entièrement, qui veut que le Soi, en tant que centre harmonisateur de l’ensemble de la psyché, est la (re)découverte capitale de Jung. Il montre « comment le Soi, avant même que Jung ait pu forger son concept, travaille patiemment (et malgré son moi, pourrions-nous dire) à le guérir d’une grave dissociation. » Au fond, au-delà de l’histoire personnelle de Jung, c’est du Soi et de son œuvre dans la vie de Jung dont il est question dans Psychanalyser Jung. Les trois premiers chapitres du livre nous proposent une synthèse remarquable des idées entourant ce concept limite qu’est le Soi et met en lumière la contradiction de Jung qui serait porté, au moins initialement et comme toute notre civilisation, à assoir le moi sur le trône du Soi. Il nous fournit ainsi un exemple typique de cette inflation à méditer en pointant comment il est de bon ton chez ceux qui croient avoir compris de quoi il s’agit de parler de « mon anima », comme si le moi pouvait s’approprier la féminité intérieure, en faire encore une fois sa chose. Il dénonce ce trait dominant de la culture du développement personnel réduisant l’anima et l’animus à des attributs du moi (« mon » féminin ou mon « masculin ») alors que « le masculin est l’Autre dans l’inconscient de la femme et le féminin, l’Autre dans l’inconscient de l’homme. »

De la même façon , Mr Trigano souligne qu’il est « en fait impropre de parler de "mon Soi" ou de "ton" Soi, car en réalité le Soi est le centre transpersonnel unique qui nous traverse. » Il met à partir de là remarquablement en lumière la relation entre l’inconscient collectif, composé de l’ensemble des archétypes, et le Soi en tant que « centre ordonnateur et régulateur de l’inconscient collectif et de l’inconscient personnel. » Mais il n’est pas rare qu’un archétype tente de prendre le pouvoir au sein de la psyché, et c’est alors que, cet archétype tentant de s’installer à la place centrale du Soi, il entre en inflation comme la grenouille de Mr de Lafontaine qui cherchait à se faire aussi grosse que le bœuf. Le masculin, en tant que puissance d’affirmation tout particulièrement vouée à la recherche de la puissance, tombe facilement dans ce travers. Nous rencontrons tous un reflet de cette situation de désordre intérieur dans la façon dont nos sous-personnalités cherchent tour à tour à s’emparer du micro pour revendiquer d’être la personnalité totale, à être « moi ». Le piège est précisément de nous identifier à l’une ou l’autre de ces figures et de perdre de vue la totalité de ce que nous sommes. C’est ainsi que nous sommes possédés, au sens propre comme figuré, par un archétype qui, subjuguant le moi et le conduisant à se prendre pour le centre de la psyché, usurpe le trône qui revient au Soi. Or ce dernier, nous dit Pierre Trigano en nous en proposant une définition lumineuse, n’est jamais exclusif car il est « le véritable sujet supraconscient de la psyché, réunissant harmonieusement toutes ses figures. »

« Le Soi, « Dieu en nous », est (…) ce centre transcendant de la psyché qui amène au moi ce qu’il est, à savoir le point de vue de la totalité réunifiée  et harmonisée de tous les contraires qui affectent l’expérience humaine. Il est l’instance guide de la réconciliation. Il crée continuellement les symboles qui permettent au moi, pour autant qu’il les reçoive, de s’orienter dans le sens de la résolution de ses dissociations archétypales (…) Nous comprenons que, si le Soi est l’esprit directeur, il ne peut pas être lui-même inconscient, même si le moi n’est pas conscient de lui au départ. Il est la source de conscience transcendante qui procède paradoxalement du cœur même de l’inconscient, du centre vivant de la psyché, source de conscience guérissante à laquelle le moi peut s’ouvrir dans l’analyse, notamment en se penchant sur les symboles des rêves. »

Illustration originale de éphême
Je ne cacherai pas que la lecture de Psychanalyser Jung peut être dérangeante et ne saurait en tous cas laisser indifférent qui s’intéresse de près à Jung. C’est en cela qu’elle est salutaire car elle nous force à retirer nos projections, ce qui n’est jamais agréable, et à faire face à nos propres dissociations dans le miroir qu’elle nous tend. Il faut faire attention en effet dans nos tentatives de psychanalyser Jung, ou qui que ce soit, à distance car finalement, le risque est grand d’une projection dans le diagnostic même que l’on porte sur un être. C’est l’aventure qui est arrivée à Winnicott, qui au détour de son commentaire sur la psychose infantile de Jung s’est trouvé face à sa propre dissociation, et en a eu le crâne métaphoriquement fendu. Jung a souligné comment toute théorie psychologique, a fortiori sur autrui, est en fait « une confession subjective ». Lui-même était bien conscient de sa dualité intérieure, ce qui est un indicateur de bonne santé mentale, et a maintenu clairement que le jeu entre ses personnalités no1 et no2 n’avait rien à voir avec une dissociation au sens médical du terme. Or il se trouve qu’il en savait quelque chose car il a travaillé pendant une dizaine d’années avec des schizophrènes en institution psychiatrique. À plusieurs reprises, il s’est interrogé sur le risque d’être emporté par ses visions et de devenir fou. En cela, il était peut-être plus sain que la plupart d’entre nous.

Mais l’histoire de Jung est aussi la merveilleuse histoire d’une guérison par le Soi, qui peut donner une direction à quiconque se confronte consciemment à ses propres schismes intérieurs. Son génie a été de montrer que notre croissance psychique réclame que nous restions conscients de notre dualité intérieure , Ce n’est qu’en endurant la tension entre les opposés que nous pourrons trouver la voie du milieu et qu’un troisième terme salvateur indépendant de notre volonté pourra surgir. Une des grandes leçons que porte le livre de Pierre Trigano tient dans le fait que ce que la psychologie clinique nomme froidement dissociation est aussi synonyme de proximité avec l’inconscient collectif. Tout à coup, la dichotomie entre la personnalité no 1 du jeune Jung et sa personnalité no 2 qui lui semble sans âge prend tout son sens de proximité de l’âme, avec le danger que cela sous-entend pour l’incarnation sur terre. On retrouve là non seulement quelque chose du destin des chamans initiés par leur confrontation avec la blessure, mais aussi de l’exigence de James Hillman d’arrêter de pathologiser l’âme. Car si le jeune Jung avait été enfermé dans un diagnostic pathologique par un de nos psychologues contemporains, nous n’aurions pas eu de psychologie des profondeurs. On peut se demander si, au travers de nos pathologies mentales, le Soi ne tenterait pas de nous guérir, c’est-à-dire d’amener de nouvelles perspectives créatrices dans un monde profondément dissocié.

Pierre Trigano décèle ainsi tout au long de son livre les contre-tendances guérissantes du Soi à l’œuvre dans les rêves et les expériences de Jung. Par exemple, il souligne comment une tâche vitale de préservation de la conscience lui est assignée dans ce rêve célèbre où il avance avec peine dans une tempête en préservant une petite flamme qui risque de s’éteindre à tout instant tandis qu’il est poursuivi par une immense ombre noire. Le grand mérite de Jung est qu’il n’a jamais laissé s’éteindre la flamme et qu’il a osé la confrontation avec l’inconscient. Le Soi a œuvré de multiples façons pour permettre la guérison. La rencontre avec Freud, qui a été un autre père abusif, a été une occasion manquée. Finalement, c’est au travers de la rencontre intérieure avec Philémon et dans le déploiement de la vision qui lui est échue au travers de l’écriture des Sept Sermons aux morts que le Soi réaffirmera sa prééminence dans la vie de Jung et détrônera le masculin inflationniste. Mr Trigano nous offre une magnifique analyse des Sermons dans cette perspective, et montre que ce texte, au travers duquel le Soi se révèle, est porteur de guérison pour notre civilisation toute entière. En le relisant, je me suis demandé si nous n’aurions pas là toutes les caractéristiques de ce que les anciens appelaient un texte sacré. Il commence avec ces mots qui signent l’entrée dans une nouvelle époque spirituelle :

Les morts s’en revenaient de Jérusalem où ils n’avaient pas trouvé ce qu’ils cherchaient…

En conclusion, Pierre Trigano situe Jung dans ce qu’il appelle le « moment manichéen de l’humanité » et annonce que le tome 2 de Psychanalyser Jung montrera que la difficulté qu’il a rencontré « n’est rien moins que l’écho rapproché de la problématique collective de l’humanité pour intégrer enfin son être authentiquement humain. » Il s’agit de transmuter la dualité en union, et par-là, de naître à notre être humain véritable. Et comme le souligne magnifiquement l’auteur, pour cela, il s’agit moins d’être disciple de Jung que d’être disciple du Soi qui s’est exprimé par Jung et dans sa vie, ainsi que de tant d’autres façons, chez tant d’autres êtres humains. C’est à cette condition première du déboulonnage des idoles que chacun(e) de nous pouvons réaliser dans cette existence l’avènement plein et entier du Soi dont témoignait Osho quand il disait :

« Cela peut arriver ici et maintenant. (…) Cela m’est arrivé, cela peut vous arriver. Si c’est arrivé à un, cela peut arriver à tous. »

[1] D.W. Winnicott, « Memories, dreams, reflections by C.G. Jung », International Journal of Psychoanalysis, 45, 1964, p. 450-455.  Ce compte-rendu a été traduit et publié par Les cahiers jungiens de psychanalyse, numéro 78 (1993) : http://www.cahiers-jungiens.com/articles/document-compte-rendu-de-ma-vie-souvenirs-reves-et-pensees-de-c-g-jung/
[2] Il est question de ce rêve dans les Cahiers jungiens de psychanalyse, numéro 129 (2009). Article ici en accès libre : https://www.cairn.info/revue-cahiers-jungiens-de-psychanalyse-2009-2-page-81.htm

jeudi 21 avril 2016

La pyramide des songes


Marie-Louise Von Franz, dans une conférence intitulée « la réalisation du Soi dans la thérapie individuelle de Carl Jung », publiée dans Psychothérapie, l’expérience du praticien, présente un rêve extraordinaire. Disons que si nous rencontrons parfois des grands rêves contrastant sans rien leur enlever avec nos petits rêves ordinaires, celui-ci est, selon moi, tout simplement énorme. Il se trouve que c’est un rêve à propos de l’interprétation des rêves et du sens profond de ce travail, et comme nul ne saurait apposer un copyright sur un rêve, je crois que celui-ci devrait passer dans le domaine public. Je vous le livre donc, découpé en ses quatre parties pour en faciliter l’absorption, sous forme d’une lecture résumée et commentée de l’article de Mme Von Franz. Le rêve lui-même fait allusion à l’art d’écarter le superflu pour accéder à l’essentiel, et j’espère donc illustrer ce point par ma synthèse mais aussi que celle-ci vous donnera envie de lire la  conférence dans son entier car elle tient du chef d’œuvre alliant pédagogie et profonde perspicacité.

Le rêveur était, à l’époque du rêve, étudiant à l’Institut Carl Jung de Zurich et se préparait à suivre ses premiers patients. Il avait, nous dit Mme Von Franz, « pour trait de caractère sympathique d’être loin de se sentir à la hauteur de la tâche » et il craignait d’être incapable de comprendre les songes de ses analysants. C’est alors que ce rêve lui tomba littéralement dessus. En voici la première partie :

Je suis assis au milieu d’une place carrée, ouverte, au cœur d’une ville ancienne. Un jeune homme qui porte pour seul vêtement un pantalon, me rejoint et s’assied devant moi, les jambes croisées. Il a le torse vigoureux ; une impression de force et de vitalité émane de lui. Le soleil brille dans ses cheveux blonds. Il me fait part de ses rêves ainsi que de son désir que je les lui interprète. Les rêves sont comme une sorte d’étoffe qu’il étale devant moi en les racontant. À chaque fois qu’il raconte un songe, une pierre tombe du ciel et frappe le rêve d’un coup ; cela fait partir des bribes de rêve qui s’envolent. Quand je les prends en main, je me rends compte que c’est du pain. Ces morceaux qui se détachent sous l’impact des pierres font apparaitre une structure interne qui devient peu à peu manifeste dans son ensemble et cette structure ressemble à une sculpture d’art moderne abstrait.

À chaque récit d'un songe une nouvelle pierre s’abat, de sorte que le squelette des songes, fait de vis et d’écrous, prend forme de façon toujours plus distincte. Je dis au jeune homme que cela nous montre comment dépouiller les songes afin d’atteindre les vis et les écrous. Il est également dit que l’art de l’interprétation est de savoir que jeter et que garder, comme dans la vie.

Voilà donc notre rêveur, nous dit Mme Von Franz, aux prises avec son premier patient, en écho à ses interrogations. Elle souligne comment l’image onirique insiste sur la vitalité et l’impression de santé qui se dégagent de lui : il n’a rien d’un malade. Au contraire, sa chevelure blonde est une indication de sa nature de héros solaire, porteur de la lumière nouvelle, et sa vitalité rappelle « qu’en tout patient, aussi malade soit-il, il y a un fond sain d’où surgissent les rêves ».

Le jeune homme blond symbolise le Soi, « cette partie du rêveur jusqu’ici inconnue qui conduira à l’illumination. » C’est le Soi qui demande l’interprétation des rêves. Quand une personne demande l’interprétation de son rêve, il faut traiter sa demande comme étant celle du Soi, qui parle par la bouche de la personne.

Les rêves forment une sorte d’étoffe, c’est-à-dire selon moi que les songes sont comme des fils qui s’entrecroisent jusqu’à dessiner, avec le recul suffisant pour envisager de grandes séries de rêves, un motif ou une figure inattendus. Von Franz souligne que cela fait des rêves quelque chose de substantiel, qui est donc frappé par des pierres venant du ciel – « ce qui figure, d’une certaine façon, l’interprétation. » L’interprétation est une chute de météorites ! Elle explique admirablement la clé de l’art :

« En effet, le rêveur était dans la crainte de ne pas bien savoir interpréter les rêves, mais l’image onirique lui montre que la bonne interprétation « tape dans le mille » sans qu’il soit besoin de la « faire ». Il s’agit en réalité d’un événement psychique. […] Le fait que les pierres tombent du ciel montre que le rêve autant que l’interprétation, l’idée frappante sortent en dernière instance tous deux de l’inconscient, d’une seule et même source, à condition, bien entendu, que l’analysé et le thérapeute s’efforcent ensemble de comprendre le rêve. »

Les morceaux d’étoffe partis en éclat se révèlent être du pain, c’est-à-dire qu’ils sont comestibles, et en termes psychologiques, qu’on peut les intégrer. « En effet, comme nous avons tous pu en faire l’expérience, une interprétation réussie, c’est-à-dire « percutante », à un effet vivifiant sur la conscience et l’alimente comme du bon pain. » Ce pain renvoie aussi à la nourriture céleste dont la prière traditionnelle du Notre Père demande qu’elle soit notre pain quotidien, c’est le pain suprasubstantiel, transcendant.

Ce qui ne peut se manger, être intégré, est ce qui reste du songe : c’est fait d’écrous et de vis qui forment le squelette du rêve, qui ne se révèle que quand on en a ôté la chair, ici le pain. « cette chair doit être ôtée tout comme, dans la vie, il s’agit de dégager l’essentiel, à savoir la structure sous-jacente. » Cette image se révèle particulièrement savoureuse quand on sait que le rêveur était d’origine anglo-saxonne car le rêve lui parlait donc directement des « nuts and bolts » des songes. Les vis et les écrous se combinent pour former des boulons, image où l’on peut voir une analogie sexuelle : « Les boulons réunissent les choses. À chaque fois qu’une interprétation de rêve « porte », il en résulte l’union d’un morceau d’inconscient avec la conscience, ou encore, d’un complexe autonome avec le reste de la personnalité. Nous sommes en présence d’un phénomène sans cesses renouvelé de conjonctions. »

La suite du rêve montre que cette structure prend forme d’une étonnante pyramide :

Puis la scène onirique change : l’adolescent et moi, nous sommes assis face à face sur la rive d’un large fleuve magnifique. Le jeune homme me raconte toujours ses rêves, mais la structure érigée par les vivions oniriques a revêtu une forme nouvelle. Elle n’est plus une pyramide de vis et d’écrous, mais ce sont des milliers de petits carrés et de triangles qui la composent. Cela évoque une peinture du cubiste Braque mais c’est à trois dimensions et surtout c’est vivant. Les couleurs et les nuances des formes carrées et triangulaires changent sans cesse. J’explique qu’il est essentiel pour une personne de maintenir l’équilibre de l’ensemble de la composition ; que pour cela, il faut équilibrer chaque changement de couleur en pratiquant aussitôt un changement correspondant du côté opposé afin de compenser le premier. Cet équilibre dans les couleurs est d’une complexité incroyable du fait que l’objet est à trois dimensions et traversé de changements incessants. Je lève alors le regard vers le somment de la pyramide des songes : là, il n’y a rien. En effet, la pointe maintient à elle seule tout l’ensemble de la structure mais cette pointe est faite d’espace vide. Lorsque je fixe mon regard sur ce point de la pyramide, cet espace vide se met à rayonner d’une lumière blanche.

Pour analyser cette partie du rêve, Mme Von Franz s’arrête sur la signification mythologique de la pyramide, en particulier chez les anciens Égyptiens, où elle avait pour première fonction d’être le tombeau royal des pharaons – « la demeure d’éternité du défunt ». Elle montre comment la pyramide symbolisait alors ce que les alchimistes occidentaux ont appelé « la Pierre des Sages », c’est-à-dire à la fois le noyau immortel de l’âme et le corps de résurrection des défunts.

Cette pyramide n’est plus faite de vis et d’écrous mais de triangles et de carrés de couleur en nombre infini, évoquant directement donc le 3 et le 4 en action, et sans doute par là les jeux du masculin (yang) et du féminin (yin). Les points clés à souligner ici sont que cette structure est vivante, en perpétuel changement et cependant dotée d’un équilibre interne qu’il s’agit de respecter, dans lequel toutes les parties sont interdépendantes, organiquement liées. Pour moi, le jeu des couleurs indique aussi que, au-delà des combinaisons du yang et du yin, cette structure n’est pas régie par la dualité du noir et du blanc. Elle manifeste toutes les couleurs de la vie. « Pour notre part, dit Mme Von Franz, il suffira de retenir la signification psychologique de la pyramide, à savoir qu’elle est un symbole du Soi ».

Elle décrit alors de façon remarquablement synthétique ce qu’elle entend par là, et ce que signifie dès lors « réaliser le Soi », et il en ressort ce qui fait l’intérêt fondamental du travail des rêve, à quoi ça sert ou quel bénéfice on peut en retirer :

« Cela permet de mieux comprendre ce que Jung entendait par le Soi, à savoir qu’il n’est pas le moi, mais une personnalité intérieure plus vaste, éternelle, comme le suggère le symbole. Jung définit aussi le Soi comme la totalité consciente et inconsciente de l’être humain. En tant que virtualité, ce Soi habite en chaque être humain, mais pour le réaliser il faut la compréhension des songes ; à la faveur de cette réalisation, il « s’incarne » pour ainsi dire dans la vie éphémère du moi. Si par exemple j’ai le génie musical de Beethoven sans jamais m’en rendre compte ou me mettre au service de ce talent, celui-ci demeurera inexistant dans la pratique. Il n’y a que le moi conscient qui soit capable de réaliser et d’actualiser le monde psychique. Même cette chose grandiose et divine qu’est le Soi a besoin du moi pour se réaliser. C’est ce qu’on entend par réalisation du Soi. »

Dans le rêve, le Soi est mis en perspective du fleuve de la vie qui coule, ou encore du temps. Selon Mme Von Franz, c’est un stade avancé du travail des rêves qui est évoqué ici : « En effet, si au début chaque interprétation qui porte déclenche une illumination, à présent tout entre dans un contact plus étroit avec le flot de la vie. Dès lors, on ne se borne plus à comprendre des songes isolés, mais on vit en leur compagnie. »

« La scène change encore : la pyramide subsiste, mais à présent elle consiste en matière fécale solide. La pointe émet toujours son rayonnement. Je réalise que le sommet invisible est comme révélé par la boue solidifiée et qu’inversement, cette dernière est rendue visible par la lumière de la pointe invisible. Du regard, je pénètre jusque dans les profondeurs de la matière fécale et je comprends que je contemple la main de Dieu. Grâce à une illumination soudaine, je sais quelle est la cause de l’invisibilité de la pointe : c’est qu’elle est la face de Dieu.

À la fin du second segment, le rêveur se rendait compte que la clé de voûte de la pyramide, qui tient toute la structure ensemble, est faite d’espace vide. Par la suite, il devient clair qu’il en est ainsi parce que le sommet de la pyramide est la face de Dieu, et le rêveur distingue la main de Dieu agissante dans la matière fécale en constituant la base. En contemplant le vide, le rêveur en voit rayonner une lumière blanche qui évoque l’expérience du satori, où la vacuité, loin d’être un « néant » négatif, se révèle receler une lumière créatrice, une capacité d’illumination.

Pour l’explication de la suite, je reproduis intégralement le commentaire de Mme Von Franz : « La troisième partie du songe s’ouvre sur un soudain revirement qu’on désigne aussi du terme d’énantiodromie : à présent, la belle pyramide se compose de matière fécale, de m…. solidifiée. Cette matière vile rend visible le point d’illumination, contenu dans la vacuité, comme cette dernière permet de voir les excréments. Or les alchimistes de l’Antiquité et du Moyen Âge n’ont jamais cessé de rappeler, en effet, que la Pierre des Sages se trouve dans le fumier (« in stercore invenitur »), où les hommes profanes la foulent au pied sans lui prêter la moindre attention. De nos jours, les rationalistes, toujours nombreux, cultivent de même l’opinion que les rêves sont de la m…., c’est-à-dire de vulgaires fantasmes de nature anale ou génitale. Il est vrai que ce qu’entend un analyste durant sa journée à son cabinet n’est guère édifiant : cela va des chamailleries matrimoniales, des intrigues dictées par l’envie ou la jalousie, du sursaut soudain de ressentiments refoulés jusqu’aux difficultés pécuniaires et à l’inénarrable « et alors il m’a dit – et je lui ai dit ». En bref, de l’horrible m…. dans laquelle les patients et nous, les analystes, pataugeons de concert. Mais si on consent à la regarder de près, on pourra déceler la main de Dieu dans cet amas confus. »

J’ajouterai en riant qu’on n’a pas besoin d’être analyste pour nager dans cette matière première, la fameuse materia prima des alchimistes que tous méprisent sans savoir qu’elle recèle le trésor. Avant de s’occuper de la m…. des autres, il faut commencer par aller voir ce qu’il y a dans la nôtre. Il s’agit donc de donner une attention scrupuleuse, pour ainsi dire religieuse, à nos sentiments négatifs, nos humeurs noires et nos détestations, nos souffrances, nos résistances à la vie, nos peurs et nos dépressions – non pour nous y complaire ou les jeter à la face des autres, ce qui est en faire un mauvaise usage, mais pour les « ravaler », c’est-à-dire les ramener à l’intérieur et en examiner le sens intime. Pour dégager le diamant de sa gangue, il ne faut pas hésiter à plonger nos mains, et parfois plus, dans la boue…

Mme Von Franz poursuit :

« Ce fut sans doute l’aspect le plus important de l’art de Jung : il était capable d’écouter ce genre de boue avec un détachement rare pour soudain relever d’un geste ou d’une parole « la main de Dieu » manifeste dans tout cela, d’en déceler donc le sens profond grâce auquel son interlocuteur pouvait à nouveau endurer ses misères. Sa perspicacité tenait au fait que son intérêt portait moins sur les raisons ou la genèse d’un symptôme névrotique particulier au cours de l’histoire personnelle que sur la recherche d’un but, du telos, d’une intention cachée sous le symptôme. Jung cherchait le sens de ce qui arrivait. La question posée était donc : « Quel est l’intention secrète qui m’a conduit dans ce bourbier ? ». C’est à partir de cette interrogation que le sommet de la pyramide devient visible, la pointe que les anciens Égyptiens construisaient de façon que le premier rayon du soleil levant vienne se poser sur elle. En Orient et plus particulièrement en Perse, l’oriens, le soleil levant est encore de nos jours le symbole de l’instant crucial de l’illumination mystique apportant la connaissance de Dieu et marquant l’union avec Lui. »

Nous sommes loin ici des visions romantiques de la réalisation de Soi et de l’Union mystique. Il s’agit moins de voir les cieux s’ouvrir en gloire avec les trompettes des Anges saluant notre triomphe au jeu de la vie pour nous inviter à changer de niveau que d’assister à la réunion en nous du Ciel et de la Terre, c’est-à-dire de l’Illimité en nous et de la boue dans laquelle nous pataugeons, terre mêlée d’eau. Cette union se produit quand ce qui nous semble le plus vil et le plus détestable dans nos vies prend enfin sens – et avec son sens, toute sa valeur… qui est celle, inestimable, de l’Or philosophique.

Par respect pour ce rêve ainsi que pour le travail de Mme Von Franz et de ses éditeurs, et aussi pour vous inviter à aller lire l’article dont il est question et à proposer vos propres interprétations, je vous livre enfin ici la quatrième partie du rêve sans le commentaire qu’elle en a donné :

Le décor du songe se transforme encore : Mademoiselle Von Franz et moi, nous déambulons le long d’un fleuve. Elle dit en riant : « j’ai soixante et un ans et non seize, mais si l’on additionne l’une ou l’autre des deux chiffres, on obtient sept. »

Il vous suffira, pour comprendre cette petite énigme, que Mme Von Franz était l’analyste du rêveur et que le chiffre 7, qui réunit le 3 et le 4, est symboliquement lié à l’évolution et au développement. Mme Von Franz avait effectivement 61 ans à l’époque de ce rêve tandis que le rêveur se trouvait au milieu de la vie, à mi-chemin entre les deux extrêmes évoqués par cette dernière partie du rêve.