Cela fait longtemps que je n’ai rien publié dans ce blogue. Différentes raisons m’en ont tenu éloigné mais vous ne perdez rien pour attendre : je travaille sur différents sujets que je vous partagerai dans les prochains mois. Cependant, me voici astreint à sortir de ma torpeur estivale pour vous parler d’un bel événement. Il s’agit de la parution ces derniers jours d’un roman que j’attendais avec impatience :
M
Voyages, Dieux & Rêves
En voici le quatrième de couverture :
Licenciée d’un grand tour-opérateur, Jeanne, la cinquantaine passablement déprimée, embarque pour un voyage organisé dans « l’île la plus proche du paradis ». Est-ce le fait de se retrouver aux antipodes — littéralement sens dessus dessous — qui la propulse sur les chemins du Rêve ? De l’île de Laaï au bassin de la Villette, M. est le récit d’un parcours initiatique. Dans ce roman, les synchronicités ressemblent à des panneaux indicateurs, le temps et l’espace sont des jeux et les rêves sont plus tangibles que la réalité ordinaire. Au secours d’une femme et d’un monde en grave danger d’effondrement, deux vieux kanak, trois Dieux Yoruba, une cubaine au somptueux postérieur, un journaliste anarchiste, un médecin béninois. Sans oublier l’énigmatique M., toujours un Coiba Lanceros aux lèvres et un sourire en coin…
A la manœuvre : une conteuse, une illustratrice, un onirologue : trois voyageurs-passeurs de l’Imaginaire pour concevoir cet ouvrage, qui invite le lecteur à devenir lui aussi explorateur des mondes visibles et invisibles. Dans l’univers de ces trois-là, le merveilleux est incroyablement vivant, et les dieux n’ont jamais cessé de marcher, de danser, de rire. Ils nous y convient joyeusement : comment résister ?
L’autrice, Anne-Gaël Gauducheau, est une grande rêveuse. C’est aussi une artiste conteuse remarquable, qui dirige la compagnie de la Lune Rousse (https://www.lalunerousse.fr), et autrice de textes-à-dire, podcasteuse, formatrice et créatrice du premier festival de conte nantais. Elle se présente elle-même comme :
Raconteuse d’histoires, Pêcheuse de récits, Harponneuse d’intuitions, Voyageuse d’imaginaire, Cartographe de rêves, Consultante de cancans, Chercheuse de rumeurs, Assaisonneuse de faux, Traductrice de vrai, Nettoyeuse de symboles, Défricheuse de légendes, Aiguilleuse de racontars, Chroniqueuse d’épopées, Observatrice de mythes, Envoyée spéciale d’incroyable, Enquêtrice de poésie, Chanteuse d’histoires louches, Spécialiste en vérités vraies, Capteuse d’idées sauvages, Docteur es-langues (actuelles, oubliées, inventées), Goûteuse-testeuse de trésors oralo-littéraires, Diseuse de mésaventures, Dompteuse d’imaginaire privé & collectif, Cuisinière de sensations fortes, Fileuse de mensonges, Chirurgienne de chemins oubliés, Trafiquante de fables anciennes, Eleveuse de comptines, Navigatrice d'Imaginal....
Si vous voulez en savoir plus sur son compte, je vous invite à visiter son site : https://www.anne-gaelgauducheau.com
L’écriture d’Anne-Gaël est soutenue par les magnifiques illustrations de sa complice Soline Garry (http://www.solinegarry.com), une grande artiste dont le travail gagne a être connu. Ses illustrations ajoutent encore une dimension de profondeur au récit, en ouvrant des fenêtres sur un monde mystérieux, incroyablement vivant.
Attention ! Ce roman est dangereux. Il pourrait vous émerveiller, c’est le moindre des effets secondaires que pourrait vous procurer sa lecture... Et il pourrait même susciter des rêves étranges, vous inviter à votre tour dans un voyage aux confins du monde imaginal, vous amener à rencontrer des dieux et déesses se promenant anonymement dans notre monde apparemment désenchanté...
Qu’on en juge ! Avec la permission d’Anne-Gaël et de Soline, je vous partage ci-dessous un des rêves qui tissent la trame de ce roman qu’un analyste jungien qualifiait de « baroque », ainsi que l’illustration qui accompagne ce rêve. Le récit s’articule en effet autour d’une vingtaine de rêves qui sont enfilés comme des perles lumineuses sur le fil de l’histoire. Vous pourriez être surpris.e par la puissance des images évoquées dans ces rêves, leur qualité pour ainsi dire archétypique, et peut-être même vous demander si ce sont de vrais rêves, ou des inventions littéraires. Et bien je peux témoigner, pour les avoir entendus longtemps avant la rédaction de M, et en avoir entendu d’autres… que ce sont des rêves authentiques et d’autant plus intéressants à entendre. D’une certaine façon, ce sont ces rêves qui ont guidé la plume d’Anne-Gaël et qui écrit l’histoire qui les présente, qui leur offre un écrin...
J’apparais pour ma part dans cette histoire comme un personnage onirologue, ce qui me donne l’occasion de rencontrer ces rêves et de partager un bon moment avec eux.
Mais voici donc le rêve, intitulé « C’est la beauté qui ouvre », que je vous propose ici sans aucune interprétation – il se suffit à lui-même. Il se trouve cependant qu’il pourrait avoir une certaine actualité, que je vous invite à méditer. J'insiste : c'est un vrai rêve... au sens d'un rêve qui a bien été rêvé, et qui nous porte une leçon d'une valeur inestimable. Si vous ne deviez en lire qu'un, que ce soit celui-là :
Un wagon de fer, arrêté depuis plus de 70 ans.
Dans mon rêve, je sais que c’est un wagon qui allait vers un des camps de la mort.
Il est figé là depuis tout ce temps. C’est étrange, je me dis : pas de lierre ou de hautes herbes, pas de ronces : il est intact. On dirait simplement que les arbres, sur le côté gauche, se sont rapprochés ; de petits arbres vigoureux mais assez frêles : noisetiers, prunelliers…
On dirait qu’il se sont approchés par compassion.
Bon. Je fais le tour du wagon en esprit : dessus, côtés... je fais sauter le verrou et coulisser la porte, côté droit du wagon, avec une certaine appréhension : il doit y avoir des morts, là-dedans.
Il ne reste plus que des ossements. Même les tissus des habits (en avaient-ils ?) ont disparu.
Mais ce qui est étrange, c’est que ces ossements forment un monticule en face de moi, comme si tous ces gens, à un moment, s’étaient massés sur la longueur gauche du wagon.
Pourquoi ça ?
Je pense que si, enfermée dans un wagon, j’avais eu la certitude que je vais mourir, je me serais précipitée vers la porte pour tenter, dans un dernier réflexe de survie, de l’ouvrir !
Alors pourquoi se précipiter à l’inverse ?
J’ai à ce moment-là l’idée que je peux remonter le temps en pensée.
En pensée, je fais tournoyer comme un lasso, un fil de lumière dans le sens contraire des aiguilles d’une montre et de bas en haut, tout autour du wagon.
Au fur et à mesure que je fais, ça, le wagon, comme encerclé de lumière, remonte le temps.
Le wagon ne change presque pas, les arbres reculent seulement un peu, et plus ça va, plus j’ai peur de me retrouver bientôt dans une scène apocalyptique….
En fait, non : le rêve est sympa avec moi. Je vois maintenant des gens habillés, des hommes, des femmes, des enfants, groupés en effet vers la paroi en face de moi et même un peu les uns sur les autres, mais c’est une image arrêtée, comme une photo, en noir et blanc. Pas de sons, pas de mouvements. Ouf.
Apparaît une femme, à ma gauche. Professeure d’université, elle a une quarantaine, avec les cheveux noués en tresse. Elle, elle est en couleur et elle bouge. Elle semble là pour servir de traductrice, pour me raconter leur tentative : « quand ils ont balancé des gaz d’échappement dans le wagon, quand on a su qu’on allait mourir asphyxiés, là, au milieu de nulle part, on a voulu laisser quelque chose de nous, pour quelqu’un.
Il n’y avait personne à qui s’adresser, que la forêt, les arbres. De ce côté il y avait la forêt, alors on l’a appelée, de toute notre âme, pour lui laisser « quelque chose » : une trace, une impression, une projection de ce qu’avait été chacun d’entre nous : notre vie, nos joies, nos peines. »
En l’écoutant, je pense que c’est un fait : « quelque chose » est resté, que je capte maintenant :
Je vois défiler de petits fragments de vie des uns et des autres : un appartement, une rue, un manteau chaud, une salle de classe, les rayonnages d’une bibliothèque, un conservatoire de musique, un magasin…
Je demande à la femme si elle veut que nous échangions quelque chose.
Moi, ce que je peux lui donner, c’est l’assurance que leur tentative a été un succès, puisque je suis là et que j’accuse réception du message.
Elle sourit et me dit que ce qu’elle peut me donner (à moi et à ceux de mon époque) c’est la même chose : puisqu’on peut envoyer de tels messages et les recevoir, il faut le faire savoir !
Elle ajoute qu’elle a –qu’ils ont- un autre cadeau.
Et là…j’entends un chant.
C’est une petite fille qui chante. Chanteuse, dans sa vie d’avant sans doute ; soliste.
Elle chante, et tandis qu’elle chante, l’image change : je vois tous ces gens, en couleurs cette fois, assis en cercle dans le wagon.
Quelqu’un avait dans ses poches un morceau de bougie, quelqu’un du feu, alors ils ont allumé une bougie au centre de leur cercle et écouté la petite fille chanter.
Sans plus d’angoisse, sans plus de vouloir vivre ou mourir, juste la volonté ferme et tranquille de faire communauté et de sacraliser ce moment.
Je suis subjuguée, stupéfaite.
Je m’exclame :
-Mais… C’est tout bonnement incroyable ! Dans ce camion de la mort, vous avez à un moment réellement fait ça ? Plutôt que de hurler, vous jeter contre les parois, pleurer, vous tordre les mains, vous êtes assis en cercle et vous êtes recueillis en écoutant ce chant ? Avant de laisser votre trace, vous avez fait ça ?
-Oui, c’était avant même d’avoir l’idée de laisser une trace. Nous avons…
A ce moment-là, elle et moi sommes saisies par une évidence, comme un coup de tonnerre : c’est ÇA, le principe actif ! C’est ÇA, qui a fait que leur message est passé !
Tout mon corps est saisi de picotements, comme un souffle à mettre debout tous les poils du corps…Devant nous, le chant se matérialise : un tourbillon montant à la verticale, une énergie qui ouvre le passage.
Ce chant a ouvert l’espace-temps. Cette intention tranquille et sacrée, cette beauté ont fait le chemin et rendu possible ce qui a suivi, et l’empreinte laissée.
Nous nous regardons et sommes toutes deux très émues : LA BEAUTÉ OUVRE !
Je me réveille, pour être sûre de garder ça en mémoire. Je veux prendre des notes.
Puis je réalise que je n’ai pas dit au revoir à ces gens.
Alors j’y retourne.
Je dis : je vous bénis, vous tous, qui avez su créer ce moment-là.
Et tandis que je regarde chaque être, chaque chose : wagon, femmes, hommes, enfants, arbres et que je les bénis, chacun à son tour dégage un rayonnement d’énergie lumineuse, blanc-dorée, et disparaît.
- « Ils s’en vont », je pense. Je ris et je pleure à la fois.
Vous pouvez vous le procurer dans toutes les bonnes librairies. Nous vous invitons à faire travailler tous les acteurs du livre...
Je vous souhaite un bel été, riche en rêves !
Ce qui est fascinant ici, c’est que le Ça se révèle créateur et que ce rêve dépasse le Ça négatif. D'ailleurs au moment de la révélation Ça pique...
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