mardi 22 septembre 2020

Le cadeau

Paule Lebrun, in loving memory

Dans les mois précédant son décès, Paule Lebrun m’a demandé de mettre en place une école de mystère au sein de l’organisme qu’elle avait créé, Ho Rites de Passage. Dans l’esprit de Paule, du moins tel que j’ai compris sa demande, il s’agissait de compléter la formation en pratiques rituelles qu’elle avait mise en place par une autre formation qui donnerait accès à ce dont le travail rituel n’est que la couverture extérieure. Nous l’envisagions comme une sorte de « maîtrise » qui serait proposée aux étudiants ayant fait le premier niveau de formation. J’ai alors intensément réfléchi à sa demande, m’interrogeant sur ce que pourrait être une école de mystère contemporaine, et j’ai formulé une proposition en l’étayant avec un texte intitulé « Fondements pour une école de mystère» que je vais rendre disponible dans un prochain article (mais si vous êtes pressés, vous pouvez le lire ici : fondements). Mais, pour différentes raisons circonstancielles, et tout simplement parce que ni les temps, ni moi-même, n’étions mûrs pour porter une telle proposition, celle-ci n’a pas abouti.

J’ai discuté de ce projet avec différentes personnes, et j’ai retenu en particulier l’avis d’une de mes enseignantes, qui animait elle-même une retraite méditative dont la pratique pointe directement vers le mystère dont il est question ici. Elle m’invitait à prendre garde à ne pas me charger de l’héritage de l’inaccompli dans la vie d’une personne qui s’apprêtait à partir, aussi chère me soit-elle, car cela pourrait être de nature à m’empêcher de vivre ma vie. Alors, je suis allé vivre celle-ci…

Mais voilà que quelques années après le décès de Paule et mon retour en Europe, qui ont été concomitants, la question de la transmission m’a rattrapé. Plusieurs personnes m’ont demandé au début de 2020 quand je mettrai en place une formation pour transmettre les techniques de travail avec les rêves que j’ai apprises et élaborées. Une amie chère m’a proposé comme objectif commun la mise en place d’une école de mystère dans la prochaine décennie. Un autre ami, parmi les personnes les plus qualifiées que je connaisse peut-être pour enseigner l’approche des mystères, m’a invité à réfléchir avec lui à la mise en place d’une telle école. Je me suis senti gentiment cerné, et ce d’autant plus qu’au cours du confinement, j’ai eu le temps de rêver et d’imaginer quelle forme cette aventure pourrait prendre. J’ai commencé à en poser quelques jalons, ne serait-ce que dans le monde imaginal, mais il demeurait un certain nombre de questions avec lesquelles je suis allé marcher en montagne cet été. Ce sont ces questions, et les réponses qui ont commencé à en émerger comme le papillon du cocon, que je veux vous partager ici.


Stèle des Mystères d'Eleusis

Tout d’abord, il convient de préciser de quoi nous parlons quand il est question d’école de mystère. Disons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’une école, du moins tel qu’on l’entend habituellement, avec un cursus, des matières obligatoires et d’autres optionnelles, des examens et une diplomation. Ce n’est rien qui ressemble à une université, ou un lieu où est transmis un savoir que l’on peut mettre en mots, dans un livre ou dans un cours. C’est pour cela qu’on parle de mystère. La définition lapidaire que j’avais formulée en réponse à la demande de Paule, c’est qu’une école de mystère est une école dont le but est d’initier au Mystère d’Être. Je ne développerai pas cette idée pour l’instant, me contentant simplement dans l’immédiat de faire remarquer qu’il est question d’initiation – j’y reviendrai plus loin. Je poursuivais la réflexion en disant :

« Le modèle archétypique de la démarche initiatique de l’École de Mystère est donné dans notre culture par la célébration du Mystère d’Éleusis. Il s’agit d’une descente dans les profondeurs obscures où l’initié(e) meure littéralement à son ancienne personnalité au contact de Perséphone pour renaître au lever du soleil avec un épi de blé symbolisant son alliance renouvelée avec Déméter, et sa connaissance de l’Éternité vivante. À la différence des écoles initiatiques ésotériques qui mettent l’accent sur la discipline et l’effort, le Mystère a une dimension proprement féminine qui préside au mystère de la mort et de la (re)naissance, symbolisée ici par la Reine des Enfers et la Terre Mère. »

Parmi les images archétypiques qui évoquent cette initiation, il y a aussi celle de la crucifixion qui permet à l’initié(e) de triompher de la mort, et celle du démembrement dont émerge, renouvelé, un chaman. Jung a beaucoup élaboré autour de la crucifixion comme symbole de l’identification aux opposés dont émerge la totalité que nous appelons le Soi. Le démembrement est une image typique des cultures chamaniques, symbole du démantèlement de l’ancienne personnalité dont émerge une nouvelle relation à la réalité. Il n’y a que les ignorants pour dresser des murs entre ces différentes façons de parler du mystère de la transformation de l’être humain, d’une conscience restreinte au petit « moi » à une conscience plus vaste, embrassant le Soi.

Un dénominateur commun à ces approches du mystère est qu’il est toujours question de la mort, ne serait-ce que symbolique, comme porte d’entrée d’une immensité océanique. Tant qu’on veut croire que la Lumière est seulement douce et gentille, prodigue seulement en caresses, on n’est pas prêt(e) à risquer cette aventure car on veut rester en enfance, on attend du Divin qu’il se comporte comme un bon père ou une bonne mère. Or la Lumière tue et vivifie, disaient déjà les anciens alchimistes, soulignant par-là la nature paradoxale du processus. Celui-ci n’est pas sans rappeler la mise à mort de la chenille par les « cellules imaginatives » qui constitueront le papillon, et se nourrissent du cadavre de cette dernière. Il n’y a rien de romantique là. On voit régulièrement de telles images, par exemple de démembrement, resurgir dans les rêves de personnes qui ignorent tout de ces processus de mort-renaissance. On retrouve là ce qu’écrivait Joseph Campbell :

« Pour finir, il faut que vienne le psychanalyste qui réaffirmera la sagesse éprouvée des anciens enseignements prospectifs que dispensaient les danseurs masqués exorciseurs et les sorciers guérisseurs. Nous découvrons alors que l’ancien symbolisme initiatique est créé spontanément par le patient lui-même au moment où il le permet. Apparemment, ces images ont quelque chose de si nécessaire à la psyché que si le monde extérieur ne les apporte pas, par l’entremise du mythe et du rituel, il faut qu’elles soient retrouvées au travers du rêve, de l’intérieur, faute de quoi nos énergies resteraient enfermées dans une banale et anachronique chambre d’enfant au profond de la mère ».


Osho

Dans l’esprit de Paule Lebrun, l’école de mystère était centrée sur un maître, à l’image de ce qu’elle avait connu en Inde auprès d’Osho. Mais pour ma part, je crois que ce modèle est révolu et qu’il s’agit de développer désormais une nouvelle pédagogie du mystère, qui reste à inventer. Celle-ci doit tenir compte de l’exigence d’individuation qui fait que chaque chemin est strictement unique, et de la nécessité de l’émergence d’une nouvelle conscience collective qui caractérise l’Ère du Verseau. Mais surtout, elle doit s’ancrer dans le fait que c’est le Mystère lui-même, ou en termes jungiens le Soi, qui initie l’impétrant de l’intérieur…

Ce sont là à peu près les éléments de base avec lesquels je suis parti marcher dans la montagne pour explorer quelques questions qui me taraudaient. La première se formulait ainsi :

Que transmettre ?

C’est-à-dire d’abord : qu’ai-je reçu, qui vaille la peine d’être transmis ?

La réponse, après avoir bien transpiré en grimpant sur quelques sommets ensoleillés, est devenue évidente. D’abord disons-le : je ne suis pas intéressé à transmettre des techniques, des méthodes qui ne font jamais que dessécher le sujet, ni même des théories, un prétendu savoir qui n’épuise jamais, précisément, le mystère. Pour cela, il y a des livres que les étudiants peuvent lire, et quantité d’enseignants, d’écoles, qui étanchent la soif d’informations mais ne donnent pas à boire de cette eau qui, quand on la boit, ôte toute soif. Au fond, la seule chose qui vaille d’être transmise, c’est ce que Paule appelait le Cadeau. Elle l’avait reçu d’Osho, et pour ma part, je l’ai reçu de Paule, mais aussi de ses complices Ma Premo et Chandra Kala... et surtout de Richard Moss, que je considère comme mon maître spirituel. Lui-même l’a reçu d’un papillon noir...

Qu’est-ce que le Cadeau ?

C’est difficile à dire. Vaut pour le Cadeau, comme pour toutes les réalités existentielles importantes comme l’amour, la vie, etc... ce que Saint-Augustin disait du temps : « tant que l’on ne m’interroge pas sur ce qu’est le temps, je sais très bien ce que c’est, mais si l’on m’interroge, je ne le sais plus. »

Le cadeau est insaisissable par le mental. Mais essayons tout de même d’en dire quelque chose. D’abord, remarquons la dimension de gratuité qui est attachée à la notion de cadeau. Cela ne s’achète pas, un cadeau. C’est un don. On ne peut pas dire ce qu’est le Cadeau mais on peut en décrire les effets : une liberté, une joie, une paix intérieure avec ce qui est, ce qui a été, ce qui sera…

Une unité intérieure.

Une connexion à l’essentiel, à la dimension créatrice de l’Être, à l’Ouvert…

L’Évangile de Thomas dit merveilleusement de quoi il est question :

« S’ils vous demandent : quel est le signe du Père qui est en vous ? Dites-leur : c’est un mouvement et un repos. »


Un mouvement et un repos...

Yvan Amar a fort bien éclairé ce sujet en montrant que ce qu’on appelle communément les Dix Commandements ne sont des commandements que pour l’esprit qui veut être commandé, mais pour les esprits libres, ce sont des indicateurs qui peuvent se comprendre ainsi, dans ma formulation :

Quand on a reçu le Cadeau, on aime l’Éternel, son Dieu, que l’on reconnaît dans tous les dieux. On honore ses parents, quoi qu’ils aient fait, qui qu’ils aient été. On ne vole plus car nul ne peut rien s’approprier. On ne tue pas car la vie est sacrée. On ne convoite pas la femme de son voisin car on est un avec son voisin, et avec sa femme... Etc.

Voilà ce qu’en disait Paule dans une interview donné au magazine Vivre :

« J’ai actuellement un sentiment d’achèvement. Je me suis inscrite dans plus grand que moi et c’est dans ce plus grand que moi que j’ai trouvé une force. Ce changement de perception m’a amené beaucoup de joie. »

« J’ai été quelques années en Inde dans une école de mystère qui a chambardé ma conception de l’existence, m’a mise au monde une seconde fois et a allumé une flamme dans mon cœur. J’y ai reçu un grand cadeau que je formulerais ainsi :

La vie n’est pas un problème à résoudre mais un mystère à vivre.

Mine de rien, on se retrouve devant un changement radical de perspectives, surtout pour moi qui venait du monde de la psychologie. J’ai pour ainsi dire basculé personnellement dans ce paradigme là. J’avance dans ce mystère. »

Paule formule ici deux éléments importants qui permettent de mieux saisir la nature du Cadeau.

Elle évoque l’inscription dans plus grand que soi, et par là ce qui constitue sans doute notre plus grand besoin existentiel. C’est l’inscription dans plus grand que soi qui donne un sens à l’existence – un sens qui ne tient pas dans une explication de l’existence, qui demeure un mystère, mais comme le disait Jung, dans la conscience qu’a la main d’être reliée au corps. Par cette inscription dans plus grand que soi, la séparation est abolie car la main sait bien qu’elle n’est rien si elle s’imagine coupée du corps. Avec la fin de la séparation vient la fin du conflit permanent avec soi-même et le monde, ainsi que la réconciliation avec ce qui est, avec notre destinée – quelle qu’elle soit.

C’est la seule guérison véritable.

Et puis elle souligne qu’il s’agit d’une seconde naissance. Ce qui n’est pas sans évoquer en filigrane que pour renaître, il a fallu mourir – l’ancienne personnalité accrochée à ses breloques a du mourir. Un des signes les plus certains de ce qu’on a reçu le Cadeau est d’ailleurs dans la façon de mourir, quand la mort physique se présente. Tous ceux qui ont côtoyé Paule dans sa dernière année de vie peuvent en témoigner : elle marchait son enseignement. Elle savait intimement qu’elle était autre chose que ce corps physique en train de mourir, et sa liberté nous irradiait…

On pourrait dire enfin du Cadeau, en jouant avec les mots, que c’est le Présent. Un présent, c’est en effet un cadeau, mais le présent, c’est tout ce que nous avons en réalité. C’est ce qui est. Quand on a reçu le Cadeau, on ne chiale plus sur les circonstances de l’existence car tout, finalement, fait partie du Cadeau. On est en accord intime avec soi-même, avec la Vie, parce qu’il est évident que nous ne sommes autres que la Vie, ou pour le dire autrement, que la Vie nous est – et que cette forme que la Vie adopte en nous, dans l’instant présent, n’est que temporaire, se dissoudra… mais la Vie continuera.

Toutes ces considérations peuvent sembler bien abstraites à qui les examine sans les vivre, et c’est ce qui, marchant dans la montagne, m’a obligé à faire un pas de plus dans la direction de la transmission à laquelle m’invitait Paule. Tout d’abord, je me dois de revendiquer d’avoir reçu le Cadeau. C’est une responsabilité à laquelle je ne peux me dérober. Responsabilité envers Paule…

Un rêve, récemment, me pointait cette nécessité. Dans celui-ci, j’étais dans la mer tout habillé au milieu d’autres gens, eux aussi habillés, et je parlais avec Marie-Lise Labonté. Outre que son nom évoque la bonté qui est au cœur de toute chose, ce qui fait que la vie est bonne... il faut vous dire que mon mentor de rêves, Nicolas Bornemisza, et Marie-Lise travaillent ensemble de longue date et ont élaboré ensemble une méthode de guérison par le travail avec les images intérieures. Marie-Lise représente donc pour moi le féminin, de nature très spirituelle, de ce travail avec les profondeurs auxquels introduisent les rêves, et elle y ajoute d’ailleurs la dimension du corps et une remarquable intuition. Or elle me disait dans le rêve qu’elle avait décidé de dissiper le flou qui entourait son travail, ce qui me réjouissait grandement. En méditant ce rêve, j’ai bien compris que l’anima me faisait obligation de dissiper le flou dans lequel moi-même je dissimule la nature spirituelle de mon travail. J’étais au beau milieu d’un stage intensif dans lequel j’assemblais toutes les pièces du puzzle – le travail des rêves, la méditation, le corps, … – et il était clair que je ne pouvais plus échapper à la nécessité de montrer l’image qui émergeait de ce puzzle assemblé. Mais si je puis et je dois dire que j’ai reçu le Cadeau, cela ne veut pas dire que je sois arrivé où que ce soit. On reçoit le Cadeau, mais encore faut-il le déballer… et cela prend une vie. Yvan Amar exprimait cela fort bien en disant que ce n’était pas l’Éveil qui était difficile à atteindre, mais c’est l’incarnation de l’Éveil qui est difficile, le véritable défi.

J’ai donc bien reçu le Cadeau – merci ! Merci… – mais j’en suis encore à le déballer. Et la question de la transmission fait partie justement du papier cadeau...


Le Sigmarillion

Quant à la nature du Cadeau que j’ai reçu, car il a toujours une couleur personnelle, il y a deux rêves en particulier que j’ai déjà exposé dans ce blogue qui la mettent en évidence. Il s’agit en premier lieu du rêve des oiseaux de feu, où j’entrevoyais l’oiseau merveilleux des contes mais désespérais car j’étais le seul à le voir. Dans le second rêve, je trouvais « le cœur de la montagne », un appartement où j’étais chez moi dans la nature, et je me confrontais à un homme en cravate qui riait des légendes amérindiennes évoquant cet endroit. Dans l’un et l’autre cas, je n’étais pas encore prêt à assumer la solitude qui va avec le Cadeau. Or le rêve avec Marie-Lise Labonté se terminait avec le fait que je rentrais seul chez moi. Ma relation à la solitude existentielle a changé depuis les rêves que je rappelais et c’est ce qui me permet d’assumer d’avoir reçu le Cadeau. C’est une charge en réalité car il me faut maintenant le transmettre. En effet, comme le dit l’Évangile de Thomas :

« Nul n’allume une lampe pour la mettre sous le boisseau. »

Mais ce n’est pas moi en réalité qui porte la charge. C’est le Soi, car la transmission n’a de sens qu’en s’inscrivant encore une fois dans la relation avec ce qui est plus grand que soi. Mieux, c’est à partir d’un certain point la meilleure façon de continuer à apprendre que de transmettre. Non seulement faut-il vider sa tasse pour qu’elle soit à nouveau remplie, mais il est bien connu qu’on enseigne jamais que ce que l’on a besoin d’apprendre. A chaque fois que je donne un stage, les questions des participant.e.s me font approfondir la matière. Si charge il y a, elle n’est donc pas un fardeau mais plutôt de l’ordre de la responsabilité. Et finalement, c’est un privilège que de transmettre ce qui nous est le plus cher, ce qui nous semble être de la plus haute valeur…

Comme me l’a souligné ma compagne, avec qui je marchais dans la montagne, quand je lui ai partagé ces réflexions : que transmettre d’autre que la joie et la légèreté ?

Une autre question redoutable avec laquelle je suis allé marcher en montagne me faisait simplement me demander en quoi j’étais qualifié pour essayer de transmettre le Cadeau. Ce qui me préoccupait là n’est pas tant le problème de l’égo qui se pète les bretelles avec n’importe quoi, de toute façon, car la vie, quand il s’agit du Cadeau, nous ramène toujours au fait qu’on ne sait rien, on ne possède rien, on n’est rien. Et on peut toujours rire de l’égo, de ses prétentions. Mais dans le fond, il s’agit surtout là de relever le défi du retour dont parle Joseph Cambell dans son analyse du monomythe du héros : in fine, le véritable challenge n’est pas vraiment d’aller chercher le trésor caché, même si cela implique de triompher de quelques dragons qui jouent bien leurs rôles d’épouvantails. La véritable difficulté, devant laquelle beaucoup ont reculé – car pourquoi troubler sa paix avec des gens qui, quoi qu’ils en disent, ne veulent rien entendre (ce que Jodorowsky formule en disant que la thérapie consiste en se battre avec son client pour l’amener là où il a réclamé d’aller) – est d’incarner l’enseignement reçu, de ramener le Cadeau à la communauté que l’on a dû quitter pour aller le chercher.

C’est un rêve, encore, qui m’a donné la réponse la plus profonde à cette question. Je l’ai reçu en décembre 2018, dans les mois qui ont suivi mon retour en France. J’y voyais une grande flamme sous cloche, et à côté de celle-ci, une petite flamme jaillissait. Gordon – le compagnon de Paule – se réjouissait en disant : « ça y est ! Elle est repartie ! ». Je me retrouvais avec cette flamme dans les mains, que je tenais devant moi, et j’allais la porter dans un cercle de gens qui se trouvaient dans l’obscurité.

Ce rêve n’appelle pas grand commentaire. Disons que j’ai reçu mon ordre de mission par ce rêve, et ma feuille de route. Il prend tout son sens quand on se souvient que Paule signait ses emails avec une devise :

Keep the flame alive !

Gardez la flamme vivante !

Le fait que la grande flamme soit sous cloche signale qu’elle a besoin d’être préservée, protégée, et c’est ce que fait Ho Rites de Passages. Je me retrouve avec une petite flamme entre les mains, et celle-ci n’ôte rien à la grande flamme. C’est simplement la flamme qui essaime, et me fait obligation de faire le nécessaire pour qu’elle demeure vivante. Ainsi, nous sommes nombreux et nombreuses à avoir été allumé.e.s par Paule et il apparaît qu’il est temps que la flamme essaime entre les mains de toutes celles et de tous ceux qui peuvent la porter. Cela répond à un besoin d’époque, qui rejoint la préoccupation de Paule de semer les germes pour un ré-enchantement du monde. Une autre façon de le formuler, c’est la nécessité collective dans laquelle nous sommes, remarquablement bien exposée par Charles Eisenstein dans « Notre cœur sait qu’un monde plus beau est possible », de sortir de la vieille histoire de la séparation.

Un cadeau à lire...

La responsabilité qu’implique le fait d’avoir reçu le Cadeau, et de devoir dès lors le transmettre, a été dès lors éclairée sous un nouveau jour. Il ne s’agit pas seulement d’honorer mes maîtres et de leur témoigner ma gratitude. C’est aussi par là que je trouve la réponse au questionnement qui m’a amené à m’éloigner des réseaux sociaux au début de l’été : comment contribuer au monde sans ajouter à la confusion ambiante en y amenant notre agitation intérieure ? Comment s’ancrer dans la paix, la joie et l’amour, pour faire face aux défis de la transition collective que nous traversons tou.te.s ensemble ? Dans cet espace se rencontrent le militant et le méditant… et cela prend d’autant plus de sens qu’il semble, au vu de nombreux indices, que notre civilisation sinon notre planète soient appelées à vivre une grande initiation collective, une mort-renaissance. Dès lors, il y a urgence à répandre cette paix et cette joie qui entourent le Cadeau. Saurons-nous faire de cette fin d’un monde une opportunité spirituelle ?

Ce qui m’amène à la dernière question avec laquelle j’ai marché dans la montagne, et qui était :

Comment transmettre le Cadeau ?

Pour moi, il y a là une évidence. Cela ne peut être que par le vécu expérientiel partagé (les concepts viennent après), et ce vécu, en ce qui me concerne, c’est comment la Source de toute sagesse nous guide au travers des rêves et des synchronicités. Comme le formule le zen depuis longtemps, ce n’est pas une question de méthode ou de technique, mais cela se transmet seulement d’âme à âme, I shin den shin. Cela passe par une relation interpersonnelle qui accompagne une recherche intense, complètement individuelle. C’est l’Évangile de Thomas encore qui décrit le mieux le processus :

« Que celui qui cherche ne cesse de chercher
Quand il aura trouvé, il sera bouleversé.
Étant bouleversé, il sera émerveillé
Et il régnera sur le Tout. »

Pour accompagner la recherche, il faut aussi des pratiques. Il est bien connu que « l’illumination est un accident et la pratique renforce les chances d’avoir un accident ». Osho lui-même racontait qu’il s’était éveillé en tombant d’un arbre, et que par conséquent, il ne pouvait pas transmettre l’illumination. Il pouvait seulement reconnaître qui la vivait, et qui ne la vivait pas encore. Il y a beaucoup de pratiques radicales – au sens de « qui vont à la racine » – de méditation et d’investigation fondamentales qui peuvent favoriser la réception du Cadeau. L’erreur commune est de croire qu’il pourrait y avoir là une relation de cause à effet, et que telle ou telle pratique confère automatiquement le Cadeau. Tout au plus, une bonne pratique nous rend-elle réceptif, disponible… pour recevoir l’Invité. Mais s’il est donc une chose que l’on peut transmettre, c’est la pratique, et l’esprit dans lequel faire la pratique pour qu’elle ouvre une brèche dans nos défenses. Car finalement, le Cadeau est toujours là, et c’est nous qui nous en défendons, qui ne voulons pas le voir, le recevoir.

J’ai donc le plaisir de vous annoncer en conclusion de mes promenades en montagne que je vais mettre en place dans les prochains mois une formation qui sera complètement individualisée (si vous voulez en savoir plus, contactez-moi), dans laquelle je demanderai essentiellement aux étudiant.e.s de travailler une question existentielle avec le support des rêves et de la méditation. Ils recevront pour cela un accompagnement par l’écoute des rêves et la méditation, ainsi qu’un étayage théorique de la démarche et le support de la communauté de chercheurs qui s’engageront dans celle-ci avec moi. Il y aura des pratiques radicales et des ateliers qui seront proposés à la carte, bien sûr, mais cette dernière sera ouverte à toutes sortes de propositions, même extérieures à l’équipe que j’envisage de constituer pour accompagner la recherche des étudiant.e.s...

Car finalement, à notre époque, une école de mystère digne de ce nom ne saurait être centrée sur un enseignant, une méthode, une approche particulière… mais est une aventure collective, émergeant d’une communauté. C’est cette communauté de pratiques qu’il nous faut bâtir, dans l’ouverture à toutes les visions nourrissant la foi dans la bonté de la Vie, pour traverser les temps que nous vivons., Ce que nous avons en commun, ce qui nourrit la communauté issue de Paule et de beaucoup d’autres enseignant.e.s, sans exclusive d’approches ou d’horizons spirituels, ce qui finalement enseigne et transforme celles et ceux qui cherchent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé, c’est-à-dire qu’ils deviennent eux-mêmes le Cadeau, c’est cette flamme que Paule nous enjoignait de garder vivante.

Le feu sacré.

mercredi 19 août 2020

Trou noir

 


Au début de l’été, j’ai entendu un très beau rêve. La rêveuse est une femme qui vit une grande transition de vie avec beaucoup d’incertitudes concernant son avenir. Elle a reçu ce rêve la veille de la cérémonie funéraire célébrée pour son frère qui venait de décéder.

La rêveuse est avec sa fille mais elle ne voit que ses jambes, ses pieds avec des sandales toutes neuves. Il y a une flaque noire sur le bitume. Elle se dit :

- Elle ne va pas y aller ?

Mais si, elle y va et elle s’enfonce dans cette flaque d’eau noire jusqu’à y disparaître entièrement. La rêveuse plonge alors sa main dans l’eau pour rattraper sa fille. Elle sent la main de cette dernière prendre la sienne. C’est une main chaude. Il n’y aucune inquiétude, aucune anxiété. Curieusement, sa main n’est pas mouillée.

Plusieurs synchronicités autour de ce rêve renvoient la rêveuse à une expérience de mort imminente qu’elle a vécue 21 ans auparavant. Elle est frappée aussi par le fait que sa fille a le même âge qu’elle lors de sa naissance. Enfin, il se trouve qu’elle a rendu visite à sa fille dans les jours précédant le rêve pour lui porter des sandales.

Lorsqu’elle m’a parlé de ce rêve, j’ai souligné le fait que nos enfants symbolisent souvent notre avenir dans les rêves. En effet, nous nous prolongeons dans nos enfants. Je me suis un peu inquiété de ce que la porteuse de cet avenir disparaisse ainsi dans une flaque d’eau noire. Du point de vue d’une interprétation psychologique, on pourrait craindre là un passage dépressif éventuellement lié au deuil ou à l’incertitude concernant l’avenir. Mais la rêveuse commentant son propre rêve insistait sur la confiance et la sérénité qui entourait celui-ci, particulièrement dans le contact avec la main de sa fille. Habituée à écouter ses propres rêves, elle parlait de descente du féminin dans les profondeurs et de contact avec l’inconnu. Nous avons discuté de sa connexion profonde avec la mort…

Quelques temps plus tard, nous avons tenu une loge de rêves avec une dizaine de personnes. C’était la première loge de rêves en présentiel que j’avais le plaisir de faciliter depuis le confinement. La rêveuse y a proposé ce rêve. Il a reçu toute sorte de résonances fort intéressantes et soudain, quand cela a été son tour de parler, un des participants a sorti un livre qu’il était en train de lire et nous l’a montré. Il s’agissait de :

Les trous noirs, de Jean-Pierre Luminet


Il y a eu une vague d’émotion dans le cercle. Tout à coup, notre perspective sur le rêve venait de changer radicalement. Nous avons exploré l’idée qui voulait que ce trou noir donne accès à une autre dimension, un autre espace. Le fait que l’eau noire du rêve ne mouille pas est apparu comme une signature de cette nouvelle dimension, de l’entrée dans l’inconnu. Le parallèle avec la mort est devenu évident mais en faisant ressortir la confiance et la sérénité régnant dans ce rêve. Le mot de la fin a été amené dans l’hilarité générale par le même participant qui avait éclairé le rêve en le connectant aux trous noirs quand il a suggéré de prolonger ce dernier en prenant le trou noir et en le posant sur un mur pour ensuite le traverser, aller voir ce qu’il y a de l’autre côté.

Décidément, c’était bien au travers de ce rêve une toute nouvelle façon de se déplacer dans la réalité, symbolisée par les sandales neuves de sa fille, qui était proposée à la rêveuse. Il m’a semblé intéressant de vous le partager car il se pourrait que les images toutes personnelles de ce rêve aient une profonde résonance collective. En effet, il semble que par bien des aspects nous soyons au bord d’un trou noir, ou peut-être déjà en train de plonger dans celui-ci. Cette métaphore vaut autant pour de nombreux individus qui vivent de grandes crises de transition que pour la planète toute entière. Mais il faut nous souvenir que ce pourrait bien être le passage vers un tout nouvel espace, le moyen d’entrer en contact avec une dimension inconnue, et garder confiance, rester ancrés dans une profonde sérénité de cœur. Ainsi, peut-être saurons-nous faire des trous noirs de nos vies des portes débouchant sur le nouveau, le jamais-vu, le jamais-entendu...

* * *

En complément de ce rêve, je vous propose une réflexion sur les filtres nécessaires à appliquer, dans les temps troublés que nous vivons, à nos prises de parole dans l’espace public, en particulier sur les réseaux sociaux. Quand je suis parti en vacances cet été, j’étais préoccupé en particulier de constater l’agitation croissante sur ces derniers, qui se traduit en expression d’anxiété et de colère, quand ce n’est pas de haine. J’étais inquiet en particulier de voir des personnes affichant des vues spirituelles contribuer à la discorde en répandant des messages empreints de peur, diabolisant les autorités en place en leur prêtant de sombres desseins. Bien sûr, je n’ai pu éviter d’y voir l’ombre à l’œuvre et c’est le danger qui guette ceux qui s’identifient à la lumière que de voir tout en noir chez d’autres. Mais surtout, le constat qui m’a donné à réfléchir, c’est que moi-même ne pouvait bien souvent éviter d’amener ma propre agitation intérieure dans l’expression de mes opinions sur ces réseaux sociaux. 

Or il me semble que nous avons tou.te.s une responsabilité à prendre dans le fait de nous garder de répandre autant que possible nos peurs, nos allergies, nos inimitiés, et tout le poison mental qui va avec, dans l’espace public. C’est une prophylaxie nécessaire, tout autant sinon plus encore que les « gestes barrière », pour éviter d’alimenter la dimension émotionnelle du chaos vers lequel nous semblons collectivement glisser ces temps-ci. Ce chaos est sans doute une étape nécessaire de la transition dans laquelle nous nous trouvons, mais il peut prendre une tournure dangereuse s’il laisse le champ libre à des opinions essentiellement émotionnelles alimentant la discorde dans la vindicte et les accusations. C’est à chacun.e de nous d’ancrer la paix dans nos esprits et nos cœurs pour que la paix l’emporte dans le monde. C’est en effet la qualité de nos relations, le soin que nous prendrons de nos liens, qui seront déterminant pour édifier le « monde d’après »...

J’ai donc, en réponse à ces interrogations, résolu d’adopter autant que possible, dans ma parole et ma pensée, un outil simple et éprouvé que l’on appelle les filtres de Socrate – ou plus précisément, les filtres de Socrate renforcés par le Travail de Byron Katie. 


Pour la dimension philosophique de du dialogue prêté à Socrate par Platon qui présente ces filtres, je vous invite à lire cette page qui vous en propose un résumé : https://nospensees.fr/les-trois-filtres-de-socrate. Pour ma part, je vous en proposerai une paraphrase adaptée à notre temps, avec un ami qui vient me voir avec une affirmation à propos de la pandémie, soit qu’il n’y jamais eu de pandémie et que c’est un canular, soit que la pandémie est finie, soit encore que la pandémie est en train de repartir en fou et qu’il faut dormir avec son masque, etc. Nous avons tous un ami comme cela, et ses opinions tranchées peuvent concerner tous les sujets...

La première question est : 

- Est-ce que c’est vrai ? Es-tu absolument certain que ce que tu affirmes soit vrai ?

S’il est honnête, et même s’il est médecin épidémiologiste (alors ne parlons pas de ceux qui s’improvisent épidémiologistes…), il reconnaîtra probablement qu’il y a un doute – ou alors, il est fort probable que ce soit l’émotion qui parle. Dans ce dernier cas, les techniques d’investigation de l’histoire qu’il se raconte proposées par Byron Katie pourront être très utiles. Il importe de se rappeler que même si mon ami est à ce stade très agressif, son propos est fondé sur des émotions légitimes que nous partageons tous en temps qu’êtres humains. La Communication Non Violente peut ici être aussi très utile pour accueillir ces émotions sans nous laisser aveugler par celles-ci, ou les émotions que sa prise de position suscite en nous...

Si mon ami reconnaît qu’il y a un doute au moins raisonnable qui peut tempérer ce qu’il affirme, la deuxième question est alors : 

- Si ce n’est pas vrai, si tu ne peux pas être certain que ce soit vrai, est-ce que cela fait du bien d’entendre ce que tu affirmes ? Est-ce que c’est bon ? Ou plus subtilement encore : de quelle intention profonde cela part-il ?

Il est bien rare ces temps-ci que les affirmations qui nous soient prodiguées visent à renforcer la paix, la confiance en l’avenir, l’amour que nous pouvons avoir les uns pour les autres. Il faut donc faire bien attention. Si ce n’est pas vrai et cela ne fait pas de bien, à quoi cela sert-il d’en parler ?

Et donc si mon ami est honnête, ce que je crois que nous sommes tou.te.s pour l’essentiel, la troisième question est : 

- Est-ce utile ? Est-il nécessaire d’en parler ? Ou plus profondément : que proposes-tu positivement ?…

S’il n’est pas certain que ce soit vrai, si cela ne fait pas de bien mais contribue à la discorde et l’agitation, si ce n’est pas utile et qu’il n’y a pas de proposition positive, à quoi bon en parler ? Il vaut mieux garder le silence.

Ces filtres de Socrate sont renforcés en particulier par le Travail de Byron Katie (https://thework.com/sites/francais) qui permet de poursuivre l’investigation avec l’ami qui est absolument convaincu que ce qu’il affirme est vrai, avec les questions suivantes :

- Comment peux-tu être absolument certain que c’est vrai ?

- Comment te sens-tu, dans tes émotions, ton corps… avec cette affirmation ?

- Comment te sens-tu sans cette affirmation ?

Le point clé de ce Travail est d’entrer en contact consciemment avec le ressenti émotionnel et corporel qui accompagne nos affirmations. Nous prenons alors conscience que nos pensées modifient notre ressenti, au point que ce n’est pas ce que dit autrui ou ce qui se passe dans le monde qui nous fait nous sentir éventuellement mal, mais ce que nous pensons à son sujet. Au lieu de rejeter la responsabilité de notre mal-être sur autrui, de vouloir le combattre, nous pouvons prendre la responsabilité de nos pensées…

Richard Moss, qui propose un travail similaire au travers du Mandala de l’Être, dit for justement que la seule vérité des histoires que nous nous racontons, c’est comment elle nous font nous sentir. C’est la base d’une hygiène psychique que de devenir conscients de l’impact de nos pensées sur nos vies, notre ressenti...

En outre, Byron Katie propose de retourner toutes les affirmations que l’on fait à propos d’autrui en les ramenant à nous-même. Par exemple, l’affirmation : « ils cherchent à tous nous contrôler… » pourrait se retourner en « je cherche à tous les contrôler », « je sais mieux que tout le monde de quoi il retourne et comment il faudrait faire... », etc. Ce travail, quand il est fait honnêtement en recherchant des exemples de situations dans lequel le retournement est manifeste, est un merveilleux moyen de déceler nos ombres projetées sur autrui. A moins que l’on ne soit un procureur dans l’exercice de ses fonctions, il n’y a pas beaucoup d’accusation qui ne se prête à un retournement radical.


Qu’est-ce que de telles considérations viennent faire dans un blogue sur le rêve ? C’est que nous ne rêvons pas que la nuit. Quand nous croyons nos pensées, quand nous nous identifions à nos croyances au point que la réalité semble leur correspondre parfaitement, sans laisser un espace ouvert au non-savoir, c’est que nous rêvons les yeux ouverts. Il se trouve que quand on se promène au bord d’un précipice comme nous le faisons collectivement ces temps-ci, cela peut être dangereux…

J’ai suffisamment éprouvé les affirmations ci-dessus pour pouvoir affirmer qu’elles sont vraies, non d’une vérité absolue mais d’une vérité pragmatique, efficace. Je les crois vraiment utiles par les temps qui courent et en tous cas, je les propose avec la conviction que la connaissance de ces pratiques fait du bien. Quand on se libère des pensées qui suscitent une contraction dans notre corps, qu’elle soit de peur ou de colère, on se sent plus léger, on respire et la vie, quoi qu’il en soit dans le monde, est belle.

Ce n’est pas facile de faire ce travail d’investigation de nos pensées et de nos croyances. Mais il se pourrait (aucune certitude) que le nombre que nous serons à éviter de donner libre cours à nos peurs, nos fantasmes et nos colères, dans l’espace public soit déterminant pour la qualité du temps que nous avons à vivre… ensemble.

* * *

A noter que le weekend de formation en facilitation de loges de rêves prévu les 26 et 27 septembre à Locquirec, en Bretagne, est maintenu tant que les conditions sanitaires le permettent. Pour plus d'information et pour inscription, suivez ce lien : formation.


dimanche 14 juin 2020

Le silence s'impose


Je n’ai pas envie d’écrire ces temps-ci. J’observe la cacophonie ambiante et je n’ai rien envie d’y ajouter. Bien sûr, ce silence est paradoxal car j’ai beaucoup parlé ces derniers temps. J’ai cru bon de donner mon avis dans différentes polémiques jusqu’au moment où je me suis rendu compte de ce que je ne faisais que contribuer à la confusion en étalant mes propres contradictions. Je ne le regrette pas car il faut passer par la confusion pour parvenir à la clarté. En disant cela, j’ai une pensée souriante pour ce cher Osho qui disait :

« Ma méthode, c’est la confusion ».

Et puis, comme pour réconcilier tout le monde, il y a ces mots lumineux d’Etty Hillesum faisant face, en 1942, à la réalité de l’extermination des siens par les nazis :

« C'est toujours comme une petite vague qui remonte en moi et me réchauffe, même dans les moments les plus difficiles : "comme la vie est belle, pourtant !" C'est un sentiment inexplicable. Il ne trouve aucun appui dans la réalité que nous vivons. Mais n'existe-t-il pas d'autre réalité que celle qui s'offre à nous dans le journal et dans les conversations irréfléchies et exaltées des gens affolés ? Il y a aussi la réalité de ce petit cyclamen rose indien et celle du vaste horizon que l'on finit toujours par découvrir au-delà des tumultes et du chaos de l'époque. »

Pour respirer la beauté de ce petit cyclamen rose indien qui nous montre la Voie, le silence s’impose pour quelques temps.

* * *

Quand je disais que j’ai beaucoup parlé ces derniers temps, c’est aussi que, depuis le début du confinement en France, j’ai donné une série de conférences sur le travail avec les rêves et sur l’ombre psychologique. En voici les enregistrements en accès libre, que vous pourrez écouter en podcast :

Conférence du 15 avril 2020 : introduction à l'interprétation des rêves.


Conférence du 8 mai 2020 : au-delà de l'interprétation des rêves.

Conférence du 6 juin 2020 : l'ombre dans les rêves et dans la vie.

Vous pouvez enregistrer localement ces conférences pour les écouter à loisir, sans connection à Internet, en cliquant sur le lien avec le bouton droit de votre souris et en sélectionnant "enregistrer le lien sous..."

L'ensemble de ces conférences ont été données en mode contribution libre et consciente. Cela ne signifie pas "gratuité" mais c'est une invitation à sortir de l'économie marchande pour entrer dans celle du don réciproque. Pour contribuer, je vous invite à visiter ma page de soutien. Je vous remercie d'avance.

* * *

En complément, je vous livre ci-dessous le récit d’une méditation que m’a transmise la rêveuse dont j’avais commenté le rêve, terrifiant, en octobre dernier dans cet article : Démembrement. Pour rappel, elle assistait dans ce rêve à la mise à mort et au démembrement par des crocodiles d’une petite fille, d’un jeune homme et d’une vieille femme. Et voici donc ce qui advient dans sa vision intérieure quelques mois après :


 « Tout est silencieux, ni cris, ni pleurs...... les morceaux de corps du jeune homme, de la vieille femme et de la petite fille sont éparpillés et flottent à la surface de l'eau. Je suis entrée dans l'eau et regarde à travers elle. Elle est toujours très noire, sombre et je peux toujours voir à travers. Mes yeux ont une vision particulière, des faisceaux qui pénètrent cette eau. À l'endroit où l'enfant se tenait dans l'eau, je vois une petite flamme, comme un feu follet (pas de matériaux qui brûle), juste une flamme. Je m'approche, descends sous l'eau. La flamme s'enfance plus loin sous l'eau. Un étroit chemin, comme un sillon se forme. Il devient cordon de feu/lumière qui descend en pente douce encore plus profond sous l'eau, dans le noir total. Il me montre par où passer. Ce que je fais. Le cordon s'éteint derrière moi à chacun de mes pas, au fur et à mesure que je continue à descendre. Arrivée au bout de ce sillon/cordon lumineux, je me retrouve devant un immense brasier, comme une grotte sous-marine pleine de feu. Très proche, je pourrais le toucher, aucune sensation de chaleur, de brûlure.

Une partie de moi veux traverser ce brasier, pour voir si il me brûlerait, voir si je peux aller plus loin. Une autre partie, celle que j'écoute rarement, me demande d'être sage, de cesser de toujours pousser plus loin cette mise en danger et me conseille de remonter me reposer et aller demander d'être accompagnée et soutenue par mes guides, mes ami.e.s........

Pour une fois j'entends cette voix comme bienveillante et non jugeante ("tu n'es pas capable toute seule"..... qui souvent faisait que je bravais l'interdit, la limite ou le conseil). Je remonte vers la surface du lac, l'eau jusqu'à la taille, je vois autour de moi que les morceaux de corps éparpillés sont devenus des nénuphars et des lotus en pleine floraison. Je sors totalement de l'eau et vais m'asseoir sur la rive, heureuse, confiante et en paix. Je vais traverser le feu. »

La rêveuse a ajouté dans sa lettre qu’au moment de me l’écrire lui venaient des images de flammes descendant du ciel, évoquant la Pentecôte. Il n’y a rien à ajouter sinon que l’on voit ici le résultat du travail intérieur avec le rêve. Peut-être y a-t-il là quelque chose à méditer pour toutes celles et tous ceux qui traversent des moments difficiles ces jours-ci. Souhaitons que, pour toutes et tous, fleurissent les lotus du cœur.

Namaste.



vendredi 10 avril 2020

Rêver le futur

Moïse - Marc Chagall

Peu après le début du confinement, une initiative à été lancée dans le groupe Facebook « A l’écoute des rêves », invitant à rêver le futur. La proposition était, sous la forme d’un jeu s’étalant sur une semaine, de « nous mettre à l’écoute d’autre chose que la peur » et de « nous brancher une fois par jour sur "la source la plus haute disponible pour chacun" avec cette demande : recevoir des impressions (images, sensations, sons, idées) du futur. » Il pouvait « s’agir de rêves nocturnes, de rêves éveillés, de sessions d’imagination active, de méditation, la seule consigne étant de partir à la pêche avec l’intention de rapporter des poissons frais à partager avec ce groupe. »

Nous avons eu ainsi une escadrille d’un bon nombre de rêveuses qui sont parties en formation explorer ce que l’inconscient collectif voudrait bien nous dire de l’avenir qui se dessine. Nous avons reçu ainsi une profusion de rêves remarquables qui sont disponibles aux regards dans le groupe. Je n’ai pas moi-même participé directement car je suis tout à fait nul quand il s’agit de diriger mes rêves. A ce genre de questions, que j’ai souvent posées, la source des rêves me répond gentiment que demain, il me faudra payer mon loyer. Ma fonction à l‘égard de ces rêves est autre : je m’en fais volontiers l’herméneute, c’est-à-dire que ce qui m’intéresse au premier chef est de les interpréter, et d’en rendre ainsi le message accessible. Je m’occupe pour ma part de faire cuire le poisson...

J’ai relevé, parmi tout ce beau matériel, une série de huit rêves qui a particulièrement attiré mon attention et que je vous présente ici avec la permission de la rêveuse. Il y a dans ces rêves des éléments archétypaux remarquables qui proposent une direction que l’on peut qualifier d’alchimique car on verra que le dernier mot revient d’une certaine façon à la production de l’or spirituel. Nous y retrouvons le thème ancestral de l’exode, c’est-à-dire de la sortie de l’esclavage et de la marche d’un peuple aimé de Dieu vers une terre promise. Nous pouvons y trouver des indications précieuses quant à la façon de diriger nos pas dans cette période troublée.

Cette initiative s’inscrit dans l’invitation plus large que j’ai lancée au travers d’un article (un rêve pour la terre de demain) à cultiver des rêves pour la terre de demain, ce que nous faisons parfois en loges de rêves et qui pourrait prendre bientôt la forme de cercles spécifiques. Il s’agit, comme l’a souligné la rêveuse qui a lancé l’initiative dans le groupe d’aller « chercher des infos et de planter, avec nos rêves, des graines pour le futur ». Cette démarche a deux aspects :

Le premier de ces aspects consiste, comme nous y invite Pablo Servigne dans « une autre fin du monde est possible », à investir le terrain de l’imaginaire avec des images positives du futur. Il s’agit de prendre soin de la dimension spirituelle de la transition que nous vivons. A ce point-ci, nous n’avons la plupart du temps que des images négatives de l’avenir, comme si un voile noir couvrait nos yeux. Il y a un risque certain que ce voile noir couvre aussi nos cœurs et qu’ils s’atrophient dans l’anxiété et pire encore, la haine à la recherche de coupables. Il ne faut pas être grand clerc pour savoir que le plus important dans une période de transformation pendant laquelle l’Ombre s’étend est de garder une lumière allumée en dedans car il n’y a que la foi, au sens de la confiance, qui puisse éclairer nos pas. Or nous pouvons être certain.e.s que la crise systémique que nous vivons prendra fin un jour, fut-ce dans longtemps, et que la vie continuera d’une façon ou d’une autre. Sans que je l’ai demandé, j’ai reçu un jour un rêve remarquable (la jeunesse du monde) qui m’a pour ma part profondément rassuré : le monde est jeune, et l’horizon est ouvert…


Il ne s’agit pas ainsi simplement de nous rassurer en cultivant une vision positive de l’avenir agrémentée d’images venant du pays des Bisounours, ou de pratiquer une forme d’auto-suggestion anesthésiante devant les gouffres grand ouverts devant nous. Dans la merveilleuse impossibilité de savoir à quoi nous en tenir qui caractérise le futur et qui nous offre toujours, à titre personnel et collectif, une opportunité spirituelle, nous avons l’occasion de contempler ce qu’il y a au fond de notre cœur : y a-t-il là de la foi et de l’amour, ou de la peur et une envie d’attiser la discorde, de répandre un fil de colère et de défiance ? Nous avons chacun.e à prendre la responsabilité des rêves que nous plantons dans le monde en sachant que, d’une façon ou d’une autre, c’est ce que nous manifesterons dans ce monde, par notre intention fondamentale et dans nos comportements, nos paroles et nos pensées. Il s’agit donc d’assumer notre participation d’êtres créateurs au Grand Rêve du monde, et de construire un avenir à partir de cette responsabilité assumée et partagée.

L’autre aspect de cette démarche, c’est que nous rejoignons par là les peuples du rêves, par exemple les aborigènes australiens ou les Haudenosaunee, le « peuple des maisons longues » mieux connus sous le nom d’Iroquois, qui peuplaient mon cher Québec. Ces derniers n’entreprenaient pas une expédition de chasse ou de guerre sans interroger leurs rêveurs, en fait souvent des rêveuses d’ailleurs. Robert Moss raconte dans « les Iroquois et le rêve chamanique » comment il a eu la surprise de rencontrer dans ses rêves une rêveuse Mohawk venant de l’époque où ces peuples commençaient tout juste à entendre parler de brutes à la peau blanche qui se rapprochaient pour interroger le futur. De tous temps, dans toutes les cultures sauf la notre qui se fie plutôt aux ordinateurs – ce qui, foi d’ancien informaticien, est vraiment une mauvaise idée car l’ordinateur reflète les limites de l’esprit de son programmeur –, il y a eu différentes façons d’interroger l’inconscient collectif, qui est la matrice de notre avenir en tant qu’humanité. Nous avons connaissance de nombreuses prophéties qui pourraient concerner notre époque. Mais il n’y a que les prêtres et les pharisiens qui, visant à s’arroger le monopole de la parole divine, peuvent prétendre que Dieu se serait arrêté de parler un jour. Or s’il est fort intéressant d’entendre ce qu’il a pu dire hier, qui était ce qu’hier nos ancêtres avaient besoin de savoir d’un avenir qu’ils envisageaient comme lointain, il est encore plus pertinent d’écouter ce qu’il pourrait avoir à nous dire aujourd’hui du présent et de demain, si proche…

Dans les loges de rêves où j’ai proposé d’aller chercher une image pour la terre de demain, j’ai observé que le plus grand bénéfice de l’exercice était de renforcer les liens dans la communauté éphémère du cercle. Plusieurs personnes m’ont confié ensuite que cela faisait longtemps qu’elles n’avaient pas entendu d’images positives de l’avenir et que cela les avait relié aux autres, à la communauté de tou.te.s celles et ceux qui sont embarqué.e.s dans cette grande traversée, cette aventure collective. Et c’est ce que soulignait mon grand rêve à propos du futur, que j’ai évoqué plus haut : pour survivre au tsunami dans lequel l’Inconscient collectif se soulève et nous emmène ailleurs, il faut rester en lien les uns avec les autres. Dans la série de rêves que nous allons étudier, il est souligné que nous devons nous regrouper par familles d’affinités spirituelles qui iront chacune leur chemin. Dès lors, nos cercles s’entrecroisant forment une chaîne d’or qui est aussi forte que son maillon le plus faible, mais quand, dans le registre du féminin de l'être, la vulnérabilité et la sensibilité sont une force…, nous sommes forts ensemble.


Il importe enfin de souligner que cette démarche ne peut avoir comme cadre que celui d’un jeu, cadre qui invite à ne pas se prendre au sérieux et à renouer avec la fraîcheur de l’esprit des enfants, ouvert au nouveau, désencombré. Il faut faire très attention, dans la profusion des messages qui parcourent ces jours-ci l’Internet, à la tonalité de ces messages et en particulier au ton définitif avec lequel certains nous assènent leurs certitudes. Nous avons ainsi des médecins improvisés qui savent mieux que quiconque ce qu’il faudrait prescrire aux malades du COVID-19, des lanceurs d’alerte auto-proclamés qui sont dans les secrets des dieux qui nous concoctent un avenir terrifiant, et tellement de canaux ouverts avec les anges ou autres qu’on s’y perd. Avec la canalisation, il est bon de se rappeler ce qu’en dit Tom Kenyon, psychologue transpersonnel spécialisé dans ce sujet : c’est comme la pêche dans des trous d’eau. Il arrive qu’on ramène du poisson mais on y trouve plus souvent de vieilles chaussures et des boites de conserve. Il y a ainsi bien généralement quelqu’un au bout du fil mais il est difficile de savoir qui parle vraiment. Le seul indice encore une fois pour savoir quelle est la véritable source de ces messages est d’observer ce qu’ils suscitent : alimentent-ils la confiance, l’amour, la paix et la gentillesse, ou au contraire la peur, la défiance, la vindicte ? Il convient donc plus que jamais de se méfier des égos qui s’égosillent par temps de crise pour attirer l’attention. On les reconnaît facilement au fait qu’ils demandent à être pris au sérieux, ce qui montre bien qu’ils se prennent eux-même terriblement au sérieux, et qu’ils énoncent des certitudes. Pour ma part, je préfère avec Jung à toutes les certitudes « l’eau précieuse du doute ». Je crois intimement que, si nous voulons être capables d’entendre la petite voix discrète qui murmure dans le vent et au creux de nos rêves, il nous faut « redevenir comme de petits enfants », qui jouent et se laissent traverser par les images, le souffle de ce qui veut prendre voix.

Tout ceci étant dit pour bien poser le cadre dans lequel je propose d’écouter ces rêves, voici donc cette série remarquable que je vous présente avec quelques commentaires qui sont le fruit de ma méditation avec ces rêves. Bien sûr, les interprétations ici proposées n’engagent que moi et ne prétendent à aucune certitude définitives. Les résonances et amplifications que je propose ici n’ont d’autre but que de vous permettre d’envisager l’ampleur inimaginable de ce qu’évoquent ces rêves, vous inviter à vous y ouvrir et à la laisser vous toucher. Ce sont ces images vivantes, et non mes mots, qu’il faut écouter, laisser résonner en vous-même pour qu’elles alimentent vos propres rêves d’avenir. J’en offre une interprétation dont vous ferez bien ce que vous voulez, mais c’est à chacun.e, une fois le poisson servi dans les assiettes, d’en tirer les conclusions qu’il ou elle voudra.

Buisson ardent (détail) - Marc Chagall
1. 19 mars

Je suis sur la terrasse de la datcha. Devant moi, dans le jardin, se dressent une dizaine d'archanges / soldats. Ils ont de grandes ailes repliées et portent des boucliers et des sabres. Ils disent qu'ils viennent de l'aïon (ou eïon).

Derrière eux, il y a un paysage assez semblable à un fond de tableau de la Renaissance italienne traité en sfumato. Dans le ciel, un nuage mauve de forme ovoïde me fait penser à un vaisseau spatial mais complètement lisse, comme si ces êtres étaient descendus d'un ailleurs (et sans doute, si j'écoute aïon, de l'éternité ou d'un éternel présent).

C’est le premier rêve proposé après que l’initiative « rêver le futur » ait été lancée. La réponse de l’Inconscient est claire et limpide. L’armée des Anges est mobilisée et ils nous disent : « nous sommes là, parmi vous, avec vous ». C’est une guerre sainte qui s’engage, sans qu’il n’y ait d’ennemi désigné. Cela résonne avec le vocabulaire guerrier qu’on entend dans les médias, qui déclare la guerre au virus, veut aller toujours plus loin dans la guerre à la nature. Mais on peut penser là à l’inverse au djihad que chaque soufi doit engager contre son nafs, son égo, et élargir cette image à l’humanité entière : soit nous triomphons de notre avidité, soit nous périrons.

Rappelons que les Anges sont les messagers (du grec ancien ἄγγελος, ángelos : messager), et les Archanges sont leurs supérieurs, les Archéo-Angelos; ils sont l’incarnation des Archétypes, une expression directe de l’Arché, le Principe. Et voilà qu’ils nous disent venir de l’Aïon, c’est-à-dire de l’éternité. Mais « Aïon », titre d’un livre remarquable de Jung sur l’expression du Soi pendant l’Ère des Poissons, est un mot grec (Αἰών) qui peut se comprendre aussi comme l’Âge, ou encore la destinée. On peut penser donc que nos archanges sont des messagers du futur, de l’Ere du Verseau qui prend voix, et de la destinée collective qui prend forme sous nos yeux.

La bonne nouvelle qu’ils nous amènent est : nous ne sommes pas seul.e.s.

La toile de fond de cette apparition est la Renaissance, traitée en sfumato, c’est-à-dire apparaissant avec des contours incertains. Il est donc question d’une nouvelle Renaissance, que nous ne pouvons encore envisager clairement. Dans le ciel, la patrie d’origine des archanges, on peut voir leur véhicule spirituel, un nuage mauve (couleur de la spiritualité) ovoïde (évoquant un œuf). Le Soi se manifeste souvent dans les rêves contemporains sous la forme d’extraterrestres, de vaisseaux spatiaux, etc. Jung a documenté ce fait dans « un mythe moderne : signe du ciel ». Mais je suis frappé pour ma part par les derniers mots du rêve : ces êtres sont « descendus d’un ailleurs ». On peut y entendre, et cela aura beaucoup de sens dans la suite de la série, qu’ailleurs s’est fait tout proche dans notre temps troublé, tout comme demain... et l’Invisible, présent à nos côtés.

Moïse recevant les Tables de la Loi - Marc Chagall
2. 20 mars

La scène se passe dans la salle à manger de la maison de campagne dans laquelle je vivais avec ma famille dans les année '70. Autour de la table, sur les bancs de bois, sont assis les agents immobiliers du quartier Faidherbe à Paris (mon quartier). Je suis debout sur le côté et je les regarde. Un personnage vient face à eux et leur dit qu'il va falloir partir sur les traces des Anciens. A ce moment j'ai la vision d'une empreinte de pied nu géant imprimé dans l'argile et datant peut-être du néolithique. Je m'interroge sur ce personnage et je le regarde. C'est Moïse, tel qu'il a été représenté par Marc Chagall, avec ses cornes sur la tête et sa tunique jaune. Il est très grand. Il dit : " levez-vous et venez". Les agents immobiliers se lèvent et le suivent, même ceux qui ont un peu de mal à marcher ou qui ont mal au dos. Et puis je vois comme un insert/image : EXODE écrit sur le sable. Ensuite Moïse sur la plage face à la Mer Rouge qui s'ouvre pour nous laisser passer.

La scène nous renvoie aux années ‘70. C’est un détail d’autant moins anodin que nous le retrouverons dans le dernier rêve de la série. On peut penser que le rêve nous ramène ainsi, pour donner un contexte à ce que nous vivons, à cette époque où il était encore permis de rêver collectivement à un autre monde, avec en particulier le Flower Power des hippies, et où ont été planté les rêves de la nouvelle Renaissance que nous nous apprêtons à vivre. Les agents immobiliers ont pour fonction d’aider à trouver une nouvelle demeure, une nouvelle maison, ce qui symbolise aussi une nouvelle structure psychique, une nouvelle façon de voir. Je les entends aussi comme les « agents immobilisés » que mettront en mouvement l’injonction « levez-vous et venez », qui n’est pas sans rappeler le « lève-toi et marche » du Christ à la suite duquel le paralytique a pris son grabat et s’est ébranlé. Ces agents sont liés au quartier Faidherbe, où l’on peut entendre qu’ils sont « faits d’herbe » : ils nous représentent bien, nous mortels guère plus importants que l’herbe que cependant nous foulons aux pieds, nous méprisons sans la voir.

Et voilà donc que se présente un personnage extraordinaire qui évoque le Moïse peint par Marc Chagall, dont plusieurs tableaux illustrent cet article. Je ne commenterai que les détails évoqués par le rêve : le jaune de sa tunique évoque la créativité et la phase citrinitas de l’œuvre alchimique, c’est-à-dire la production de l’or, du soleil vivant. Quant aux cornes du personnage, on peut y voir des antennes, le symbole de la connexion avec le Ciel. Moïse est le guide archétypique du peuple qui a la certitude d’être aimé de Dieu, de ceux qui ont foi, qu’il tire de l’esclavage pour les emmener à la Terre Promise. Dès le second rêve de la série, la direction est donnée : il s’agit d’aller maintenant vers une Nouvelle Terre. Et tous se mettent en route, même ceux qui ont du mal à marcher : c’est ensemble que nous marcherons vers demain, sans laisser personne derrière nous...

L’injonction est claire : il va donc falloir partir sur les traces des Anciens, mettre nos pas dans les empreintes des géants qui nous ont précédé. Le mythe des géants évoque une autre humanité, d’un autre soleil et ayant frayée avec les Anges, tombés amoureux des filles des hommes et qui lui ont enseigné les sciences secrètes, dont l’alchimie et l’art d’écouter les rêves. Heureusement, ces traces sont encore visibles dans l’argile, c’est-à-dire dans la terre vivante et elles nous reconduisent aux origines de notre humanité, au néolithique, c’est-à-dire à notre source, à l’époque où se sont formés la plupart de nos mythes, et nombre des structures symboliques que l’on peut retrouver dans les contes, dans les rituels archaïques, chez les peuples premiers. C’est le temps béni d’avant la modernité, c’est-à-dire notre séparation d’avec la nature : nous étions tous des primitifs, avant d’être chassés du Paradis. Nous devons retrouver le chemin de nos ancêtres. Ils sont géants aussi en compensation de notre hubris (démesure) moderne. Celle-ci, dans notre inflation collective nous fait croire que nous sommes grands et que nous avons tout compris. Mais nos ancêtres, et ceux des « gardiens de la terre » qui demeurent encore parmi nous, nous renvoient à notre petitesse spirituelle par la simple évocation de leur présence, ambassadrice de la vastitude de la Nature que nous avons cru pouvoir dominer, un autre nom du Divin. Nous sommes invités à un exercice d’humilité.

Et voilà donc que nous – car finalement la rêveuse a donc rejoint la cohorte des agents en mouvement – nous retrouvons devant la Mer Rouge ouverte. C’est le temps de l’Exode, c’est-à-dire qu’il faut quitter l’ancienne terre et s’engager dans le passage ouvert, prodigieux. Pharaon arrive à la tête de ses armées, bien décidé à rattraper ses esclaves et à les soumettre. C’est l’heure du choix : l’Inconscient collectif s’ouvre et dessine un chemin improbable sinon impossible. La question se pose à chacun.e de nous : t’engageras-tu dans l’aventure de la quête d’une nouvelle terre ou resteras-tu prisonnier.e de la peur et de l’ancien monde en train de s’effondrer ?

3. 21 mars

Me levant au milieu de la nuit sans allumer de lampe, j'aperçois dans un demi-sommeil, sur la colline de Rennes-le-Château, un taureau blanc gigantesque et une voix me murmure: « Il va falloir sacrifier ce taureau à Poséïdon ! »

L’Inconscient n’est pas hébraïque ou de quelque obédience culturelle, ethnique ou religieuse que ce soit. Après nous avoir parlé de Moïse, de l’Exode et de la Terre Promise que nous trouverons en traversant le désert au-delà de la Mer Rouge, il nous ramène à un mystère contemporain et à un ancien mythe grec. Rennes-le-Château évoque la présence de Marie-Madeleine, l’apôtre des apôtres, dans l’arrière-plan de notre Renaissance spirituelle. Je ne m’étendrai pas ici sur l’importance de cette figure féminine, la compagne de l’Enseigneur qui vient renouveler notre mythe chrétien en soulignant que Ieshua était un être sexué, car je l’ai déjà fait dans un autre article (Celle qui vient). Disons simplement qu’elle symbolise le retour du Féminin sacré qui a été bafoué, à commencer par l’apôtre Pierre qui voulait que Marie sorte du cercle des intimes de Ieshua car il lui était intolérable de penser que les femmes pourraient entendre la Parole divine mieux que lui peut-être. Or ce sont bien souvent les femmes, aujourd’hui, et plus largement la Féminité spirituelle qui se manifeste aussi chez des hommes, qui est porteuse de l’avenir que nous pouvons envisager comme une nouvelle Renaissance. Rennes-le-Château, c’est aussi le cœur du pays cathare, qui se souvient des bons hommes et des bonnes femmes qui ont vécu là avant d’être massacrés par l’Église du-dit Pierre – un des premiers génocides systématiques, perpétré par la matrice de tous les totalitarismes subséquents. On peut y entendre une évocation discrète de l’Ecclesia Spiritualis, l’Église Spirituelle ou « Église de Jean » qui a perpétué la gnose, dans laquelle se rejoignaient les Cathares, les alchimistes, les Enfants du Libre Esprit, etc.

Sur ce haut lieu, sorte de centre sacré de la spiritualité occidentale contemporaine et précisément, de la nouvelle Renaissance, apparaît une fantastique image archétypique : un gigantesque taureau blanc, qu’il faudra donc sacrifier à Poséidon, le dieu des profondeurs marines. Le taureau est un des animaux consacrés à la Déesse, symbole de mâle puissance au service de la Grande Féminité symbolisée par le croissant de lune que forment ses cornes. Notre Moïse cornu du rêve précédent a une parenté avec ce taureau. La blancheur du taureau évoque le lait spirituel dont nous abreuve la Grande Mère au travers de ces rêves, la pureté essentielle ou encore la virginité d’Artémis, amie des humains sauvages. Mais surtout, avec l’évocation du grand dieu des profondeurs, qu’il s’agit de se concilier au moment de traverser la Mer Rouge, nous sommes renvoyés au mythe du roi Minos, un très ancien mythe grec. Un mythe qui parle d’une certaine façon de la naissance de notre modernité et rappelle le souvenir d’une très ancienne faute, qu’il ne faut pas ré-éditer.


Minos était le roi de la Crète, dernier bastion de la civilisation de la Grande Déesse qui résistait à l’invasion des Doriens, les ancêtres des Grecs. Les taureaux étaient en Crète des animaux sacrés, consacrés à la Déesse. Les jeunes nobles, garçons et filles, mettaient en péril leurs vies en sautant par-dessus les taureaux sacrés lors de joutes rituelles qui sont les ancêtres de nos corridas. Minos était un roi puissant qui, pour montrer à son peuple qu’il avait la faveur des dieux, a demandé à Poséidon de manifester un prodige et en effet, des flots de la mer est sorti un magnifique taureau blanc que Minos a promis de sacrifier au dieu. Mais le roi a voulu s’accaparer le taureau et il a cru pouvoir tromper le dieu en sacrifiant une des bêtes de son troupeau. La vengeance de Poséidon a été terrible. Il a induit une passion folle chez la reine Pasiphaé pour le taureau fantastique. Elle a demandé à Dédale de fabriquer une vache en bois dans laquelle elle s’est glissée pour être fécondée par le taureau. C’est ainsi qu’elle a enfanté le Minotaure, monstre mi-humain, mi-taureau, qui se nourrissait de chair humaine et qui a été enfermé dans un labyrinthe construit par Dédale. Par la suite, Thésée tuera ce monstre avec l’aide d’Ariane, une des filles du roi...

Cette histoire nous renvoie à l’attitude faussée qui est au cœur même de notre modernité : nous nous accaparons les cadeaux de la nature sans rendre au dieu ce qui lui revient. Cela vaut aussi pour les rêves et les visions que nous pouvons avoir, et qui ne doivent pas servir à alimenter notre orgueil. Car trahir les profondeurs engendre un monstre et ne conduit qu’à la désolation. L’ingéniosité technique qui caractérise notre modernité est symbolisée par Dédale, qui ayant été enfermé dans le labyrinthe à son tour s’en échappera avec des ailes de sa fabrication. Mais son fils Icare volera trop près du soleil et y perdra la vie, comme pourrait le faire notre civilisation techno-industrielle. Pour honorer le dieu qui garantira le passage de la Mer Rouge, il faut sacrifier la puissance du taureau, c’est-à-dire toute volonté de puissance sur les événements, tout désir de forcer les choses...

Moïse et le Buisson ardent - Marc Chagall
4. 22 mars

Debout sur la rive de la Mer Rouge (elle est rouge, c'est une mer de feu) Moïse est devenu gigantesque. Un croissant de lune est fixé entre ses deux cornes. Il/Elle car c'est devenu un être androgyne, lève le bras droit et fait un geste de bénédiction avec deux doigts pour tenir les rives de feu écartées. J'observe de haut les gens par hordes qui avancent à la queue leu leu leu, vêtus de peaux de loups. Il y a plusieurs hordes formées chaque fois d'une quarantaine de personnes reliées spirituellement. Puis je marche moi-même dans une horde composée de mes amis et amies conteurs et conteuses, de mes proches et de leurs proches. Je les identifie très bien mais ne les nommerai pas ici. Il y a des enfants et des petits portés dans les bras. Nous sommes tous extrêmement concentrés parce que si un seul dans nos hordes lâche sa concentration ou tombe dans la peur, le feu nous engloutira tous. Nous savons que nous allons devoir marcher pendant quarante jours. Arrive un moment où nous sommes attaqués par des drones mais alors une sorte de coupole en plexiglas vient nous protéger.

Nous passons du blanc du taureau au rouge de la mer de feu, magnifique conjonction d’opposés qui témoignent de la présence du numen transformateur ; ce sont des images typiquement alchimiques, évoquant l’œuvre au blanc et l’œuvre au rouge. La mer symbolise généralement l’Inconscient collectif. En feu, il est en transformation radicale. Moïse est le Grand Homme, une image de l’Anthropos – celui-là même qui était évoqué dans l’expression qui a caractérisé Ieshua comme étant « le Fils de l’Homme » - un Homme devenu pleinement humain, en regard duquel nous sommes simplement en voie d’humanisation. C’est une image cosmique, désormais gigantesque, dans toute son ampleur archétypale. Le croissant de lune entre ses cornes établit une connexion directe entre le taureau du rêve précédent et Moïse : il est béni par la Déesse. C’est devenu un être androgyne, qui unit en Lui/Elle le masculin et le féminin – on peut reconnaître là celui que les alchimistes appelaient le filius philosophorum, incarnation de l’Œuvre. Par le seul pouvoir spirituel de sa bénédiction, il garde le chemin ouvert. Et voilà donc que le nouveau peuple que guide ce Moïse archétypal vers une Nouvelle Terre avance…

C’est le Passage, ce qui n’est pas peu dire en écrivant cet article le vendredi saint de la Pâques chrétienne, qui évoque aussi la Pessa’h juive, c’est-à-dire l’Exode du peuple hébreux, la libération des esclaves par Moïse. Il est frappant que nous soyons dès lors vêtus de peaux de loups, c’est-à-dire que notre persona est désormais sauvage, liée à la nature. Les loups sont parmi les animaux les plus persévérants et fidèles à la horde. Nous sommes d’ailleurs revenus au mode d’organisation des chasseurs-cueilleurs, en hordes qui se regroupent par affinités spirituelles, formant ainsi un clan. En réalité, sous couvert de civilisation, nous ne faisons pas beaucoup mieux avec nos équipes de foot et nos drapeaux nationaux. Au moins, dans les hordes de loups comme celles d’humains naturels ne laisse-t-on jamais aucun individu en arrière, car la perte de l’un est la perte de tous. L’enjeu est clair : si l’un.e d’entre nous cède à la peur, perd sa relation au centre (con-centration), nous tomberons tou.te.s dans le feu. Le rêve insiste sur le nombre 40, qui renvoie en particulier à l’hexagramme 40 du Yi Jing : la Libération. Ce nombre évoque aussi les 40 jours que Ieshua a passé dans le désert, ou encore les 40 jours que Hafiz a passé dans un cercle avant que l’Ange Gabriel ne lui accorde la vision libératrice. Il résonne aussi bien sûr avec notre quarantaine forcée pour cause de pandémie, et la met en perspective : c’est un chemin de libération. A condition de ne pas céder à la peur et perdre la relation au Centre. Même quand les drones attaquent. Nous sommes protégés…

Je dis « nous » parce qu’évidemment, je me sens partie prenante de l’aventure et je vous y invite aussi. Mais quel est ce peuple qui s’est mis ainsi en marche et traverse la mer de feu ? Et bien il ne fait aucun doute pour moi que c’est ce Peuple Arc-en-Ciel dont parlent les anciennes prophéties amérindiennes, en particulier hopi mais non seulement. Il rassemble des gens de toutes les couleurs de l’humanité, venant de toutes les cultures, toutes les religions, conscients de l’unité sous-jacente à la diversité, en lien avec Gaïa, notre Terre-mère. L’émergence de ce peuple qui peuplera une « nouvelle Terre », c’est-à-dire établira un rapport nouveau à la nature, pourrait être le grand mythe qui sous-tend notre époque, auquel j’ai consacré un article : le Peuple Arc-en-Ciel.

5. 23 mars

Les hordes se sont séparées par cohortes d'environ 40 personnes après un concile autour d'un grand feu et promesse de rester en contact par télépathie par l'intermédiaire de ceux qui entendent.

Notre horde de conteuses et conteurs du clan du loup est arrivée dans un verger. Des arbres nains chargés de petits fruits abondants, violets, entre la prune et la myrtille. Nous en mangeons. Continuant à avancer nous constatons que les arbres sont à présent secs, sans feuilles ni fruits et nous sommes envahis par des milliers de petits papillons ravageurs, comme s'il en neigeait.

Nous avons soif et pas d'eau. Nous demandons à celui parmi nous qui voit par le nez de chercher l'eau. C'est un aveugle, un vieil homme vénérable. Il marche à l'avant entouré par deux gaillards. Il nous guide vers des rochers. Nous sommes pieds nus. Il désigne un endroit sur un rocher. Un des gaillards donne un coup de poing à cet endroit et l'eau jaillit en un flot qui se déverse. Une source. Une jeune femme s'approche, mouille le visage de son bébé et le fait boire.

Les choses ne seront pas simples pour autant, nous dit le rêve. Chaque cohorte va devoir trouver son propre chemin. Nous resterons en contact par l’Invisible. Nous trouverons à manger, des ressources, mais nous traverserons des temps de disette avec les catastrophes qui stérilisent la nature. Les papillons ravageurs m’évoquent l’exemple de la pyrale du buis qui a détruit des forêts entière de buis ; un désastre écologique allant avec la mondialisation puisque la pyrale vient de Chine et n’a aucun prédateur chez nous. Comme certain virus, il faut attendre que la pyrale ait accompli son cycle, mais le buis est difficile à confiner. Les dernières images du rêve sont remarquables de précision : pour trouver les ressources dont nous aurons besoin, il faudra se retourner vers l’instinct de ceux qui voient « par le nez », qui « sentent » les choses. Un aveugle est une personne dont la vision est désormais toute intérieure, et son âge vénérable renvoie à la sagesse des ancêtres. Le Vieil Homme guide vers la source et l’eau jaillit après que le masculin lui ait frayé un chemin. Le mâle coup de poing évoque le « frappez, et on vous ouvrira ». Enfin, le féminin peut prendre soin de la nouvelle vie.

Rouleau magique éthiopien
6. 24 mars

Nous portons des masques sur le haut du visage, comme des loups mais en carton brun léger et de forme rectangulaire sans fioriture de découpe. Ils sont attachés derrière la tête avec des rubans noirs. J'enlève le mien. A l'intérieur il y a un texte dense, écrit à la main, en petit, un texte de protection poétique. Je devine que chacun/chacune porte un texte personnel différent. (en écrivant ceci je ne peux m'empêcher d'évoquer les rouleaux de protection éthiopiens qui m'ont toujours tellement fascinée).

A mesure que nous avançons dans la série de rêves, les images réclament moins de commentaires. Elles parlent d’elles-mêmes. Je suis porté à penser qu’en fait, ce rêve fournit la clé de la série dans sa simplicité qu’évoquent ces loups sans fioriture. C’est le viatique nous nous avons besoin pour traverser les vicissitudes de la transition. Chacun.e de nous, à l’envers du masque social que nous portons, et donc à l’intérieur, a son propre texte dont il ou elle doit se faire l’herméneute, l’interprète. C’est un texte « danse », nous dit la langue des oiseaux, en langage poétique, c’est-à-dire tissé d’images, de poésis (création), qui est aussi le langage de l’âme. Pour moi, ces textes sont les rêves et les images intérieures qui nous offrent protection et guidance, et ils nous renvoient à notre individuation.

rouleau magique éthiopien
7. 25 mars

Notre horde de conteuses et conteurs loups se trouve devant une sorte d'arche formée par de grands arbres à l'entrée d'une forêt. La lumière est très particulière, scintillante et bleutée. De toute évidence c'est une porte énergétique vers un monde enviable. Nous passons. Mais au lieu d'entrer dans cette forêt, nous devons entrer dans un entrer dans un gros tube noir côtelé, semblable à un énorme tuyau d'aspirateur. Nous sommes devenus tout petits. Nous courons en bande vers l'issue que nous apercevons. Elle est ronde et bleutée, en volume, comme une terre - la Terre? Nous n'avons aucun sentiment de peur.

Plus tard, une rencontre avec un avatar du dieu Shiva, très coloré comme le sont les statues dans les temples en Inde. Il agite ses quatre bras en souriant pour nous féliciter.

Il y a un seuil à franchir pour aller vers un autre monde, une Nouvelle Terre, mais au-delà de ce seuil, il y aura un tunnel noir, comme un tuyau d’aspirateur. Ce qu’il y a de beau avec un aspirateur, c’est qu’il n’y a rien à faire ; on se laisse aspirer, tirer par le Souffle. Il pourrait y avoir une invitation à se faite tout petits jusqu’à ce que nous parvenions à l’issue. Encore une fois, l’inconscient n’a pas de préférence spirituelle : Shiva, le dieu de la libération, nous souhaite la bienvenue en souriant avec ses quatre bras qui dénotent la totalité des mouvements. C’est de bon augure (rire). Il faut se souvenir cependant que Shiva est le Destructeur, c’est-à-dire qu’il a un côté impitoyable et que l’ancien est sans doute irrémédiablement détruit...

8. 26 mars

Je suis sur la route devant la maison de Rofessart (campagne dans le Brabant wallon où je vivais dans les années '70). Devant moi le pré de la voisine, Marie-Jeanne. J'en vois surgir trois paires de sections d'anneaux immenses qui me semblent être des os, des côtes de baleine. Puis cette prairie devient la mer et un bateau remonte des profondeurs. C'est un bateau à voiles, un trois-mâts. Il y a des gens sur le pont qui jettent vers nous, vers la terre, la route étant comme une digue, des pièces rondes et jaunes, pour nous secourir. C'est de l'or ou de la vitamine C.

Mais alors, où allons-nous ? Où cette transhumance nous conduira-t-elle ?

L’inconscient aime bien entretenir le suspense. Nous retrouvons dans ce rêve la connexion aux années ‘70 que j’évoquais dans le commentaire du premier rêve. Une boucle est bouclée. Les décennies ‘60 et ‘70 ont vu fleurir une pensée qui est d’une certaine façon le triomphe de la liberté spirituelle que revendiquaient les gnostiques des premiers siècles après l’an zéro. Je vous invite à lire Pacôme Thiellement là-dessus, dans « la victoire des sans-Roi », sous-titré « révolution gnostique ». Les côtes de baleine évoquent la présence ancestrale de la mer,qui était là bien avant la terre. La baleine est l’animal des profondeurs par excellence, capable des plongées les plus abyssales et cependant proche de nous. Des auteurs de science-fiction ont non sans raisons imaginé que les extra-terrestres volant au secours de l’espèce intelligente de notre planète s’occuperait des baleines et non des humains.

Et voilà donc que ces os n’étaient que le signe d’une remontée des profondeurs qui transforme le pré de Marie-Jeanne en mer dont jaillit un bateau, un trois-mâts. L’Inconscient collectif se symbolise souvent sous la forme de la mer, ainsi qu’on l’a vu déjà avec la Mer Rouge, tandis que la conscience apparaît alors comme un bateau qui flotte à sa surface. Ici, la prairie devient la mer, la terre l'Inconscient... et cela permet l’apparition d’une forme de conscience secourable. Du bord de ce bateau, pour nous venir en aide, on nous jette de l’or c’est-à-dire la lumière rendue matérielle, le but symbolique de l’Œuvre alchimique. Il est à noter que pour purifier l’or, on le passe au feu car il est inaltérable. On retrouve la couleur jaune qui était évoquée dans la tunique de Moïse au début de la série. Cet or, c’est peut-être aussi, avec cet humour qui caractérisent volontiers les rêves, de la vitamine C, c’est-à-dire un ingrédient essentiel pour notre vitalité qu’on retrouve dans des fruits solaires comme l’orange, le citron. C’est une autre forme d’or, qui excite moins les convoitises. Et pourtant, la légende veut que quand Saint-Georges et le dragon se sont battus jusqu’à être l'un et l'autre à l'article de la mort, le chevalier s’est affaissé sous un oranger et ce sont quelques gouttes du jus d’une orange piquée par un oiseau qui l’ont ramené à la vie. Dans la version que je préfère pour ma part, le chevalier a donné quelques gouttes de jus d’orange au dragon qui en avait bien besoin lui aussi et ils ont cessé de se battre. Notre série de rêve se termine donc sur une note qui évoque l’accomplissement de l’Œuvre, la production de la lumière incarnée et la revitalisation, la régénérescence et même, en ces temps pascals pendant lesquels j’écris, la Résurrection.

La Renaissance.

Vendredi de Pâques 2020