Le omkar :
est désormais un symbole bien connu en Occident, que l’on rencontre généralement associé à l’Inde spirituelle, au yoga et au tantra. Mais sa signification profonde demeure souvent méconnue. Cette figure calligraphique représente en sanscrit la syllabe AUM, qu’on désigne aussi comme « le OM » et qui est censée dans la cosmogonie hindoue être le son primordial qui a créé la réalité matérielle…
Mais qu’est-ce à dire ?
Pour les Hindous, le OM représente Brahman, la divinité suprême, l’Absolu impersonnel – omniprésent, omnipotent, la source de toute existence manifeste. Brahman est en lui-même incompréhensible et nous avons donc besoin d’un symbole pour l’appréhender. Le OM représente l’aspect non manifesté de la divinité en même temps que son aspect manifeste. Il est dit imprégner toute vie et traverser notre souffle, constituer l’énergie même qui nous donne vie.
Selon la Mandukya Upanishad :
« Passé, présent, futur, tous ne sont rien sinon le déploiement de OM.
Quant
à ce qui transcende les trois royaumes du temps,
Cela,
en vérité est l'éclosion du son OM.
Cette
création toute entière est finalement Brahman,
Et
le Soi, lui aussi, est Brahman. »
Comme de nombreux
énoncés métaphysiques, ces affirmations peuvent aussi être comprises de façon
symbolique et psychologique. Ici, il est question en fait de la précédence de
la conscience sur tout autre ordre de réalité. En effet, la
Mandukya Upanishad explique en
substance que le OM encapsule une carte de la conscience décrite comme pouvant
être dans quatre états. Notre psychologie n’en reconnait généralement que
trois pour l’instant : le sommeil profond, le rêve et la conscience
ordinaire. Pour l’Orient spirituel, il y en a un quatrième, appelé turya, ce qui signifie justement
« le quatrième » et qui correspond à l’état d’union avec le Divin ou
la conscience absolue. Ces états de conscience sont représentés graphiquement
dans le omkar. Ainsi :
![]() |
Représente la conscience ordinaire. |
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Représente le sommeil profond |
![]() |
Représente le rêve |
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Représente turya, l'Éveil. |
La
graphie de ce dernier état est particulièrement significative : elle
montre l’union de la lune (le croissant inférieur) et du soleil (le point
supérieur), thème que l’on retrouve en Occident sous la forme de l’union
alchimique de la Reine et du Roi. On peut aussi rapprocher les 4 états de la
conscience des 4 éléments de la philosophie hermétiste où la terre
symboliserait le sommeil profond, l’eau le rêve, l’air le mental ou la
conscience ordinaire, et le feu la conscience unitive. D’un point de vue
jungien, il n’est pas surprenant que nous ayons ainsi à chaque fois 4 termes
pour décrire l’essence de la réalité car, comme Jung l’a démontré, le 4 est
symbole de totalité.
L’énoncé apparemment ésotérique qui veut que l’Univers émerge de la vibration primordiale représentée du son AUM s’avère donc recouvrir une affirmation philosophique radicalement idéaliste : la réalité matérielle découle du déploiement de la conscience dans ses quatre états. Il a aussi une portée pratique car il indique le chemin du retour à la Source ici symbolisée comme l’union du masculin et du féminin, c’est-à-dire turya. En termes traditionnels, il s’agit de répéter ou de chanter la syllabe sacrée pour réveiller l’énergie qui reconduit alors le méditant à l’éveil. Le AUM est un mantra : prononcé de la bonne façon, il résonne dans tout le corps et est censé pénétrer jusqu’au centre de l’être, jusqu’à l’Atman, c’est-à-dire l’âme. C’est pourquoi de nombreux Hindous commencent la journée en chantant le OM, qui ponctue aussi les temps de méditation...
Pour nous ici, l’étude de ce symbole peut être une occasion de reconsidérer notre représentation de la nature de la conscience. L’Orient a en effet une géographie de la conscience qui diffère beaucoup de la nôtre.
Nous sommes portés à penser que le sommeil profond est l’état le plus éloigné de la conscience de la réalité, que nous assimilons à la conscience ordinaire. Entre ces deux, le rêve et avec lui toutes les déclinaisons de l’illusion, la dimension de l’âme. On retrouve ici la distinction traditionnelle entre le corps, l’âme et l’esprit (le mental) qui est en charge de la réalité ordinaire, matériel. Or le sommeil profond est aussi la conscience du corps, qui fait partie du subconscient. L’âme rêve et produit des images fantasques mais symboliques et vivantes, tandis que l’esprit, le mental s’occupe des choses sérieuses. Donc, pour l’Occident, la conscience ordinaire est assez généralement juchée sur les épaules du rêve et du sommeil pour régenter son petit monde, et il n’est pas question d’autre état de conscience, d’une possibilité de pleine conscience.
Pour la Mandalukya Upanishad et d’autres textes, il n’en va pas du tout ainsi : c’est la conscience ordinaire qui est le plus loin de l’éveil, de la réalité essentielle. Il faut ensuite traverser les océans du rêve, qui sont aussi le domaine des dieux et des démons, c’est-à-dire des archétypes, pour rencontrer enfin le voile du sommeil profond. Ce dernier nous protège de la lumière rayonnante de turya qui ferait, si nous la voyions directement, disparaître toutes les illusions sur lesquelles reposent la conscience ordinaire et les différents degrés du rêve. Le sommeil profond est aussi la pure inconscience, et par extension on peut voir là figuré le voile de l’inconscient autour du Soi, qui protège le moi d’un contact trop direct avec le Soi. On a aussi un écho de cette même idée dans le tsimtsoum (en hébreu : contraction) de la Kabbale qui veut que Dieu ait dû se retirer, se contracter, pour permettre au monde d’exister. Toutes ces approches convergent pour dire qu’en fait, turya est la conscience originelle du Soi qui se limite en tirant un voile d’inconscience pour permettre à la conscience ordinaire du moi de vaquer à ses occupations et de rêver
C’est un point de vue que n’auraient pas démenti les anciens alchimistes, qui étaient préoccupés de délivrer l’âme emprisonnée dans la matière. J’indiquais plus haut la correspondance probable entre les quatre états de conscience décrits par le omkar, et les quatre éléments décrits initialement par Empédocle[1] comme constituant « la quadruple racine de toute chose ». En Occident, nous retrouvons cette quaternité fondamentale dans la croix, dont le dessin nous amène encore à une autre compréhension symbolique. En effet, les alchimistes s’intéressaient tout particulièrement à la quintessence, c’est-à-dire à la cinquième essence symbolisée par le centre de la croix. Celle-ci était conçue comme l’élément qui assurait la cohésion de l’univers en tenant ensemble les opposés. En termes psychologiques, il ne peut s’agir ici que de l’amour, qui est symbolisé aussi par l’union de la lune et du soleil dans turya.
La quintessence réunit les quatre éléments en un seul, en leur donnant un centre. Elle représente l’union des quatre, la croix toute entière, et symbolise la totalité intérieure. Nous pouvons donc en déduire que c’est la signification la plus fondamentale du omkar oriental comme de la croix occidentale : à l’origine de tout, il y a le mystère inconcevable de l’Amour qui tient tout ensemble mais de cela, on ne peut rien dire.
C’est à cela que servent les symboles : dire l’indicible.
[1] « Connais
premièrement la quadruple racine
De
toutes choses : Zeus aux feux lumineux,
Héra
mère de vie, et puis Aidônéus,
Nestis
enfin, aux pleurs dont les mortels s'abreuvent » (Empédocle)