mercredi 19 août 2020

Trou noir

 


Au début de l’été, j’ai entendu un très beau rêve. La rêveuse est une femme qui vit une grande transition de vie avec beaucoup d’incertitudes concernant son avenir. Elle a reçu ce rêve la veille de la cérémonie funéraire célébrée pour son frère qui venait de décéder.

La rêveuse est avec sa fille mais elle ne voit que ses jambes, ses pieds avec des sandales toutes neuves. Il y a une flaque noire sur le bitume. Elle se dit :

- Elle ne va pas y aller ?

Mais si, elle y va et elle s’enfonce dans cette flaque d’eau noire jusqu’à y disparaître entièrement. La rêveuse plonge alors sa main dans l’eau pour rattraper sa fille. Elle sent la main de cette dernière prendre la sienne. C’est une main chaude. Il n’y aucune inquiétude, aucune anxiété. Curieusement, sa main n’est pas mouillée.

Plusieurs synchronicités autour de ce rêve renvoient la rêveuse à une expérience de mort imminente qu’elle a vécue 21 ans auparavant. Elle est frappée aussi par le fait que sa fille a le même âge qu’elle lors de sa naissance. Enfin, il se trouve qu’elle a rendu visite à sa fille dans les jours précédant le rêve pour lui porter des sandales.

Lorsqu’elle m’a parlé de ce rêve, j’ai souligné le fait que nos enfants symbolisent souvent notre avenir dans les rêves. En effet, nous nous prolongeons dans nos enfants. Je me suis un peu inquiété de ce que la porteuse de cet avenir disparaisse ainsi dans une flaque d’eau noire. Du point de vue d’une interprétation psychologique, on pourrait craindre là un passage dépressif éventuellement lié au deuil ou à l’incertitude concernant l’avenir. Mais la rêveuse commentant son propre rêve insistait sur la confiance et la sérénité qui entourait celui-ci, particulièrement dans le contact avec la main de sa fille. Habituée à écouter ses propres rêves, elle parlait de descente du féminin dans les profondeurs et de contact avec l’inconnu. Nous avons discuté de sa connexion profonde avec la mort…

Quelques temps plus tard, nous avons tenu une loge de rêves avec une dizaine de personnes. C’était la première loge de rêves en présentiel que j’avais le plaisir de faciliter depuis le confinement. La rêveuse y a proposé ce rêve. Il a reçu toute sorte de résonances fort intéressantes et soudain, quand cela a été son tour de parler, un des participants a sorti un livre qu’il était en train de lire et nous l’a montré. Il s’agissait de :

Les trous noirs, de Jean-Pierre Luminet


Il y a eu une vague d’émotion dans le cercle. Tout à coup, notre perspective sur le rêve venait de changer radicalement. Nous avons exploré l’idée qui voulait que ce trou noir donne accès à une autre dimension, un autre espace. Le fait que l’eau noire du rêve ne mouille pas est apparu comme une signature de cette nouvelle dimension, de l’entrée dans l’inconnu. Le parallèle avec la mort est devenu évident mais en faisant ressortir la confiance et la sérénité régnant dans ce rêve. Le mot de la fin a été amené dans l’hilarité générale par le même participant qui avait éclairé le rêve en le connectant aux trous noirs quand il a suggéré de prolonger ce dernier en prenant le trou noir et en le posant sur un mur pour ensuite le traverser, aller voir ce qu’il y a de l’autre côté.

Décidément, c’était bien au travers de ce rêve une toute nouvelle façon de se déplacer dans la réalité, symbolisée par les sandales neuves de sa fille, qui était proposée à la rêveuse. Il m’a semblé intéressant de vous le partager car il se pourrait que les images toutes personnelles de ce rêve aient une profonde résonance collective. En effet, il semble que par bien des aspects nous soyons au bord d’un trou noir, ou peut-être déjà en train de plonger dans celui-ci. Cette métaphore vaut autant pour de nombreux individus qui vivent de grandes crises de transition que pour la planète toute entière. Mais il faut nous souvenir que ce pourrait bien être le passage vers un tout nouvel espace, le moyen d’entrer en contact avec une dimension inconnue, et garder confiance, rester ancrés dans une profonde sérénité de cœur. Ainsi, peut-être saurons-nous faire des trous noirs de nos vies des portes débouchant sur le nouveau, le jamais-vu, le jamais-entendu...

* * *

En complément de ce rêve, je vous propose une réflexion sur les filtres nécessaires à appliquer, dans les temps troublés que nous vivons, à nos prises de parole dans l’espace public, en particulier sur les réseaux sociaux. Quand je suis parti en vacances cet été, j’étais préoccupé en particulier de constater l’agitation croissante sur ces derniers, qui se traduit en expression d’anxiété et de colère, quand ce n’est pas de haine. J’étais inquiet en particulier de voir des personnes affichant des vues spirituelles contribuer à la discorde en répandant des messages empreints de peur, diabolisant les autorités en place en leur prêtant de sombres desseins. Bien sûr, je n’ai pu éviter d’y voir l’ombre à l’œuvre et c’est le danger qui guette ceux qui s’identifient à la lumière que de voir tout en noir chez d’autres. Mais surtout, le constat qui m’a donné à réfléchir, c’est que moi-même ne pouvait bien souvent éviter d’amener ma propre agitation intérieure dans l’expression de mes opinions sur ces réseaux sociaux. 

Or il me semble que nous avons tou.te.s une responsabilité à prendre dans le fait de nous garder de répandre autant que possible nos peurs, nos allergies, nos inimitiés, et tout le poison mental qui va avec, dans l’espace public. C’est une prophylaxie nécessaire, tout autant sinon plus encore que les « gestes barrière », pour éviter d’alimenter la dimension émotionnelle du chaos vers lequel nous semblons collectivement glisser ces temps-ci. Ce chaos est sans doute une étape nécessaire de la transition dans laquelle nous nous trouvons, mais il peut prendre une tournure dangereuse s’il laisse le champ libre à des opinions essentiellement émotionnelles alimentant la discorde dans la vindicte et les accusations. C’est à chacun.e de nous d’ancrer la paix dans nos esprits et nos cœurs pour que la paix l’emporte dans le monde. C’est en effet la qualité de nos relations, le soin que nous prendrons de nos liens, qui seront déterminant pour édifier le « monde d’après »...

J’ai donc, en réponse à ces interrogations, résolu d’adopter autant que possible, dans ma parole et ma pensée, un outil simple et éprouvé que l’on appelle les filtres de Socrate – ou plus précisément, les filtres de Socrate renforcés par le Travail de Byron Katie. 


Pour la dimension philosophique de du dialogue prêté à Socrate par Platon qui présente ces filtres, je vous invite à lire cette page qui vous en propose un résumé : https://nospensees.fr/les-trois-filtres-de-socrate. Pour ma part, je vous en proposerai une paraphrase adaptée à notre temps, avec un ami qui vient me voir avec une affirmation à propos de la pandémie, soit qu’il n’y jamais eu de pandémie et que c’est un canular, soit que la pandémie est finie, soit encore que la pandémie est en train de repartir en fou et qu’il faut dormir avec son masque, etc. Nous avons tous un ami comme cela, et ses opinions tranchées peuvent concerner tous les sujets...

La première question est : 

- Est-ce que c’est vrai ? Es-tu absolument certain que ce que tu affirmes soit vrai ?

S’il est honnête, et même s’il est médecin épidémiologiste (alors ne parlons pas de ceux qui s’improvisent épidémiologistes…), il reconnaîtra probablement qu’il y a un doute – ou alors, il est fort probable que ce soit l’émotion qui parle. Dans ce dernier cas, les techniques d’investigation de l’histoire qu’il se raconte proposées par Byron Katie pourront être très utiles. Il importe de se rappeler que même si mon ami est à ce stade très agressif, son propos est fondé sur des émotions légitimes que nous partageons tous en temps qu’êtres humains. La Communication Non Violente peut ici être aussi très utile pour accueillir ces émotions sans nous laisser aveugler par celles-ci, ou les émotions que sa prise de position suscite en nous...

Si mon ami reconnaît qu’il y a un doute au moins raisonnable qui peut tempérer ce qu’il affirme, la deuxième question est alors : 

- Si ce n’est pas vrai, si tu ne peux pas être certain que ce soit vrai, est-ce que cela fait du bien d’entendre ce que tu affirmes ? Est-ce que c’est bon ? Ou plus subtilement encore : de quelle intention profonde cela part-il ?

Il est bien rare ces temps-ci que les affirmations qui nous soient prodiguées visent à renforcer la paix, la confiance en l’avenir, l’amour que nous pouvons avoir les uns pour les autres. Il faut donc faire bien attention. Si ce n’est pas vrai et cela ne fait pas de bien, à quoi cela sert-il d’en parler ?

Et donc si mon ami est honnête, ce que je crois que nous sommes tou.te.s pour l’essentiel, la troisième question est : 

- Est-ce utile ? Est-il nécessaire d’en parler ? Ou plus profondément : que proposes-tu positivement ?…

S’il n’est pas certain que ce soit vrai, si cela ne fait pas de bien mais contribue à la discorde et l’agitation, si ce n’est pas utile et qu’il n’y a pas de proposition positive, à quoi bon en parler ? Il vaut mieux garder le silence.

Ces filtres de Socrate sont renforcés en particulier par le Travail de Byron Katie (https://thework.com/sites/francais) qui permet de poursuivre l’investigation avec l’ami qui est absolument convaincu que ce qu’il affirme est vrai, avec les questions suivantes :

- Comment peux-tu être absolument certain que c’est vrai ?

- Comment te sens-tu, dans tes émotions, ton corps… avec cette affirmation ?

- Comment te sens-tu sans cette affirmation ?

Le point clé de ce Travail est d’entrer en contact consciemment avec le ressenti émotionnel et corporel qui accompagne nos affirmations. Nous prenons alors conscience que nos pensées modifient notre ressenti, au point que ce n’est pas ce que dit autrui ou ce qui se passe dans le monde qui nous fait nous sentir éventuellement mal, mais ce que nous pensons à son sujet. Au lieu de rejeter la responsabilité de notre mal-être sur autrui, de vouloir le combattre, nous pouvons prendre la responsabilité de nos pensées…

Richard Moss, qui propose un travail similaire au travers du Mandala de l’Être, dit for justement que la seule vérité des histoires que nous nous racontons, c’est comment elle nous font nous sentir. C’est la base d’une hygiène psychique que de devenir conscients de l’impact de nos pensées sur nos vies, notre ressenti...

En outre, Byron Katie propose de retourner toutes les affirmations que l’on fait à propos d’autrui en les ramenant à nous-même. Par exemple, l’affirmation : « ils cherchent à tous nous contrôler… » pourrait se retourner en « je cherche à tous les contrôler », « je sais mieux que tout le monde de quoi il retourne et comment il faudrait faire... », etc. Ce travail, quand il est fait honnêtement en recherchant des exemples de situations dans lequel le retournement est manifeste, est un merveilleux moyen de déceler nos ombres projetées sur autrui. A moins que l’on ne soit un procureur dans l’exercice de ses fonctions, il n’y a pas beaucoup d’accusation qui ne se prête à un retournement radical.


Qu’est-ce que de telles considérations viennent faire dans un blogue sur le rêve ? C’est que nous ne rêvons pas que la nuit. Quand nous croyons nos pensées, quand nous nous identifions à nos croyances au point que la réalité semble leur correspondre parfaitement, sans laisser un espace ouvert au non-savoir, c’est que nous rêvons les yeux ouverts. Il se trouve que quand on se promène au bord d’un précipice comme nous le faisons collectivement ces temps-ci, cela peut être dangereux…

J’ai suffisamment éprouvé les affirmations ci-dessus pour pouvoir affirmer qu’elles sont vraies, non d’une vérité absolue mais d’une vérité pragmatique, efficace. Je les crois vraiment utiles par les temps qui courent et en tous cas, je les propose avec la conviction que la connaissance de ces pratiques fait du bien. Quand on se libère des pensées qui suscitent une contraction dans notre corps, qu’elle soit de peur ou de colère, on se sent plus léger, on respire et la vie, quoi qu’il en soit dans le monde, est belle.

Ce n’est pas facile de faire ce travail d’investigation de nos pensées et de nos croyances. Mais il se pourrait (aucune certitude) que le nombre que nous serons à éviter de donner libre cours à nos peurs, nos fantasmes et nos colères, dans l’espace public soit déterminant pour la qualité du temps que nous avons à vivre… ensemble.

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A noter que le weekend de formation en facilitation de loges de rêves prévu les 26 et 27 septembre à Locquirec, en Bretagne, est maintenu tant que les conditions sanitaires le permettent. Pour plus d'information et pour inscription, suivez ce lien : formation.