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mardi 8 novembre 2016

Définition de l'âme


Après que j’ai publié en octobre ma réflexion sur « une vie de rêve », mon amie La Licorne m’a interrogé en privé en m’interpellant sur la définition poétique que j’y donne de l’âme :

L’âme est ce qui aime en nous.

Elle me disait apprécier la qualité poétique de la définition mais m’invitait à la préciser, en particulier en regard des notions concomitantes d’esprit, de Soi et de psyché. Elle me disait en particulier avoir renoncé pour sa part au terme « âme » pour lui préférer « esprit » quand il s’agit de désigner la part éternelle de notre être – distinction qu’elle a explicitée dans un article sur « le soi qui écrit notre vie ». Elle y déploie la métaphore de l’écriture, où le papier et l’encre symbolisent la dimension physique de notre être, la plume la psyché ou l’ego, et la personne qui écrit le soi spirituel. C’est une métaphore qui, considérant mon amour de l’écriture, ne pouvait que m’enchanter…

À la fin de cet article, elle mentionne une vidéo de Jacqueline Kelen qui résume de façon brillante la différence entre les domaines psychologiques et spirituels : Quelle différence faire entre le psychologique et le spirituel ?. J’aime beaucoup les propos de Mme Kelen, dont je recommande tous les livres. Je souscris entièrement à la distinction qu’elle établit entre psychothérapie et spiritualité, entre âme ici assimilée au psychisme et esprit. « L’esprit se reconnait à ce qu’il est indestructible. Il est immense, clair et joyeux. » (3’15) Il est ce qui en nous tend vers les mondes supérieurs. Elle insiste avec justesse sur le fait que « la joie est le climat de l’être spirituel ». À l’inverse de l’esprit impassible dans ses hauteurs, l’âme est toujours changeante : « le psychisme, c’est le monde intermédiaire sur lequel on ne peut rien bâtir. » (1’15) Elle propose à son tour la métaphore traditionnelle de la lampe à huile (4’00…) pour décrire l’être humain, dans laquelle le corps est symbolisé par le corps de la lampe, la psyché par l’huile et l’esprit par la mèche enflammée par le feu divin.

J’ai souri de voir que, dans cette discussion, l’animus (c’est-à-dire en latin : l’esprit) de la femme réclame une définition précise, un logos, tandis que l’anima (en latin : l’âme) de l’homme n’a pour lui répondre, au prime abord, qu’à offrir un certain flou poétique préservant l’éros entourant la question. Mais j’ai décidé de relever le défi de tenter d’éclaircir mon propos en vous partageant ma réflexion car l’interrogation de ce terme âme me parait vitale. Comme Jung, qui avoue l’avoir aimée autant que haïe, je me veux en effet au service de l’âme. C’est en cela, dans ce service plus qu’en me considérant comme « jungien » – ce qui supposerait un « jungisme » auquel on pourrait adhérer, ce dont je doute – que j’aime à m’imaginer comme un fidèle du vieux sage de Küsnacht…

Mon sourire s’est encore élargi quand, réfléchissant au titre que j’allais donner à cet article, j’ai commencé par penser à « Madame l’âme » avant de me rappeler que j’avais déjà publié un article ainsi intitulé en décembre 2013. J’ai relu ce billet avec grand plaisir car il introduisait déjà les éléments de ma présente réflexion. J’y disais déjà, sans que cela ait soulevé grand commentaire : « Hors de toute métaphysique donc, l’âme est finalement ce qui aime en nous, et c’est en cela qu’elle est immortelle. »

J’ai alors pensé intituler mon article « Objectivité de l’âme » car finalement, c’est de cela dont je veux discuter ici : est-il possible de définir objectivement l’âme ? Mais là encore, ma mémoire souvent défaillante m’a rappelé que j’avais déjà utilisé ce titre dans un article d’août 2014. Il s’agit là d’une discussion de la façon dont un rationalisme excessif peut, au nom de l’objectivité, sacrifier tout ce qui a trait à l’âme, réduite elle-même à une mystification. J’y fais preuve, me semble-t-il, d’une belle suite dans mes idées en énonçant là, encore une fois, ma définition poétique. J’y indique aussi déjà la direction que je donnerai à ma réflexion ici, à savoir la subjectivité intrinsèque à cette notion d’âme :

« Paradoxalement encore, c’est dans ce que nous avons de plus subjectif que transparait cette objectivité, et c’est dans le langage imagé de la poésie et des rêves, cette « poésie mathématique » de l’âme, qu’elle s’exprime le plus clairement. C’est ainsi, par exemple, qu’il est impossible de parvenir à une définition rationnelle satisfaisante de l’âme, non plus que de l’observer avec un quelconque instrument – au grand dam de notre ami rationaliste –, mais que nous pouvons en donner une définition poétique comme étant ce qui aime en nous. C’est en suivant le fil de cet amour sans lequel nous ne saurions vivre, en remontant le fleuve des rêves et des images vivantes en nous, que nous pouvons remonter jusqu’à sa source vive. »

J’en suis donc venu à considérer que le seul titre qui convient à cet article est celui qui précise exactement son objet, à savoir : sur quelle définition de l’âme pouvons-nous nous appuyer et pourquoi ? Cette réflexion m’a obligé à un retour à mes sources, nombreuses, sur le sujet. Parmi les plus importantes :

-  le livre remarquable de Diane Cousineau Brutsche, le paradoxe de l’âme sous-titré « exil et retour d’un archétype ».

- un article de James Hillman intitulé « peaks and vales »[1], (tiré des "Puer Papers," 1976) et qui s’intéresse à la distinction entre âme et esprit comme base pour la différentiation entre psychothérapie et discipline spirituelle.

Je ne vous cacherai pas que j’endosse dans une grande mesure le point de vue de James Hillman sur cette question, qui me semble amener de l’air frais dans un débat qui est un peu suranné. Il a été un des grands avocats de l’âme, se moquant sans complaisance de la façon dont on peut la déserter pour aller camper sur les hauteurs de l’abstraction à saveur spirituelle. À l’inverse du désir de conquérir les sommets de l’esprit, il reprend les mots du poète Keats pour évoquer la vallée de l’âme et parler de la nécessité de « faire de l’âme » (soul making). 

Keats écrivait dans une lettre : « Appelez le monde, si vous voulez, la vallée de la fabrique de l’âme (soul making). Alors vous connaitrez à quoi sert le monde ». On peut voir ici toute l’importance de l’âme, bien au-delà de la métaphysique : le monde est le lieu de son incarnation, et si elle n’y prend pas chair, à quoi bon le monde et la vie ?

Les cultures chamaniques ont cette notion, qui échappe le plus souvent à notre psychologie, de la « perte d’âme » qui se traduit par un vide suicidaire. Notre société de consommation, au contraire de fabriquer de l’âme, la détruit car c’est plus rentable : elle propose de combler l’absence essentielle avec des objets inutiles et des distractions sans fin. C’est ce qu’évoque ma chère enseignante Paule Lebrun quand elle parle de ces adolescents dont l’âme meurt de faim à Las Végas[2] et ailleurs. La Licorne me donnait dans nos échanges un exemple saisissant de cette perte d’âme à grandeur de notre monde en me disant qu’un enfant d’une dizaine d’années était venu la trouver pour lui dire qu’il manquait une lettre au mot « âme ». Il ne comprenait pas de quoi il était question, pour lui il ne pouvait être question là que d’une « arme », ce qui personnellement me tire une larme. Dans notre monde désenchanté, nous ne pouvons bien souvent connaître l’âme qu’en creux, par le vide que crée son absence…

Vous aurez peut-être remarqué la proximité entre soul making, faire de l’âme, et love making, faire l’amour. Elle n’est pas aussi hasardeuse qu’il y parait car l’un et l’autre ont une dimension collective : on tisse de l’âme ensemble, de même que faire l’amour implique une relation. On peut voir là, déjà en filigrane dans ces mots, ce que l’âme a de féminin, c’est-à-dire de dévolu à l’éros. Mais ces considérations anticipent sur ma conclusion puisqu’elles commencent à suggérer que l’âme et l’amour sont indissociables, comme le prétend ma définition poétique. Remarquons cependant que quand il n’y a plus d’âme, c’est tout le tissu relationnel qui se disloque : l’individu déserté par son âme ne sait plus comment se relier, et quand la société ne crée plus d'âme, le tissu social se délite. Verra-t-on un jour une révolte de l’âme qui brûlera les fausses idoles qui l’empoisonnent ? Je me prends à le souhaiter ouvertement, à l’appeler.

Hillman nous amène encore deux idées clés. D’abord, il suggère que l’âme comme l’amour sont des réalités d’expérience que l’on éprouve, et non que l’on prouve, comme le voudrait l’esprit. L’âme n’est pas une donnée acquise, il s’agit de la générer, de la tisser et de la faire. Si l’âme n’est pas vécue, elle est nulle et non avenue, et l’on peine à distinguer l’humain du robot, de la machine programmée pour remplir une certaine tâche dans laquelle elle est remplaçable. La génération de cette âme vivante est le but du soulwork (travail de l’âme) que nous faisons par exemple dans l’école Ho Rites de Passage fondée par Paule Lebrun au travers de l’élaboration de rituels, ou dans l’expérience de la quête de vision. C’est aussi ce qu’on fait en écoutant les rêves, en particulier dans les cercles de rêves : l’âme est tissée par les images vivantes.

Ce qui nous amène à la deuxième idée clé de James Hillman sur cette question. Pour commencer, il interroge de quel droit et de quel point de vue nous définissons l’âme. Il y a là le même abus que lorsque nous parlons de « notre » âme alors qu’il faut être clair, c’est nous qui lui appartenons, à l’âme. L’esprit fait violence à l’âme quand il prétend la définir, en faire une abstraction. Il oublie que l’âme est un archétype et que les archétypes sont des réalités vivantes, non conceptuelles, et dont les frontières ne sont pas tirées au cordeau. L’âme est psyché, nous disent la psychologie et Mme Kelen, et avec elle toute la tradition, c’est-à-dire psychisme, changement, inconstance, papillon multicolore et virevoltant. Jung est ambigu sur ce point : il évoque souvent l’âme en lieu et place de la psyché (der Seele), et puis il arrive qu’il laisse entendre que l’âme est une dimension spécifique de la psyché, par exemple quand il affirme :

« L’âme est à Dieu ce que l’œil est au soleil. »[3]

Une autre confusion vient de l’assimilation fréquente chez Jung de l’âme à l’anima de l’homme. Mais alors les femmes n’auraient pas d’âme ? Et les pingouins, interrogeait déjà Anatole France[4] ? On peut détecter là des relents de la vision patriarcale qui s’est glissée dans l’arrière-plan des travaux de Jung, qui ne pouvait s’élever au-dessus de son époque même s’il a fait beaucoup pour l’émancipation féminine. Justement, Hillman propose de sortir de ces modèles sexués et affirme ouvertement que femmes et hommes ont une anima comme un animus, entendus moins comme féminin de l’un et masculin de l’autre que comme des modes d’appréhension du réel, âme et esprit. Et c’est là qu’Hillman amène, quant à notre définition de l’âme, l’élément décisif en revenant et en s’arrêtant à la proposition fondamentale de Jung :

« La psyché est images. »[5]

On pourrait dire, pour être plus précis encore et renverser l’assimilation de l’âme à la psyché : l’âme est images. Elle est tissée d’images vivantes. Là où l’esprit cherche à tirer des abstractions du réel, l’âme se manifeste dans l’imagination, les fantaisies, les  métaphores et les symboles, nous dit Hillman. Faire de l’âme, comme il nous y invite, consiste en mettre notre existence en images qui ont leur propre vie. C’est ce que font les rêves, mais nous pouvons le faire consciemment avec l’imagination active. J’ai déjà parlé[6] du fait que la plupart de notre conflits existentiels ne se laissent pas rationaliser, ou plutôt, leur rationalisation n’amène aucune solution au « problème » (un vocabulaire qui dénote l’esprit à l’œuvre), tandis que la mise en images de la situation dynamise notre cerveau droit et se révèle souvent riche de potentialités insoupçonnées.

Hillman assène enfin le coup de grâce à toutes nos tentatives pour abstraire une définition de l’âme en faisant remarquer que, quelle que soit l’ambition de l’esprit de s’élever jusqu’à une abstraction objective, nous sommes toujours pris dans des métaphores. Il parle des métaphores-racines qui constituent la base de notre conception du monde et de la vie, sans lesquelles nous ne pourrions les appréhender. Ces métaphores sont collectives et généralement inconscientes, liées à l’époque et à la culture. C'est ce qui peut nous rendre difficile de comprendre la mentalité d’un Égyptien d’il y a 3500 ans, à moins d’entrer dans le monde de ses images intérieures.

Et remarquons donc, pour revenir à notre définition, que La Licorne avec l’écriture ou Mme Kelen avec la lampe à huile ne peuvent nous proposer que des métaphores à propos de l’âme. En effet, nul n’a vu l’âme, ne peut la décrire de façon concrète. Et ce n’est pas non plus un concept que nous pouvons déduire par raisonnement. C’est une réalité vivante, inconnue, sur laquelle quelque chose (l’âme elle-même) se projette. Mais en tentant de la définir ainsi, nous essayons de tirer des abstractions de métaphores, c’est-à-dire de faire de l’esprit à partir de l’âme, ce qui équivaut à tenter de sauter par-dessus notre propre tête ! Mais qu’en est-il vraiment ? Que pouvons-nous savoir de l’âme ?

Qu’a-t-elle à dire à son propre sujet ?

Le poisson dans l’eau peut-il analyser cette eau et parvenir à une définition de celle-ci ? Oui, si c’est un poisson chimiste et qu’il a une notion de l’existence de l’hydrogène et de l’oxygène, ainsi que de leur combinaison. Mais cette définition est du même ordre que la formule chimique de la pomme, elle ne nourrit pas, et cette eau là, rendue abstraite, ne désaltère pas. Le poisson y meurt. En outre, pour avoir une telle capacité à abstraire l’eau, il faudrait que notre poisson puisse en sortir et la différentier d’autre chose, mais dès lors, ce ne serait plus un poisson. C’est le problème que n’a cessé de souligner Jung : quoi qu’on dise de la psyché, c’est encore la psyché qui le dit. Cela vaut pour l’âme : comment pourrions-nous nous différentier de notre âme ?

C’est à ce point du débat qu’il me parait judicieux de faire intervenir Mme Cousineau Brutsche car son exposé amène un éclairage précieux. Relevons au passage, comme une synchronicité amusante, le fait que la couverture de son livre est illustrée par la tapisserie de Cluny appelée <i>La Dame à La Licorne</i>, qu’elle analyse en détail pour alimenter sa réflexion. Là où la vision traditionnelle propose donc la métaphore qui veut que l’âme soit entre le corps et l’esprit, et dans notre perspective judéo-chrétienne éprise des sommets spirituels, dévalorisée avec le corps et le féminin de l’être au profit du « pur esprit », Mme Cousineau Brutsche propose de considérer l’âme comme une réalité paradoxale et toujours médiatrice entre les opposés.

Dans la vision duelle du mental, le monde est toujours fait d’opposés et ils semblent disjoints, séparés. Ainsi, il semble qu’on puisse gloser à perte de vue sur le corps et l’esprit, la forme et le fond, comme si l’un pouvait exister sans l’autre. De la même façon, nos physiciens ont tenté de déterminer si la lumière était ondulatoire ou faite de particules avant de se rendre à l’évidence que leur renvoyaient leurs instruments : la lumière est onde ET particule. Les bouddhistes ont cette expression qui tranche dans le paradoxe de l’âme quand ils parlent du corps-mental, ou du corps-esprit, comme constituant une réalité indissociable. Voilà donc la définition fondamentale que nous pouvons donner de l’âme : elle est cette réalité paradoxale qui se définit tout à la fois comme esprit et comme corps, et les relie. Cette approche n’invalide pas les métaphore de l’écriture et de la lampe à huile mais elle leur donne un contexte, elle les élargit…

La métaphore racine qui permet ici l’élargissement de la perception de l’âme réclame de passer d’une vision qui prétend faire de l’âme un objet bien défini à une vision énergétique qui sous-tendait la pensée de Jung. Je cite Mme Cousineau Brutsche :

« L’énergie psychique étant le résultat de la tension entre les opposés, l’Âme, entité apparaissant au centre du champ énergétique, pourrait être décrite comme un "effet" de la polarisation des opposés psychiques. Toutefois, étant donné que cette séparation en paire d’opposés résulte elle-même d’un acte psychique, l’Âme, comme sujet psychique cette fois, se révèle du même coup "effet" et "cause" de la tension entre les opposés : autre aspect de sa nature paradoxale. Une telle représentation permet de percevoir l’Âme comme un sujet à la fois créateur et médiateur entre les deux énergies collectives des instincts (corps) et des archétypes (esprit); entre ces deux sujets aussi que sont le Moi (individuel et unique) et le Soi (collectif, universel). »

Dans cette perspective, – dont il faut bien avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une représentation, d’une autre image – on peut encore dire que l’âme est au cœur de ce que Jung a appelé la « fonction transcendante » qui relie le moi temporel au Soi éternel. Ou pour renverser le propos, on peut dire que ce que nous appelons le moi est la part mortelle de l’âme tandis que le Soi en est la dimension éternelle, qui toujours renaît dans de nouveaux « moi ». De même, Jung a expliqué que ce n’est pas l’âme qui est dans le corps mais le corps qui est dans l’âme, qui en est la partie visible. Et si l’on cesse de vouloir abstraire l’esprit de la réalité, on conviendra qu’il est simplement la partie invisible de l’âme. Non sans remarquer que ce qui change par là, ce ne sont pas tant la définition que nous donnons aux mots que la relation que nous entretenons avec la réalité de l’âme au travers des mots que nous employons pour en parler.

Dès lors, comment puis-je affirmer que l’âme est ce qui aime ?

D’abord, vous l’aurez peut-être entendu, il y a là un jeu sur les mots qui rapproche « âme » de « amour », « amant », « aimant ». Or le langage n’est pas innocent : l’écoute des rêves familiarise avec le fait qu’il y a là des connexions subtiles qui transparaissent, de l’ordre de ce qu’on appelle « la langue des oiseaux ». Mme Cousineau Brutsche fait remarquer que « l’amour, comme l’Âme, joue le rôle de tiers médiateur entre les opposés », en particulier le masculin et le féminin. » Dès lors, explique-t-elle, « l’amour me parait être, sur le plan inter-personnel, exactement ce que l’Âme est sur le plan intrapsychique ». Mais le lien entre l’âme et l’amour va plus loin quand on considère que l’amour est la principale force motrice de l’univers, l’aimant qui aimante toutes choses pour les mener à leur finalité.

En effet, rappelons-nous qu’en latin, l’âme est « anima », non dans le sens psychologique mais dans celui de « ce qui anime ». Dès lors, nous entrons dans le domaine de l’intuition pure que rien ne prouve et, je l’ai bien dit, de la poésie. Qu’est-ce qui anime les êtres vivants, et plus largement, fait tourner les planètes ? L’amour est à l’origine de tout dynamisme psychique. L’animal mange pour avoir la satisfaction d’avoir le ventre plein; c’est bon, il aime ça. Même un meurtrier agit par amour, non pas pour sa victime mais pour lui-même et la satisfaction qu’il éprouve dans ce geste, ou pour toute autre cause qu’il se donne pour justifier son acte. Cet amour est primaire, aveugle à l’autre, et ne l’absout pas de la culpabilité de son geste. Mais s’il n’y avait pas d’amour, rien ne serait donc en mouvement, au moins dans la psyché…

C’est au fond ce que nous disent les mystiques quand ils annoncent que « Dieu est amour », ou dans les termes de Jung  quand il désigne Éros comme « kosmogonos[7], créateur, père et mère de la conscience ». Il avoue du même souffle qu’il n’a cessé d’être confronté dans sa pratique thérapeutique comme sa vie personnelle aux mystères de l’amour, sans rien y comprendre. Il ajoute : « il en va ici de ce qu’il y a de plus grand et de ce qu’il y a de plus petit, de ce qu’il y a de plus éloigné et de plus proche, de ce qu’il y a de plus élevé et de plus bas, et jamais aucun de ces termes ne peut être prononcé sans son contraire. S’il (l’homme) possède un grain de sagesse, il déposera les armes et appellera ignotum per ignotius – une chose ignorée par une chose plus ignorée encore – c’est-à-dire du nom de Dieu. »[8] Ou plutôt, du nom de la Déesse. Et revoilà donc l’inséparable de l’âme, le Mystère créateur qu'elle serait seule à pouvoir voir, appréhender. Mais ce que dit Jung dit ici vaut aussi pour l’âme, dès lors où l’on accepte de considérer que l’être humain n’a pas le monopole de l’âme, mais qu’il y a une Âme du monde, et des âmes minérales, végétales, animales…

En conclusion, il me semble aussi erroné de prétendre définir l’âme autrement que par une voie poétique qui laisse tout ouvert que d’essayer de comprendre l’amour qui est sa manifestation première. En disant que l’âme est ce qui aime en nous, je laisse l’âme se présenter par elle-même hors de toute abstraction. Je ne fais que désigner par là l’évidence sensible de quelque chose qui dépasse toute autre considération jusqu’à nous entrainer dans ce qui, aux yeux du monde, sera toujours folie. Mais aux yeux de l’éternité, n’est-ce pas l’épice, ce qui fait que la vie vaut d’être vécue ?

On pourrait enfin dire que, si le Soi est le Sujet essentiel, le JE SUIS originel, l’âme en est la première enveloppe, la première manifestation qui, par amour pur, fait venir le monde (et le moi) au monde. Dès lors, la psyché en est l’objectivation à l’usage des psychologues, mais l’âme est une réalité trop précieuse pour être laissée aux seules mains des psychologues. C’est pour cela qu’elle chérit les poètes et les amants, mais aussi les idiots, les fous et les enfants, manifestations de son innocence. Elle vibre dans la Beauté et et se moque de la Vérité à laquelle prétend l'esprit car elle est vérité vivante, vibrante. On peut dire d’elle aussi qu’elle est éternelle, c’est certain, mais non d’une façon statique, figée comme le voudrait l’esprit engoncé dans l’absolu, mais bien plutôt dans sa capacité de toujours mourir et renaître, d’embrasser la mort comme la vie. Et les rêves, comme le dit si bien Robert Moss, nous rappellent que l’âme a des ailes…


Quant à l’amour qui est sa substance même, il n’a rien à voir avec une rêverie de Bisounours qui voudrait que la vie avance toujours dans le coton et la douceur. Ainsi Jung affirme-t-il encore que « rien n’est possible sans amour » car, même si « la pulsion vers la totalité est la pulsion la plus forte en l’homme », seul « l’amour permet de risquer le tout pour le tout ». Sans doute faudrait-il majusculer ce second tout : risquer le tout pour le Tout, n’est-ce pas le jeu suprême ? Cet amour est donc aussi destructeur que créateur, au service toujours de l’âme qui veut s’incarner pleinement. Mais c’est le poète Kalil Gibran qui dit le mieux la rude loi de l’âme :

« Quand l’amour vous fait signe, suivez-le,
bien que ses voies soient dures et escarpées.
Et lorsque ses ailes vous enveloppent, cédez-lui,
bien que l’épée cachée dans son pennage puisse vous blesser.
Et lorsqu’il vous parle, croyez en lui
malgré que sa voix puisse briser vos rêves
comme le vent du Nord saccage vos jardins. »
[9]

[1] Traduction: Sommets et vallées.
[2] Voyez “Madame l’âme”.
[3] C.G. Jung,  Psychologie et Alchimie.
[4] Dans un roman satirique intitulé l’île des pingouins, Anatole France a imaginé (1908) qu’un curé à la vue basse ayant baptisé des pingouins en les prenant pour des hommes, ceux-ci se sont vus conférés une âme immortelle par l’Église. Il prête alors ce mot, qui est resté, à Catherine d'Alexandrie : « Donnez leur une âme, mais une petite. »
[5] C.G. Jung,  Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or.
[7] En français : Créateur de mondes (cosmos)
[8] C.G. Jung, Ma vie. Cité par Marie-Louise Von Franz dans Psychothérapies, Quelques aspects du transfert.
[9] Kalil Gibran, le Prophète.

mardi 27 septembre 2016

Métaphores


Il y a quelques années, Mme Ginette Paris, Ph D., psychothérapeute, professeure émérite au Pacifica Graduate Institute de Santa Barabara (CA) et auteure de nombreux livres, proche de James Hillman, a été invitée par la Carl Jung Society de Montréal à donner un séminaire d’une journée sur la Psychologie Archétypale. Je dois dire que jusque-là, je ne connaissais pas grand-chose du travail de James Hillman et je m’en méfiais un peu. Je le tenais responsable d’un schisme dans la communauté jungienne, et en particulier du fait qu’il y a maintenant deux écoles enseignant la psychologie analytique à Zurich. Mais le séminaire de Mme Paris m’a « renversé », et je n’emploie pas cette image au hasard.

En introduction, elle nous a rappelé la découverte de Jung : « la psyché est images »[1] et nous a invité à toujours « coller à l’image » plutôt que de partir dans des concepts. La différence fondamentale entre la psychologie archétypale et l’approche orthodoxe jungienne tient à la façon de regarder les images. Pour illustrer ce point, elle nous a parlé d’un rêve :

Le rêveur est au lit avec sa femme. Grand remue-ménage dans l’appartement. Un magnifique taureau surgit dans la chambre à coucher, et s’arrête écumant au pied du lit.

Dans le contexte conscient du rêveur, il y avait une importante frustration sexuelle. Et la tradition mythologique nous rappelle que le taureau est associé à la puissance sexuelle masculine et à Dionysos, le dieu de l’extase. Nous pouvons donc mettre en parallèle :

Situation consciente = Frustration sexuelle
Symbole inconscient = Taureau

Mais beaucoup dans notre approche du rêve dépend de comment nous relions ces deux polarités. Si nous disons :

« Le taureau symbolise votre frustration sexuelle, et in fine le Dionysos en vous »

nous allons du rêve au conscient et au concept. Nous quittons le rêve. Nous en faisons abstraction; nous en tirons une idée ou une figure mythologique. On cherche alors à interpréter la figure de Dionysos et on spéculera sur comment cela s’applique à la situation du rêveur. C’est la démarche classique d’interprétation qui a tendance à « tuer » le symbole, à l’expliquer et le ramener à du connu. On parle sur le rêve au lieu de le laisser parler…

Le rêve est ramené au conscient, au connu :

Rêve  => Conscient
 Mais si nous disons :

« Votre frustration sexuelle se symbolise dans ce taureau magnifique, plein de vigueur et de santé, mais impatient et envahissant »

L’interprétation est proprement « renversée » : il s’agit de voir comment la réalité vécue consciemment est symbolisée par la métaphore offerte par le rêve, et partant de là, ce que le rêve ajoute à ce qui est déjà connu. Le mouvement observé va du conscient au rêve :

Conscient => Rêve

Dès lors, la métaphore enrichit le vécu en dégageant son contexte inconscient : la frustration sexuelle pourrait être symbolisée de bien des façons, comme par exemple par l’image d’une cocotte-minute au bord d’exploser, mais ici, il s’agit d’un taureau, et pas de n’importe quelle image de taureau : celui-là est beau, sain, fort, c’est-à-dire d’un animal évoquant la puissance instinctuelle indomptable. Et si l’on éprouve encore le besoin de parler de Dionysos, ce qui n’est pas nécessairement utile à la compréhension du rêve par le rêveur, la mythologie élargira encore le contexte inconscient du vécu de la frustration...

Nous décrivons là le processus qui extrait de la matière consciente l’image vivante. Celle-ci vit en nous, nous travaille. La psyché offre une métaphore pour exprimer la frustration sexuelle, la « travailler ». En grec, meta phoros veut dire « qui emmène plus loin ». Le rêveur est invité à prendre conscience que sa frustration exprime la vie du Dionysos en lui, avec la force et l’impétuosité du taureau; une énergie qu’il peut vivre, ou pour filer la métaphore, « chevaucher ». Où cela pourrait-il l’amener ?

Ce qui est intéressant avec les images, c’est qu’on peut travailler avec elles de toutes sortes de façons non intellectuelles, dans lesquelles c’est l’image qui parle, l’imagination qui s’active. On peut interroger le ressenti lié à l’image. Jung a cette phrase merveilleuse dans Ma vie, que je répète dans plusieurs de mes articles tant elle me semble clé :

« Dans la mesure où je parvenais à traduire les émotions qui m’agitaient, c’est-à-dire à trouver les images qui se cachaient dans les émotions, la paix intérieure s’installait. »

On peut aussi élargir le contexte de l’image : bon, d’accord on a bien vu le taureau, mais que se passe-t-il autour ? Ici, l’épouse du rêveur était recroquevillée de peur sous les couvertures. Tout à coup, la métaphore vient de prendre une autre direction : l’expression dionysiaque de la frustration sexuelle du rêveur fait peur à sa conjointe. Or la peur ne favorise pas les rapprochements. Une piste de travail avec la frustration vient de se présenter : il faut  peut-être calmer l’impétuosité du taureau, rassurer la conjointe, ou peut-être faut-il comprendre au contraire que la conjointe est incapable d’une relation mature avec le principe masculin et que l’union profonde ne sera jamais possible.

Cette façon de travailler avec les rêves peut être élargie à toutes les images intérieures, par exemple celles qui proviennent de l’imagination et qui peuplent les fantasmes. Elle est particulièrement utile quand il s’agit d’adresser un conflit conscient devant lequel la rationalité de notre cerveau gauche s’avère impuissante. Jung a redécouvert la technique qu’il a appelé « imagination active » et qui permet d’aller chercher le point de vue de l’inconscient sur les préoccupations conscientes.

En termes peut-être plus contemporains, c’est-à-dire en filant la métaphore neurologique plutôt que psychanalytique, nous dirons qu’il s’agit de mettre en œuvre notre cerveau droit, qui « pense » par images, pour compléter l’apport rationnel de notre cerveau gauche. Nous utilisons alors tout notre cerveau, l’ensemble de notre intelligence, pour débrouiller la situation. Tandis que le cerveau gauche utilise surtout ce qui est déjà connu pour appréhender celle-ci, le cerveau droit fait preuve de créativité, un ingrédient essentiel pour aborder à ce que la situation a de nouveau. Or quand nous vivons dans le présent, il est impossible de se reposer seulement sur le connu, qui est aussi le passé : il nous faut aborder chaque situation comme étant, au moins en partie, nouvelle et riche de  potentialités insoupçonnées.

La technique de ce travail avec les images intérieures est très simple. Il s’agit toujours de partir du senti et de l’amener à se déployer dans une image par le truchement de la métaphore. Le mot clé est « comme ». Tu te sens … comme quoi ?

Prenons pour exemple une situation fictive mais typique de conflit avec mon patron qui m’a convoqué dans son bureau pour me passer un savon. J’ai été humilié et je ne sais pas, dès lors, ce que je devrais faire : ravaler mon humiliation ou poser ma démission ?

Le senti émotionnel est donc : humiliation.

À noter que dans le terme même d’humiliation, il y a déjà une image évoquant le fait d’être ramené à l’humus, à la terre, qui mériterait d’être explorée. Mais la question qui se pose dès lors que le senti est clairement identifié est :

Humilié comment ?

On peut, dans un dialogue, proposer des images :

Humilié comme un guerrier vaincu ?

Comme un enfant à qui on fait des remontrances ?

Comme un esclave sous le fouet ?

Comme un fauve au bout d’une chaine ?


Ce ne sont que des propositions, qui visent à déclencher un mouvement intérieur chez la personne qui vit la situation, le conflit. En écoutant la réaction interne à l’image proposée, la personne sent si celle-ci la met en contact avec le noyau du conflit ou si elle l’en éloigne. Mais ces propositions ne visent qu’à faciliter l’émergence de l’image propre à la personne dans cette situation, une image unique pour chacun.

L’approche archétypale de James Hillman et Ginette Paris pose ce genre de questions, retournant en cela à l’intuition fondamentale de Jung, selon laquelle la psyché est images. On recherche pour chaque situation, chaque émotion, une image spécifique, aussi précise que possible. Plus l’image décelée est spécifique, plus le travail sera efficace. Il s’agit d’observer le mouvement émotionnel qui répond à chaque image proposée. Dans le cas présent, la dernière image a réveillé une colère qui se nichait dans la dépression allant avec le conflit, colère qui s’est mise à gronder comme un fauve. Mais l’image évolue, et la douleur ressentie peut très bien, plus tard, se symboliser dans l’image d’une fleur poussant entre les pavés, et qui a été écrasée par une grosse botte…

Nous avons déjà, partant du senti premier de l’humiliation, fait pas mal de chemin.

À l’humiliation est associée d’abord la colère sauvage, c’est-à-dire non domestiquée, du fauve qui ronge son frein au bout d’une chaîne. En allant avec cette image, il ressort toute une fantaisie de violence qu’il vaut mieux rendre consciente : « en effet, j’ai songé à lui envoyé la chaise en travers de la figure ». Oups ! Si l’on veut éviter d’être la proie d’une impulsion destructrice qui peut avoir, au moins socialement parlant, de graves conséquences, il faut avoir de tels mouvements intérieurs à l’œil. Sinon, un jour la chaine casse et voilà que le fauve attaque sans prévenir.

Mais c’est l’image de la fleur écrasée sous la botte qui donne la clé de la situation. Il y a quelque chose de très vulnérable dans une fleur. « Oui, j’ai vraiment essayé de donner mon meilleur dans ce boulot. J’y ai investi ma créativité, mon cœur. » Cependant, la botte évoque la brutalité aveugle, et finalement l’absence de reconnaissance ainsi que la confrontation du pot de fer contre le pot de terre. Mais surtout, il apparait que la fleur ne pousse pas au bon endroit : dans la rue, entre des pavés, elle ne peut qu’être régulièrement écrasée. Soudain, le mouvement intérieur se fait clair : il faut aller pousser ailleurs, de préférence au milieu d’un champ de fleurs ou du moins dans un espace protégé où la vulnérabilité de la fleur sera respectée, reconnue…

C’est la vertu merveilleuse de ce travail avec les métaphores. Dès lors qu’on a une image vivante de la situation vécue, on peut la situer sur une carte, dans un contexte plus large. Et les images contiennent leur propre dynamisme. Car dès qu’une image est vue, elle commence à se transformer. Il n’y a pas d’images fixes dans la psyché : elles sont l’expression momentanée de l’énergie psychique qui, dès lors qu’elle est rendue consciente, continue de couler. Ainsi chaque situation peut-elle révéler le potentiel qui lui est propre, le mouvement qu’elle réclame. Ce n’est plus « moi » qui décide mais la totalité de la psyché, le Soi, qui s’implique dans la décision, qui coule donc de source.

On peut dès lors, en écoutant les images intérieures, vivre en Tao, c’est-à-dire en harmonie intérieure avec chaque situation, en reconnaissant ce que chacune d’entre elle a d’unique. En effet, une même situation, selon le moment, les circonstances, les personnes impliquées, peut réclamer des actions très différentes. Il n’y a que le cerveau gauche, vivant dans le passé et cherchant à en tirer des règles définitives, pour croire qu’on peut appliquer une même recette à des situations d’apparence similaire. Cela donne une fallacieuse impression de sécurité, mais lorsqu’on vit dans le présent, on doit aller avec ce qui est là, dans l’ouverture à l’inconnu, au nouveau. On passe alors de la réaction plus ou moins consciente, et prévisible, aux circonstances de notre vie à la création active de celle-ci…



J’aurai le plaisir d’assister Mme Ginette Paris dans une série de 5 séminaires sur la psychologie archétypale qu’elle donnera à Montréal avec l’école Ho Rites de Passage à partir du 4 décembre. Vous trouverez plus d'information ici : archétypes et neurones.

Le jeudi 27 octobre à 19h, Mme Ginette Paris sera l’invitée de Stéphane Crète pour une discussion publique sur le thème « Archétypes et neurones ». Vous trouverez plus d’information ici : Une soirée avec Ginette Paris.



[1] C.G Jung, Commentaire sur le mystère de la Fleur d’Or, Albin Michel.

jeudi 3 septembre 2015

Une carte de l'inconscient


Jung n’était pas un homme de système logique ou de spéculations théoriques. Il ne cherchait pas à construire un édifice intellectuel ou une école de pensée estampillée de son nom. C’était un empiriste et un médecin pragmatique. Il tenait plutôt de l’explorateur qui a découvert un continent perdu et a pris pied dans l’inconnu. D’autres, dont en particulier Freud, ont abordé ces étranges rivages avant lui, mais ils s’en sont tenus à construire des fortifications sur la plage pour se protéger des créatures inquiétantes qui semblaient roder dans la forêt toute proche. La nuit en particulier, on pouvait entendre des grondements et des craquements sourds, parfois des cris inhumains. Jung, un peu par inadvertance, a découvert le lit d’une rivière qui s’enfonçait dans la jungle sauvage, et il l’a suivi. Il a été emporté par les flots qui l’ont surpris. Ce qui alors s’est ouvert à lui dépasse tout ce qu’on peut imaginer…

D’innombrables contes en parlaient. Depuis toujours, les hommes connaissaient l’existence d’un pays intemporel qu’on disait être le royaume des dieux, des esprits et des ancêtres, l’Autre Côté des choses. Le chemin pour y parvenir était clairement indiqué : c’était l’intérieur de la nature, où il arrivait qu’un héros glisse à la suite d’une jolie fée, et dont il ne ressortait jamais, ou alors trois cents ans plus tard, égaré dans un futur improbable. Mais nous avons considéré la nature comme négligeable et exploitable, nous avons cru pouvoir nous en abstraire dans notre orgueilleuse modernité. Nous avons été assez idiots pour croire que les contes servaient seulement à endormir les enfants. Et la nature a silencieusement refermé ses portes tandis que celles et ceux qui se souvenaient se sont fait de plus en plus rares. Nous avons perdu le chemin et jusqu’au souvenir du royaume merveilleux.

Nous devons à Jung d’avoir retrouvé un accès à ce monde perdu. Son rêve de jeunesse de devenir archéologue s’est réalisé symboliquement : il a exhumé des trésors venant d’un lointain passé et, pour certains, éternels. Il dit ouvertement de quoi il est question dans une lettre en 1932 :

« Ce que l’on appelle exploration de l’inconscient dévoile en fait et en vérité l’antique et intemporelle voie initiatique. [...] seul un chevalier risquera la ‘queste et l’aventure’. »

C’est un chemin pavé d’images vivantes. « La psyché est images[1] » et celles-ci forment à la fois le sol sous nos pas et le ciel au-dessus de nos têtes. Elles constituent notre horizon. Nous ne pouvons appréhender l’inconscient qu’au travers de métaphores et celles-ci ne sont pas figées ; au contraire, elles évoluent sans trêve. C’est un processus dont nous sommes parties prenantes : la conscience modifie l’inconscient tout en étant affectée par celui-ci. Il est impossible de tracer une frontière tirée au cordeau entre l’inconscient et le conscient, non plus qu’entre les archétypes qui peuplent l’inconscient – cela tient, explique Von Franz, du paysage lunaire où les ombres se confondent les unes avec les autres. Nos concepts habituels, notre logique objective qui découpe le monde en objets bien délimités et manipulables mentalement n’a plus cours : il n’est qu’une façon de connaître ces choses, c’est de l’intérieur, en laissant les symboles nous parler, nous emmener.

Jung était un visionnaire, au sens de quelqu’un qui voit les images vivantes de la psyché et les observe scrupuleusement, dans les rêves, les fantaisies, les visions. Il les a étudiées à fond, avec une grande rigueur scientifique, en prenant sa propre vie comme laboratoire, mais aussi avec ses patients et ses amis. Il a trouvé également dans des livres anciens des traces de prédécesseurs qui lui ont ouvert des portes surprenantes. Il a beaucoup écrit. On sait maintenant que, sous la haute tenue intellectuelle de ses exposés, il y avait le fleuve de lave qui a inondé le Livre Rouge. Mais il a donc réussi l’exploit de mettre un pied de l’Autre Côté et d’en revenir sans décalage temporel, et on peut dire qu’il en a ramené une carte. Il a en effet élaboré un vocabulaire et des concepts qui nous donnent une orientation vis-à-vis de l’Inconscient et qui permettent d’établir une relation consciente avec ce dernier.

Il y a ainsi les territoires de l’ombre dans lesquels on pénètre dès qu’on quitte la sécurité relative de la lisière. Là, il y a toutes sortes d’animaux sauvages qui symbolisent nos instincts. Et puis il y a d’étranges fantômes qui hantent les lieux et entravent notre progression : tout ce qui n’a pas eu la chance de naître ou de vivre assez longtemps pour prendre corps. On y croise des représentants de toutes les époques, des hommes préhistoriques et des chevaliers en grand arroi, mais aussi tout ce que l’humanité peut compter comme criminels et réprouvés. Il n’est pas rare d’y retrouver ses parents dans des positions absurdes qui ne leur ressemblent pas, comme si l’on avait pénétré dans un univers parallèle. Des histoires improbables y prennent forme et force soudain de réalité. C’est un bardö[2], c’est-à-dire un espace intermédiaire où il s’agit surtout de traverser la peur, ce qui n’est possible qu’en reconnaissant que ces ombres font partie de nous, qu’elles ont elles aussi le droit de participer à la vie.

Tôt ou tard, comme on s’est enfoncé dans les domaines de l’ombre sans recours, le paysage commence à changer. Il n’y a pas, encore une fois, de frontière clairement définie dans cette dimension, et voilà donc qu’on arrive dans un espace où l’obscurité cède la place à une magie enchanteresse. Un homme y trouvera un univers féminin insoupçonné en lui-même, le royaume de l’Anima, et une femme un monde masculin, où règne l’Animus, l’image d’homme qui vit en elle. C’est, pour l’aventurier qui tente cette traversée, le domaine des plus effrayantes sorcières et des plus séduisantes magiciennes, et il lui faut trouver celle qui connait le chemin qui passe entre les gouffres, qui le guidera. Les dangers ne sont pas moindres que précédemment car c’est maintenant l’illusion qui guette et peut à tout moment pousser à un faux pas. Aux défis de la peur ont succédé ceux de l’amour, et il faut être un maître, disait Jung, pour les relever. Cette fois, il y a là quelque chose qui, tout en faisant partie de nous, ne peut être entièrement assimilé et demeurera autre tant que nous serons des êtres différentiés. Il s’agit d’engager un dialogue avec cet Autre, de trouver un partenariat satisfaisant avec lui/elle, de nous laisser prendre par la main et inviter à danser.

On peut mentionner que l’ombre apparait dans les rêves sous forme de personnages du même sexe que la personne qui rêve, tandis que l’anima et l’animus apparaissent sous la forme de personnages de sexe opposé. Bien sûr, il faut insérer dans la carte que je décris d’innombrables principautés annexes où règnent toutes les figures collectives qui ont pu marquer consciemment ou non notre histoire. Et on ne peut éviter une mention spéciale pour les domaines réservés à nos pères et mères, dont il apparait bien souvent qu’ils sont multiples, qu’ils ont d’innombrables facettes dont certaines ne sont plus du tout personnelles, semblent remonter du fond des âges. Je ne peux que vous renvoyer à la littérature produite sur ces sujets en signalant que les analyses de contes par cette merveilleuse pédagogue qu’était Marie-Louise Von Franz comptent certainement parmi les meilleures introductions[3] à la complexité foisonnante de la psyché. On y voit clairement exposée « l’anatomie comparée » de l’inconscient.

Finalement, tôt ou tard le paysage se transforme encore et l’on entre dans un espace où règne une dimension sacrée. On y croise des animaux légendaires – des dragons, des licornes et des hippogriffes – ainsi que des rois et des reines, des incarnations divines et des prophètes, des chamans millénaires et des extra-terrestres, des génies échappés depuis longtemps de leurs bouteilles. Les lois de la physique y sont complètement bouleversées : certains marchent sur l’eau, d’autres ramassent l’Infini dans un symbole, le temps et l’espace y sont subordonnés à l’esprit. Tout y est possible. Il y a là des sources merveilleuses où l’on retrouve la jeunesse, et des puits de profonde sagesse. On s’aperçoit tôt ou tard qu’on est entré dans un immense mandala et que tous les chemins convergent vers le centre, un centre qui n’est cependant nulle part. Ici règne le tout Autre qu’on ne saurait appréhender, et qui est cependant plus proche de nous que notre propre carotide, envers qui la seule attitude juste est la révérence. C’est le domaine du Soi, qui peut tenir aussi bien du Paradis que de l’Enfer, où dieux et diables cohabitent. Insensiblement, on y glisse dans l’éternité.

Pour rendre compte de quoi il retourne sous un autre angle, Marie-Louise Von Franz a proposé un schéma éclairant dans un de ses articles. Une image, encore une fois, vaut mieux que mille mots. Voilà donc un diagramme de la structure de l’inconscient :
On remarquera la nature fractale de la structure, qui évoque par analogie l’ordre sous-jacent au chaos des équations non-linéaires. On voit donc ici comment la conscience de l’ego (A) est représentée à l’extérieur, à la périphérie de la psyché. À l’intérieur de la structure, on progresse de l’inconscient personnel (B) à l’inconscient de groupe (C), par exemple familial, jusqu’à l’inconscient ethnique et national (D) et finalement, au centre, une dimension universelle (E). Von Franz, pour expliquer ce qu’on trouve là, rappelle que de nombreux mythes disent que le monde est le corps d’un géant, qui a souvent été dépecé pour créer ce monde. Il y a ainsi le géant Ymir dans la tradition nordique, Gayomart en Perse, le Purusha hindou et même Adam. Ce géant, que la psychologie appelle l’Anthropos, représente l’unité entre tous les êtres humains ; c’est le Grand Homme, l’organisme psychique dont toutes les âmes humaines font partie et qui recueille l’expérience de toute l’humanité. Le Soi est ce niveau de la psyché où règne l’unité au-delà des opposés, et où symboliquement il y a tout l’univers.

Ayant dit tout cela, on n’a rien dit. Avec l’inconscient, les cartes sont faites pour être déchirées ou brûlées, car en dernier lieu il est protéiforme et il se joue de nous, de toutes les tentatives de le saisir, de le circonscrire. Von Franz raconte comment Jung brouillait les pistes : « Jung, qui détestait rencontrer chez ses élèves une tournure d’esprit les portant à s’attacher à ses concepts, à les prendre littéralement et à systématiser, citant ses paroles sans les avoir repensées et comprises, lança un jour, au cours d’une discussion sur ce sujet [l’ombre]: « Tout ce que nous venons de dire ne signifie rien ! L’ombre, c’est tout simplement l’inconscient dans son entier. »»

C’est une information très importante qu’a donnée là Jung : dans l’ombre, il y a tout l’inconscient. Dans l’anima et l’animus aussi. Le Soi est cette totalité paradoxale qui réunit le conscient et l’inconscient, mais quand il se manifeste à nous, c’est encore tout l’inconscient qui se présente. À chaque fois, que ce soit avec l’ombre, l’anima/animus ou le Soi, l’inconscient nous propose une modalité de relation différente. C’est cette relation qui importe plus que les concepts. L’Inconscient ne peut qu’être hors de notre champ de conscience, insaisissable, mais nous pouvons être conscients de son existence et dès lors en tenir compte dans notre vie. Il est important de garder à l’esprit que nos concepts ne sont que des objets transitionnels pour toucher à quelque chose qui nous échappe par définition, mais avec qui nous pouvons donc entretenir une relation. Le concept lui-même, bien compris, est relation.

Ainsi, il ressort que quand l’inconscient se manifeste en ombre, il nous invite à une intégration, car ce qu’il nous présente aurait aussi bien pu faire partie de notre ego – c’est la définition même de l’ombre. Quand il s’agit de l’anima ou de l’animus qui nous offre une danse, la proposition est de développer un partenariat avec l’inconscient et de rechercher l’union des contraires. Et quand c’est le Soi qui se manifeste, nous sommes appelés à la révérence devant ce qui nous dépasse. Jung semble avoir envisagé qu’il y ait quelque chose au-delà du Soi, et je suppose qu’il voulait parler là d’un au-delà de la forme humaine du Soi, de l’Anthropos. Dès lors, on peut penser, en effet, que tout l’Univers tendant vraisemblablement vers la conscience, la forme humaine de cette Conscience soit une simple goutte d’eau dans un océan. Mais quelle relation pouvons-nous avoir avec cette immensité ?



[1] C. G. Jung, Commentaire sur le mystère de la Fleur d’or.
[2] Terme tibétain pour désigner les états intermédiaires de l’esprit entre la mort et la renaissance, selon le Bardö-Thödol, le Livre des Morts tibétain.
[3] Parmi lesquelles, pour rester dans notre sujet, je signale en particulier : L’ombre et le mal dans les contes de fées, La femme dans les contes de fées, La voie de l’individuation dans les contes de fées…, tous publiés à la Fontaine de Pierre (http://www.lafontainedepierre.net) .

vendredi 10 juillet 2015

Paréidolie mon amie


Depuis quelques temps, ma méditation matinale est troublée par une femme qui me fait l’œil. Elle ressemble à une institutrice avec un chignon et des lunettes, par-dessus lesquelles elle me regarde avec un sourire. Il faut dire que je médite les yeux ouverts. Il est beaucoup plus difficile de rester concentré les yeux fermés car l’intériorisation est propice à la rêverie quand ce n’est pas à la somnolence. Et puis, en méditant les yeux ouverts, on s’entraine à méditer en toutes circonstances, dans une file d’attente ou dans l’autobus, à chaque fois qu’une immobilité mentale est possible. Mais alors, il faut composer avec les distorsions de notre perception : quand je médite en laissant mon regard se poser sur le plancher devant moi, il y a une tâche dans le bois qui, avec les jeux de lumière et d’ombre du moment, prend forme de cette femme qui semble s’amuser de mes efforts pour ne pas la regarder.

Qui ne s’est pas couché dans l’herbe pour observer les nuages dans le ciel et jouer à y trouver des formes éphémères ? Souvent, on y discerne un visage énigmatique pendant quelques secondes mais on y peut y voir aussi par exemple des chevaux galopant, un bateau fendant les flots, une vague... Elles ont un beau nom, ces formes : ce sont des paréidolies, du grec ancien para-, « à côté de », et eidôlon, diminutif d’eidos, « image, apparence, forme ». Une paréidolie est une illusion d’optique qui, dixit Wikipédia : « consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale. » C’est une illusion très personnelle : chacun peut voir une chose différente dans un même nuage.

Il y a une grande part de projection dans ce phénomène. Il est à la base d’un test psychologique (Rorschach) très utilisé dans lequel le sujet est invité à dire ce qu’il voit dans des tâches d’encres. Dès lors, on peut l’utiliser aussi pour collecter et examiner des images intérieures : c’est un mécanisme cérébral de reconstruction de la réalité qui est à l’œuvre et qui nous introduit dans une irréalité, une sorte de rêve dans laquelle il y a aussi de la vie symbolique. Jung raconte comment, après avoir fait une première étude statistique pour valider l’astrologie qui lui avait donné un résultat étonnamment positif, il avait fait une seconde étude similaire qui lui avait donné un résultat contraire ; quand il a pris connaissance de ce résultat, il a observé que l’ombre qui tombait sur le mur à côté de lui dessinait un diable ricanant. Il a tout de suite compris que le diable riait de sa prétention à tenter de cerner un phénomène synchronistique avec la statistique.

Le danger de ce genre de pratiques consiste en voir des signes et des synchronicités partout : on n’arrête pas de recevoir des messages de l’Univers mais on ne les comprend pas. Dans ce cas, le mieux est sans doute de débrancher et de revenir aux messages de base de notre organisme : la faim, la soif, le sommeil… ainsi qu’aux messages que nous pouvons échanger avec notre entourage, dont on peut espérer qu’ils soient moins sibyllins. L’obsession dénote une crispation mentale, or l’attention aux synchronicités et aux images intérieures réclame d’abord de relaxer et de ne pas avoir d’attentes, de se laisser simplement emmener par ce qui se présente. Il s’agit de développer une forme de lucidité poétique de la profondeur symbolique de nos vies, dans laquelle la réalité est habillée de rêve. Il en va ainsi des paréidolies comme des synchronicités dont parle si bien Robert Moss :

« Suivre les synchronicités, ce n’est pas simplement accueillir des messages. Il s’agit plutôt de laisser s’épanouir la conscience poétique, cette conscience qui nous permet de goûter et de toucher à ce qui rime et résonne dans ce monde, et comment le-monde-derrière-le-monde se révèle en agitant doucement le voile de la réalité communément admise. »

Je suis retourné voir mon institutrice avec ces réflexions dans un coin de ma tête, et bien sûr, elle souriait. Mais en regardant mieux, j’ai vu qu’elle-même n’était qu’un élément d’un visage plus vaste, d’une veille femme qui semblait bien rire de moi

jeudi 23 avril 2015

Sortir de la cage des mots


Cet autre matin, je parlais avec une amie. Je ne la connais pas depuis longtemps ni très bien, mais nous avons en commun d’écouter les rêves, de les aimer… et cela nous rapproche plus peut-être que si nous étions allés à l’école ensemble. Sur ce chemin, on se découvre des ami(e)s tous les jours et on touche à ce que l’amitié – âme-moitié – a d’éternel : on se re-connait…

Cette amie m’a rendu un service inestimable. En quelques mots, avec un bon sourire, elle m’a montré comment quelque chose en moi est toujours en train de courir derrière une nouvelle idée, une explication, une compréhension ou une information : le hamster qui tourne dans sa roue. Nous parlions des rêves et de l’importance d’en parler, de faire entendre leur voix, quand elle m’a fait remarquer que bien souvent, nous nous perdons dans des discours « sur » les rêves. Au lieu d’écouter ce que les rêves ont à dire, de les laisser couler en nous, nous informer… nous ajoutons une couche de concepts, d’explications, d’interprétations. Si nous n’y prenons garde, nous nous éloignons alors du rêve, nous en faisons une absurdité manipulable mentalement : nous croyons en être quitte parce que nous avons mis des mots sur le rêve. Ce faisant, nous passons à côté du rêve comme ce promeneur qui ne voit pas la rivière au bord de laquelle il marche tant il est pris dans ses idées, les mots dans sa tête.

A l’inverse, les rêves demandent à être approchés dans le ressenti silencieux des images. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mots, mais ils se font espacés; il y a de l’espace à l’intérieur dans lequel le rêve peut se déployer. Cet espace est tissé de présence, de conscience ancrée dans le senti de l’instant présent, d’attention au jeu créateur des images du rêve, toujours unique, singulier. Il s’agit moins alors d’interpréter le rêve, d’en tirer un message dans nos mots habituels, que de nous laisser travailler par les images, d’aller au bout des nouvelles possibilités de conscience dont elles sont porteuses. On dit cette approche « féminine » et tenant, selon James Hillman qui en a été un des hérauts, de « la fabrique de l’âme », par contraste avec la démarche « masculine » de l’esprit qui sépare, disjoint, conceptualise et explique. Mon amie et moi convenions qu’il n’est sans doute pas utile d’ajouter à la cacophonie ambiante des théories et grands discours, et que s’il est un baume que les rêves peuvent apporter dans notre monde troublé, il tient plutôt du murmure de la rivière que l’on peut entendre quand on se tait…

Allons donc nous promener au bord d’un rêve sans plus d’explications. C’est un rêve qui n’a pas besoin de commentaire, qui parlera pour lui-même, que rapporte Robert Moss dans Les Iroquois et le rêve chamanique. « Dans ce rêve, je regarde une foule de gens bouche bée et goguenards face à un magnifique lion blanc derrière les barreaux de sa cage. Ils se comportent comme toutes les foules de badauds un dimanche après-midi au zoo, jetant leur détritus à terre, l’air abruti. Ils pensent qu’ils peuvent se moquer sans risque du lion – jusqu’au moment où quelqu’un s’écrie que la porte de la cage est ouverte. Les humains paniquent et s’enfuient en courant pour sauver leur vie. Je pénètre vaillamment par la porte ouverte. Je ne m’effraie pas quand le lion bondit vers moi. Il saute et pose ses pattes sur mes épaules comme un énorme chien affectueux. Le lion veut que je regarde derrière moi pour voir ce qui se passe. En me retournant, je m’aperçois que ce sont les humains, et non les lions, qui sont en cage. La place du lion est dans la nature, en liberté, parmi les possibilités sans limites. Le lion blanc me dit de sa voix profonde et rocailleuse : « Tu vois, les humains sont les seuls animaux qui choisissent de vivre en cage. »