dimanche 28 avril 2019

Au-delà de l'interprétation des rêves


Texte de support de l’allocution présentée au colloque « Jung d’hier à demain » le 28 avril 2019.

En décembre 2013, alors que j’étais en train de lancer ce blogue, j’ai écrit déjà un article intitulé « au-delà de l’interprétation ». C’est intéressant de se relire après quelques années, histoire de vérifier qu’on n’a pas trop dévié de la route que l’on se traçait. Je me donne un satisfecit car en effet, j’ai au cours de ces six années dans une grande mesure essentiellement approfondi la démarche que je présentais alors. Dans cet article en particulier, je disais que le travail du rêve ne se résume pas, loin de là, à l’interprétation. J’y énonçais une prémisse fondamentale à mon approche qui est que le travail avec le rêve vise à rendre conscient le mouvement intérieur dont le rêve est l’écho, la figuration ou l’annonce. Si vous prêtez attention aux mots, vous verrez que je ne parle plus désormais du « travail du rêve » mais du « travail avec les rêves » car je suis passé d’une démarche classique où le conscient cherche extraire le sens des rêves comme s’il s’agissait d’un minerai inerte à la recherche d’une coopération avec la dynamique propre au rêve. Je parlais un peu rapidement de l’inscription du travail avec le rêve dans les quatre fonctions de la conscience décrites par Carl Jung. Je suggérais l’idée que l’interprétation du rêve relève surtout d’un exercice de la pensée, mais peut mobiliser aussi l’intuition et le sentiment, et jusqu’à la sensation, pour ouvrir « un espace dans lequel le rêve se déploie comme une nouvelle expression de notre totalité psychique ». Je souris en me citant moi-même car je reconnais dans mes mots une intuition qui m’a amené bien plus tard à parler de « déployer un rêve » plutôt que de l’interpréter, et qui était donc déjà en germe…
Si je peux faire un reproche à l’article que j’ai écrit alors, c’est certainement de m’en être tenu alors à de grandes généralités un peu abstraites. J’y ai pointé aussi une direction de recherche dans laquelle l’interprétation du rêve n’est qu’une première étape allant avec la métaphore du rêve comme un message. Dans un second temps, disais-je, le rêve ouvre un espace de relation avec l’inconscient que connaissaient bien les cultures chamaniques et que Jung a remis a remis à l’ordre du jour avec l’imagination active. C’est Robert Moss qui a selon moi fourni la métaphore s’appliquant à ce niveau de travail avec les rêves en proposant que ceux-ci aient pour fonction de nous rappeler que notre âme a des ailes. Enfin, il y a un troisième étage à cette fusée du rêve qui consiste à apprendre à méditer avec et jusque dans celui-ci, et c’est l’Orient qui nous invite alors à considérer que le rêve est là pour nous aider à nous éveiller. Ces perspectives restent entièrement actuelles mais ce n’est pas ce qui m’intéressera aujourd’hui. Je veux plutôt apporter un contrepoint pragmatique à ces grandes envolées en examinant comment le travail avec le rêve peut, au-delà de l’interprétation, s’inscrire dans le senti et en particulier dans le corps, c’est-à-dire dans la sensation. Pour cela, je vous parlerai entre autres des travaux de Robert Bosnak, un analyste jungien qui a récemment publié un livre intitulé Embodiement, ce qu’on peut traduire par « incorporation », ou « incarnation », et dans lequel il parle essentiellement de « Creative imagination », de l’imagination créatrice à l’œuvre dans les rêves.



Tout d’abord, il me faut dire que je n’ai rien contre l’interprétation des rêves, bien au contraire. C’est une démarche qui a beaucoup de valeur dans certains contextes, et qui a aussi, comme toutes choses, ses limites. Je serai bien en mal de dénigrer l’interprétation des rêves car je la pratique beaucoup, tant pour mes propres rêves que dans le travail individuel avec les personnes que j’accompagne. Je crois qu’il faut bien connaître le travail d’interprétation pour pouvoir envisager toute la portée de ce qui s’ouvre au-delà de l’interprétation des rêves. Ce n’est pas un hasard selon moi si ce sont des analystes jungiens – je pense à Robert Bosnak mais aussi au regretté James Hillman – qui élargissent le champ des recherches autour du rêve dans ses liens avec l’expérience intérieure. Je suis convaincu que Jung, s’il vivait encore, serait absolument passionné par le développement de ces recherches sur les rêves, non seulement chez les jungiens mais bien au-delà, depuis une cinquantaine d’années, c’est-à-dire depuis sa mort. Je l’imagine assez bien allant se former à l’approche gestaltiste avec Fritz Perl à Esalen, et discutant avec Eugène Gendlin des apports remarquables du Focusing comme façon de faire parler le corps en résonance avec le rêve. Outre ces deux approches qui n’ont rien à voir avec l’interprétation, il aurait sans doute étudié avec voracité la multitude de méthodes qui ont fleuri au cours du dernier demi-siècle dans le travail avec les rêves. Et même si beaucoup d’entre elles réinventent le fil à couper le beurre sans citer leurs sources, il aurait eu l’immense satisfaction de voir que le rêve est devenu un champ d’études à part entière pour de nombreux chercheurs, ouvrant toutes sortes de perspectives.
La question se pose : Jung, s’il vivait encore parmi nous, serait-il jungien ?
Ce n’est pas certain, en tous cas tout dépendant de l’acception que l’on donne à ce terme « jungien ». Il a plaisanté de son vivant sur le fait qu’il n’était pas jungien, lui, car il était Jung, et il n’a eu de cesse de dénoncer cette habitude que nous avons de nous regrouper sous une bannière, dans une cohorte ou une école, derrière un « grand homme » qui est censé ouvrir la route d’un bon pas tandis que nous marchons derrière en chantant des hymnes à sa gloire. Marie-Louise Von Franz nous mettait vertement en garde contre l’impossibilité de faire de la psychologie des profondeurs de Jung un machin collectif. Et tel que j’imagine Jung, je suis certain qu’il ne se serait pas mêlé à ceux qui lui construisent une statue et l’enterrent sous le papier. Il aurait continué inlassablement à chercher, à élargir les voies d’accès à l’inconscient et derrière celui-ci, à l’âme. Quant à ce qu’il aurait fait avec toutes ces approches de travail avec les rêves, il nous le dit dans quelques mots qui sont au cœur de ce que signifie encore aujourd’hui être jungien :
« Quant à l’interprétation des rêves, étudiez tous les livres et toutes les méthodes. Mais quand vous êtes devant un rêve, écartez-les car chaque rêve est unique, tout comme chaque rêveur est unique. »
En d’autres termes, avec Jung, si nous voulons lui être fidèles, nous devons donner la primauté à l’expérience intérieure sur toutes les théories, fussent-elles jungiennes. C’est l’unicité du rêve, et du rêveur, qui doit toujours être au centre. Pour le dire autrement, il y a toujours une approche créative dans le travail avec un rêve. Ce n’est pas une science, fut-elle psychologique, c’est un art, c’est-à-dire que c’est toujours un moment de création.
C’est un espace ouvert, toujours, à l’imagination créatrice.



Pour revenir un moment à l’interprétation des rêves, avant d’aller bientôt au-delà, il nous faut nous demander ce qui fait qu’une interprétation est juste, ou du moins valable. D’abord, il faut clairement distinguer l’interprétation d’un rêve d’une explication de ce dernier. Les novices en travail avec les rêves tombent souvent dans ce travers en forme de « j’ai rêvé de monstres parce que j’ai vu un film d’horreur hier soir ». Oui, mais qu’est-ce que cela dit de ta vie intime ? Quel est le message du rêve ? Il n’a sans doute rien à voir avec le film, et en fait, la recherche d’une explication apparaît comme une façon d’esquiver le rêve, de le ramener à du connu. Or la règle d’or, c’est que le rêve nous dit toujours quelque chose d’inconnu, d’inconscient. C’est ce qui rend le travail avec nos propres rêves particulièrement difficile, car nous aurions bien sûr tendance à tourner en rond dans ce que nous croyons connaître de nous-mêmes. Il n’est pas facile du tout d’ouvrir en nous-mêmes la porte à l’inconscient ; un réflexe mental nous ramène toujours au connu. Nous avons donc bien souvent besoin de l’aide d’autrui, même quand on a vingt années d’expérience du travail avec les rêves, car le message du rêve est écrit dans notre dos. Un regard bienveillant peut aider donc à, sinon le déchiffrer, du moins l’entrevoir...
Cependant, la difficulté de l’interprétation, c’est qu’il est bien rare que les interprètes soient entièrement unanimes. Chacun colore nécessairement l’interprétation qu’il propose, aussi objective se veut-elle, de ses préjugés et ses projections, de son inconscient. La prétention à l’objectivité de l’interprétation peut même confiner à la tentative de prise de pouvoir sur autrui et c’est ce qui a conduit nombre de praticiens à la rejeter. C’est, pour reprendre la notion jungienne de « psyché objective », la psyché qui est objective, non le praticien. Le rêve est objectif dans le langage des images, mais l’interprétation en est toujours une reformulation subjective dans un autre langage, qui l’amoindrit. La tentation est forte de « croire savoir », et cependant, de fermer l’horizon à tout ce que l’on ne sait pas. On tombe volontiers dans ce piège chez les jungiens aussi, avec des interprétations renforcées par tout un jargon conceptuel auquel peu comprennent goutte. Comme disait James Hillman, on glose sur le Soi et en passant, on vous assène des millénaires de monothéisme judéo-chrétien qui passent comme une lettre à la poste, ne sont jamais remis en question. Bref, dès que l’interprétation tend à soutenir d’une façon ou d’une autre une position d’autorité, on peut être certain qu’on trahit au moins en partie le rêve. En effet, le rêve amène toujours du nouveau, de l’inconnu, de l’inconscient. Et c’est un des énoncés majeurs de Jung que d’avoir mis en lumière que non seulement le rêveur est inconscient du sens du rêve, mais aussi l’analyste. Si ce dernier croit savoir pour le rêveur, il se fourre nécessairement le doigt dans l’ œil, il tombe dans le piège du « ce n’est que »...
Dans cette perspective, on peut comprendre ce que disait Jung quand il affirmait que le travail d’interprétation ne trouve sa pleine valeur que dans le contexte de l’analyse, c’est-à-dire d’un dialogue soutenu autour d’une série de rêves qui offrent un fil conducteur tant à l’analyste que l’analysant. Alors, l’interprétation qui est toujours une approximation est corrigée , amendée par le rêve suivant. C’est alors un dialogue dans lequel les deux partenaires humains reconnaissent leurs limites face à l’inconscient, et auquel se mêle un Tiers, la source des rêves, qui amène toujours de nouveaux éléments pour élargir l’horizon conscient des protagonistes. Heureusement, disait Von Franz, l’inconscient veut que je comprenne le rêve, sinon comment y parviendrais-je ? L’interprétation est le fruit d’une collaboration avec l’inconscient qui veut devenir conscient, et c’est parce qu’il le veut qu’il s’est manifesté dans un rêve. Mais cette analyse, cette écoute des rêves, ne peut avoir qu’une visée et c’est celle de l’effacement de l’analyste pour que s’instaure un dialogue direct entre le rêveur et la source des rêves. Au fond, tout ce travail d’interprétation des rêves est pédagogique et vise à aider le rêveur à établir une relation intime avec lui-même, et surtout avec l’inconscient en lui. Là encore, c’est l’exemple de Jung que nous sommes tôt ou tard amenés à suivre quand il répondait en riant à Von Franz, venue le consulter pour un rêve : « mais vous savez, moi, je n’ai pas de Jung pour interpréter mes rêves ! ».
La clé du travail avec les rêves, nous la connaissons bien et nous n’insistons jamais assez dessus, c’est que seule la personne qui rêve peut connaître le sens de son rêve. Dès lors, le travail de l’interprète ou de l’analyste relève de la maïeutique, c’est-à-dire de l’art d’accoucher les bébés et les vérités. Il s’agit moins dès lors d’expliquer le rêve que de le questionner, et de l’amener jusqu’au point où ce que le rêveur ne sait pas encore qu’il sait, mais qui se dit tout de même dans le rêve, devient une évidence. Ce qui est intéressant, c’est que c’est une évidence sensible. Il y a un déclic au moment où l’élément de conscience dont le rêve était porteur devient conscient. Un « ah ah ! ». Et tant qu’il n’y a pas ce « ah ah ! », c’est qu’on n’y est pas. Le point important que je veux souligner là, c’est que ce n’est jamais une compréhension uniquement intellectuelle. La gestalt parle du « message existentiel » du rêve. On cherche idéalement à le formuler en une phrase, qui peut tenir de « le rêve me rend conscient que... ». Le message existentiel n’est pas nécessairement l’interprétation symbolique du rêve mais plutôt là où il veut amener le rêveur. Une amie a ainsi rêvé, à la veille d’un rendez-vous difficile, que le sol s’ouvrait sous ses pas et que de la lave en sortait. Elle courait avec ses enfants, à qui elle remettait un nécessaire de survie en entendant des coups de feu autour d’elle. L’interprétation du rêve pouvait difficilement dépasser le constat de l’insécurité, mais un travail d’écoute des subjectivités associées aux différents éléments du rêve l’a rapidement amenée plus loin. La lave s’est révélée être sa propre vitalité, et le message existentiel du rêve était qu’elle pouvait trouver sa sécurité à l’intérieur d’elle-même, en contrepoint donc de l’interprétation centrée sur l’insécurité.
L’extraction du message existentiel n’est donc pas qu’une question de sens ou de signification, de sémantique d’un système de signes. L’interprétation, si elle veut aller au cœur du rêve, ne peut se limiter à un exercice de la fonction pensée soutenue par l’intuition ; elle doit tenir compte aussi du sentiment et de la sensation. Et quand elle touche juste, il y a toujours une émotion, au sens d’une énergie en mouvement ; il y a un mouvement intérieur. Au fond, l’interprétation, quand elle est juste, nous emmène immédiatement au-delà de l’interprétation : dans la vie, dans l’émotion. Elle réclame une mise en acte, que nous en tirions des conséquences, que nous l’incarnions. C’est tout le problème de l’âme, ça : l’incarnation. S’incarner sur terre, dans la terre. Arriver dans un corps, le mettre en mouvement. Vivre. Dans la tradition jungienne qui ne se perd pas, on propose de chercher à incarner le rêve qui a été compris dans l’action, qu’il s’agisse d’une décision prise en conscience du rêve (un rêve ne choisit jamais pour nous) ou d’un geste rituel, simplement symbolique, pour dire « j’ai entendu, je remercie et je prends au sérieux ». Toni Wolff était réputée pour renvoyer ses analysants quand ils venaient la voir sans avoir fait quelque chose en réponse au rêve analysé dans la séance précédentes. Jung montrait parfois la porte à des patients qui ne tiraient pas de conséquences de leurs rêves.

Cependant, la recherche montre qu’on peut travailler à l’incarnation du rêve bien en amont de l’interprétation, ou indépendamment de celle-ci. La Gestalt a cherché avec brio, entre autres approches en donnant voix aux composantes du rêve, à entrer directement dans sa dimension émotionnelle. Le Focusing aide à faire dialoguer le rêve et le corps au travers des sentis. Comment, d’un point de vue jungien, intégrer au mieux les fonctions sensation et sentiment au travail avec le rêve ? Mais c’est là que la publication des travaux de Robert Bosnak sur ce qu’il appelle « l’imagination incarnée » (embodied imagination) a attiré mon attention, car il amène à une conception renouvelée du rêve et du travail avec celui-ci, en l’incarnant d’une façon très directe dans le senti du corps. En s’appuyant sur l’imagination créatrice de Henri Corbin et sur la neurologie qui relie le rêve aux facultés d’appréhension de l’espace, Bosnak propose d’approcher le rêve comme un système écologique de multiples subjectivités qui s’expriment dans la corporalité.
On retrouve quelque chose de la radicalité de James Hillman, qui a été son analyste, dans la démarche de Bosnak. Là où Hillman a dénoncé la conception du Soi de Jung comme étant « le visage psychologique du monothéisme », réintroduisant ainsi un polythéisme archétypal, Bosnak brise le monopole de la subjectivité par le moi de rêve. Il applique la théorie des systèmes au rêve pour faire ressortir le fait que ce dernier est constitué de multiples soi, qui ont tous leurs caractéristiques propres en terme de ressentis, tant émotionnels que corporels, et qui forment un ensemble cohérent ayant sa logique interne. Et comme tout système, s’il est alimenté en énergie, il arrive à un moment critique de transition de phase qui l’oblige à se réorganiser à un plus haut niveau de complexité. C’est précisément la caractéristique des écosystèmes de se réorganiser ainsi, au travers de crises. Dans le cas du rêve, il semble dans cette perspective que le rôle du conscient soit de faciliter la communication entre les différentes subjectivités, et qu’elles deviennent conscientes les unes des autres. Le moi est amené à saisir qu’il y a d’autres voix autonomes qui parlent en lui, ou plutôt en soi, et dès lors une réalité psychique plus large que celle du moi ressort de l’ensemble. Du point de vue jungien classique, on pourrait dire que le Soi est manifesté par la totalité du rêve, et donc éclairé de l’intérieur par la conscience mutuelle des subjectivités. Sous l’angle neurologique, il ressort que le rêve est constitué de plusieurs lignes narratives simultanées, qui sont l’équivalent de multiples schémas (patterns) déployés dans l’espace parmi lesquels la conscience doit s’orienter. Le travail avec le rêve consiste donc dans cette approche en prendre conscience de ces lignes narratives parallèles et les relier, les mettre ensemble et regarder ce qui en émerger de façon créative.
Il n’y a plus alors une seule ligne narrative, une seule interprétation du rêve. Tout à coup, on entend le mot « interprétation » comme en musique, quand un instrument interprète une partition. Il y a autant de lignes narratives, de récits du rêve, qu’il y a d’éléments dans le rêve, et quelque chose qui va au-delà de l’interprétation émerge de l’ensemble.

Dans son livre « embodiement », Robert Bosnak donne plusieurs exemples dans lequel le rêveur est invité, dans un état hypnagogique qui lui permet de revivre son rêve, à ressentir les postures et les physiques, le senti émotionnel, qui peuvent être associés avec un élément du rêve. On retrouve ici la distinction essentielle entre imaginatio vera (imagination vraie) et affabulations. Par exemple, il y a un ours qui traverse la salle de l’hôpital où se trouve le rêveur. Que ressent-il, l’ours ? Qu’est-ce que c’est, d’être cet ours dans une salle d’hôpital ? Qu’est-ce que cela goûte ? Il s’agit, nous dit Bosnak, de laisser une intelligence étrangère, ici celle de l’ours, entrer en nous. Dans le cas qu’il présente avec l’ours, la question a été posée trop tôt au rêveur : « que sent l’ours ? » et la réponse a été « je pense que l’ours est très curieux. Il regarde autour de lui. Il se demande où il est. Très curieux. ». La caractéristique de l’imagination fantasmagorique, c’est qu’il n’y a pas de relation aux sens. C’est une pensée à propos du senti, non le senti lui-même. Quand le rêveur a été ramené au senti de l’ours, c’est un tout autre son de cloche qui s’est présenté : tout ce que l’ours voulait, c’était sortir. Toute l’attention de l’ours était concentrée sur la porte ouverte, la possibilité de sortir au plus vite. Le travail avec l’imagination créatrice réclame de prendre le temps de rentrer en relation avec les images. Alors, nous dit Bosnak, ce ne sont pas les images qui sont en nous, c’est nous qui sommes dans les images.
Il propose un autre exemple qui différencie bien son approche de l’imagination active de Jung. Une rêveuse, qui prenait un cours en imagination active, a rêvé qu’elle était dans un hall rond de marbre et qu’elle descendait quelques marches avant de se réveiller. En imagination active, elle a poursuivi le rêve, trouvant en bas des marches un cellier où elle a trouvé plein de belles choses utiles, des ressources. Bosnak lui a proposé de revisiter son rêve dans un état hypnagogique, dans cet espace entre la veille et le sommeil où les images coulent sans que nous perdions conscience de l’environnement. Et il l’a invité à descendre marche après marche, en prenant tout le temps de ressentir ce qui se passait dans son corps, jusqu’à ressentir la distribution du poids dans son corps en descendant lentement. Plus on enregistre de détails, plus on va lentement, nous dit Bosnak, car la conscience doit se concentrer sur beaucoup de détails d’incorporation en même temps. Le point intéressant, c’est que lorsqu’elle est arrivée enfin en bas de l’escalier, que son orteil a touché le marbre, elle a ressenti un grand effroi traverser tout son corps en remontant de son doigt de pied. Elle était terrifiée de descendre et d’aller plus loin. Elle a contacté une peur paralysante de descendre, qui est sans doute ce qui l’a réveillée. Cela n’invalide pas l’imagination active : ces ressources qu’elle y a trouvé l’ont sans doute aidée à aller sur le fond du rêve, mais celui-ci s’est avéré finalement beaucoup plus incarné que ce que l’imagination active, sans être bridée par l’exigence de prêter attention au senti corporel, pouvait amener à la conscience. Le corps comme voie royale d’accès au rêve !
Un autre exemple remarquable nous présente un rêveur qui s’interroge sur son avenir au travers d’une recherche d’emploi. Il rêve de quatre personnages, dont il est autour, d’une table avec un menu offrant un seul choix, qui lui semble inintéressant et trop cher. Une interprétation symbolique s’en tient volontiers à dire que le rêve répond directement à son interrogation en lui disant qu’il n’a pas le choix, même si cela ne lui plaît guère. Mais pourquoi le rêve dispose-t-il quatre personnages autour de la table si les choses sont si simples ? L‘exploration en profondeur du rêve a conduit à aller ressentir tant corporellement qu’émotionnellement les quatre subjectivités en collectant les indicateurs corporels caractéristiques de chacune d’elle. Dans la jambe droite un élan à se lever et à partir, dans la jambe gauche la faiblesse et l’incapacité de bouger, dans la colonne vertébrale la force intérieure, dans le sternum la tristesse… Après le travail de patiente récolte des ressentis, Bosnak a demandé au rêveur de ramener tous ces ressentis simultanément dans le corps, de les tenir ensemble. Le fait remarquable est que ce dernier, après avoir gardé les ressentis en conscience un moment, a indiqué soudainement qu’il ne ressentait plus rien. Mais c’est quoi, de ressentir ce rien ? A encore interrogé Bosnak, et le rêveur a indiqué ressentir un corps complètement différent de celui dans lequel il se trouvait précédemment. Il était dans un corps plus grand, plus vaste, et dans lequel il se sentait en confiance. Même sa voix avait changée, a relevé Bosnak, et son attitude intérieure vis-à-vis de sa recherche d’emploi s’est avérée s’être transformée de façon durable. On peut dire que le rêve l’avait amené à établir une nouvelle relation sensible à la vie sans avoir amené de réponse immédiate à ses questions, mais que dès lors il n’y avait semble-t-il plus de problème…
Le travail de Robert Bosnak ouvre des perspectives importantes pour le développement du travail avec les rêves dans une direction intégrant les quatre fonctions de la conscience. Sa méthode de « l’imagination incarnée » est particulièrement précieuse pour approfondir un rêve clé. Elle ne s’oppose pas aux méthodes habituelles d’interprétation ni à l’imagination active mais elle les complète. Son livre est riche d’exemples qui touchent à différents champs d’applications, dont le théâtre et le travail avec les traumatismes. Il en ressort que le travail avec le rêve est toujours un exercice d’imagination créatrice. Cela vient rencontrer mes propres recherches dans un contexte assez différent, qui est celui des cercles de rêves, ou de ce que j’appelle les loges de rêves, où l’on travaille en-deça de l’interprétation : nous déployons le rêve en de multiples facettes. Nous faisons, en termes jungiens, de l’amplification : nous utilisons simplement la résonance subjective des images de rêves dans le sentiment et l’intuition surtout, en assumant que la plupart de celles-ci sont des projections, mais en pariant sur le fait que le cercle sert alors d’accélérateur de particules de rêve. En effet, le mouvement intérieur du rêve, dans le senti du rêveur, est stimulé par les différents angles et questionnements qui lui sont proposés, généralement surprenant, et il est fréquent que la signification profonde du rêve, qui ne s’exprime pas nécessairement en mots, émerge comme si elle avait été énergétiquement alimentée jusqu’à devenir une évidence dans le senti. Tous ces éléments vont dans le sens de mettre en lumière la nature énergétique du rêve, qui est moins un message qu’un élan de vie cherchant à s’incarner, à s’éprouver, à se vivre. C’est aussi ce qui justifie une amplification du rêve par le chant spontané, la danse, ainsi que par les constellations de rêves, dans lesquelles les multiples subjectivités sont ressenties par des représentants.
Comme dit Robert Bosnak : « l’amplification ne mène pas à la compréhension directe, mais à un processus de fermentation qui amène des images-signaux subliminaux à se renforcer, leur permettant d’émerger au-dessus de la surface de la cognition ».

Pour conclure, je vous proposerai un dernier exemple qui illustre comment ce travail avec le senti corporel et émotif vient compléter l’interprétation, l’élargit. C’est un rêve amené par un jeune homme engagé dans la voie des rêves et passionné par Jung qui s’interroge sur son avenir. Au cours d’un stage de travail avec les rêves au cours duquel il découvre son aisance et son plaisir à parler des sujets qui lui tiennent à cœur, il rêve :
« Je suis dans un aéroport. Je rentre d’un long voyage. A l’arrivée, une jeune femme, peut-être une journaliste, me demande une interview sur l’alchimie. Je lui répond que je ne me sens pas prêt, cela me semble trop tôt. Deux jeunes maghrébins qui pratiquent la pêche, qui sont là avec leurs canne à pêche, me disent que pourtant j’ai les clés. Ils me font comprendre que j’ai les clés car j’ai compris dans un traité alchimique l’ordre du processus, en remettant dans l’ordre les paragraphes du traité, ce qui est subtil. Je leur répond que j’ai compris l’ordre du processus intuitivement, mais pas entièrement pour l’expliquer. Ils me répètent: pourtant tu as les clés. Je suis surpris de constater dans le parking de l’aéroport que beaucoup de gens sont perdus. Ils ne retrouvent pas leurs voitures, tout en pensant et me disant que c’est moi qui suis perdu. Moi, je sais où ma voiture est garée et la police m’aide en me donnant le nouveau code pour démarrer la voiture. Ce code est: 10.
Dans ma voiture, j’ai un bébé. Au début je conduis puis je laisse le volant à une jeune femme car le plus important pour moi, c’est de m’occuper et de protéger le bébé. Deux chiennes surveillent aussi le bébé avec moi.
Le rêve me dit: Voici le titre de ton rêve: « Le musée hermétique ». »
J’ai souri en entendant ce rêve car j’ai pensé au colloque en me disant : voilà donc un rêve fort jungien. Le rêveur y est interpellé par l’Anima qui lui demande de parler d’alchimie mais il ne sent pas prêt. Les maghrébins sont associés aux exclus, à de gens de peu de culture, ce qui va bien avec la façon dont le rêveur se considère lui-même : comme manquant de culture pour parler de ces choses. On retrouve là cependant l’archétype du Pêcheur qui remonte des poissons de sens de l’inconscient et les maghrébins soulignent qu’il a compris la nature (l’ordre!) de l’Œuvre. Mais le doute est là, qui exige d’être capable d’expliquer rationnellement l’intuition profonde. Cependant, il retrouve au terme de ce long voyage sa voiture, qui a changé précise-t-il, tandis qu’il constate combien les gens sont en général perdus, ne savent pas conduire leur vie. Il n’a pas à s’inquiéter : les forces de l’ordre sont là pour lui donner le code, qui en langage du Yi-King (hexagramme 10) dit simplement : « en marche ! » Et il revient donc d’un long voyage maintenant riche d’une nouvelle vie, symbolisée par le bébé, que protègent deux chiennes, symboles d’un instinct psychopompe, tandis que l’Anima conduit son existence. Le Musée hermétique nous ramène à la chaîne d’or dont il est un des héritiers et à la Muse qui l’inspire. Il est facile de parvenir à une interprétation mettant en lumière comment, bien qu’il doute, il est conduit par l’inconscient, ou dirons-nous le Soi. Mais cela n’apporte pas grand-chose au rêveur qui entend bien le message mais n’arrive pas à y croire, pour qui cela ne s’incarne pas.
Nous sommes passés tranquillement à travers tous les aspects subjectifs du rêve. En posant le pied dans l’aéroport ; le rêveur s’en senti oppressé et nous avons pris cette oppression comme guide en observant comment elle évoluait au cours du rêve. La jeune femme journaliste a amené une énergie d’ouverture qui a mis en lumière la fermeture, mais non totalement du rêveur. Les maghrébins ont commencé à amener de l’aisance, de la décontraction, tandis que le ressenti du bébé en est un de bien-être, de tranquillité qui contraste avec son oppression. Lex deux chiennes insufflent un sentiment de sécurité car elles feront tout ce qui est nécessaire pour protéger cette nouvelle vie, et il apparaît enfin que la jeune femme qui conduit sait exactement ce qu’elle fait. Nous avons noté lors de l’interprétation l’inversion qui veut que le rêveur soit sur le siège arrière tandis que l’Anima conduit, alors qu’on aurait pu penser que la position souhaitable pour le conscient soit exactement l’inverse. C’est exactement ce point d’incongruité qui s’est révélé être le point crucial du rêve. Le rêveur, en allant dans son ressenti, a touché à l’inconfort dans lequel cela le mettait d’être conduit. Il a ensuite maintenu tous les ressentis ensemble, exactement comme le recommande Bosnak. Il ne s’est rien passé d’abord. Et puis il m’a indiqué qu’il s’était allongé sur la banquette arrière de la voiture avec le bébé sur la poitrine, qui s’était endormi, et qu’il avait décidé de faire confiance. La tension entre la confiance requise par l’Anima qui conduit et le doute légitime du rêveur est allée à son paroxysme. Et puis le rêveur m’a parlé d’une curieuse sensation énergétique, à peu près indescriptible, comme d’écoulement du rêve dans un flot qu’il a figuré comme des vaguelettes avec les mains, et il m’a dit qu’il savait qu’elle allait amener le bébé dans une maison dont il avait pris possession dans un autre rêve. C’est le fait qu’il me parle de la sensation qui m’a permis d’être bien certain que le message du rêve s’incarnait enfin. Et en effet, dans les jours qui ont suivi, il m’a confirmé se sentir « porté par ce senti du courant en mouvement » et que l’exercice avait « posé une base en [lui] pour faire confiance. »

mercredi 10 avril 2019

Le regard du lion


Je reviens du désert. Plus précisément, du Sahara marocain où je suis allé marcher avec un groupe de rêveuses et de rêveurs, dans une méharée guidée par mes excellent.e.s ami.e.s Caroline Von Bibikov et Jérôme Van Lidth, ainsi que moi-même. Nous étions un beau groupe de près d’une vingtaine de personnes, accompagné dans cette aventure par une équipe de Berbères très professionnels et une vingtaine de dromadaires au pas nonchalant. J’ai encore du sable plein les poches, et le parfum de l’immensité sauvage continue de m’envelopper. Nous avons été lavés par la pluie et le vent, séchés par le soleil, embrassés par l‘espace grand ouvert, bercés par la nuit étoilée. Nous avons marché à travers les dunes et la rocaille noire, écouté la profondeur du silence, partagé des éclats de rire et des moments de poésie brute. Le voyage était intérieur autant que physique. J’ai entendu des rêves magnifiques. Nous sommes ensemble descendus dans le puits de l’âme pour aller y boire l’eau vive à la source. Plus de 10 jours après avoir posé le pied à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle, de retour donc dans la civilisation, je ne suis pas tout à fait revenu encore.

On ne revient jamais entièrement du désert, ou pas tout de suite en tous cas. On y laisse quelque chose de soi, et en retour, on en ramène quelque chose qui n’a rien de personnel. Souvent, c’est une histoire d’amour qui s’installe ainsi avec une nostalgie de la vastitude brute des horizons illimités. Parfois, c’est un sentiment d’être enfin revenu à la maison, ou d’avoir trouvé une demeure pour son âme qui enfin peut marcher sur terre sans être emprisonnée dans des limites artificielles. Je veux vous parler ici de ce avec quoi je reviens, et plus particulièrement du travail intérieur qui se fait au cours de ce genre d’aventure à la rencontre de la dimension sauvage de la vie. Je ne vous raconterai pas le voyage. Il faut le faire pour savoir de quoi il retourne vraiment. Je vous dirai plutôt comment faire le voyage, dans le Sahara ou ailleurs, car on peut aussi aller dans le désert en touriste, par exemple au volant d’un gros 4x4 avec un pack de bières dans le coffre, et passer à côté de lui. Et puis on peut aussi faire du travail de l’âme (soul work) en ville, même si pour cette plongée dans l’intériorité, il est bien plus aisé de marcher dans le désert...

Vous parlant de travail de l’âme, ou de fabrique de celle-ci (soul craft), je ne peux éviter bien sûr une pensée émue pour mon enseignante Paule Lebrun, décédée en 2017 mais dont la présence souriante nous a accompagné tout au long de cette méharée. Caroline et moi avons été ses étudiants, et par bien des côtés, en particulier sur son versant poétique, ce voyage a porté son empreinte. Je lui clignais parfois de l’œil en marchant, et je murmurais dans mon for intérieur : « tu vois, Paula, la flamme que tu as allumée coure le monde désormais ! » J’ai sursauté parfois en entendant Caroline présenter certaines pratiques ; j’avais l’impression de revenir 25 ans en arrière et d’entendre Paule parler. Même inspiration, même source qui nous traverse, nous transperce. Je me souviens de mon ébahissement d’alors devant ce langage, et je pouvais retrouver celui-ci dans les yeux de certain.e.s participant.e.s qui, à bon droit, ont pu nous penser gentiment illuminés avant de voir peut-être quelque chose s’éclairer doucement en dedans au fil du voyage.

C’est que la lumière de l’âme, si elle est sans doute la plus naturelle et la plus simple d’accès pour qui en a retrouvé le chemin, n’est guère à l’honneur dans notre monde où l’on préfère souvent le clinquant des spot-lights et les néons clignotants. Pourtant, il pourrait y avoir là quelque chose de vital pour nous, qui ne tient ni de la psychothérapie ni de la pratique spirituelle, tout en les reliant, les englobant et les dépassant comme seule la poésie peut le faire. Car disons-le, la psychothérapie a depuis longtemps, la plupart du temps (mais pas toujours), trahi l’âme qu’elle est censée soigner en devenant normalisatrice et utilitaire, fut-ce au service de notre mieux-être. Quant à la spiritualité, elle se perd bien souvent (mais pas toujours) dans un désir de transcender le corps et son animalité, les sentiments et les émotions, nos ombres et la vie de l’imagination, bref tout ce qui fait le lit de l’âme et lui donne envie de s’incarner sur notre bonne terre. Nous voudrions être illuminés justement, et nager dans le bien-être permanent, dûment thérapeutisés, sans allumer la lumière à l’intérieur, sans aimer l’obscurité en nous. C’est peu dire que d’affirmer que nous vivons dans un monde dépourvu d’âme, c’est-à-dire d’amour puis l’âme est ce qui aime. L’évidence saute aux yeux quand on revient des grandes immensités sauvages : il y a moins de vie dans nos villes que dans le désert. Alors, on est au contact de ce que Paule appelait « la grande faim », qui est faim de l’âme, moins en quête de sens que de beauté, de ce qui fait que la vie ne passe pas pour rien…


Une autre source majeure de réflexion sur les tenants et aboutissants de ce genre de voyage, pour moi, est le travail de James Hillman, le fondateur de la psychologie archétypale et un des dignes successeurs de Jung. Je pense en particulier à un article intitulé « peaks and vales » (sommets et vallées), et sous-titré « the soul/spirit distinction as basis for the differences between psychotherapy and spiritual discipline » (la distinction âme/esprit comme base pour la différence entre psychothérapie et discipline spirituelle). Hillman y revient sur l’histoire de l’abandon de l’âme dans le christianisme, avec le parti pris de Paul pour l’esprit contre la vie du corps et de l’âme, puis les différents conciles de Nicée qui ont rejeté les images vivantes de la psyché si elles n‘étaient pas asservies au dogme. C’est sur cette base que s’est édifiée toute l’entreprise de l’Église qui a nié le féminin, la sexualité, la vie de l’imagination et la valeur de la nature en poursuivant des idéaux déshumanisés qui, outre de clouer le Christ sur la croix, ont conduit à toutes les conquêtes colonialistes que nous savons et finalement à la catastrophe matérialiste et écologique qui nous pend au nez. Mais il y a une spiritualité des vallées, de l’âme, nous dit Hillmann, qui n’a rien à voir avec la conquête des sommets, la performance ascétique et la discipline spirituelle, mais plutôt avec l’amour de l’obscurité d’en-bas pour la lumière qu’elle entoure de douceur et de tendresse, d’éros conscient. Elle tient dans ces mots de Keats qui inspiraient Hillman :

« Appelez le monde, si vous voulez, la vallée de la fabrique de l’âme. Alors vous trouverez l’usage de ce monde. »

C’est, en allant dans le désert, la fabrique de l’âme (soul craft) qui nous intéresse comme elle intéressait Hillman et Paule. Pour moi, à la différence d’Hillman, elle se distingue désormais de la psychothérapie qui est maintenant annexée par l’esprit dans sa dimension utilitaire et dans l’oubli de ce que la psychologie doit aux humanités pour sacrifier aux seuls dieux de la science dure. Or la fabrique de l’âme tient de l’art et réclame cette douceur que j’évoquais plus haut car le désert est un enseignant implacable. On y entre avec une intention aussi claire que possible, et puis il faudra s’abandonner au rythme du voyage, à l’intention sous-jacente qui nous amené là sans y penser. Le désert a souvent été un lieu d’ascèses impitoyables, exercices de volonté qui veulent dompter l’humain, l’animal en lui et les démons, mais aussi un espace ouvert à de grandes visions. Cette douceur de l’âme à laquelle fait allusion Hillman est certainement un des ingrédients majeurs du voyage, qui fait alors du désert un des lieux de l’âme plutôt que de l’esprit. Elle implique d’accepter tout ce qui se présente sans a priori. Ainsi le désert se montra-t-il généreux en nous infligeant pluie et vent, tempête dont se réjouissent les Berbères qui disent que nous avons la « baraka » (chance) d’être ainsi chahutés par les éléments. La volonté de diriger les choses est une des premières choses à abandonner pour entrer sur les terres de l‘âme. La philosophie du voyage devient rapidement : « si cela se passe comme on voulait, c’est bien, et si cela ne se passe pas comme on voulait, c’est bien aussi ». Avec cette façon de marcher, on comprend que ce qui est est toujours bien, qu’on gagne toujours à s’y accorder, à l’aimer. Alors, en aimant ainsi le chemin, le chemin nous le rend bien et nous aime en retour.

Dans les jours qui ont précédé le voyage, une amie interprète de rêves m’a donné une carte symbolique pour celui-ci en me partageant son sentiment de la nécessité d’une approche mystique des rêves. Par « mystique », nous sommes convenus qu’il s’agissait pour nous d’évoquer l’amour du mystère vivant au cœur de la vie, et non quelque envolée dans des espaces transcendant qui encore une fois dédaignerait la terre. Au contraire, m’a dit cette amie, notre voie est féminine et cela signifie que nous sommes régulièrement appelé.e.s à descendre dans les profondeurs plutôt qu’à nous envoler pour planer au haut des cieux. A chaque fois, c’est une voie de dépouillement, dans laquelle nous perdons tout ce qui définissait notre identité, tout ce sur quoi nous nous appuyions. Ce n’est pas une descente contrôlée, maîtrisée, qui tiendrait de la spéléologie de l’âme avec cordes et rivets. C’est plutôt une glissade impromptue, une chute par inadvertance dans l’inattendu. Car là où surgit l’âme apparaît aussi l’imprévu, l’impossible à planifier, le vivant. Et ce mouvement de descente et de dépouillement nous amène à chaque fois, pour reprendre l’expression de mon amie, « aux portes de la mort ». Là où notre chemin s’arrête, où nous semblons nous briser, où les traces que nous suivions se perdent dans le sable. C’est le poète T.S. Eliot qui en parle peut-être le mieux :

« Pour arriver à ce que tu ne connais pas
Tu dois aller par un chemin qui est la voie de l’ignorance.
Pour obtenir ce que tu ne possèdes pas
Tu dois aller par la voie de la dépossession.
Pour arriver à ce que tu n’es pas
Tu dois passer par cette façon dans laquelle tu n’es pas.
Et ce que tu ne sais pas est la seule chose que tu sais
Et ce qui t’appartient est ce qui ne t’appartient pas
Et là où tu es est ce lieu où tu n’es pas. »


Le désert est par excellence ce lieu où tu n’es pas, où rien ne t’appartient, où nul ne sait rien. Et il n’est alors, aux portes de cette mort symbolique qui est aussi l’occasion d’un grand renouvellement, que le « oui » à ce qui est, « oui » au cours de l’âme qui meurt et renaît encore une fois, pour ouvrir le chemin. Ainsi, les voyageurs de l’âme sont-ils invités à abandonner montres et téléphones, et tout ce qui permet de se repérer dans le temps ou dans l’espace, à l’orée du désert. Nous laissons derrière nous tout ce qui fait le confort de la vie moderne, et qui en réalité nous emprisonne dans une vie artificielle. Ce faisant, en signifiant cet abandon, c’est aussi leur vieille peau qu’ils indiquent être prêt.e.s à abandonner. Ils se dépouillent de l’idée restreinte qu’ils se faisaient de leur propre personne. Et ils y gagnent au change en s’exposant bientôt à l’immensité de l’espace ouvert, que ce soit celui des dunes de sables ou du désert rocailleux, ou encore de la voûte étoilée. Cet espace s’ouvre aussi en dedans avec la perte des repères, le fait de se lever avec le soleil et de se retrouver sous la tente à la nuit tombée, le pas lent des dromadaires et l’aisance à se perdre dans la vastitude où pourtant les Berbères semblent chez eux, savent exactement où et par où aller. Il n’y a plus qu’à s’en remettre aux hommes du désert, à ce qui est plus grand et qui guide, inch’Allah !…

L’âme se nourrit de beauté, de nature sauvage, de silence et poésie, de chants et de danses, de rituels, de rêves et d’histoires racontées au coin du feu, etc. Ce n’est pas une intellectuelle. Elle se gausse de nos recherches de sens, qui appartiennent au domaine de l’esprit. A l’orée du désert, nous laissons aussi les livres, tous les livres. Non seulement les philosophies et les théories ne sont pas du voyage, mais aussi la poésie, car la poésie fixée sur le papier est comme un papillon épinglé : le mouvement qui animait les images est absent. Or ce sont les images vivantes qui nourrissent l’âme. Et voilà que, libérée des livres, la poésie suinte dans les partages, dans les échanges d’âme à âme, et plus encore dans le silence. Soudain, elle est partout où se porte notre regard, et jusque l’air que nous respirons a une qualité poétique. C’est un moment de désintoxication, non seulement des poumons qui respirent enfin un air non pollué par les gaz d’échappement, mais aussi des cœurs et des esprits qui sont mis à la diète des actualités et des débats qui agitent le monde. Tout pourrait arriver sur la planète sans que cela revête la moindre importance : nous n’avons pas besoin de le savoir, et le monde n’a pas besoin non plus que nous soyons au courant. De toute façon, nous ne pourrions rien y faire, rien y changer, et en fait nous contribuons alors à la paix du monde en nous enracinant dans un espace libre de toutes les pollutions mentales du monde moderne. Sans le vouloir, le penser même, nous voilà en Tao. Et puisque nous sommes en Tao, le monde autour de nous s’avère aussi en Tao.

Un temps fort de la méharée est l’entrée dans le silence. Un silence doux dans lequel nous sommes invités à marcher dans l’intériorité. Il est encore possible d’avoir un contact avec les autres au travers d’un regard, d’une accolade, mais voilà que nous perdons le support des mots. Il y en a qui n’attendaient que cela, et d’autres pour qui c’est une épreuve, qui poursuivent des conversations par gestes ou éprouvent le besoin de se donner un peu en spectacle. Mais le contenant de silence enveloppe le voyage et c’est le moment où l’âme fore des puits d’où jaillissent les eaux d’abord noires mais bientôt claires et vives. On ne trouve pas de pétrole dans une traversée intérieure du désert mais on y accède à une richesse bien moins destructrice de notre nature, qui tient du limon déposé depuis des temps immémoriaux par la rivière qui coule sous la rivière de nos existences. Et voilà qu’il arrive alors que le Nil intérieur entre en crue porteuse de fertilité. Ce sont souvent aussi des moments d’effondrement des structures psychologiques obsolètes, de remontée d’émotions fortes ou d’images intérieures saisissantes. On observe alors des passages d’autant plus profonds que l’on ne fait rien, que seuls travaillent le silence et le désert. En fait, nous sommes travaillé.e.s par le désert depuis le début de la méharée, mais c’est le dépouillement des mots qui lui permet de donner sa pleine mesure dans ce travail intérieur qui ne s’embarrasse d’aucun artifice. Alors, c’est vraiment la nature, notre nature, qui travaille et ce qui remonte, même si les personnalités en sont momentanément ébranlées, est riche d’une incroyable fécondité pour la vie à venir.

On ne traverse pas le désert seul. La solitude, dans ces immensités, c’est la mort. Du coup, on y retrouve le sens de la communauté. Alors que la marche devient éprouvante, on s’aperçoit qu’on est porté. Quelque chose porte de l’intérieur, et parfois ce sont les dromadaires aussi qui nous portent. Mais ce qui permet finalement à chacun.e de traverser, c’est la communauté dans laquelle tou.te.s ont une place, un regard sur l’autre, une attention en forme de « je te vois ». Les Berbères donnent l’exemple de la communauté vivante qui soutient le voyage, se manifeste en chaque instant dans la répartition avec polyvalence des tâches mais aussi ressort dans les chants autour du feu. Le groupe de marcheuses et de marcheurs, constitué d’individus qui pour la plupart ne se connaissaient pas avant de partir, forme rapidement une petite communauté d’âmes qui s’offrent mutuellement écoute et massages, et mettent en commun tout ce qui peut servir. Très vite se constitue une âme de groupe, qui est propre à chaque voyage. Les temps de partage deviennent des rituels marqués par la sobriété et la poésie des paroles déposées. Il est clair que la traversée du désert intérieur est une expérience individuelle mais qu’elle réclame le contenant d’une communauté. De retour du désert, il est frappant de constater à quel point nos villes sont déshumanisées, c’est-à-dire qu’on n’y trouve plus de communautés, mais seulement des foules et des individus isolés.


Au cours de ce voyage, d’une façon absolument non préméditée, nous avons vécu une très belle rencontre du masculin et du féminin. Une piste s’est ouverte soudain devant nous, dans laquelle la méharée s’est engouffrée. A un moment, les hommes se sont retrouvés dans un cercle entre eux à l’écart du campement, et cela a été l’occasion d’échanger sur ce que cela signifie d’être homme au XXIème siècle. Il en est ressorti toute une richesse d’expériences et de questionnements, et le sentiment général que l’homme est à réinventer en ces temps d’agonie souvent violente du patriarcat, sans que nous ayons de modèle sur lequel nous appuyer. Plus tard, la rencontre s’est opérée en deux temps. D’abord, les femmes ont fait un rituel de célébration de l’eau autour d’un puits, soutenues par les hommes qui se tenaient dans un cercle extérieur. Puis, ultérieurement, les hommes se sont à nouveau réunis en cercle, entourés cette fois par le cercle des femmes qui les ont écouté déposer leurs paroles d’homme. Enfin, les femmes ont pris le bâton de paroles pour faire des hommes présents les intermédiaires du message qu’elles voulaient faire passer aux hommes en général. Nous en avons tout.te.s tiré une grande satisfaction, que ce soit de pouvoir parler et d’être entendu.e.s, ou tout simplement de constater que la rencontre et la réconciliation du féminin et du masculin sont non seulement possibles, mais souhaitables et vivifiantes.

La posture d’accompagnant dans ce genre de voyage présente des défis passionnants. Le plus intéressant d’entre eux est certainement de vivre pleinement son propre processus intérieur tout en donnant une attention soutenue au groupe et aux processus intérieurs des participant.e.s. Nous n’étions pas de trop de trois animateurs, avec la chance de fort bien nous entendre sans grandes discussions et d’être très complémentaires dans nos approches et nos compétences. Il est nécessaire de pouvoir prendre des moments de recul et de solitude dans de telles traversées, ce qui n’est possible qu’en passant le relai en toute confiance à d’autres. Il est important que les personnes facilitant le voyage soient impliquées dans celui-ci avec leurs propres processus intérieurs, qu’elles partagent l’aventure existentielle du groupe. Elles offrent ainsi un cadre énergétique qui donne une direction à la caravane, et elles se doivent de proposer un exemple d’implication dans le travail et l’intériorité. Par exemple, elles sont porteuses du silence, qui ne tient pas simplement à une consigne de ne plus parler mais se manifeste dans une présence à chaque instant, à soi-même et à autrui. C’est une position privilégiée que d’accompagner de tels groupes dans le désert car, même si cela semble relever du grand écart, il s’installe rapidement un équilibre entre le processus personnel et celui de l’ensemble : chacun sert de contre-poids à l’autre. Ainsi n’est-il pas possible de s’absorber entièrement dans nos problématiques personnelles du fait des besoins du groupe, et cela aide à traverser les obstacles, tandis que l’intériorité à laquelle invite le désert donne un enracinement qui permet d’accompagner le groupe dans toutes les méandres du voyage.

Le dernier ingrédient qu’il me faut mentionner pour ce travail de l’âme, mais non le moindre, m’a été soufflé par une carte tirée au troisième ou quatrième jour. Il s’agit du sens de l’humour, et de la capacité à insuffler de la légèreté dans le voyage, les rituels et les processus souvent intenses qui s’y déploient. Paule Lebrun nous mettait régulièrement en garde contre l’esprit de sérieux qui nous amène à bloquer la circulation de l’énergie en serrant les fesses. C’est par cette constriction égotique que les rituels se transforment en rites et que la poésie cristallise en dogmes. On voit volontiers transparaître par là l’attachement à la souffrance et aux drames qui tissent notre petite existence, et l’on glisse bientôt à nouveau dans le sommeil et l’ennui. Le remède est alors d’invoquer l’esprit des clowns sacrés, les heyokas de la tradition amérindienne, qui font tout à l’envers et troublent les cérémonies par des actions ou des paroles incongrues. Paule soulignait qu’il ne faut pas confondre l’esprit de sérieux avec la gravité requise pour conduire des rituels ou accompagner des processus de transformation. La gravité tient à la conscience de notre responsabilité devant ce qui est alors en jeu, et confère du poids à nos paroles, nos actions et notre présence. Ce poids, qui est aussi celui des sentiments abyssaux qui sont parfois rencontrés dans le travail de l’âme, a besoin d’être équilibré par la légèreté aérienne qui enjambe les gouffres dans un éclat de rire, avec tendresse et douceur, et remet les choses en perspective.



J’ai entendu de très beaux rêves au cours de ce voyage. J’ai demandé à l’un des rêveurs la permission de vous partager ce qu’il m’a donné à entendre car j’y ai vu une des plus belles façons possibles de vous partager ce que je ramène du désert. A un moment, il m’a expliqué qu’il venait d’avoir un rêve qui apportait une conclusion, au moins provisoire, à une série de rêves qui lui étaient advenus sur une période de deux ans. Le premier de ces rêves est le suivant :

Je suis un berger et je veille sur un troupeau de lions endormis dans un cirque de montagne, sous une pleine lune qui dissimule les lions dont les formes de loin pourraient sembler dans cette pénombre être des moutons.

Il est à noter, m’a-t-il dit, qu’il reprenait alors contact avec une masculinité positive et inspirante. Cependant, quelques temps plus tard, sa compagne est partie dans le désert avec un groupe similaire au notre et voilà ce qu’il a alors rêvé :

Je suis un lion du désert. Je m’approche d’un campement que j’observe en me dissimulant en haut d’une dune. Il y a là des femmes en robes rouges qui sont en train de célébrer un rituel.

On entre là dans la dimension mystérieuse des rêves, qui échappe à l’interprétation et à la volonté de tout expliquer. Bien sûr, on peut encore s’attacher à discuter du symbole du lion et des liens que le rêveur entretient avec celui-ci. Ce lien semble cependant de nature chamanique plus que psychologique. Il se trouve qu’il est probable que la compagne du rêveur ait participé dans les jours entourant le rêve à un rituel similaire à celui-ci dont le lion était témoin. Le rêve semble donc tenir plus du voyage que de la construction symbolique, et avoir ouvert une fenêtre permettant au rêveur d’approcher une réalité mystérieuse. Il me semble probable qu’en fait, il a alors commencé à entrer en résonance avec l’âme du désert qui l’appelait, résonance soutenue par l’amour qu’il éprouve pour sa femme et qui a fourni l’énergie nécessaire à ce « voyage » subtil.

Au cours de notre méharée, il a reçu un troisième rêve qui, m’a-t-il alors dit, complétait les deux premiers. Dans ce rêve :

Il est à nouveau le lion du désert. Il s’approche de notre campement et voit le rêveur endormi (ainsi qu’il l’était dans la réalité) tout proche des dromadaires. Il veille sur lui.

Du point de vue chamanique, ce rêve indique que le rêveur vient de franchir un seuil remarquable : il se voit lui-même de l’extérieur. Il est maintenant en contact direct avec l’âme du désert. Il a répondu à son appel en se joignant à la méharée et elle veille désormais sur son sommeil, sur ses rêves. Bien sûr, on peut se demander, toujours d’un point de vue chamanique, si le lion du désert n’est pas en passe de devenir un de ses animaux de pouvoir.

Mais le rêve a pour moi une autre dimension qui résonne avec les préoccupations autour de l’effondrement que je partageais en marchant avec le rêveur, aussi sensible que moi à ces questions. Dans le Manifeste de la Montagne Sombre1 (dark mountain manifesto) dont je parlais dans un précédent article2, il est fait mention de la nécessité d’entrer dans un processus de décivilisation (en anglais : uncivilisation) pour observer notre humanité « de l’extérieur », à partir de points de vue non-humains qui pourraient permettre d’envisager de nouvelles perspectives. C’est une façon de revenir dans le grand cercle de la vie, dans lequel l’humain n’est qu’un acteur parmi d’autres, sur le même rang que les fourmis et les lions, et d’ouvrir la voie à une vision globale de la Grande Vie sur notre planète. L’agonie de la civilisation techno-industrielle n’est pas un drame du point de vue des arbres, des rochers, des animaux sauvages et du désert. Elle pourrait même être une opportunité. Et ce qui semble dramatique d’un point de vue humain pourrait être l’occasion pour certain.e.s d’entre nous de briser l’identification à l’humain moderne coupé de la nature, et d’élargir le champ de nos consciences jusqu’à embrasser le regard du lion sur ce qui arrive.


La plus grande leçon que j’ai retiré de ce voyage, c’est qu’il y a de la vie partout dans le désert. Et oui, la vie s’adapte aux milieux les plus hostiles. Je marchais en quête d’un rêve pour la terre au-delà de l’effondrement de la civilisation industrielle. C’est le rêveur au lion qui m’a aidé à dégager cette vision de son écrin de silence en me disant, comme nous parlions de son rêve, que l’âme du désert est pré-humaine. Elle nous reconduit à des profondeurs ancestrales du point de vue desquelles notre humanité techniciste n’est qu’un accident de parcours sans grande importance. Elle nous a précédé, et elle nous survivra, et avec elle, les serpents, les scorpions et les scarabées, les acacias et les tamaris, et très probablement les dromadaires ainsi que les hommes qui sont accordés à cette âme, comme le sont les Berbères par exemple. Quant à nous, nous ne faisons que passer...