dimanche 6 octobre 2019

Démembrement


J’ai entendu cet été un rêve très particulier. C’est le genre de rêve qui vous marque, qu’on le reçoive ou qu’on en soit simplement le témoin. Disons-le tout de suite, c’est un rêve terrible, comme le titre que j’ai donné à cet article le laisse entendre. Âmes sensibles s’abstenir, et pourtant… au-delà de l’horreur apparente qui le rend difficile d’accès, c’est un rêve précieux et en fait archétypique, qui signe un passage très important dans la vie de la rêveuse. Le rêve lui-même tient du rite de passage, et peut être mis en lien avec un très ancien rituel de renouvellement. Au-delà de sa dimension personnelle, c’est un rêve qui peut tou(te)s nous concerner car l’archétype est une dimension collective, et c’est pourquoi j’ai demandé à la rêveuse la permission de l’exposer et de le commenter ici. Je veux illustrer ainsi ce que l’on peut appeler à bon droit « l’alchimie du travail avec les rêves », c’est-à-dire le fait qu’en travaillant avec les éléments difficiles qui ressortent de nos rêves, nous grandissons et nous mûrissons – nous nous transformons.

La rêveuse a reçu ce rêve dans la nuit précédant sa signature d’une offre d’achat pour une maison, signature qui a marqué pour elle l’approche d’un grand changement puisqu'elle a passé les 3 années antérieures dans une vie de nomade, sans avoir vraiment de domicile fixe. L’achat de cette maison va avec le projet d’offrir un gîte aux pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, comme une façon pour elle de continuer à marcher sur le Chemin. Ce point mérite d’être mentionné car il pointe vers l’arrière-plan spirituel du rêve, et sa dimension alchimique – Saint-Jacques est le patron des alchimistes, et il y a dans ce rêve un élément frappant qui nous renvoie symboliquement à l’ancienne Égypte, patrie d’origine de l’alchimie occidentale. Et puis, pour approcher un tel rêve, nous avons bien besoin de la protection symbolique de la mérelle1.


Voici le rêve :

Je marche sur un large chemin de terre montant en pente douce, au milieu d'une forêt de grands arbres. Le sous-bois est clair et laisse passer la lumière. J'arrive sur un plateau le chemin débouche dans une immense clairière. Au centre de celle-ci un très grand lac entouré de prairies d'herbes hautes et vertes, elles-mêmes entourées d'arbres identiques à ceux de la forêt traversée. L'eau est de couleur sombre et brillante (une eau miroir presque noire). Le chemin amène à ce lac. A la fin de celui-ci, juste au bord de l'eau, un jeune homme de dos d'une vingtaine d'année tient de sa main droite la main gauche d'une petite fille. Ils avancent lentement vers l'eau. Une femme "âgée", cheveux long libres et gris blancs, en longue robe, marche vers eux sortant de la forêt et traversant la prairie sur la droite du lac. Elle prend la main droite de l'enfant dans sa main gauche et avance avec eux vers l'eau. Je suis juste à la lisière de la forêt et des prairies et je les vois donc de dos.

Ils commencent à entrer dans l'eau. J'aperçois du bois flottant au centre et à l'extrémité opposée du lac. Un pré-sentiment, une intuition me font sentir que cela peut être dangereux. Je les appelle. Pas de réaction de leur part. Je continue à avancer.... mon regard change et je commence à voir à travers l'eau, comme si je radiographiais ou scannais celle-ci. Elle est trouble mais je distingue de mieux en mieux. Les morceaux de bois sont des crocodiles. Certains laissent juste voir leurs dos à la surface de l'eau, beaucoup restent en dessous. Ils convergent lentement vers les trois personnes qui ont maintenant de l'eau jusqu'aux hanches pour l'homme et la femme et jusqu'au cou pour l'enfant. Je continue à les appeler et même à crier qu'il y a un danger. Je crains que les crocodiles les aient sentis et si l'un d'eux mordait, le sang attirerait tous les autres et l'homme, la femme et l'enfant seraient déchiquetés et disparaîtraient, entraînés au fond du lac.

Je suis en colère pour ce qui me parait être de l'inconscience de cette femme. Pour moi, elle devrait être sage et pleine d'expérience. Ce que je prévoyais arrive, ma vision me montre les crocodiles qui attaquent. Les corps sont démembrés, déchiquetés sous l'eau. Je regarde la scène. Ils ne disparaissent pas.

La rêveuse précise : « Je me réveille. Ce rêve fort n'a pas été vécu comme un cauchemar. »

Le fait que ce rêve n’ait pas soulevé un sentiment d’horreur chez la rêveuse est évidemment le premier point qui a attiré mon attention, comme une incongruité signalant que le rêve n’est pas nécessairement ce qu’il semble être. Le conscient, en s’emparant de telles images, va y voir nécessairement un cauchemar que l’on interprétera éventuellement comme cristallisant des peurs inconscientes de la rêveuse, mais son sentiment au réveil dément une telle approche. Les incongruités sont nos portes d’entrée dans le rêve, là où se signale l’inconscient, c’est-à-dire que quelque chose échappe au conscient…



Disons-le d’emblée : c’est un rêve qui réclame une interprétation, et beaucoup de prudence dans l’intégration de son énergie transformatrice. Ce n’est pas le genre de rêves avec lequel je travaillerais directement avec le ressenti corporel et émotionnel, tout simplement parce que je ne prendrais pas le risque d‘exposer la rêveuse à une identification avec les protagonistes du rêve. Avec tous les rêves présentant des thèmes évoquant la désintégration ou le déchiquetage d’un corps, nous sommes tenus à la plus grande prudence car nous nous trouvons en présence d’images évoquant un risque de morcellement ou de fragmentation psychique. Cela ne veut pas dire que la rêveuse soit psychotique mais nous avons des précautions d’usage à respecter devant de tels rêves. C’est là que le travail d’interprétation s’avère tout particulièrement justifié – il ne faut pas rester avec un tel rêve non interprété – et tenir en fait du bouclier, et du filtre, permettant d’approcher et d’absorber la puissance disruptrice du rêve.

C’est la fonction du symbole, et de l’élaboration symbolique, que de faciliter l’approche de contenus inconscients qui, s’ils émergeaient directement à la conscience, pourrait en menacer l’intégrité. Von Franz signale que lorsque des personnes présentant un risque psychotique sont exposées à des images symboliques vivantes, qu’elles proviennent de leurs rêves ou de contes, de mythes, la compréhension symbolique qu’elles en retirent les aident à faire face à l’expérience accablante d’une irruption de l’inconscient. Nous vivons tou(te)s des processus de transformation, c’est-à-dire souvent de désintégration, dans notre psyché inconsciente, mais c’est notre capacité à communiquer ce qui en parvient à la conscience qui garantit notre santé psychique. Ainsi Von Franz écrit-elle que :

« Une certaine connaissance du symbolisme agit, pour ainsi dire, à la manière d’un filet permettant de recueillir le mystère indicible d’une expérience immédiate de l’inconscient. »

La forêt et le lac sont deux symboles caractéristiques de l’inconscient. La première symbolise un aspect de la vie naturelle, dans laquelle la rêveuse va par un Chemin en pente douce, tandis que le lac évoque la dimension émotionnelle de la relation avec l’inconscient. Et il y a dans ce rêve un élément typique qui appelle immédiatement l’attention : le contraste entre la belle lumière dans laquelle baigne la forêt, et la noirceur de l’eau du lac, « de couleur sombre et brillante » : « une eau miroir presque noire ». C’est un peu comme si la lumière de la conscience était présentée là comme un écrin au centre duquel se tient le joyau de l’obscurité sombre et brillante qu’il va falloir approcher. Un travail intérieur avec l’aspect obscur de la psyché se dessine.

Fort heureusement, ce n’est pas la rêveuse qui entre dans ces eaux noires mais un trio non moins typique : une femme, un homme, une enfant prépubère. C’est une image de l’inconscient dans lequel il y a une représentation du féminin, du masculin, et de la nouvelle vie qui naît de leur union. Du point de vue symbolique, il faut souligner qu’avec ce trio et la rêveuse, nous avons quatre personnages dans ce rêve, et donc une représentation de la totalité psychique. Il y a un bel équilibre dans cette image, que ce soit par la présence de la fillette (puer) et de la vieille femme (senex) que celles du masculin et du féminin dominant. Les trois âges de la vie sont aussi représentés avec l’enfant, le jeune homme et la vieille femme. On peut donc penser que ce rêve porte la signature du Soi, c’est-à-dire qu’il parle de la prochaine étape qui se dessine dans l’individuation de la rêveuse.

Compte tenu des circonstances dans lesquelles il est survenu, il est vraisemblable qu’il s’agit d’un rêve initial donnant la note du nouveau cycle de vie dans lequel la rêveuse s’est engagée en signant son offre d’achat. Un tel augure, à l’abord d’une nouvelle aventure de vie, en ferait reculer plus d’un(e). Ce n’est pas le cas de la rêveuse, qui a la maturité spirituelle lui permettant d’envisager, dès nos premières discussions autour de ce rêve, sa dimension initiatique. Il faut préciser qu’elle a beaucoup cheminé sur la voie chamanique, or la tradition rapporte que le candidat à l’initiation chamanique est souvent symboliquement démembré ou découpé en petits morceaux par les esprits, ce qui prélude à une recomposition à un autre niveau.

On retrouve ce thème du morcellement dont je parlais plus haut, qui, quand la crise n’est pas vécue dans sa dimension transformatrice et initiatique, présente le visage hideux de la folie, et qui cependant est une étape décisive de croissance pour les chamans. Il semble qu’il n’y ait pas de psychotiques dans les sociétés traditionnelles car le cadre symbolique qu’offre une culture en prise avec la nature et l’inconscient permet d’intégrer ces épisodes. Dans notre culture, on retrouve la même thématique dans l’alchimie avec l’œuvre au noir et la putréfaction qui suit la nécessaire mort symbolique. C’est l’angle sous lequel j’ai proposé à la rêveuse de considérer son rêve :

C’est un grand rêve qui annonce une transformation radicale qui tient de l’initiation chamanique, dans lequel les crocodiles symbolisent la puissance transformatrice, le Destructeur qui permet par son action au nouveau d’apparaître. Il est d’une grande importance dans la vie personnelle de la rêveuse à l’abord du nouveau cycle de vie qui s’ouvre à elle, mais il a aussi une portée collective dans ce que nous sommes tou(te)s, individuellement et collectivement à l’heure où nous devons envisager l’effondrement de notre civilisation, à risque de rencontrer celui que les anciens égyptiens appelaient Sobek, le Purificateur d’Âme, le dieu-crocodile. Il constelle le thème du sacrifice, et plus précisément celui du sacrifice de l’enfant, symbole d’innocence, mais aussi, comme nous le verrons plus loin, celui de l’« enfant intérieur » qui doit être sacrifiée pour permettre à l’adulte psychologique d’émerger.



Dans le dictionnaire des symboles (Jean Chevalier et Alain Gheeerbrant), le crocodile est décrit comme un cosmophore, un porteur du monde. C’est une divinité nocturne et lunaire qui règne sur les eaux primordiales, « dont la voracité est celle de la nuit dévorant chaque soir le soleil ». Il symbolise certains aspects des forces maîtresses de la mort et de la renaissance. Certains peuples y voient un grand ancêtre, avec souvent un rôle initiatique. En Égypte, il y avait des crocodiles sacrés dans certains temples car on leur prêtait un rôle dans le jugement divin des défunts : ceux qui échouaient à la pesée des âmes étaient dévorés par le grand Crocodile. Mais alors que dans plusieurs cultures, dont la Chine et les Mayas, le crocodile est aussi associé à la fertilité et l’abondance, nous en avons une vision seulement négative en Occident, où il y a un relatif consensus à dire qu’il représente « une attitude sombre et agressive de l’inconscient collectif ».

En psychologie des profondeurs, nous considérons avec Jung que les animaux qui apparaissent dans les rêves symbolisent des forces instinctuelles. Quand il s’agit d’animaux à sang froid, comme les serpents ou les crocodiles, il s’agit de puissances archaïques très éloignées de la conscience, encore très loin de pouvoir s’humaniser. C’est dangereux. On ne peut pas faire confiance à un crocodile. Je me souviens d’avoir été effrayé dans une loge de rêve d’entendre un jeune homme expliquer qu’il s’approchait d’un crocodile sans aucune peur, en le sentant complètement pacifique. Pour moi, une telle attitude signale un idéalisme spirituel qui ne tient pas compte de l’ombre et invite le crocodile à mordre pour délivrer sa leçon de vie. Dans un autre rêve que j’ai entendu récemment, nous convenions avec la rêveuse que le crocodile pouvait renvoyer aux réflexes possessifs et agressifs du cerveau dit reptilien. Car le crocodile, comme tous les reptiles, n’a pas de cerveau limbique, c’est-à-dire aucune capacité de relation émotionnelle. C’est une force brute, destructrice, qui symbolise fort bien les aspects sombres de la nature et de l’inconscient.

Cependant, il n’y a pas d’initiation, et donc de croissance réelle, sans qu’intervienne le Destructeur que la mythologie hindoue symbolise sous les traits de Shiva. La mort symbolique prélude à la renaissance, et le démembrement est nécessaire pour un rem embrement, c’est-à-dire une recréation à un niveau supérieur d’organisation et de conscience. En 2013, j’ai eu la chance de vivre un rite de passage remarquable inspiré de la tradition celtique sur ce thème archétypique du démembrement – remembrement. C’est alors, sans que j’en ai conscience sur le moment, que s’est décidé au profond de ma psyché le changement radical de vie qui m’a ramené en Europe quelques années après. J’en ai retenu le passage par un état très particulier de mise à nu intérieure, dans une vulnérabilité qui va avec l’absence de toute forme définie, de toute carapace protectrice, entre le démembrement de l’ancienne personnalité qui meure et le remembrement préfigurant la nouvelle personnalité qui s’apprête à émerger. C’est à partir de cette expérience et de ma formation de passeur dans Ho Rites de Passage, où je me suis particulièrement intéressé à ces processus de transformation et à leur cadre symbolique, que j’ai interprété ce rêve. Cela n’exclue pas qu’il y ait d’autres niveaux d’interprétation possibles, tout aussi valables. A partir de là, on peut creuser…

La rêveuse, après que nous ayons discuté de cette interprétation, m’a indiqué que le sentiment qui lui restait avec ce rêve était une grande colère envers la femme de ne pas voir prévenu l’enfant. Plus tard, en loge de rêves, la rêveuse a été submergée par une vague de tristesse en disant que la petite fille avait été conduite au sacrifice. Ma résonance alors avait rappelé une parole de Jung qui s’exclamait que « Dieu est terrible », et qu’on pouvait penser que la tisseuse des rêves prévenait la rêveuse avec ce rêve de la présence de crocodiles dans la psyché. Poursuivant la discussion du rêve, nous en sommes arrivés à évoquer la présence en filigrane de la Grande Mère, d’Isis, et la rêveuse a inscrit son rêve dans le mythe du démembrement d’Osiris par Seth, et a commencé à accepter que ce dernier pourrait à avoir un rôle positif à jouer dans l’histoire. Elle a relié son rêve au mythe de la conception de la Reine de Saba, qui veut que sa mère, se baignant dans un fleuve, a été fécondée par un crocodile. Elle a parlé d’un processus de « dé-mentalement » des structures...


Après quelques mois, je l’ai recontactée pour finaliser l’écriture de cet article, et elle m’a encore parlé de ce « dé-mentalement » qui semble être la signature énergétique du rêve. Et nous sommes entrés dans le vif du sujet quand j’ai évoqué l’horreur de voir l’enfant démembrée et qu’elle m’a dit que non, il n’y avait pas de sentiment d’horreur. On en revenait à cette incongruité qui est la porte d’entrée dans le rêve, et elle a continué en interrogeant : mais qu’est-ce qui mérite chez l’enfant d’être démembré ? En cheminant avec le rêve, elle en venait à se dire qu’il s’agissait de détruire le faux self de l’enfant, l’illusion attachée à l’idéalisation de l’enfance et à l’identification avec la blessure, le traumatisme, etc. Elle avait entendu Pierre Trigano, parlant à la radio d’un autre rêve, mentionner que le crocodile peut représenter le matriarcat, et cela avait pris tout son sens pour elle. Isis, la Grande Mère, a une dimension totalisante, pour ne pas dire totalitaire, qui maintient dans l’enfance et empêche le moi adulte d‘émerger. Il s’agissait d’arrêter de continuer à attendre que la mère prenne la rêveuse par la main et montre le chemin, conduise à la sécurité.

C’est alors, dans la discussion, que la clé du rêve est apparue. La rêveuse m’a dit : « la femme sait ». Elle est revenue dans le rêve. Elle voit dans les eaux troubles et elle distingue clairement les crocodiles, mais surtout elle « voit » que la femme sait, et qu’elle aussi se sacrifie, « pour accompagner la petite fille dans la transformation ». Le jeune homme ne sait pas, lui, et va donc à la mort dans une certaine inconscience. Mais la vieille femme est entièrement consciente de ce qu’elle fait. Elle accomplit le rite de passage du sacrifice de l’enfant intérieur pour entrer vraiment dans l’âge adulte. Notre discussion m’a fait alors penser à ce qu’en dit Ginette Paris dans « au-delà de la honte et de l’orgueil » (nouvelle édition de « la sagesse des larmes ») :

« Tous les individus, de toutes les races et de toutes les cultures, hommes et femmes, sont pour la plupart placés devant le défi de la survie (le travail) et le défi des relations (l’amour sous toutes ses formes). Donc, pour sortir d’un narcissisme propre à l’enfance et pour s’orienter dans le bon sens, le premier pas consiste non pas à se tourner vers son enfant intérieur, comme le suggère une certaine psychologie populaire, mais de s’en éloigner. (...) Les approches basées sur le monomythe de l’enfant intérieur monopolisent aujourd’hui la conscience de bien des individus. Les blessures, les besoins, la vulnérabilité de l’enfant ont reçu une attention qui a fait de cet archétype une divinité tyrannique. Ce Dieu Enfant fait écho à un monothéisme répressif; nous avons simplement remplacé Dieu le Père par un Dieu Enfant, tout aussi unique, jaloux et omnipotent.

Il ne s’agit pas de nier que l’enfant-en-nous mérite notre attention, et que cet archétype représente non seulement la vulnérabilité fondamentale, mais qu’il est aussi le symbole de la joie, du jeu, de la spontanéité et du renouvellement. Toutes les écoles de sagesse et de disciplines spirituelles s’entendent pour dire qu’il faut porter attention à cet enfant intérieur et de ses besoins propres, car, pour qu’il cesse de geindre et de manipuler, il faudra développer envers lui une attitude de compassion pour lui permettre d’évoluer. Mais en faisant de lui le centre de notre conscience psychologique nous allons tout droit vers une victimisation: l’enfant intérieur deviendra vite un tyran, pour soi-même et pour les autres. »

On retrouve donc ici le problème du Puer aeternus (l’enfant éternel) dont parle Marie-Louise Von Franz en analysant le cas de Saint-Exupéry dans des conférences et un livre sur ce thème. Cet enfant ne veut pas grandir, ou plutôt, nous ne voulons pas cesser de nous identifier à lui. C’est aussi ce qu’on appelle le syndrome de Peter Pan, car ce dernier ne veut pas vivre dans le monde réel. Ce qui caractérise l’enfant, c’est le manque : il a besoin d’une mère pour pourvoir à ses besoins. A force de rechercher dans le passé d’où s’origine notre blessure fondamentale, nous nous identifions inconsciemment à celle-ci – nous restons dans ce passé. Mais alors, ce sont l’enfant intérieur et la nécessité de satisfaire ses besoins, de le protéger, qui guident notre comportement dès lors infantile. Cependant, l’enfant a besoin pour grandir que nous soyons adultes et que nous soyons à même de l’accueillir à partir de ce point de vue adulte. Cela implique de renoncer à l’idéalisation sous quelque forme que ce soit, et de prendre nos responsabilités. C’est le sacrifice de l’enfant intérieur, offert à la dimension obscure de la psyché pour permettre le renouvellement de celle-ci , auquel semble donc s’engager notre rêveuse en signant une promesse d’achat qui augure pour elle une toute nouvelle vie.



1 La coquille Saint-Jacques ou Mérelle de Compostelle est le symbole le plus connu du Chemin. Elle est portée mystiquement par tous ceux qui entreprennent le travail et cherchent à obtenir l'étoile. Mérelle signifie mère de la lumière. Elle sert à désigner le principe Mercure, appelé encore Voyageur ou Pèlerin, ou encore "l'eau benoîte" des Philosophes.