Cet autre matin, je parlais avec une amie. Je ne la connais pas depuis longtemps ni très bien, mais nous avons en commun d’écouter les rêves, de les aimer… et cela nous rapproche plus peut-être que si nous étions allés à l’école ensemble. Sur ce chemin, on se découvre des ami(e)s tous les jours et on touche à ce que l’amitié – âme-moitié – a d’éternel : on se re-connait…
Cette amie m’a rendu un service inestimable. En quelques mots, avec un bon sourire, elle m’a montré comment quelque chose en moi est toujours en train de courir derrière une nouvelle idée, une explication, une compréhension ou une information : le hamster qui tourne dans sa roue. Nous parlions des rêves et de l’importance d’en parler, de faire entendre leur voix, quand elle m’a fait remarquer que bien souvent, nous nous perdons dans des discours « sur » les rêves. Au lieu d’écouter ce que les rêves ont à dire, de les laisser couler en nous, nous informer… nous ajoutons une couche de concepts, d’explications, d’interprétations. Si nous n’y prenons garde, nous nous éloignons alors du rêve, nous en faisons une absurdité manipulable mentalement : nous croyons en être quitte parce que nous avons mis des mots sur le rêve. Ce faisant, nous passons à côté du rêve comme ce promeneur qui ne voit pas la rivière au bord de laquelle il marche tant il est pris dans ses idées, les mots dans sa tête.
A l’inverse, les rêves demandent à être approchés dans le ressenti silencieux des images. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mots, mais ils se font espacés; il y a de l’espace à l’intérieur dans lequel le rêve peut se déployer. Cet espace est tissé de présence, de conscience ancrée dans le senti de l’instant présent, d’attention au jeu créateur des images du rêve, toujours unique, singulier. Il s’agit moins alors d’interpréter le rêve, d’en tirer un message dans nos mots habituels, que de nous laisser travailler par les images, d’aller au bout des nouvelles possibilités de conscience dont elles sont porteuses. On dit cette approche « féminine » et tenant, selon James Hillman qui en a été un des hérauts, de « la fabrique de l’âme », par contraste avec la démarche « masculine » de l’esprit qui sépare, disjoint, conceptualise et explique. Mon amie et moi convenions qu’il n’est sans doute pas utile d’ajouter à la cacophonie ambiante des théories et grands discours, et que s’il est un baume que les rêves peuvent apporter dans notre monde troublé, il tient plutôt du murmure de la rivière que l’on peut entendre quand on se tait…
Allons donc nous promener au bord d’un rêve sans plus
d’explications. C’est un rêve qui n’a pas besoin de commentaire, qui parlera
pour lui-même, que rapporte Robert Moss dans Les Iroquois et le rêve chamanique. « Dans ce rêve, je regarde
une foule de gens bouche bée et goguenards face à un magnifique lion blanc
derrière les barreaux de sa cage. Ils se comportent comme toutes les foules de
badauds un dimanche après-midi au zoo, jetant leur détritus à terre, l’air
abruti. Ils pensent qu’ils peuvent se moquer sans risque du lion – jusqu’au
moment où quelqu’un s’écrie que la porte de la cage est ouverte. Les humains
paniquent et s’enfuient en courant pour sauver leur vie. Je pénètre vaillamment
par la porte ouverte. Je ne m’effraie pas quand le lion bondit vers moi. Il
saute et pose ses pattes sur mes épaules comme un énorme chien affectueux. Le
lion veut que je regarde derrière moi pour voir ce qui se passe. En me
retournant, je m’aperçois que ce sont les humains, et non les lions, qui sont
en cage. La place du lion est dans la nature, en liberté, parmi les
possibilités sans limites. Le lion blanc me dit de sa voix profonde et
rocailleuse : « Tu vois, les humains sont les seuls animaux qui
choisissent de vivre en cage. »
Le rêve chamanique est magnifique par sa conclusion...
RépondreEffacerAprès une quinzaine d'année d'interprétation de mes rêves avec un interprète j'ai tout arrêter éprouvant le besoin qu'ils restent sauvages... Ils avaient déserté mes nuits et les voici qui reviennent impressionnants ...
Merci pour ce commentaire. Von Franz parle en effet du fait qu'il arrive un moment où on se rend compte en effet d'un excès d'analyse, et le mouvement inverse s'impose alors. Je crois important moi aussi que nos rêves restent "sauvages", c'est-à-dire peut-être la seule chose en nous qui ne soit finalement pas domestiquée...
EffacerExcellent, le rêve du lion blanc !
RépondreEffacerPour prendre du recul sur la condition humaine, rien de mieux que de la regarder avec le point de vue d'un "non-humain" ! :-)
Pour le reste, je suis bien d'accord : en général, on conceptualise et on psychologise beaucoup trop...
Presque toutes les analyses de rêves consistent, d'une façon ou d'une autre, à essayer de "faire rentrer" celui-ci dans la "cage" de nos représentations théoriques du monde...
alors que le rêve, entièrement libre, nous envoie justement le point de vue nouveau qui nous permettrait d'en sortir... :-)
Oui, c'est exactement le problème : nous essayons d'amener le rêve dans le cadre de nos conceptions conscientes alors que le rêve est comme une fenêtre ouverte sur autre chose ! Tu me mets des mots dans la bouche en soulignant comment le rêve est "entièrement libre" de nos pré-conceptions, merci ! Et j'aime beaucoup cette idée de regarder la condition humaine à partir d'un point de vue non-humain, animal. Je vais demander à mon âne ce qu'il en pense :-)
EffacerEt puis le rêve est avant tout un "événement"...quelque chose qui nous "arrive"...une "histoire qu'on vit"...bien plus qu'un "objet" (à disséquer).
RépondreEffacerJe tends même à dire que c'est une "poiësis", c'est-à-dire une création (en grec, qui a donné "poésie"), une production neuve, toujours nouvelle... - c'est par là (les symboles vivants) qu'une "énergie" entre dans nos vies, et il s'agit donc plus d'aller au bout de ce mouvement (gestalt) de création. C'est un être vivant et l'ennui de la dissection, c'est donc qu'il faut le tuer pour le disséquer...
Effacer« Von Franz parle en effet du fait qu'il arrive un moment où on se rend compte en effet d'un excès d'analyse, et le mouvement inverse s'impose alors. »
RépondreEffacerdis-tu, Jean.
Marie-Louise von Franz dit aussi * que l’interprétation des rêves est un art et un savoir-faire d’une certaine façon semblables à l’art et au savoir-faire du charpentier ou de l’ébéniste qui ne se résume pas à sa connaissance des outils du métier mais qui, grâce à une certaine pratique et une certaine empathie, « sent le bois", c’est à dire a développé au fil de la fréquentation du bois une sorte de sixième sens qui s’y rapporte. Les outils seuls (théories, notions ou concepts psychologiques, etc.), employés sans cette empathie ne sauraient faire du bon ouvrage.
"In medio stat virtus", dit l’adage... (La vertu se tient entre les extrêmes).
Amezeg
* Par exemple au cours des entretiens filmés avec Fraser Boa (The Way of the Dream)
Merci Amezeg pour cette précision, qui nous ramène aussi à ce que disait Jung, citant un proverbe chinois, sur le fait que le bon outil, entre les mains du "mauvais homme" pourrait avoir un effet néfaste. J'aime ce parallèle avec l'art de l'ébéniste car en effet, le bois travaillé a une odeur toute particulière, sensuelle...
EffacerOui, en effet, Jean : "dans les mains de l’homme de travers le moyen juste agit tout de travers et dans les mains de l’homme juste le moyen de travers agit de façon juste."
RépondreEffacerLa "formule" m’est revenue à l’esprit aussitôt après l’envoi de mon commentaire, et je me disais qu’elle était très éloquente et très juste. Je suis donc ravi que tu l’aies rappelée (en raccourci) dans ta réponse.
Merci ! :-)
P.S. L’odeur des bois travaillés est souvent merveilleuse... et il me semble (depuis l’enfance) bien mieux la savourer lorsque le chant de l’outil à main l’accompagne, sans trépidation ni stridence électro-mécanique...
Ce qui me semble tout particulièrement remarquable, c'est que "dans les mains de l’homme juste le moyen de travers agit de façon juste", cela m'amuse toujours : il y a là un pied de nez à notre époque utilitariste et technologique. Et je dois avouer être à peu près allergique aux outils électriques... :-)
EffacerMerci, Jean, pour ce texte qui nous met en garde contre le piège du mental. Et pour ce rêve qui donne envie d'aller danser avec les fauves! Impossible pour moi de réprimer un sourire à l'image de cette magnifique complicité avec la bête toute fourrure... Grrrrr... :)
RépondreEffacerMerci pour ce sourire, Catherine. Je crois que c'est exactement ce à quoi nous invite ce lion : à sourire et à danser avec les fauves... hors de la cage du mental.
EffacerCela me fait penser au travail de Jodorowsky (la psycomagie): les mots (la thérapie psychanalytique basée sur le langage) ne peuvent pas nous guérir. Il faut alors parler à l' inconscient avec le langage propre à l'inconscient.
RépondreEffacerDans le rêve conscient on peut par exemple essayer d'intervenir sur la réalité tout en restant dans le rêve.
J'ai aussi rencontré un lama bouddhiste qui utilisait ses rêves pour guérir ou aider les personnes qui en lui faisaient la demande.
Stefano
Merci Stefano pour ce commentaire. Oui, j'aime beaucoup le travail de Jorodowsky, en particulier sa psychomagie ! C'est un point très important que vous amenez là : il faut parler à l'inconscient avec le langage de l'inconscient. Et quand on écoute un rêve, il faut faire attention à ne pas le réduire au langage du conscient, ce qui est déjà connu... mais au contraire nous ouvrir à l'inconnu qui cherche à nous parler dans une langue qui nous échappe.
EffacerJe crois aussi à la possibilité d'intervenir sur ce que nous appelons la "réalité" à partir du rêve - pour les anciennes cultures chamaniques comme pour les bouddhistes tibétaines, il n'y a pas vraiment de séparation entre ces deux ordres de réalité. Mieux, les chamans désignent le réel comme étant le "monde de la surface", tandis que les rêves nous conduiraient simplement dans des mondes plus profonds. Et ils ajoutent qu'il n'y a rien qui n'arrive dans la "réalité" sans que cela ait été rêvé...