dimanche 15 décembre 2013

L'étincelle d'or

Il y a deux enfants, des garçons – peut-être des jumeaux. L’un a une phrase littéralement inscrite sur ses os :

Je suis l’étincelle d’or

L’autre porte, inscrite de la même façon, la sentence suivante :

Je suis cela qui ne cesse de changer

Les jumeaux semblent se déployer en une dizaine d’instances qui se donnent la main, comme une guirlande de bonhommes, autour de l’étincelle d’or. Je dois m’occuper de ces enfants, les nourrir et les habiller, jusqu’à ce qu’ils soient prêts à partir dans le monde, dans quelques années et, alors, les laisser partir sans aucun projet ni préméditation…

Le rêveur est un homme dans la quarantaine qui vient d’entamer une année sabbatique pour « ouvrir un espace créatif » dans sa vie, et le rêve survient à un moment où il rencontre beaucoup d’appréhensions : il se sent tomber dans un certain vide, et craint tout simplement qu’il ne se passe rien dans cet espace qui s’ouvre à lui. Il interroge le sens de ce qu’il a entrepris ainsi que de sa destinée. Il rapproche le rêve d’un poème de Clarissa Pinkola Eskès qu’il a lu peu auparavant, et auquel l’étincelle d’or lui a fait penser dès son réveil :

Malgré nos attachements actuels,
malgré nos maux, nos souffrances, nos chocs,
nos pertes, nos gains, nos joies,
le site vers lequel nous nous dirigeons est
cette terre de la psyché que les aïeuls habitent,
ce lieu où les humains restent tout à la fois
divins et dangereux,
où les animaux dansent encore,
où ce qui a été coupé repousse,
et où ce sont les rameaux
des arbres les plus vieux
qui fleurissent le plus longtemps.
La femme cachée
qui entretient l'étincelle d'or
connaît cet endroit.
Elle sait.
Et toi aussi.

Il est troublé par l’affirmation finale : oui, bien sûr, il sait de quoi parle ce poème. Cette sauvagerie originelle l’attire et cependant l’inquiète, car il se sent amené un peu plus loin dans le vide par la résonance sensible en lui entre le poème et le rêve.

Le rêve est proposé à un cercle de rêveurs qui l’amplifient avec leurs propres images intérieures. L’un résonne au lien particulier qu’ont les jumeaux, auxquels on prête d’être connectés malgré la distance, de ressentir chacun ce que ressent l’autre et, finalement, de n’être pas séparés. Une autre souligne le jeu de mots qui tire des jumeaux le jus des maux, ou des mots dits, écrits. Le rêveur en est tout ébranlé car il nourrit une obsession pour l’écriture : ce grand sabbat, il l’a voulu pour écrire un grand livre, justement ! Quelqu’un fait ressortir que l’Étincelle d’or évoque la lumière de la conscience, la brillance qui signale la présence du numineux, et symbolise le « Je suis » éternel, le pivot autour duquel tourne la manifestation en formes toujours changeantes. 

Le rêveur opine en souriant : il reconnait là les images orientales qu’il affectionne de la Shakti dansant autour du Seigneur Shiva, et il entrevoit que le rêve pointe au-delà de la dualité entre les jumeaux. Il invite à réaliser qu’ils sont le miroir l’un de l’autre, de la même façon qu’il n’est pas dans une roue de centre sans périphérie et réciproquement, car finalement c’est un seul mouvement. C’est une représentation caractéristique de la relation du moi au Soi, de la personnalité en constante transformation et de l’être intérieur du rêveur. Les messages gravés sur les os sont de l’ordre de la destinée inscrite sur les fondements de l’être, dans sa nature inaltérable. 

Mais quelle attitude lui recommande donc le rêve ?

Il doit nourrir et vêtir ces enfants jusqu’à ce qu’ils soient en âge – bientôt, dans les prochaines années – d’aller leur propre chemin dans le monde. Alors, il doit s’abstenir de tout projet pour eux et de toute préméditation. Le rêveur est interrogé sur ses passions créatrices ainsi que ses projets, et comment il les alimente. Nous regardons aussi comment il en parle, comment il les habille de mots et d’idées pour se les représenter, et les présenter aux autres. Mais il doit se garder d’interférer avec ses visées conscientes et accepter de ne rien préméditer, d’avancer dans l’inconnu sans autre projet défini que de suivre le courant, d’aller dans ce vide qui lui fait si peur.

Le rêveur indique qu’il s’est réveillé très joyeux de ce rêve, dont il garde l’impression qu’il se termine par une ronde multicolore et lumineuse. Un des participants propose une image intérieure en conclusion de notre travail, image qui lui est venue quand il écoutait le rêve, et qu’il offre donc comme ce que répond son intuition, son inconscient, en écho aux images oniriques entendues. Il voit trois personnages au bord d’une falaise, devant la mer illuminée par le soleil : c’est le début d’un voyage…

Le poème est à nouveau évoqué lorsque surgit la question : mais quelle est donc la place du féminin dans tout cela ? Elle semble absente et, en effet, pour le moins cachée. Elle est cependant toute entière dans le frémissement de l’aventure et la virginité sauvage des terres auxquelles notre rêveur aborde maintenant, avec le sentiment de toucher à un mystère « divin et dangereux ». Le rêve lui donne la marche à suivre pour accomplir sa destinée créatrice, sans préméditation ni projet d’arriver où que ce soit !

3 commentaires:

  1. Bonjour Jean,

    Bravo pour tout ce que tu offres aux lecteurs sur ce blog si intéressant, si riche !!


    La question à propos du féminin , « .......... mais quelle est donc la place du féminin dans tout cela ? », m’a interpellé, et voici les quelques réflexions qu’elle m’a inspirées, recoupant sans doute le commentaire déjà noté à la suite du rêve, dans ton article :

    Ce rêve semble bien inviter le rêveur à ne rien "faire" pendant son année sabbatique, rien sinon nourrir la croissance de la Conscience en lui-même, veiller au bon développement de ces/ses enfants intérieurs qui sont des personnifications et des aspects variés de la Lumière de Nature ("lumen naturae" des alchimistes) présente en chacun de nous. L’Étincelle d’Or est inscrite au fond de l’être, éternelle et toujours changeante : "L’immuable c’est la transformation, la transformation c’est l’immuable", dit le Yi King. Le rêve semble en quelque sorte proposer au rêveur de s’engager sur la voie de l’action non agissante (le fameux "wou wei" des taoistes, le non-agir), qui correspondrait ici à cultiver la disposition féminine ("la femme cachée" en chacun) à nourrir et à soigner l’être intérieur sans s’attacher à connaître les fruits que ce soin attentif donnera peut-être un jour "au dehors" :
    Yi King, 25 Wou Wang / L'Innocence (l'Inattendu)
    Six à la deuxième place signifie :
    « Si, en labourant, on ne songe pas à la moisson et si, en défrichant, on ne songe pas à l'usage que l'on fera du champ, alors il est avantageux d'entreprendre quelque chose.
    Tout travail doit être accompli pour lui-même, de la manière que le demandent le temps et le lieu, sans lorgner le résultat. Alors il réussit, et tout ce que l'on entreprend est couronné de succès ».
    http://wengu.tartarie.com/wg/wengu.php?lang=fr&l=Yijing&no=25

    Comme l’a souligné Jung : "...on n’a (parfois) rien d’autre à créer que soi-même...".

    Amicalement,

    Amezeg

    RépondreEffacer
  2. Merci Amezeg pour ce commentaire fort pertinent. Je le transmettrai au rêveur car, même s'il n'est plus dans cette année sabbatique maintenant, je crois qu'il y trouvera des indications précieuses pour continuer à intégrer ce rêve, toujours actuel. Ses enfants intérieurs ne cessent en effet de grandir et l'étincelle d'or de briller. Votre commentaire fait ressortir comment ce rêve peut nous communiquer un art de vivre qui vaut non seulement pour le rêveur mais pour chacun(e) d'entre nous...

    RépondreEffacer
  3. Tu soulignes avec raison, Jean, que ce rêve peut nous rappeler à tous quelque chose d’essentiel à la croissance de la lumière intérieure, à la croissance de La Vie en nous : un art de vivre avec Soi/soi-même, en effet.
    Merci à toi de l’avoir publié sur La voie du rêve où chacun peut le lire et en bénéficier.

    Amezeg

    RépondreEffacer