jeudi 30 août 2018

Feu et vent


Je suis très heureux de vous annoncer la parution de mon livre "Feu et Vent", qui propose une trentaine d'articles tirés de ce blogue, augmentés de commentaires visant à les mettre en perspective. Le thème de ce premier recueil est surtout le rêve, avec de nombreux exemples d'interprétation. J'exprime ma gratitude à toute l'équipe de Réel-Editions, et particulièrement à mon éditrice, Mme Agnès Vincent, qui a permis à ce rêve de s'incarner.

Le titre réfère à une citation de Jung qui m'est particulièrement chère. Il écrivait en 1958 à un de ses amies :

« De folles discussions nous font voir ce qu’il adviendra de moi lorsque je serai devenu posthume. Tout ce qui aura été feu et vent dans ma vie sera mis dans l’alcool et changé en préparation morte. Ainsi les dieux sont-ils enterrés dans l’or et le marbre, et les simples mortels comme moi, dans le papier. »

Mon ambition avouée, en écrivant ce blogue et ce livre, est simplement de contribuer à libérer ce feu et ce vent qui ont animé Jung, et que l'on peut rencontrer dans les rêves laissés à l'état sauvage et libre qui est le leur naturellement. ils sont lumen naturae (lumière de la nature) et lumière de la Vie à laquelle je rends grâce. Je crois que nous avons plus que jamais besoin que l'incendie du cœur auquel ce feu et ce vent nous éclaire, nous embrase, nous vivifie. 

Ma thèse, iconoclaste mais que Jung n'aurait pas démentie, j'en suis convaincu, est qu'il y a dans les rêves quelque chose de trop précieux pour être laissé entre les mains des  seuls psychologues, et qui se fraye un chemin pour parvenir à notre conscience malgré toutes nos théories et nos pauvres méthodes. Celles-ci, bien souvent, sont à l'émergence du Soi, ce que les forceps et la péridurale sont à la naissance d'une nouvelle vie.


Vous pouvez vous procurer le livre directement sur le site de Réel-Editions à l'adresse suivante: 


Il sera bientôt disponible dans les (meilleures :) librairies ainsi que sur Amazon.


Je vous offre de lire ci-dessous l'introduction du livre, dans laquelle je retrace le parcours qui m'a conduit à l'écrire, et que j'intitulerai avec une pointe d'humour :


Confessions d'un autodidacte du rêve


Ma passion pour les rêves ne date pas d’hier. Lorsque j’ai commencé à animer le blogue « La Voie du rêve » en octobre 2013, cela faisait déjà une trentaine d’années que je lisais tout ce qui me tombait sous la main sur ce sujet et que je m’intéressais en particulier aux travaux de Carl Jung. Une trentaine d’années qu’avant tout, je cherchais à comprendre mes propres rêves. Émigré au Québec en 1992, je suis entré l’année suivante en analyse jungienne. Après quelques temps, j’ai demandé à mon analyste s’il accepterait de me guider dans une analyse didactique et il a souri en me disant qu’il pensait que c’était ce dans quoi j’étais engagé depuis le début. À partir de ce moment, j’ai cherché à interpréter moi-même mes propres rêves sous sa supervision. Je crois qu’il n’y a pas d’autre façon d’apprendre le travail avec les rêves. Il y a quelque chose dans ces derniers, ou plutôt derrière le voile chatoyant qu’ils nous présentent, qui cherche à être connu, à se dévoiler, et qui seul est à même d’enseigner l’art de l’écoute des images intérieures. J’étais sans doute bouché : il m’a fallu plus de vingt ans pour commencer à y entendre quelque chose et discerner le sourire qui éclaire désormais mon chemin.

Je me souviens avoir, lors de ces années où j’entrais dans la démarche, été fasciné par l’impression sensible que quelque chose exerçait une attraction magnétique sur moi, m’attirant toujours plus profondément dans le mystère de l’inconscient. Et cela jouait à cache-cache avec moi : à chaque fois que je comprenais un rêve, il y avait quelque chose qui m’échappait dans le rêve suivant qui semblait me faire un clin d’œil et m’inviter à aller plus loin dans l’exploration. J’en ai conçu assez vite l’idée qu’il y avait là quelque chose de vivant, que je ne saurais approcher le mystère qui se cachait sous le voile de l’inconscient qu’en entamant un dialogue avec lui. J’étais confirmé dans cette approche par Jung, dont je me souviens avoir relevé qu’il disait, parlant de sa propre expérience, que « sous le seuil de la conscience, tout est vivant ». J’entretenais une relation particulière avec lui, presque affective, qui m’a amené à le considérer comme mon « grand-père spirituel », un peu comme lui-même a pris Philémon comme guide intérieur. Ses écrits et ceux de Marie-Louise Von Franz m’offraient un véritable asile intellectuel où je me rafraichissais, comme dans une oasis au cours d’une traversée d’un désert éprouvant.

Je menais alors une double vie qui suscitait une énorme tension en moi. La nuit et à mes heures perdues, je poursuivais mon exploration du domaine des rêves. Le jour, j’étais informaticien et je travaillais aux avant-postes du développement de l’Internet. J’étais un chercheur pour le compte des entreprises que j’avais créé ou pour lesquelles j’agissais comme un consultant. J’avais pour habitude de me présenter en riant comme un « gars à problèmes », ce qui inquiétait mes interlocuteurs jusqu’à ce que je leur dise qu’ils n’avaient qu’à me proposer un problème informatique, et que je leur dirai bientôt s’il était possible de le résoudre, à quel coût et dans quel délai. A posteriori, je considère cet entrainement à la recherche systématique, c’est-à-dire au fait de ne rien considérer comme acquis et de toujours me frotter à l’inconnu, comme faisant intégralement partie de mon apprentissage du travail avec l’inconscient, qui est en réalité l’inconnu en nous, ce qui échappe au champ de notre conscience. À l’époque, j’étais cependant bien souvent écartelé entre les deux mondes, mais, comme Jung au cours de ses années de confrontation avec l’inconscient, je trouvais un refuge apaisant auprès de ma famille. Je n’aurais jamais pu traverser indemne ces années sans la présence aimante de ma conjointe et de nos enfants qui m’offraient un précieux ancrage en terre, et à qui va encore aujourd’hui toute ma reconnaissance.

J’avais beau travailler mes rêves et les porter pour examen à mon analyste, je constatais qu’à mon grand désarroi, les symptômes qui m’avaient amené en analyse, parmi lesquels plusieurs addictions, ne disparaissaient pas pour autant. L’addiction est un maître fantastique, qui nous enseigne que notre volonté peut être divisée : on veut guérir et on ne veut pas. J’étais aux premières loges pour comprendre ce que Jung dit de la névrose et de la division intérieure. Et j’ai vérifié dans ma propre expérience ce qu’il affirmait quand il disait que la maladie est en réalité une tentative de la nature pour nous guérir, et que finalement, la « névrose est vraiment ‘liquidée’ quand elle a corrigé la mauvaise attitude du moi ». Pour ma part, elle a joué le rôle d’un aiguillon qui m’a bientôt conduit à poursuivre ma recherche hors du cabinet analytique.

J’ai bénéficié alors de la magnifique effervescence spirituelle du Québec dans les années 1990 qui voyaient fleurir toutes sortes d’expériences, et j’ai attaché mes pas à ceux d’une merveilleuse enseignante aujourd’hui décédée, Paule Lebrun, qui a fondé l’école Ho Rites de Passage où j’ai beaucoup appris. Ma recherche a été tout azimut, préfigurant l’arc-en-ciel spirituel que je porte désormais dans le cœur. J’ai eu la chance d’explorer les voies chamaniques dans la tradition amérindienne encore bien vivante au Québec, et en particulier de faire une Quête de Vision, c’est-à-dire de « pleurer pour un rêve » qui dirigerait ma vie. J’y ai vérifié le fait que les peuples premiers ont une intelligence des rêves et des images intérieures qui ne doit rien aux universités ni à quelque psychologie intellectuelle, mais qui recèle souvent plus de sagesse que nos colloques savants. Après quelques années d’expérimentation, j’ai pris conscience que le travail intérieur que me demandaient mes rêves réclamait un ancrage dans la méditation, et j’ai eu l’opportunité d’explorer les techniques venant de différentes traditions. Je me suis frotté au zen, au tantra, au soufisme, en m’émerveillant à chaque fois de découvrir une nouvelle facette du diamant. 

J’ai délaissé l’approche jungienne des rêves pour expérimenter d’autres formes de psychothérapies mettant en jeu le corps et les émotions. Cependant, je suis revenu à Jung quand j’ai eu la chance, en 2001, de rencontrer mon mentor en matière de travail des rêves, Nicolas Bornemisza, qui a opéré la jonction nécessaire entre les voies spirituelles orientales et la psychologie des profondeurs. Il a repris à son compte, avec sa méthode du « yoga psychologique », l’ambition affichée de Jung de jeter les bases d’un yoga pour l’âme occidentale. Je suis bientôt devenu un de ses proches collaborateurs dans l’enseignement et le développement de cette méthode, non sans y introduire mes propres variations. La synthèse qu’il a opéré fait selon moi ressortir que l’œuvre de Jung nous offre un axe conceptuel et méthodologique nous permettant désormais d’intégrer toutes les traditions spirituelles dans une compréhension satisfaisante pour l’être humain moderne.

À partir de ce moment, mes rêves ont changé de nature et, même s’ils ont continué à m’aider à éclaircir mon inconscient personnel, ils ont commencé à me faire obligation d’écouter les rêves d’autrui si je voulais approfondir ma recherche. Certains d’entre eux, que j’ai exposés dans mon blogue et que je présente dans ce recueil, m’ont fourni des clés explicites pour le travail avec les rêves et ont commencé à me proposer une tâche existentielle. Celle-ci a pris entre autres la forme d’une recherche d’une dizaine d’années sur la façon de faire se rencontrer méditation et travail des rêves dans une approche ouverte. J’ai commencé à partir de 2007 à animer des cercles de rêves où toute personne qui veut s’exposer au travail avec les rêves peut venir en faire « déployer » un, ou simplement participer à la célébration de ce mystère. Je dois beaucoup à ces cercles, qui m’ont servi de laboratoire pour tester diverses approches des rêves et de la méditation pouvant convenir à des novices en ces matières. Je dois encore plus au petit groupe de rêveuses et de rêveurs qui, au sein d’un petit cercle privé d’ami(e)s, a approfondi avec moi cette exploration jusqu’à ce que nous parvenions à une forme aboutie de travail des rêves en groupe qui s’enracine dans le senti et l’intuition. Je consacre désormais une grande partie de mon temps à faire connaitre cette approche que je désigne sous le nom de Loges de rêves[1], en référence aux dream lodges des amérindiennes du Sud-Ouest des États-Unis dont la tradition nous a directement inspiré.

Ma recherche sur la conjonction entre le travail du rêve et la méditation a trouvé son acmé quand, en 2011, j’ai rencontré Richard Moss, un éveillé contemporain qui s’inscrit lui aussi au point de rencontre entre des deux grands fleuves. Pendant longtemps, j’ai débattu avec Paule Lebrun de la nécessité de rencontrer un maître pour voir s’ouvrir vraiment la voie spirituelle, et j’étais bien sûr de ceux qui rejetaient cette idée. Elle me répondait en souriant que ma vie changerait quand je rencontrerai un maître vivant, et je ne puis a posteriori que lui donner raison. Je souscris désormais entièrement à ce que répondait Arnaud Desjardins à cette question : il n’est pas certain qu’on ait besoin d’un maître, mais on a certainement besoin de devenir disciple un jour, c’est-à-dire d’entrer dans la discipline incarnée par un exemple vivant. Avec Richard Moss, j’ai rencontré en chair et en os la liberté que je cherchais depuis si longtemps, et cela m’a donné le point d’appui existentiel me permettant de la vivre à mon tour. Lui-même se défend d’être un maître, tout en acceptant de jouer ce rôle pour ceux qui ont encore besoin de se prendre pour des étudiants, mais il offre volontiers son amitié. Il m’a montré que l’essentiel ne saurait se transmettre de quelque autre façon que de cœur à cœur, ou comme le dit la tradition zen : i shin den shin, d’âme à âme. Il n’est alors même plus question de transmission.


Au fil de ces années d’exploration et d’apprentissage, je me suis rendu compte que la seule façon d’approcher le mystère du rêve était d’employer son langage fait d’images, de symboles et de métaphores. Quelque effort que nous fassions pour élaborer par exemple une psychologie scientifique, nous ne pourrons jamais cerner entièrement la nature et le jeu chatoyant des rêves avec des concepts. Il y a une raison simple à cela : nous ne pourrons jamais considérer les rêves en toute objectivité car nous ne pourrons jamais les séparer du rêveur. Les rêves permettent en cela d’approcher le mystère de la conscience, et nous ne saurons jamais sortir du paradoxe qui veut que la conscience qui étudie la conscience soit aussi la conscience qui est étudiée. Le serpent se mord la queue, et à condition qu’il ne serre pas trop ses crocs conceptuels, cela ne fait pas trop mal. Mais s‘il prétend mettre dans une petite boite mentale le rêve ou la conscience, ou quelque réalité existentielle que ce soit – comme l’âme, par exemple, dont on peut seulement avoir l’expérience sans pouvoir saisir ce que c’est – alors c’est lui-même qu’il blesse. Pour beaucoup d’entre nous, l’âme est une réalité négligeable, au même titre que nous disons d’une fantaisie pourtant riche de sens et de beauté, « ce n’est qu’un rêve ». Ceux qui tiennent de tels propos, se croyant forts de leur rationalité dans laquelle ils sont enfermés comme dans un château sans portes ni fenêtres, ne savent pas à quel point ils étalent ainsi leur propre indigence, une forme de misère malheureusement très répandue.

Dans mon propre développement du « yoga psychologique » élaboré par mon ami Nicolas Bornemisza, je me suis arrêté sur la distinction qu’opère l’Orient entre le yoga et le tantra. En quelques mots, on peut dire que le premier est une méthode qui réclame beaucoup d’efforts pour parvenir à un certain résultat, présenté comme la libération. Le second est à l’inverse une approche entièrement dénuée d’efforts, favorisant la détente et la présence attentive à ce qui est là plus que la tension volontaire, même si elle inclue des pratiques, et qui pointe vers le fait qu’en réalité, la libération ou l’éveil recherchés ont toujours été présents, font partie intégrante du chemin. Il s’agit là de l’approche dite non-duelle qui proclame que le chemin est la destination. Encouragé par Nicolas à suivre mon propre chemin, ce qui est la marque même de l’individuation jungienne, j’en suis donc venu bientôt à élaborer une métaphore qui m’est propre pour parler du travail avec les rêves. Ou plutôt, elle s’est élaborée en moi et dans ma pratique, tant avec mes propres rêves que dans l’écoute des rêves d’autrui.

Je propose de considérer le rêve comme une fleur de conscience cherchant à s’épanouir naturellement. Il n’est nul besoin de tirer sur celle-ci pour l’aider à pousser. Il suffit de l’arroser et de faire preuve de patience. Mon hypothèse fondamentale de travail est qu’il y a, dans le rêve, quelque chose qui cherche à devenir conscient, et qu’il nous suffit de lui ouvrir un espace avec une attention vigilante pour que ce sens se déploie. Non seulement, comme le disait Jung, le rêve ni ne ment ni ne déguise la vérité qu’il veut porter à la conscience, mais si celle-ci est capable, par une attitude d’ouverture qu’on peut rapprocher du silence méditatif, d’accueillir ce qui se présente à elle de nouveau dans les images vivantes du rêve, ce dernier fleurit et porte fruit sans nécessiter aucun effort ni aucune méthodologie. Cela n’empêche pas d’interagir avec le rêve, d’interroger les associations et les émotions, mais on le fait alors surtout dans le but d’alimenter le mouvement intérieur qui a suscité les images pour l’amener à son terme.

Dans cette approche, l’inconscient et le conscient ne sont pas deux réalités séparées que l’on pourrait encore une fois objectiver, mais en fait, ce sont deux moments d’un même processus de création de conscience auquel le rêve participe activement. Un effort de conscience est bien requis, mais ce n’est pas l’effort consistant en soumettre le rêve à un travail, c’est-à-dire à une certaine forme de torture, pour en extraire le sens comme on en presserait l’huile. En réalité, il s’agit moins de travailler le rêve que de se laisser travailler patiemment par les images intérieures qui veulent nous emmener quelque part. L’effort de conscience requis consiste dès lors en s’ancrer dans une ouverture sans préjugé face au rêve, en gardant à l’esprit que le rêve amène à la conscience quelque chose qui était préalablement inconnu, inconscient. C’est la règle d’or du travail : que m’apprend le rêve ? Il ne confirme jamais ce que nous croyons savoir, et cela, fait remarquer Jung, vaut pour l’analysant comme pour l’analyste qui doit, plus que tout autre, se garder de croire savoir ce que veut dire le rêve.

Bien sûr, nous devons nous garder des projections et de tout ce qui peut entraver le déploiement du sens d’un rêve, mais nous devons aussi nous rappeler que finalement, toute interprétation est une projection. Dès lors, ce n’est pas de la projection elle-même dont nous devons nous garder, car elle traduit simplement la participation de l’inconscient au processus, mais de l’identification de la projection à la vérité. Nous devons éviter de « tuer » le rêve en croyant le saisir par une méthode ou une autre car c’est finalement une réalité vivante qui cherche à venir au monde. Le travail avec les rêves est une maïeutique. Ainsi, j’en suis venu à concevoir que toutes les méthodes de travail des rêves peuvent apporter quelque chose dans l’accouchement du sens du rêve, mais finalement, cela tient surtout au fait que ce dernier trouve toujours, grâce à l’aide des méthodes et malgré leur interférence, la voie pour se faire entendre.

Jung ne disait pas autre chose quand il nous invitait à lire tous les livres et étudier toutes les méthodes, mais aussi à les écarter quand nous serions face à un rêve, car le rêve comme la personne est unique. Il indiquait aussi qu’en fait de méthode, il suffisait de tourner suffisamment longtemps autour d’un rêve pour que quelque chose en émerge. Il s’agit d’une circumambulation, d’un mouvement circulaire qui fait le tour du rêve en l’explorant sous toutes ses coutures plutôt qu’une méthode linéaire et logique qui pourrait satisfaire notre mental aristotélicien. Ce « quelque chose » qui en émerge n’est pas nécessairement une compréhension ou une explication du rêve. Ce peut être une inspiration, un sourire ou une œuvre d’art. C’est l’expression d’un mouvement intérieur, et celui-ci a toujours une dimension créatrice : il amène du nouveau à la conscience. D’un point de vue psychologique et spirituel, nous pouvons dire qu’il s’agit d’une émergence du Soi, mais ayant dit cela, nous n’apportons pas grand-chose au propos. Cependant, il est nécessaire de remettre le travail du rêve dans la perspective du Soi qui est à peu près évacuée par la psychologie désormais.

Le Soi est, au-delà des notions d’inconscient collectif et d’archétypes, la principale (re)découverte de Jung. Je m’accorde entièrement à l’énoncé de Pierre Trigano[2] qui explique qu’au fond, nous ne saurions être disciples de Jung car nous sommes disciple du Soi qui s’est exprimé par Jung, et par bien d’autres. Du Soi, nous pouvons seulement dire que c’est un facteur transcendant, au sens kantien d’une incapacité à le conceptualiser, qui œuvre sans trêve à la conciliation des contraires, au dépassement des opposés, ou en termes spirituels à la mode ces temps-ci, à l’émergence de la non-dualité. Avec le Soi, nous arrivons aux limites de la psychologie car nous touchons à l’essentiel et à la mystique, au sens noble de ce mot dont l’étymologie nous renvoie au mystère devant lequel on ne peut que se taire. C’est la Pierre philosophale que cherchaient les alchimistes car, là où toutes nos tentatives de soigner (Soi-nier) ont échoué, elle seule guérit (gai rit), c’est-à-dire amène à retrouver un gai rire…

En ouvrant ce blogue, je ne savais pas où l’écriture des articles qui s’y sont égrenés m’entrainerait. J’avais simplement pour intention d’explorer plus avant la métaphore de la fleur de conscience en l’exposant publiquement. Après plusieurs années, j’ai fait une pause de quelques mois et j’ai pris du recul. C’est alors que je me suis aperçu qu’il se dégageait de l’ensemble des articles que j’avais écrit une cohérence que je n’avais pas prémédité. J’y ai vu le déploiement progressif d’idées qui n’étaient qu’en germe au moment où j’ai publié mon petit manifeste de « la voie du rêve », et j’ai constaté qu’elles m’emmenaient beaucoup plus loin que je ne l’avais envisagé. D’une part, elles s’étaient étoffées au fur et à mesure que je les développais, et en particulier dans les discussions qu’elles suscitaient avec mes lecteurs, et d’autre part, elles me faisaient de plus en plus obligation d’en tirer certaines conclusions dans ma vie. C’est par là, ai-je alors réalisé, que j’étais amené à vivre ma propre expérience du Soi.

Dans cette période pour moi critique, j’ai dû écarter définitivement l’idée de rentrer dans les rangs des analystes jungiens et j’ai compris qu’il me faudrait assumer de marcher sur un petit chemin solitaire essentiellement voué à la dimension poétique et spirituelle du travail avec les rêves. Cette démarche avait déjà pris forme quelques années auparavant dans l’ouverture d’un blogue poétique[3] parallèlement à « la voie du rêve. Je ressuscitais par là le jeune homme que j’ai été, qui s’était d’une certaine façon suicidé devant l’impossibilité de vivre la vie poétique qu’il souhaitait. La tension entre les opposés en moi s’est résorbée comme crève un nuage lourd de pluie, en entrainant des changements drastiques qui m’ont projeté dans une nouvelle vie, imprévisible. Par un jeu de circonstances inattendues dont le mystère de vivre a le secret, j’ai été alors amené à prendre le risque de consacrer mon existence à mes passions pour l’écriture et les rêves, seule façon pour moi de guérir et d’assumer ma relation avec le Soi.

La sélection d’articles présentés [dans ce livre] – près d’une trentaine sur la centaine que comptait le blogue au moment où elle a été arrêtée – retrace ce parcours intellectuel et spirituel. Mon ambition en constituant ce recueil a simplement été de fournir tous les éléments qui permettront aux amoureux des rêves d’enrichir leur propre réflexion, sans m’encombrer de la prétention à ouvrir une nouvelle voie ou créer une méthode inédite. Certains articles ont été annotés au moment de la conception de ce recueil. Ces nouvelles notes sont lisibles en bas de page. La forme du blogue implique parfois des répétitions, en particulier des thèmes abordés et de certaines citations clés qui reviennent comme, encore une fois, dans une circumambulation, un parcours circulaire autour d’un centre. Nous avons choisi de les laisser telles quelles en l’état car elles reflètent le parcours de la pensée et le déploiement progressif des idées. Les articles n’ont pas été retouchés sauf des corrections mineures pour les mettre en contexte ou préciser des approximations. Une correction a cependant été régulièrement apportée, qui traduit l’évolution de ma pensée depuis l’écriture de ces articles : assez souvent, là où figurait le mot « l’inconscient » ou « l’Inconscient » (c’est-à-dire l’Inconscient collectif), il s’est imposé de remplacer ce terme par « le Soi ».



[1] Vous trouverez plus d’information à ce sujet dans cet article publié en juin 2017 sur mon blogue, non inclus dans ce recueil : http://voiedureve.blogspot.fr/2017/06/loges-de-reves_55.html
[2] Pierre Trigano, Psychanalyser Jung, Réel-Editions 2016.
[3] Blogue "La joie d’être un âne" : http://jubilarium.blogspot.com. 

9 commentaires:

  1. Félicitations et bonne route !

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  2. C'est un très beau titre...que tu as choisi.

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  3. Je suis heureuse pour vous, la profondeur et l’authenticité de vos écrits recueillis dans un livre c’est un beau cadeau que vous nous faites, grande amoureuse des livres, le vôtre accompagnera mon chemin assurément.
    Merci Jean.
    Céliane

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  4. Laisse-moi tenter de te transmettre un message pour te dire comment je comprends comment tu aimes, toi Jean Gagliardi.
    «L'amour est un acte résolu, non un affect passif; c'est donner, non recevoir; il est un «prendre part» et non un «se laisser prendre» [...] En donnant ainsi de sa vie, il enrichit l'autre, il en rehausse le sens de la vitalité en même temps qu'il rehausse le sien propre. Il ne donne pas dans l'intention de recevoir, car le don constitue comme tel une joie exquise. Mais en donnant, il ne peut empêcher que rejaillisse sur lui ce qu'il engendre à la vie chez l'autre; en donnant véritablement, il ne peut éviter de recevoir ce qui lui est donné en retour.»
    -Éric Fromm, L'Art d'aimer, ... cité dans Irvin Yalom, Thérapie existentielle, pp.510-11

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    1. Très belle vision de l'amour, à laquelle je souscris. Merci !

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  5. L'important c'est que chacun trouve sa propre voie.
    Je suis devenu trop allergique à l'inconscient et à la pensée en générale pour continuer d'étudier mes rêves et de trop défendre mes croyances mais je comprend maintenant et respecte, le chemin de chacun. A environ la moitié de ma vie j'ai pris le chemin de la non- pensée, probablement comme une évolution naturelle chez moi, étant un désir de revenir à la terre, aux sensations, au corps, à la simplicité, à la paix.
    Il n'y a donc pas de meilleur voie, il y a celles que nous décidons de suivre parce qu'elles nous correspondent à un moment donné de notre vie et parfois celle que nous décidons de garder toute notre vie et qui est celle qui nous correspondait en fait, cela dépend de la personnalité de chacun.

    X

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