mercredi 16 octobre 2013

Je suis un iceberg

Je suis un iceberg. Je flotte, je goûte de me laisser flotter, porter. Je réalise que je ne suis pas seule, il y a d’autres icebergs qui flottent non loin de moi. Nous formons comme un cercle. Il y a quelque chose d’invisible qui nous relie.

Sonya est une jeune femme frêle qui ne cache pas sa fragilité et son inconfort à se retrouver dans un groupe comme celui auquel elle participe pour un atelier sur les rêves. C’est une artiste qui réalise de très beaux mandala de façon spontanée, sans élaboration théorique de sa part sur leur signification mais avec un instinct très sur. Quand je l’invite à parler de son travail, elle nous décrit merveilleusement bien le processus créateur du centre vers la périphérie, en expansion, ou au contraire en centration. Il est fascinant pour elle comme pour moi de constater qu’elle a ainsi trouvé, en marchant sans le savoir dans les pas de Jung et sans autre guidance que son intuition, sa propre voie de contact avec le Soi.

Au milieu des sept jours que dure l’atelier, Sonya frappe un mur. Une mauvaise nuit, un rêve dérangeant l’amènent à se demander si elle ne doit pas partir maintenant. Nous en parlons et nous convenons qu’elle se trouve sans doute dans un passage dont elle ressortira bientôt, et que nous en reparlerons avant la fin du séjour. Le dernier jour, elle nous raconte ce rêve :

Je suis un iceberg...

Son seul commentaire est le suivant : « le premier jour, la première image que tu nous as présentée de l’inconscient, c’est cet iceberg. Voilà, je suis l’iceberg ! » Son sourire éclatant, ses yeux brillants de vie joyeuse, m’épargnent le besoin de poser quelque question que ce soit, et même de reparler de son passage par les enfers. Sonya, c’est le cas de le dire, a « brisé la glace » : elle n’est plus seule désormais, plus isolée. Elle a reconnecté avec un grand courant de vie qui nous réunit tous subtilement. Elle sait qui elle est, ce qu’elle est : un iceberg parmi d’autres icebergs baignant dans l’océan. Un inconscient et un conscient, ensemble.

Un Soi.

Quand je présente l’inconscient, j’aime montrer cette photographie d’iceberg qui illustre le cliché le plus répandu, mais efficace, pour décrire notre rapport à l’inconscient. On y remarque bien sur que la partie immergée est au moins 20 fois plus profonde que la hauteur émergée, et sans doute plusieurs centaines de fois plus lourde, conférant sa stabilité à l’iceberg. Une autre remarque moins évidente, c’est qu’il n’y a pas de véritable différence de nature entre la glace de l’iceberg et l’eau de l’Océan dans lequel il flotte, mais seulement une différence d’état. C’est toujours de l’eau, dans un cas solide, gelée dans l’illusion d’une fixité, dans l’autre fluide…

Je suis un être humain, une composition d’inconscience et de conscience. Je ne suis pas seul(e), il y a d’autres êtres humains comme moi. Nous sommes dans la vie ensemble comme dans un cercle, baignant dans le même inconscient collectif qui nous berce et nous réunit.

C’est ainsi que j’entends le rêve de Sonya et je me réjouis – j’entends les Anges célébrer le retour d’un être humain parmi les siens. Le cercle évoque l’ordre universel dans lequel tous les êtres sont égaux. En effet, le cercle ne permet aucune précédence de position, que ce soit entre êtres humains ou plus largement, dans diverses visions spirituelles, entre tous les êtres vivants. C’est une des merveilles du rêve que d’être absolument égalitaire d’une part, d’honorer de sa sagesse aussi bien le prince que le mendiant. Mais surtout, qui que nous soyons, aussi isolés soyons-nous dans nos peurs ou notre mégalomanie, le rêve, qui est nature, nous ramène dans le giron de l’humanité. Il nous montre que nous sommes bien moins individuels et conscients de la totalité de nous-mêmes que nous le croyons, et que nos difficultés sont partagées par d’autres êtres humains qui vivent des circonstances semblables. Et finalement, il peut donc nous faire toucher l’intuition mystique qui interroge quelle est la véritable séparation entre la goutte d’eau, l’iceberg et l’Océan tout entier ?

Une même substance, un même Être.

Le Soi.

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