mercredi 1 avril 2015

La juste courbure


Un ami m’a demandé ce que je pensais de ce rêve qui lui était venu :

J’apporte des armes en Syrie. Dieu me dit : pour qui sont ces armes ?
- Pour les rebelles qui luttent pour leur liberté.
- Non , me répond Dieu d'une voix forte. Tu dois aimer les deux camps, si tu donnes des armes, donnes-en aux deux camps. Ils sont tous les deux enfants de Dieu.

Avec sa permission, je vous partage ce que je lui ai dit. J’ai salué le fait que Dieu lui parle dans ses rêves. C’est quelque chose que Dieu faisait assez souvent en d’autres temps. Jung cite l’histoire de ce rabbin qu’on interrogeait sur pourquoi plus personne ne voit Dieu alors qu’il est si souvent apparu aux hommes autrefois. Le rabbin répondit: « parce que plus personne ne se courbe assez bas ». Dieu se fait discret ces temps-ci, même si on parle beaucoup de lui dans les médias. Mais voilà donc qu’il cause à des individus dans leurs rêves, et cela n’est en fait pas si rare...

Le rêve n’a pas besoin d’être interprété : il porte son message explicitement. Il invite à l’amour inconditionnel pour toutes les parties prenantes du conflit. La Syrie peut tenir ici de la géographie intérieure comme extérieure ; à ce point de notre histoire, c’est une tragédie emblématique de l’état de notre monde. Il n’y a pas de jugement. Tout le monde est enfant de Dieu. Même… ? Oui, même eux.

À noter que Dieu est neutre quant à savoir s’il faut ou non livrer des armes. C’est notre liberté de croire, ou non, que les armes pourraient améliorer la situation – Dieu n’a rien à redire à cela. En livrant des armes, le conflit est attisé et cela ne semble pas préoccuper Dieu. Mais tant qu’à en livrer, il faut être impartial comme le soleil qui brille dans le ciel aussi bien pour les gentils que pour les méchants. C’est là que j’ai mis mon ami en garde : tout cela, c'est très bien, c'est la voie de l'Amour qui s’ouvre à toi. Mais cela présente un danger: nous sommes humains, et en tant qu'humains, il est normal que nous prenions parti - le danger là est de se croire au-dessus de la condition humaine.

Un exemple pour vous illustrer cela : il y a quelques jours à Québec, un policier a tiré une grenade lacrymogène à bout portant au visage d’une jeune manifestante. Quand j’ai vu les images de cet incident, mon sang n’a fait qu’un tour – ç’aurait pu être ma fille – et j’ai bouilli de colère. Si c’était mon rêve, il me commanderait de prendre conscience que le policier comme la manifestante sont des humains qui ont peur et qui souffrent, que je me projette dans la situation avec mes propres peurs, etc. Cependant, si je refoule ma colère pour essayer de n’être qu’amour autant pour le policier que la jeune fille, non seulement cela ne marchera pas mais je tombe dans le piège de l’idéalisation spirituelle. Il me faut commencer par aimer ma colère, mes émotions… et alors peut-être pourrai-je introduire là cette neutralité bienveillante de la conscience envers toutes les parties concernées, m’incluant moi-même puisque cette situation me touche, me fait réagir. C’est en cela que la Syrie peut être intérieure à chacun, aux prises avec sa propre tyrannie, ses rebelles démocrates et ses fous de Dieu qui veulent imposer leur loi…

Et fait, ai-je rigolé pour conclure, tout rêve dans lequel Dieu s'exprime directement est éminemment suspect d’une inflation du rêveur, c’est-à-dire que ce dernier risque fort de se prendre au sérieux, de penser qu’il l’a, l’affaire… à moins de se courber vraiment très bas. Cela implique de se tenir très près du senti, des émotions et du corps, de la terre, de l’humus – il faut se rapprocher de l’âme, tout en bas, pour trouver l’attitude juste que symbolise Dieu dans ce rêve : la neutralité de la conscience avec ce qui est, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

7 commentaires:

  1. Ces "rebelles qui luttent pour leur liberté" et, qu’en quelque sorte, il ne faut pas "surarmer", me font réfléchir... :
    Reconnaître que les tous opposés sont présents dans le sein immense de la totalité divine, cosmique, et apprendre que "les rebelles qui luttent pour leur liberté" sont peut-être en chacun de nous des tendances ou tentations à dissocier les parts de la totalité pour revendiquer une liberté fragmentaire, séparée de la totalité divine, une liberté plus ou moins"égotique" ?
    Armer uniquement ces rebelles serait armer et favoriser ces tendances et tentations-là en nous... ?
    Dieu figurerait alors, dans ce rêve, la disposition (transcendante) présente en chacun de nous qui tend, au contraire, à reconnaître que la totalité réunit en son sein tous les opposés et peut nous donner de vivre la Liberté plus large naissant de cette reconnaissance... ?

    Amezeg

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Merci Amezeg. Je cherchais moi aussi comment ramener ce rêve sur le plan subjectif, et je crois que tu donnes là le fil conducteur qui le permet. Cette idée du passage d'une liberté fragmentaire et conflictuelle à une grande Liberté émergeant de la totalité me semble essentielle...

      Effacer
  2. Merci Jean. Ton commentaire du rêve ayant déjà bien souligné les aspects objectifs à envisager m’a sans doute rendu plus disponible pour me pencher (me courber... ? ;-) sur l’aspect plus subjectif que l’on peut également envisager à (propos de) ce rêve.

    Amezeg

    RépondreEffacer
  3. Si l'on en reste au plan subjectif, ce rêve peut aussi parler de la part "rebelle" du rêveur (au sens où l'on parle d'"enfant rebelle" en analyse transactionnelle, c'est-à-dire de la part qui est en constante opposition avec les lois qu'on lui impose, la part qui ne se "plie pas aux règles").

    Le rêve dirait alors que l'on ne peut pas s'identifier uniquement cette part -là de la personnalité mais qu'il faut aussi envisager l'utilité et la nécessité d'une autre "part", celle du "parent ("parent persécuteur" ou vu comme tel ?), parce que tous les deux sont utiles et bons pour un équilibre psychologique...

    Si l'on quitte l'analyse transactionnelle et que l'on revient au langage jungien, cela revient à dire que, dans ce rêve, le Soi conseillerait de trouver un équilibre entre le "puer" et le "senex" au sein de l'être, il conseillerait d'armer les deux, donc de cesser de prendre systématiquement parti pour le "puer" qui est volontiers rebelle et ne raisonne qu'en termes de liberté ...pour renforcer aussi le côté "senex" (responsabilités, contraintes, règles...), et arriver à une entente "entre les deux camps"...

    Il conviendrait évidemment de vérifier si cela rencontre un écho chez le rêveur, si c'est une problématique qui le concerne...ou pas.

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Merci ! C'est fort intéressant. Je vais transmettre au rêveur qui verra si ces idées rencontrent en effet un écho chez lui...

      Effacer
  4. L'equanimité.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quanimit%C3%A9

    Cordialement,
    Stefano

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Oui. C'est-à-dire la paix de l'âme. Merci Stéfano, cordialement.

      Effacer