jeudi 17 octobre 2024

L'équation Grothendieck


Temps de lecture : 25-30 mn

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Récemment est paru un livre qui devrait attirer l’attention de toute personne qui s’intéresse aux rêves. Il s’agit de la Clé des Songes, d’Alexandre Grothendieck, dont le titre complet est :

La Clé des Songes ou Dialogue avec le Bon Dieu

Son auteur est considéré comme un des plus grands mathématiciens du XXème siècle. Cependant, pour beaucoup, son aventure intellectuelle et spirituelle illustre la porosité de la frontière entre le génie et la folie. On trouvera en effet dans ce livre des développements philosophiques de grande ampleur et d’une profondeur rare, mais qui peuvent, du moins du point de vue de la rationalité prévalente dans notre société, confiner au délire, par exemple quand Grothendieck se croit investi d’une mission prophétique. De façon paradoxale, car Grothendieck débine en quelques endroits Jung auquel il ne connaît de son propre aveu pas grand-chose, ce sont les jungiens qui sont à même peut-être de tirer le plus de la lecture de ce pavé de près de 350 pages. En effet, il expose dans ce livre une expérience intérieure tout à fait remarquable, peut-être même exemplaire par certains côtés, qui rejoint et illustre par de nombreux aspects la compréhension que Jung avait, sur la base de sa propre expérience, de la psyché et de la relation à ce qu’il est convenu d’appeler le Soi. Dès lors, l’ignorance dont fait preuve Grothendieck, non seulement en ce qui concerne Jung mais aussi sur nombre d’autres points, et le splendide isolement dans lequel se déploie sa réflexion dans une grande mesure, s’avèrent un atout favorisant l’authenticité de l’expérience. Du point de vue de la psychologie des profondeurs, ses propos ne prêtent le flanc à aucune analyse qui y décèlerait quelque chose de pathologique, bien au contraire. Nous pourrons en effet y déceler parfois une certaine inflation, tempérée par une grande rigueur intellectuelle, mais nous y reconnaîtrons aussi les difficultés que rencontre tout être humain confronté à l’aventure de la rencontre vivante avec le Soi. Je le dirai sans ambages : nous sommes là devant le témoignage d’une expérience exceptionnelle, vécue par un anarchiste mystique qui a su de façon remarquable accéder à l’essentiel, non seulement en ce qui concerne le rêve, mais aussi ce que Jung a appelé l’individuation, et plus avant, la nature spirituelle de l’être humain.

Soyons clairs : je ne dis pas que Grothendieck a fait du Jung sans le savoir. Il a fait du Grothendieck, et c’est fort bien ainsi. Cependant, la rencontre de ces deux pensées se révèle particulièrement féconde, et ce n’est pas seulement dans un sens, qui voudrait que la psychologie de Jung éclaire les propos de Grothendieck. C’est peut-être même l’inverse : le vécu intérieur du candide mathématicien au pays des rêves jette une lumière remarquable sur ce que Jung avait, au travers de sa propre expérience, envisagé...


Contrairement à ce que laisse entendre le titre du livre, et à ce qui était semble-t-il l’intention initiale de Grothendieck quand il s’est lancé dans ce projet d’écriture, son ouvrage ne parle pas tant que cela des rêves. Il ne propose aucune clé d’interprétation de nos productions oniriques ni ne détaille quelque méthode pour travailler avec celles-ci, en comprendre le sens ou les utiliser. Il est probable que Grothendieck ne savait même pas qu’en intitulant son œuvre « la clé des songes », il reprenait le titre du traité que nous a laissé Artémidore d’Ephèse, le grand maître de la tradition onirocritique grecque. Il fait preuve de temps à autre d’une certaine outrecuidance qui le laisse supposer qu’il soit le seul à être allé au fond d’un de ses rêves, et à avoir vécu par-là une expérience transformante. Il n’a jamais écouté les rêves d’autrui, et donc n’était sans doute pas en mesure de voir combien les productions oniriques sont singulières, propres à chaque personne. Il généralise bien souvent à partir de sa seule expérience, et c’est là tout à la fois sa force et sa faiblesse car il apparaît que Grothendieck avait des difficultés à être véritablement en relation avec autrui. Il vivait dans une sorte de tour d’ivoire où il soliloquait dans une certaine graphomanie qui l’a conduit à écrire des milliers de page d’une sorte d’auto-analyse sauvage. Mais cette solitude, cette marginalité qu’il assume – déclarant qu’il était dans «une situation de “marginalité” idéologique et spirituelle » qui lui était « à dire vrai, habituelle et quasiment congénitale », sont aussi les conditions du déploiement de son génie, dans une divergence assumée à l’égard de tout groupe.

Il ne nous partage pas non plus, sauf au travers de quelques allusions succinctes, ses propres rêves, alors qu’il fonde son discours dans une grande mesure sur la compréhension de ceux-ci. Est-ce par pudeur ou crainte d’être désavoué dans son interprétation par ses lecteurs ? Il est probable qu’il n’en a tout simplement pas vu l’intérêt, que ses rêves lui ont semblé être matière strictement privée, faisant partie de son dialogue intime avec celui qu’il appelle le Rêveur, et cela alors même qu’il clamait que certains de ses songes lui communiquaient un message à porter au monde. Il se peut qu’il ait évité d’exposer ses rêves métaphysiques et prophétiques quand il s’est avéré que les prophéties qu’il avançait ne se sont pas réalisées. Du point de vue de l’analyste de rêves que je suis, il est vraiment dommage que nous n’ayons pour ainsi dire aucun accès à ses rêves car nous aurions eu sans doute là une riche matière à mettre en relation avec le  déroulé de l’expérience de Grothendieck et les idées philosophiques qu’il développe. Cependant, si Grothendieck ne nous parle pas en fait de rêves, sinon à titre d’introduction de son propos, c’est qu’il a beaucoup à dire du Rêveur, et de ses relations avec celui-ci. Il pose d’emblée, dans les premières pages de son livre, une équation qui surprendra tous ceux qui s’en tiennent à une conception personnaliste des rêves :

Le Rêveur en moi = le Rêveur en toi.


Quand Grothendieck énonce cette compréhension, sans nous préciser d’ailleurs comment il y est parvenu, il est à l’évidence convaincu dans une grande mesure d’avoir inventé l’eau chaude. Il n’a aucune idée claire du concept du Soi qu’a développé Jung et auquel ce dernier attribue d’être la source des rêves, en le rapprochant de la notion de l’Atman universel, ni des avancées, pourtant notables à l’époque où il écrit, de la psychologie transpersonnelle. C’est en cela même que ses découvertes quant à la nature des rêves sont tout simplement remarquables : Grothendieck n’est "pollué" d’aucune façon par une théorie psychologique ou l’influence d’un guide, d’un thérapeute. Voici un des esprits les plus brillants – et probablement des plus libres... – de son époque, qui a démontré une capacité hors pair de raisonnement et d’investigation de problèmes complexes, qui parvient à une conclusion renversante en se penchant sur ses propres rêves ! Nous verrons cependant que cet énoncé ne sort pas de nulle part, et que même si Grothendieck lui-même y voit le fait d’une « révélation », il s’inscrit dans une logique qui semble lui avoir été dans une grande mesure inconsciente, du moins pendant longtemps. C’est peut-être l’objet même du livre, finalement que de permettre à cette logique sous-jacente de devenir consciente. Mais pour cela, il a fallu que Grothendieck ose l’impensable, le non-pensé de notre rationalité. Car ce n’est pas fini. En fait, cette identité de la Source des rêves chez tous les rêveurs n’est qu’une introduction à l’affirmation la plus fondamentale du livre, le second alinéa de l’équation qui pose :

Le Rêveur en moi = le Rêveur en toi = le Rêveur en tous = Dieu.

Voilà bien la clé des songes, qui ouvre en effet toutes les portes que sont les rêves ! En cela, le titre de l’ouvrage s’avère rendre compte précisément de ce que l’on y trouvera, même si beaucoup de lecteurs risquent, avec cette clé prodigieuse entre les mains, d’expérimenter la position inconfortable de la poule qui trouve un clou. Qu’en faire donc ? Ce n’est pas tout d’avoir la clé, il faut identifier la serrure à laquelle elle correspond. On peut rendre justice à Grothendieck : il s’emploie merveilleusement à décrire cette serrure et même à la démonter. Nous verrons qu’il ajoute à cette équation qui relie le rêve à Dieu un troisième terme essentiel, qui fournit un angle d’accès inédit à ces deux mystères vivant : la capacité créatrice de l’être humain, qu’il met en relation avec la dimension créatrice dont est issue l’Univers. Ainsi voyons-nous apparaître un triangle conceptuel qui pourrait constituer l’armature d’une clé pour notre intelligence du réel :

Rêve Dieu

Acte créateur

Je ne vous cacherai pas ma stupéfaction, lors de ma première lecture du tapuscrit de Grothendieck, de voir un quidam, fut-il un des plus grands mathématiciens du dernier siècle, parvenir ainsi d’un seul élan, pour ainsi dire spontané, aux conclusions qui émergeaient pour ma part de plus de trente années de recherche. Car j’en suis venu, par d’autres chemins que lui, à croire moi aussi que la caractéristique la plus fondamentale du rêve est de manifester une capacité créative inhérente à la psyché humaine, capacité créative qui renvoie à une dimension transcendant celle-ci – ce que l’on peut à bon droit, avec les anciens, appeler le domaine de l’Esprit. Cela n’en fait pas force de preuve, et comme le dit fort bien Grothendieck, en cette matière « on ne prouve pas, on voit ». Mais la réflexion qu’il amène se caractérise par une grande cohérence interne, et nous verrons qu’elle permet d’ailleurs d’aborder cette notion de Dieu, dont il s’emplit un peu la bouche, en évitant le piège de la théologie. Il nous propose aussi au passage une réflexion sur la connaissance spirituelle, le lien intime entre connaissance et foi, ainsi que la vocation créatrice de l’être humain, qu’il met en relation avec une définition que je crois fondamentalement libertaire du mal. Et c’est donc notre conception de la nature du rêve qui, si nous prenons minimalement au sérieux l’expérience de Grothendieck, pourrait s’en trouver entièrement renouvelée…


Retrouvailles avec l’âme

Je vous propose de suivre le déploiement de sa pensée à ce sujet au travers de quelques citations. Dès la première page de son livre, il nous parle d’une nouvelle naissance et de retrouvailles avec l’âme au travers du rêve : 

« Le premier rêve dans ma vie dont j’ai sondé et entendu le message a aussitôt transformé le cours de ma vie, profondément. Ce moment a été vécu, véritablement, comme un renouvellement profond, comme une nouvelle naissance. Avec le recul, je dirais maintenant que c’était le moment des retrouvailles avec mon « âme ». (…) Jusqu’à ce moment-là j’avais vécu dans l’ignorance que j’avais une “âme”, qu’il y avait en moi un autre moi-même, silencieux et quasi invisible, et pourtant vivant et vigoureux – quelqu’un bien différent de celui en moi qui constamment prenait le devant de la scène. »

Ces mots ne peuvent que faire sursauter les lecteurs familiers de l’œuvre de Jung qui se souviendront que ce dernier écrivait: « « En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu’il nous voit bien différent de ce que nous croyons être. » Quant aux retrouvailles avec l’âme, c’est un peu le fil conducteur de tout son opus, et en particulier du Livre Rouge dont le second chapitre est précisément intitulé « retrouvailles avec l’âme » et où il écrit : 

« Mon âme, où es-tu ? M’entends-tu ? Je suis revenu, je suis rentré – j’ai secoué de mes pieds la poussière de tous les pays et je suis venu à toi, je suis avec toi. (…) Comme la séparation fut longue ! (…) Mon âme, c’est avec toi que mon voyage doit continuer. Avec toi, je veux cheminer et monter jusqu’à ma solitude. »

D’emblée, on peut sentir une parenté entre les deux aventures intérieures qui se dessinent là. Dans ses Notes, qui accompagnent dans un tapuscrit indépendant sa Clé des Songes, Grothendieck écrit :

« J'ai mentionné en passant, avant-hier, le tout premier rêve qui (entre autres) attirait mon attention sur l'existence de l'âme. C'était il y a un an et demi. L'âme était représentée par une jeune femme étendue, avec une très longue et abondante chevelure humide et emmêlée étendue derrière elle, qu'une autre femme, plus âgée, démêlait patiemment et peignait avec ses doigts. »

Il dit avoir reconnu l’âme au bout d’un travail exceptionnellement long de neuf jours, mais qu’alors, cela a fait tilt ! C’était un terme qui ne figurait pas dans son vocabulaire. Il n’avait « jamais prêté attention jusque-là à ce visage-là de la psyché au cent visages ». Il la voit comme cela qui en lui « vit l'expérience et la saveur des choses, qui éprouve et goûte sensations et émotions », attirée par ce qui est plaisant et repoussée par ce qui est déplaisant, « voltigeant de fleur en fleur en faisant de son mieux, chemin faisant, pour ne pas s'égratigner aux épines... » Les jungiens reconnaîtront ici la grande figure de l’Anima, un des petits noms donné au féminin de l’homme dans notre jargon, et en effet, à son âme. Il est donc question de démêler et peigner les cheveux de l’âme mais Grothendieck ne s’étend pas sur ce que ce qu’il en a compris. Cependant, toute son entreprise d’écriture de la Clé des Songes en témoigne sans doute. Du point de vue de l’analyste de rêves, il pourrait s’agir là d’une invitation à mettre de l’ordre dans les idées et les imaginations, tout ce que produit la tête, relatives à l’âme. C’est-à-dire à l’expérience que nous pouvons avoir de Dieu, puisque Jung propose comme définition de l’âme que celle-ci « est à Dieu ce que l’œil est au soleil. » Mais une autre question se pose aussi, à laquelle Grothendieck ne répond pas : qui est donc cette femme plus âgée qui démêle patiemment les cheveux de son âme ? Nous pourrions y voir justement le travail de la vieille âme spirituelle dénouant les imaginations de l’Anima…


Apologie de la connaissance de soi

Dès lors, Grothendieck se pose en apôtre de la connaissance de soi :

« Sans connaissance de soi, il n’est pas de compréhension d’autrui, ni du monde des hommes, ni des œuvres de Dieu en l’homme. (...) sans connaissance de soi, l’image que nous nous faisons du monde et d’autrui n’est que l’œuvre aveugle et inerte de nos fringales, nos espoirs, nos peurs, nos frustrations, nos ignorances délibérées et nos fuites et nos démissions et toutes nos pulsions de violence refoulée, et l’œuvre des consensus et des opinions qui font loi autour de nous et qui nous taillent à leur mesure. Elle n’est guère que des rapports lointains, indirects et tortueux avec la réalité dont elle prétend rendre compte, et qu’elle défigure sans vergogne. »

Plusieurs commentateurs semblent croire que Grothendieck présente quelque chose d’unique dans l’histoire de la philosophie en opérant ainsi une jonction entre connaissance de soi et mystique. Cependant, c’est là faire preuve de méconnaissance, non seulement de la démarche de la psychologie des profondeurs mais aussi de nombre de traditions mystiques. Ainsi un hadith du Coran inspirant de nombreux soufis dit-il : « Celui qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». Et le bouddhisme n’invite à rien d’autre qu’à une connaissance de soi par la méditation, connaissance dans lequel le moi s’avère n’avoir aucune existence propre. Ultimement, il ne reste que le Vide, Sunyata. En effet, pour la plupart, la connaissance de soi est surtout une connaissance de "moi", c’est-à-dire de comment chacun de nous a été déterminé par les circonstances entourant notre existence. Mais dans la perspective mystique, qui est bien aussi celle de Grothendieck, le véritable objet de la connaissance de soi est Celui qu’il appelle l’Hôte, Dieu, le Soi. 

Mais reprenons le parcours du déploiement de sa pensée : il constate ensuite que toutes les étapes de son cheminement intérieur ont été préparées et jalonnées par un ou plusieurs rêves. Il a redécouvert l’inconscient dans sa propre expérience, et admet qu’il n’y a aucun moyen conscient d’explorer ce dernier. La valeur du rêve ressort alors dans des termes que Jung n’aurait pas désavoué :

« Le rêve, par contre, se révèle comme un témoignage direct, parfaitement fidèle et d’une finesse incomparable, de la vie profonde de la psyché.  L’histoire de ma maturation vers une connaissance de moi-même et vers une compréhension de l’âme humaine se confond, à peu de choses près, avec l’histoire de mon expérience du rêve. »

Il est assez amusant d’observer qu’en cet endroit et en d’autres dans le livre, il dresse un panégyrique de Freud tout en rejetant catégoriquement sa compréhension du rêve comme servant à un assouvissement. L’ironie de la chose tient au fait qu’il refuse dans le même temps tout crédit à Jung alors qu’ils ont la même conception du rêve comme offrant un témoignage fidèle de « la vie profonde de la psyché ». Grothendieck va jusqu’à employer des termes similaires à ceux de Jung sur la « psyché objective » qui se révèle dans le rêve. Et c’est à partir de là qu’apparaît toute la profondeur de l’expérience intérieure de Grothendieck, qui se dit avec une certaine poésie :

« Nous-mêmes sommes aveugles, autant dire, nous n’y voyons goutte dans cet embrouillamini de forces agissant en nous et qui, pourtant, gouvernent inexorablement nos vies (aussi longtemps, tout au moins, que nous ne faisons l’effort d’en prendre connaissance...). Nous sommes aveugles, oui – mais il y a en nous un Œil qui voit, et une Main qui peint ce qui est vu. Le silence assoupi du sommeil et de la nuit lui servent de toile, nous-mêmes sommes sa palette ; et les sensations, les sentiments, les pensées qui nous traversent en rêvant, et les pulsions et les forces qui agitent nos veilles, voilà Ses tubes de peinture, pour brosser ce tableau vivant qu’Elle seule sait brosser. »

Et encore : 

« Dès le premier rêve que j’ai scruté, me révélant à moi-même en un moment de crise profonde, je sentais bien que ce rêve ne venait pas de moi. Que c’était un don inespéré, prodigieux, un don de Vie, qu’un plus grand que moi me faisait. Et j’ai compris peu à peu que c’est Lui et nul autre qui “fait”, qui crée chacun de ces rêves que nous vivons, nous, acteurs dociles entre ses mains délicates et puissantes. Nous-mêmes y faisons figure de “rêvants”, voire de “rêvés” - créés dans et par ce rêve que nous sommes en train d’accomplir, animés par un souffle qui ne vient pas de nous. »


Le rêve ne vient pas de nous

Il est assez émouvant d’entendre ce grand mathématicien énoncer ainsi comment il constate en lui-même que le rêve ne vient pas de nous, c’est-à-dire du "moi". Plus loin, il se reconnaît mystique et il constate que sa créativité en mathématiques tout comme son écriture, dont il ne maîtrise pas le cours, coulent d’une source qui est autre que le "moi". En langage jungien, il témoigne là d’une expérience authentique du Soi qu’il décrit comme « un centre et un fondement, à la fois en moi et hors de moi, et qui me dépasse infiniment, alors que je lui suis intimement et mystérieusement relié. » Bien sûr, il assimile le Soi à Dieu, et en effet, dans la perspective de la psychologie des profondeurs, rien ne permet au moi conscient de distinguer le Soi de Dieu. C’est là qu’il est bon de se rappeler la pratique zen qui consiste à se laver la bouche après avoir prononcé le nom « Bouddha » pour éviter que celle-ci n’enfle. Mais au fond, Grothendieck ne fait pas dans la théologie. Pour lui, Dieu est le Créateur, c’est-à-dire la Source créatrice qu’il constate en lui et dans l’univers : son expérience de Dieu passe par celle de l’acte créateur. Il a plus loin des mots magnifiques pour parler de ce Dieu qu’il rencontre dans ses rêves :

« “Dieu” est pour moi le nom que nous donnons à l’âme de l’Univers, au souffle créateur qui sonde et connaît et anime toutes choses et qui crée et recrée le monde en tout moment. Il est ce qui est infiniment, indiciblement proche de chacun de nous en particulier, comme Il est en même temps ce qui est le moins “personnel”, le plus “universel”. »

Grothendieck explique comment il est entré dans un processus de transformation radical quand lui a été révélé le fait, selon ses propres mots « dingue », de l’identité : 

« le Rêveur n’est autre Dieu ». 

Son existence s’est alors découvert un centre et un sens, caractéristiques de l’archétype du Soi : « En l’espace de ces quelques mois d’apprentissage intense, à l’écoute de Dieu me parlant par le rêve, ma vision du monde s’est profondément transformée, et celle de moi-même et de ma place et de mon rôle dans le monde, selon les desseins de Dieu. La transformation maîtresse, celle dont découlent toutes les autres, c’est que désormais le Cosmos, et le monde des hommes, et ma propre vie et ma propre aventure, ont acquis enfin un centre qui avait fait défaut (cruellement par moments), et un sens qui n’avait été qu’obscurément pressenti. »

Il dit alors comment il ne pourra éviter de partager son expérience vivante pour tenter de « parler de Lui avec vérité » – le voici missionné à communiquer une grande vision :

« Car Dieu est le pont qui relie entre eux tous les êtres, ou bien plutôt, Il est l’eau vive d’une Mer immuable commune qui relie tous les rivages. Et nous sommes les rivages d’une même Mer, qui chacun La connaissons par un autre nom et sous d’autres visages - et nous en sommes les gouttes même, dont chacune La connaît intimement, et dont aucune ni toutes ensemble ne L’épuisent. Ce qui est commun est la Mer, qui relie une goutte à l’autre et les contient l’une et l’autre. Si elles peuvent se parler l’une à l’autre c’est par Elle qui les embrasse et les contient, telle qu’Elle est perçue à travers elles, vivantes parcelles d’une même Totalité, d’un même Tout – d’une même Mère. » 


Une position de recueillement intense

A partir de ce point, on pourra déceler une certaine inflation chez Grothendieck qui se sent « sur l’initiative de Dieu, promu messager et même “prophète” ». Il a bien l’impression que ce fait « dingue » qu’il énonce était bien connu il y a quelques siècles. Mais il constate aussi le mépris quasi-universel dans lequel est désormais tenu le rêve et s’en prend aux « professionnels du rêve ». On peut penser qu’il ne connaît là que les psychanalystes freudiens car il dénonce leur attitude qui n’est pas empreinte de ce « respect qu’on pourrait appeler “religieux” : ce respect mêlé d’émerveillement muet, ou de vénération ou d’amour, que nous éprouvons devant les choses chargées de mystère, dont nous sentons obscurément qu’elles nous échappent et nous dépassent à jamais ». 

Dans les pages qui suivent, Grothendieck parle un peu de C.G. Jung dont il a lu l’autobiographie, et il fait un énorme contresens en posant que pour Jung, l’Inconscient avait remplacé Dieu. Ce n’est probablement pas plus mal car s’il avait compris de quoi parlait vraiment Jung, qui se dit lui-même dans une lettre non publiée être « a mystical fool » (lettre évoquée par Gerhard Adler dans Psychological Perspectives (1975) 12), il aurait été obligé de le lire dans son intégralité et nous y aurions perdu la fraîcheur de son témoignage. Plus loin, il dit de ce dernier qu’il joue les « papes d’une “spiritualité” hautement savante et garantie “scientifique” », accusation assez risible de la part d’un homme ignorant tout du travail de Jung, et qui se sent bombardé “prophète” – un piège que Jung a su justement éviter. Or ces deux grands esprits se seraient certainement rejoints, s’ils s’étaient rencontrés, dans la nécessité d’une attitude de révérence à l’égard du rêve et de ce qui s’y dit. On peut ainsi croire lire Jung quand Grothendieck explique :

« Ma redécouverte du sens profond du rêve, comme Parole vivante de Dieu, s’est faite dans une atmosphère de solitude et de recueillement intense. Alors même que la pensée consciente de “Dieu” en était presque entièrement absente, je pourrais bien qualifier cette atmosphère de “religieuse”. »

C’est donc à partir de cette position de recueillement qu’il énonce ce que j’appellerai pour ma part l’équation Grothendieck du rêve, déjà formulée plus haut, qui se résume à :

Le Rêveur en tous = Dieu.

Et voici comment il l’expose peut-être le plus clairement :

« Et voici maintenant le fait nouveau vraiment extraordinaire, l’“incroyable bonne Nouvelle”, dont j’ai acquis connaissance sans trace du moindre doute : le Rêveur en moi est le même que le Rêveur en toi, ou que le Rêveur en toute autre personne qui ait jamais vécu. (…) Ce Rêveur si familier, qui nous parle dans nos rêves et que nous écoutons d’une oreille si distraite, Il est le Créateur du Monde où nous vivons - ce monde dont chacun de nous, et toute notre espèce réunie, ne perçoit et ne connaît qu’une infime portion. Et ce Monde lui-même est en perpétuelle Création, il est la Pensée et le Souffle vivants de Dieu, le Créateur. La pensée créatrice de Dieu Se concerte et agit, et bourgeonne et ramifie et croît et se déploie en chaque lieu et en chaque instant, de toute éternité. C’est le Verbe originel, le langage de Dieu, dont chaque mot est Acte et création, dans le Monde visible et dans l’invisible. »


Aborder les rêves avec l’innocence d'un enfant

Les lecteurs attentifs relèveront les accents quelque peu chrétiens des propos ici de Grothendieck, quand il évoque une Bonne Nouvelle, la Parole vivante de Dieu, le Verbe Créateur… Le seul auteur qui trouve grâce à ses yeux est Marcel Légaut, un docteur en mathématiques qui a écrit plusieurs livres remarquables de spiritualité chrétienne. Est-ce tout à fait un hasard si Grothendieck a suivi un parcours au fond assez similaire à Légaut ? Ce dernier a en effet abandonné sa carrière de professeur pour s’établir berger et agriculteur tout en faisant de l’enseignement spirituel, tandis que Grothendieck a choisi de faire retraite dans l’anonymat le plus complet après avoir renoncé à sa carrière en mathématique. La vie de ces deux hommes semblent se rejoindre dans un trait commun d’appel à la simplicité la plus radicale. On pourra peut-être y retrouver l’écho d’une parole de l’Évangile où Jésus invite à venir à lui dans la simplicité de l’enfant. C’est précisément en élaborant une idée similaire que Grothendieck nous livre la clé d’accès au cœur des rêves, quand il explique comment il les a abordés :

« Je suis venu à mes rêves comme un petit enfant : l’esprit vide, les mains nues. Ce qui me poussait vers certains parmi eux, ce qui me les faisait fouiller avec un tel acharnement avide, était autre chose que la curiosité d’un esprit alerte, intrigué par un “phénomène” étrange, ou fasciné par un mystère troublant, ému par une poignante beauté. C’était une chose plus profonde que tout cela. Une faim me poussait que je n’aurais su moi-même nommer. C’est l’âme qui était affamée.  »

Il se décrit lui-même comme un « nourrisson sous-alimenté, chétif et affamé, qui sent la mamelle toute proche ». Il énonce sans ambages qu’il y a « un instinct spirituel en l’homme avant même que ses yeux spirituels commencent à s’ouvrir. Heureux celui qui sait sentir cet instinct, et lui obéir ! Celui-là se nourrira, car la mamelle est toujours proche. Et ses yeux finiront par s’ouvrir et verront. »

Bien sûr, le lecteur jungien ne pourra ici que souligner l’évocation d’un « instinct spirituel » qui est précisément ce qui distingue la psychologie de Jung de l’approche freudienne de la psyché. Grothendieck met en évidence le fait, que constatent les analystes dans leurs accompagnements, que c’est la faim de l’âme qui permet d’entendre ce que murmurent les rêves. Il dit alors l’essentiel, qui pourra servir de guide et d’encouragement à toute personne qui se sent appelée par ses propres rêves :

« Si j’ai appris sur les rêves les choses qui ne se trouvent pas dans les livres, c’est pour être venu à eux dans un esprit d’innocence, comme un petit enfant. Et je n’ai aucun doute que si tu fais de même, tu apprendras, non seulement sur toi-même, mais aussi sur les rêves et sur le Rêveur, des choses qui ne sont pas dans ce livre-ci ni dans aucun autre. Car le Rêveur aime à se livrer à celui qui vient à lui en enfant. »


L’état de vérité

Finalement, il nous faut parler de « l’état de vérité » dans lequel Grothendieck abordait les rêves. Pour distinguer entre la Parole, la connaissance spirituelle qui vient de l’intérieur, et le bruit environnant, Grothendieck nous dit qu’il faut être « en un état particulier, un état d’ouverture, ou de rigueur, ou de vérité (qu’on l’appelle comme on voudra) ». C’est « l’état créateur au plan spirituel. (...) On peut aussi le décrire comme l’état d’une communion avec l’Hôte invisible, avec Dieu en nous : l’état d’écoute de la voix intérieure, de cette voix qui nous souffle, en chaque moment ou nous faisons silence, ce qui est essentiel pour éclairer notre libre choix vers l’“acte juste” qui correspond aux exigences de ce moment. » Il ajoute : « C’est un acte de perception d’essence spirituelle. En cet instant, l’œil spirituel en nous, qui perçoit et distingue le vrai et le faux, est ouvert ou entrouvert et voit. » En le lisant, j’ai pensé à l’expérience de la perception spirituelle que partagent plusieurs grands méditants, dont Franklin Merrell-Wolff qui s’est tout particulièrement attaché à décrire cette troisième voie de connaissance, au-delà de celle des sens et de la raison. On retrouve là aussi les mots de Antony de Mello qui écrivait :

« Si l’œil n’est pas obstrué, on voit; si l’oreille n’est pas obstruée, on entend; si le nez n’est pas obstrué, on sent; si la bouche n’est pas obstruée, on goûte; si l’esprit n’est pas obstrué, on est sage. »

Au fond, l’existence et la possibilité de rencontrer cet « état de vérité » est sans doute le cœur de ce qu’a cherché à nous communiquer Grothendieck. Il le rapproche d’un état de silence intérieur où l’on peut entendre une voix qui parle tout doucement, car Dieu, écrit-il, parle à voix très basse. C’est dans cet état que l’acte de connaissance prend naissance, nous dit-il : un acte de connaissance qui unit à celle-ci la foi, la confiance, dans un acte créateur. On voit se dessiner sous la plume de Grothendieck les rudiments d’une épistémologie spirituelle remarquable. Cet état de vérité est indissociable chez lui d’une capacité créatrice qui débouche cependant sur ce constat : « ce n’est pas nous qui créons ». On peut entendre là l’aveu d’une grande humilité de la part d’un homme qui a été encensé pour avoir ouvert de nouvelles voies en mathématiques et qui se risque à proposer une vision novatrice des rêves – il n’en fait pas une affaire personnelle, bien au contraire. Mais c’est aussi là une conception de Dieu qui se révèle dans et par la dimension créatrice du réel, que ce soit dans l’univers ou en l’être humain. Sa réflexion ouvre la porte à une approche existentielle qui pose que le nom « Dieu », tout inconnaissable que soit ce à quoi il réfère – car on ne définit pas les réalités spirituelles, nous dit bien Grothendieck – est un nom de code pour parler de la source même de cette capacité créatrice. C’est l’expérience vivante de cette source vivante en lui que nous partage Grothendieck dans ce livre liant Dieu et les rêves.

Laurent Lafforgue, de l’Académie des Sciences, présente en fin du volume de la Clé des Songes une réflexion sur la notion de vérité chez Grothendieck. Il souligne que celui-ci, qui excellait pourtant dans les définitions mathématiques, ne définit jamais la vérité. Il dit que la vérité, et le fait que la vérité soit connaissable, tenaient sans doute de l’évidence pour Grothendieck. J‘enfoncerai ce clou en ajoutant que la vérité, et la relation à celle-ci, étaient sans doute une expérience vivante pour lui, et même, en termes jungiens, une expérience numineuse. Il faudrait sans doute, pour rendre justice à Grothendieck, étudier toute son œuvre autour de ce pivot central qu’est l’état de vérité.


L’homme et la vision

En conclusion, il nous faut parler un peu de qui était l’homme Grothendieck ainsi que de sa vision prophétique. Alexandre est né de parents militants anarchistes en Allemagne en 1928. Un fait notable est que son père a connu une remarquable expérience numineuse en prison, dont il n’a eu connaissance que beaucoup plus tard. Quand il avait cinq ans, Alexandre a été abandonné par ses parents, qui l’ont laissé entre les mains d’une famille en Allemagne tandis qu’ils fuyaient en France. Mais il a retrouvé sa mère en 1939 et passé la guerre avec elle dans les camps où l’on emprisonnait alors les apatrides et les militants politiques. Son père est mort à Auschwitz en 1942. Alexandre a contracté très tôt semble-t-il une passion pour les mathématiques. La légende veut que lorsqu’il a été présenté à ses directeurs de thèse, ils lui ont proposé de choisir parmi 20 sujets qui étaient autant de problèmes irrésolus. Un mois plus tard, il est revenu avec des solutions pour les 20 problèmes ! Cependant, il a dû passer un examen en rattrapage pour obtenir sa licence. On peut reconnaître là les caractéristiques d’un esprit divergent, c’est-à-dire hautement créatif car il n’est pas contraint par une intériorisation des règles sociales. 

On sait par exemple pour comprendre cette notion de divergence que si l’on demande à des enfants qui n’ont encore jamais été scolarisés qu’est-ce qu’on peut faire avec un trombone, on pourra obtenir près de 200 propositions, qui se réduisent à 3 ou 4 lorsque les enfants ont passé un an à l’école. Grothendieck était certainement l’un de ces rares esprits qui a échappé au formatage scolaire et social. Il a ainsi complètement révolutionné les branches de la géométrie auxquelles il s’est intéressées en posant des questions que nul n’avait posées avant lui. Mais il a aussi refusé les honneurs qui lui étaient dévolus, et il a démissionné d’un poste créé tout spécialement pour lui quand il a appris que celui-ci était financé, à hauteur de 5%, par l’armée. Il est resté toute sa vie farouchement anti-militariste, ce qui donne toute sa saveur à un des rares rêves dont il nous parle. Dans ce dernier, Dieu lui apparaît sous les traits de Rudi, un homme qu’il a connu dans son enfance en lequel il reconnaît un « enfant dans l’esprit ». Il y a deux Rudi dans le rêve, et donc une certaine ambiguïté. Mais le point essentiel est que lui, Grothendieck est alors en train de faire son service militaire. Et Rudi, débonnaire, de lui dire qu’il fait bien ! On peut entendre là que Grothendieck rencontrait son ombre, et que Dieu l’y encourageait…

Après avoir quitté les mathématiques, Grothendieck s’est consacré à l’écriture et à sa recherche spirituelle. Il était un véritable écrivain, et se définissait comme un chercheur, quel que soit l’objet de sa recherche. Il a milité quelques années, mais le militantisme, dont la relation intime avec la chose militaire ne lui a sans doute pas échappé, ne l’a pas intéressé longtemps. Il s’est retiré dans la campagne, vivant seul, ayant coupé toutes relations en disparaissant. Il était connu pour entretenir des relations difficiles avec son entourage, ses collègues et ses anciens étudiants. Il avouait lui-même n’avoir pas grand intérêt en autrui, et être surtout centré sur l’objet dans les relations : si par exemple il était engagé dans une recherche commune, l’autre ne l’intéressait que dans la perspective de cette recherche. On peut regretter qu’il ne soit pas entré en dialogue avec un autre passionné des rêves, et par exemple avec un analyste jungien qui eut pu l’aider à élargir encore le champ de ses découvertes. En le lisant, j’ai souvent pensé à la profondeur des échanges entre Jung et Pauli. On retrouve dans son livre une ampleur de vision comparable à leurs considérations. Mais il fallait sans doute cette solitude dans laquelle il a vécu pour que s’exprime pleinement son génie. Son parcours illustre merveilleusement une affirmation de Jung qui disait :

« L’homme doit être seul pour découvrir ce qui le porte. »

Avec les rêves et dans son dialogue avec le Rêveur, Grothendieck en est venu à l’idée qu’une grande Mutation approche pour l’humanité. Il a commencé à annoncer un Jour de Tempête qui serait suivi d’un Jour de Vérité, préludant à un profond renouvellement spirituel de l’humanité, un saut évolutionnaire. La Mutation allait rendre à l’humanité, en quelques générations, sa liberté créatrice. Il écrit ainsi : « cette impensable Mutation que j’annonce n’est autre, sûrement, que le passage d’une humanité-troupeau formée d’êtres qui ignorent et renient leur nature intime et en ont peur, à une humanité “humaine” - une communauté d’êtres tous de la même essence, prenant chacun conscience qu’il est créateur. » On pourrait semble-t-il mettre en évidence que Grothendieck voyait dans cette Mutation une généralisation de sa propre aventure intérieure, et qu’il y avait là aussi une extension spirituelle des espoirs révolutionnaires de ses parents. Il nous explique ainsi que ce « passage d’un seuil décisif, faisant accéder l’humanité dans son ensemble à un état de créativité effective et non plus seulement potentielle (...) implique de toute nécessité que le “moule social” immémorial, visant au nivelage sans merci de l’être et non seulement à un contrôle plus ou moins astreignant du faire, doit disparaître (…) sous la poussée de Dieu. » Le tournant devait, selon sa compréhension de ses propres rêves, avoir lieu dans un délai de dix à vingt ans – c’est-à-dire avant 2007, de son vivant. Il écrit :

« En somme, sur mes vieux jours et à ma propre surprise, me voici, sur l’initiative de Dieu, promu messager et même “prophète”. Sans que j’y sois vraiment pour rien, Il m’a envoyé tels et tels rêves, et Il m’a soufflé tout bas quel était leur message, qui à tout autre que moi, peut-être, paraîtra interprétation fantaisiste, voire délirante. Et l’idée ne me serait pas venue de récuser la tâche dont me voici chargé : celle d’annoncer. Du même coup et sans hésiter, j’accepte aussi la conséquence : on prend un prophète au sérieux, non sur sa bonne mine, mais quand ses prophéties s’accomplissent. Et ceci d’autant plus, qu’elles sont de conséquence. »  


Alexandre Grothendieck est mort en 2014 à l’hôpital de Saint-Lizier après un isolement quasi-total de 23 ans. Il a laissé derrière lui des dizaines de milliers de pages manuscrites qui attendent d’être déchiffrées, et peut-être publiées, où il expose semble-t-il des réflexions philosophiques sur la vie, la nature du Mal, etc. J’aurais aimé savoir comment il a vécu le fait que, comme la plupart des prophètes qui en ont eu le temps, il a pu constater que ses prophéties ne se sont pas réalisées, d’autant qu’il clamait donc que ces prédictions, en se réalisant, justifieraient ses propos sur le rêve et le Rêveur. Il n’a probablement jamais eu conscience d’être pris ainsi dans un archétype, celui du Prophète, dont c’est bien souvent le destin tragique de n’être pas entendu, et surtout de devoir s’avouer lucidement que ses prophéties tombent à plat. C’est peut-être ce dernier fait qui a entraîné que nous ne disposons pas des cinq derniers chapitres, pourtant annoncés dans la table des matières, de sa Clé des Songes, dont les titres laissent entendre qu’il allait y parler de ces révélations, ainsi que des rêves métaphysiques et prophétiques qui lui sont échus. Il a voulu que ses écrits ne soient pas publiés de son vivant – peut-être a-t-il souhaité que son aventure spirituelle avec les rêves ne soit pas rendue publique, puisque la justification qu’il espérait a fait défaut. Cela aurait été vraiment dommage. De lui, et pour la postérité, nous devrions garder l’équation Grothendieck, qui n’a jamais été formulée aussi clairement, et qui rend véritablement hommage à la nature du Rêve.

jeudi 12 septembre 2024

Le rêve kézako ?


Environ 25 minutes de lecture.

Vous pouvez télécharger une version PDF allégée de la plupart des illustrations ici : le rêve kézako ?

Dans mon article précédent, j’ai présenté la vision de l’inconscient qui sous-tend l’écoute intérieure des rêves, vision qui tend à mettre en évidence que ce sacré inconscient – que l’Orient désigne aussi comme étant la Conscience des profondeurs – recèle une dimension que l’on peut dire transcendante, sacrée. Je vais amener maintenant l’autre volet de cette réflexion en vous proposant une approche de ce phénomène mystérieux qu’est le rêve. Il ne sert à rien en effet de parler de l’inconscient, qui n’est jamais que ce dont nous ne sommes pas conscient, si nous n’envisageons pas comment explorer ce continent inconnu, ou plus précisément comment, avec l’aide du rêve, l’inconscient devient conscient. Il est à noter que ces deux notions – l’inconscient et le rêve – sont précisément les sujets des deux premiers cours introductifs de la formation en écoute intérieure des rêves que ma compagne et moi-même proposons aux amoureux du rêve. Avec les études que j’ai proposées sur l’accompagnement psycho-spirituel, vous avez ainsi la base essentielle du cadre théorique entourant cette approche spécifique du rêve.

Alors, qu’est-ce que le rêve ?

Quand je pose cette question à nos étudiant.e.s, je recueille généralement un ensemble de définitions fort intéressantes qui tournent généralement autour de l’idée que le rêve est un mystère, dont la source est l’inconscient, et qui amène des informations au conscient à condition d’être bien compris. Je m’intéresse tout particulièrement à ces propositions car au fond, la définition que nous donnons du rêve induit la qualité de la relation que nous serons capables d’avoir avec ce phénomène. Par exemple, quand, il n’y a pas si longtemps, des scientifiques prétendaient pouvoir expliquer le rêve par le désordre électrochimique provoqué par les décharges de tension des neurones pendant le sommeil, ils écartaient d’avance toute possibilité que le rêve ait quelque valeur. Quand, à l’inverse, on dit du rêve qu’il est une expression, fut-elle déguisée, de l’inconscient, on propose de lui accorder une attention au moins dans le cadre psychothérapeutique où il s’agit de déceler les sources inconscientes de certains symptômes. Cependant, aucune de ces façons de présenter le rêve ne rend compte de la dimension prémonitoire de certains rêves, ni du fait que plusieurs découvertes scientifiques majeures – comme par exemple la structure moléculaire du benzène et le tableau de classification périodique des éléments – viennent directement de rêves, ainsi que nombre de créations littéraires, musicales, etc. Il nous faut sans doute commencer par admettre que le rêve est un phénomène multidimensionnel, qu’aucune définition ne permet de cerner entièrement. C’est ce qui fait l’intérêt de la multiplicité des approches du rêve, qu’elles soient neurologiques, psychologiques, ou encore, nous le verrons, spirituelles… puisque le rêve est un sujet étudié depuis très longtemps, dont nombre de traditions ont quelque chose à dire.


Avant d’aller plus loin, il peut être intéressant de souligner que des chercheurs ont mis en 1949 en évidence le centre cérébral du rêve et de l’éveil, une formation réticulée activatrice du bulbe rachidien au sommet de la colonne vertébrale. Le centre du rêve paraît être un point de son renflement d’une curieuse couleur bleu azur, que l’on avait nommé le Locus coeruleus (un « endroit bleu ») alors qu’on connaissait pas la fonction. ll a beaucoup de relations avec l'amygdale mais aussi avec le noyau sensitif du nerf trijumeau et les noyaux limbiques. C’est lui qui envoie le neurotransmetteur associé à l’éveil, la noradrénaline. Cependant, dès le début du rêve, une substance paralysante se répand dans tout le corps, qui inhibe tout mouvement sauf ceux des yeux (à moins que l’on ne soit somnambule). Dans les années 1950, d’autres chercheurs ont mis en évidence les cinq stades du sommeil, repérables par des tracés caractéristiques de l’électroencéphalogramme. La plupart des rêves se produisent dans le cinquième et dernier stade, dit du sommeil paradoxal car le cerveau est alors dans un état d’excitation comparable à l’état de veille. On sait désormais qu’au cours d’une nuit de huit heures de sommeil, nous rêvons quatre à cinq fois, pour un total d’une heure environ de vie onirique. Les rêves surviennent semble-t-il à la fin d’un cycle de sommeil d’environ 90 minutes. On a pu prouver que les rêves sont indispensables à la vie, autant pour les humains que pour les animaux, qui sont souvent de grands rêveurs. Le rêve participe à l’évidence de la construction psychique des jeunes enfants, qui ont besoin de beaucoup rêver, tandis que la durée du temps de rêve semble décroître progressivement avec l’âge. Il y a désormais de nombreux laboratoires du sommeil qui explorent différents d’aspects du rêve sans parvenir à expliquer entièrement le phénomène. Un consensus se dégage cependant pour dire que le rêve est une fonction corporelle essentielle comme la vision ou l’audition.

Je ne m’étendrai pas ici outre mesure sur la façon dont Freud et Jung voyaient le rêve. Il y a quantité d’ouvrages sur la question et je ne crois pas utile de jouer les perroquets répétant les paroles du maître, comme nombre de "jungiens" se complaisent à le faire, alors que la pensée de Jung, s’il avait vécu jusqu’aujourd’hui, aurait certainement évolué depuis longtemps vers de nouveaux horizons. De ces deux pionniers, nous pouvons certainement retenir que le rêve est une expression de l’inconscient, ce à quoi Jung ajoute que le rêve est nature, expression de la nature en nous, et qu’il ne ment pas, ne déguise pas, mais dit au mieux ce qu’il a à dire – c’est sur ce dernier point qu’il se différencie fondamentalement de Freud. De Jung, je ne retiendrai donc ici que deux citations que j’aime particulièrement :

« En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu’il nous voit bien différent de ce que nous croyons être. Donc, quand nous nous trouvons dans une situation difficile et insoluble, cet autre, étranger, peut parfois nous éclairer d’une lumière plus propre que tout autre à modifier l’attitude qui nous a mis dans la situation difficile. »

Et :

« Le rêve est une porte étroite, dissimulée dans ce que l’âme a de plus obscur et de plus intime; elle ouvre sur cette nuit originelle cosmique qui préformait l’âme bien avant l’existence de la conscience du moi. »

Dores et déjà, ces deux citations nous amènent des indications importantes. Il est question d’un autre être, inconnu – dont nous ne sommes pas conscients – en nous et avec qui nous pouvons entrer en relation au travers du rêve. Et Jung nous propose d’envisager le rêve comme une porte dissimulée dans  l’intimité de l’âme – je n’élaborerai pas pour l’instant sur ce terme « âme » cependant essentiel quand on parle du rêve – porte qui débouche donc sur une dimension cosmique, antérieure à la conscience relative du moi. Nous avons là une évocation de l’Inconscient dans toute son ampleur universelle, d’où a émergé la conscience, à mille lieux de l’inconscient vu comme une poubelle du conscient, où se retrouverait seulement des contenus refoulés. Ainsi, voilà donc le rêve posé comme un fait d’âme avec une dimension cosmique, et ouvrant cependant une voie à la connaissance de soi, c’est-à-dire non seulement à la connaissance de "moi", de qui je suis, mais aussi à celle de cet Autre en moi, qui m’est étranger et me parle, me renvoie un miroir. Jung nous disait encore que le rêve était l’expression de la psyché objective, dans laquelle nous pouvions nous rencontrer. Il expliquait aussi que « la fonction générale des rêves est d'essayer de rétablir notre équilibre psychologique à l'aide d'un matériel onirique qui, d'une façon subtile, reconstitue l'équilibre total de notre psychisme tout entier. »

Si vous voulez plus d’informations sur les fonctions du rêve, je vous invite à lire cet article : pourquoi travailler ses rêves ?


Comme je le disais plus haut, nous ne pouvons pas en rester simplement à ce qu’a dit Jung ou qui que ce soit d’ailleurs sur les rêves. A tout le moins, il nous faut tenter de le reformuler pour ouvrir de nouvelles perspectives. Pour ma part, je m’intéresse tout particulièrement au processus créatif et c’est ce qui m’a amené à proposer une approche du rêve qui est essentiellement centrée sur la dimension créative de l’activité onirique. Il y a un quasi-consensus encore sur ce point, tel que le formule par exemple Alain Deschamps, ancien président de l’association française du Transpersonnel : 

« Le plus grand mérite du rêve est qu’il est créatif. Les techniques modernes des groupes de créativité montrent que la plus grande source de créativité, individuelle ou collective, se trouve dans le rêve ».

Il y a là une idée clé pour tous ceux qui s’intéressent au domaine du rêve. Cependant, comme je le disais au début de mon article sur l’inconscient, nous allons rarement au bout des implications d’une telle affirmation, pas plus que nous ne tirons les conclusions qui s’imposent de celle qui veut que le rêve vient de l’inconscient, ou encore de ce lieu commun qui dit que tous les éléments du rêve font partie de nous. Si l’on assemble ces trois idées, on obtient un mélange (d)étonnant qui tient de la matière fissile. Mais à l’inverse du plutonium, celle-ci n’est pas destructrice et ne sert pas à fabriquer des bombes; au contraire, elle est intensément créative et permet de proposer une approche pragmatique du rêve qui, sans être entièrement nouvelle, est profondément renouvelée. Pour cela, il nous faut cependant sortir d’une vision objectalisée de l’inconscient pour envisager celui-ci comme une phase, ou un moment, dans un processus dont le rêve est partie prenante. Quand l’inconscient est conçu, comme souvent, comme un objet, il est vu comme quelque chose de statique avec des frontières bien définies qui le différencie du conscient. Sur ces frontières, il y a des gardiens comme le préconscient soumis à la censure du Surmoi, qui veillent à ce que la conscience ne soit pas envahie par des éléments indésirables venant de l’inconscient. On est là devant une vision essentiellement conflictuelle des rapports entre inconscient et conscient, qui confère une sorte de solidité objectale à ces derniers – mais rien de tout cela n’existe vraiment. Ce ne sont que des représentations de la psyché dans différents états. Et si l’on reprend la perspective de Jung, on peut poser que le conscient émerge en permanence de l’inconscient, qui en est la source et la racine, au travers d’un processus de création de conscience qui est la nature même de la psyché. En d’autres termes, notre conscience est sans arrêt alimentée, nourrie au sens propre, par l’inconscient qui lui amène de nouveaux éléments.

Nous avons donc une relation dynamique : inconscient => conscient

Il est à noter que cette relation est réciproque : ce que vit le conscient est ramené en retour à l’inconscient, et vient, pourrait-on dire, l’ensemencer. Ainsi, les événements de notre vie sèment-ils, dans la façon dont ils sont perçus, des graines dans le terreau de notre inconscient, graines qui pourraient bien germer et fleurir un autre jour. Ou une autre nuit. Mais alors, qu’en est-il du rêve dans tout cela ?


On peut traduire la phrase sibylline qui veut que « le rêve vient de l’inconscient » comme indiquant que le rêve fait partie, au moins dans certains cas, du processus de création de conscience. En d’autres termes, quand quelque chose veut devenir conscient dans notre psyché, il n’est pas rare qu’il prenne forme du rêve avant d’apparaître dans le champ de notre conscience. On pourrait élargir ce que je dis là à différentes manifestations non rationnelles de la psyché : ce qui veut devenir conscient peut aussi prendre forme d’une intuition, d’un ressenti profond, d’une image intérieure, d’une imagination… mais dans le cas qui nous intéresse, je restreindrai la discussion au rêve pour poser la relation :

Inconscient => rêve => Conscient

Cela vaut la peine de mentionner ici que dans la relation réciproque qui va du conscient à l’inconscient, que j’évoquais plus haut, ce sont des images intérieures et des émotions qui impressionnent l’inconscient, non des pensées ou des raisonnements intellectuels – ce que savent toutes les personnes qui se sont intéressées aux ressorts de la suggestion et par exemple de l’hypnose. Ce sont les images, associées à un ressenti émotionnel, qui servent de véhicules à la communication entre l’inconscient et le conscient.

Je soulignerai aussi tout de suite, pour en tirer des conséquences en conclusion de l’article, une idée importante que toute personne qui travaille avec les rêves peut valider : certains éléments de la psyché, qui sont encore inconscients au moment du rêve, veulent devenir conscients. Je veux souligner qu’il y a là une dynamique que l’on peut qualifier de « volontaire », à savoir que c’est vivant et que cela poursuit un but. Si le rêve n’est pas compris, cela reviendra, éventuellement dans un rêve récurrent ou sous une autre forme. Il y a là quelque chose qui cherche à devenir conscient malgré les résistances que nous lui opposons éventuellement, ou malgré le fait que nous regardons ailleurs. Cela participe d’un processus de croissance naturelle de notre conscience qui élargit son champ de perception et de compréhension. Cette affirmation a d’importantes conséquences méthodologiques dans le travail avec le rêve car au lieu de le torturer avec une méthode ou une autre, qui s’apparente parfois à un forceps, pour en extraire le sens à toute force, nous pouvons compter sur sa coopération, c’est-à-dire la coopération de l’inconscient – de la nature – pour que le sens du rêve vienne au monde. Dès lors, le cadre implicite de notre travail est moins celui de l’extractivisme minier ou de l’enquêteur qui fera avouer au suspect ce qu’il veut dissimuler que celui de la sage-femme (ou de l’obstétricien) qui aide un bébé à naître avec la coopération de l’organisme naturel de la mère. 

Je vous prie de noter que je ne prétends pas ici inventer l’eau chaude. Je ne fais que reformuler dans une approche dynamique de la création de conscience ce qui a, depuis longtemps, été formulé par d’autres et avéré par de nombreuses expériences. D’ailleurs, c’est la lecture et l’étude d’un texte millénaire de l’Inde qui m’a amené la perspective la plus signifiante selon moi sur la place du rêve dans le processus de création de conscience. J’ai déjà parlé de cette découverte dans mon article OM sweet home où je détaillais la signification de l’Omkar, c’est-à-dire de la représentation de la syllabe OM (ou AUM), selon la Mandukya Upanishad.

Il s’avère que les anciens rishi – voyants hindous à l’origine des Véda et des Upanishads -  ont encapsulé dans ce symbole bien connu, et souvent associé au yoga et au tantra, une carte de la conscience décrite en 4 états. Dans la vision hindouiste, le OM représente Brahman, l’Absolu impersonnel, la source de toute existence, qui est par nature incompréhensible, indescriptible sinon de façon symbolique. Cette syllabe est aussi selon eux le son primordial qui a créé la réalité matérielle. Nous pouvons interpréter ces affirmations métaphysiques de façon psychologique en y voyant une affirmation de la précédence de la conscience sur tout autre ordre de réalité. Il n’est pas besoin de s’enferrer dans une philosophie idéaliste pour admettre la portée d’une telle affirmation : hors de la conscience, il n’est rien pour poser l’existence d’une réalité et la question de son existence ou de son inexistence ne se pose même pas. La première réalité constatable est donc celle de la conscience, et la Mandukya Upanishad décrit celle-ci comme se déployant en quatre états, ou pourrait-on dire plus précisément, en 3+1 états.

En effet, du point de vue du Vedanta, la conscience et la réalité sont par nature Une, et une « Une sans second » – c’est-à-dire qu’il n’est en essence qu’une Unité sans aucune séparation ou distinction interne. Il est à noter que les explorateurs de la conscience que sont les grands mystiques comme Shankara, Maître Eckhart, Ibn Arabi – pour ne citer que ceux-ci en insistant cependant sur leur unanimité malgré la diversité des sources – disent exactement la même chose sur ce point qui nous renvoie à la discussion de la nature de l’Inconscient (wu-nien) à la fin de mon article sur ce sujet. Mais donc, selon la tradition hindouiste, cette Unité fondamentale – dont le symbole est un soleil uni à une lune, image même de la non-dualité – s’est, dans le champ de la conscience relative qui est la nôtre, divisée et déployée en trois états que nous connaissons bien puisqu’il s’agit de l’état de veille, du rêve et du sommeil profond. En fait, pour la plupart d’entre nous, nous ne connaissons que ces trois états et il est insoupçonnable qu’en arrière-plan de ceux-ci, il y ait un fonds commun qui est ce que l’Orient appelle « le quatrième » (turya), et que Jung aurait sans doute désigné comme étant le Soi.

Voici donc comment le Omkar présente cette carte de la conscience :


où :

Dans cette représentation symbolique, on pourrait dire que le Soi (
turya) est l’équivalent d’un soleil de Conscience totale dont la conscience relative du moi a besoin d’être protégé par le voile du sommeil profond, c’est-à-dire de l’inconscience. En effet, la conscience relative est, en regard de ce soleil de Conscience – dont la Bhagavad Gita nous dit par ailleurs qu’il est brillant comme mille soleils – comme la flamme d’une bougie. S’il n’y avait pas l’obscurité du voile de l’Inconscient, la lumière de la conscience relative n’aurait rien à éclairer. Cependant, les commentateurs de l’Upanishad ajoutent que le voile du sommeil profond est souvent transpercé par la Lumière du Soi qui parvient alors à la conscience ordinaire sous la forme d’images généralement incompréhensibles, c’est-à-dire de rêves. Ceux-ci réclament cependant d’être assimilés, compris et intégrés, car c’est ainsi, par ces images messagères, que la Conscience Une nourrit la petite conscience.

Le rêve s’avère aussi être un des moyens par lesquels la conscience peut retourner au Soi : il y a un yoga du rêve – en particulier le nidra yoga en Inde, et ses variantes tibétaines – qui s’intéresse moins au contenu du rêve qu’aux états de conscience dans lesquels le rêveur peut entrer en maintenant sa conscience en éveil dans les espaces du rêve. Il ne faut pas confondre cette forme de méditation avec ce que nous appelons en Occident le rêve lucide, même si elle en est très proche : dans les deux cas, le rêveur est conscient de rêver pendant le rêve. Il maintient une présence active dans ce dernier. Cependant, dans la perspective du yoga du rêve, il ne s’agit pas de diriger le rêve mais de revenir par là, en méditant dans le rêve, à la source de la conscience. Selon les enseignements traditionnels, il y a là une façon de se préparer à ce que nous traverserons après la mort du corps physique : « examinez votre manière de rêver, vous saurez ce qu’il adviendra de vous à la mort » nous dit ainsi Tenzin Wangyal Rinpoché.

Je n’entrerai pas ici dans la discussion métaphysique de ces idées, qui relèvent moins dans l’esprit des Upanishads de concepts philosophiques que de réalités expérientielles que peuvent vérifier celles et ceux qui suivront scrupuleusement les instructions dont il est question dans ces textes. Je suis plus intéressé ici par leur traduction psychologique dans des termes qui permettent de les réintégrer dans le modèle du processus de création de conscience. Ainsi peut-on reformuler la carte présentée par le Omkar ainsi :


Pour être complet, ce schéma devrait être circulaire (excusez mes faibles capacités graphiques). Il met cependant en évidence, dans les deux sens, le processus dont je parlais plus haut. Ainsi y-a-t-il un flux qui va du Soi, la Conscience des profondeurs, et qui traversant le voile du sommeil profond, de l’Inconscient, parvient à la conscience ordinaire sous forme de rêve, d’images intérieures auxquelles – il faut le préciser encore, et insister sur ce point – sont associés des ressentis émotionnels et corporels. Et puis il y a en retour un autre flux, qui va de la conscience ordinaire qui est impressionnée par ses expériences diurnes, et qui transmet ses impressions, sous forme d’images intérieures, à nouveau associées à des ressentis émotionnels et corporels, au Soi au travers du voile de l’inconscience. Nous avons là une figuration dynamique du processus de création de conscience qui est compatible avec les données de la psychologie transpersonnelle ainsi que celle de Jung, tout en explicitant le modèle au cœur de la spiritualité orientale.

C’est cependant en m’intéressant à un autre angle d’approche des rêves que j’ai pu enfin tirer des conséquences pratiques de ce modèle. J’ai déjà mentionné dans mon article sur les Loges de rêves l’importance qu’a eu dans ma recherche la rencontre de Connie Cockrell-Kaplan, l’auteure du livre Les femmes et la pratique spirituelle du rêve

Je m’intéressais déjà, bien avant de la rencontrer, aux approches dites chamaniques des rêves et en particulier, vivant au Québec, à ce que les autochtones amérindiens pouvaient nous enseigner à ce sujet. Malheureusement, les témoignages directs sont rares même si les peuples du Québec étaient justement des peuples du rêve, au point que les Jésuites colonisateurs avouaient à leur hiérarchie leur impuissance à convertir ces « sauvages », car ils ne parvenaient pas à faire parler Jésus-Christ comme leur parlaient les rêves. J’avais cependant retenu de mes échanges avec plusieurs chamans sud-américains qu’ils considéraient la conscience un peu comme un oignon dont la surface serait notre conscience ordinaire tandis qu’au centre de l’oignon, il y aurait un noyau de conscience pure, l’équivalent – m’a dit un jour un chaman équatorien – d’un diamant de conscience. Mais le point important était que pour eux, toutes les couches intermédiaires de l’oignon étaient faites de rêve plus ou moins conscients selon qu’ils étaient proches du noyau. Cette image, mis à part qu’il n’était pas question dans leur description d’une gangue d’inconscience totale entourant le diamant de conscience, correspondait fort bien avec le modèle du yoga décrit par le Omkar. 

Mais les chamans ajoutaient deux points importants : le premier, c’est que rien ne devient réel sans que l’intention initiale soit émise par le noyau de conscience, et que cela traverse toutes les couches de rêve pour parvenir à la conscience ordinaire. En bref, rien ne devient réel sans avoir été rêvé. Ce n’est que bien plus tard que j’ai réalisé que si l’on équivaut réalité et conscience, comme nous l’avons déjà fait à propos du OM, cette affirmation se traduit comme « rien ne devient conscient sans avoir été rêvé » – ce qui serait une formulation assez radicale du processus de création de conscience impliquant le rêve. Le second point, c’est que pour les chamans, ce que nous appelons « conscience ordinaire » n’est qu’un rêve partagé entre tous les humains, un rêve solidifié par un consensus – le « point d’assemblage » évoqué par Carlos Castaneda. Outre que cela implique de pouvoir visiter d’autres dimensions de la conscience / réalité au moyen du rêve, l’analogie avec une des affirmations centrales du yoga du rêve s’avérait frappante. En effet, pour ce dernier, du point de vue du Soi, la conscience ordinaire n’est rien d’autre qu’un rêve fugitif. Ce que l’Orient appelle l’Éveil, c’est précisément la sortie de l’illusion qui voudrait que ce rêve soit la réalité alors qu’il n’est qu’une construction mentale…

Je ne développerai pas plus ces idées ici, dont les chercheurs spirituels intéressés à la nature du rêve pourront tirer des conséquences pratiques. Il suffira de dire que dans l’esprit de la voie du rêve qui parcoure ce blogue, il s’agit moins de tirer de ce dernier des informations au profit du conscient que de parcourir cette voie pour « traverser le rêve » et accéder par là à la Réalité nue. Je vous invite à lire sur ce thème mon article sur l’onirosophie ainsi que la présentation de la voie du rêve que j’ai écrite à l’occasion de la publication du 100ème article de ce blogue. Et j’ajouterai simplement à l’usage de mes ami.e.s jungien.ne.s qui réduisent la psychologie de Jung à une psychanalyse utilitaire qu’il y a bien des éléments montrant que Jung ne cherchait pas autre chose qu’un accès à la transcendance du Soi.


Connie Cockrell-Kaplan m’a donc fourni la dernière pièce du puzzle amenant à l’Écoute Intérieure des Rêves en m’expliquant la façon dont elle, dans la suite de la tradition des peuples autochtones du Sud-Ouest des États-Unis, voyait le rêve. Elle rejoignait curieusement le point de vue d’un chaman pygmée que m’avait partagé peu auparavant une amie interprète de rêve. Pour ce dernier, notre façon psychologique d’approcher le rêve mutile celui-ci en le faisant entrer dans un carcan conceptuel, alors qu’il s’agit d’une réalité sensible. Connie ne disait pas autre chose dans les échanges que nous avons eu. Elle riait en disant que nous réduisions le rêve à un discours dont nous pouvions parler sans fin alors qu’il s’agissait d’une énergie vivante, qui cherchait à participer à la vie, à notre existence. Pour les amérindiens, comme pour nombre de peuples racines, notre âme retourne à la Source quand nous dormons. Elle y ramène nos impressions du jour, ainsi que les questions qui nous préoccupent. Et quand la Source renvoie l’âme dans le monde, c’est avec une nouvelle énergie, une nouvelle impulsion de vie. C’est cette énergie qui, lorsqu’elle traverse les plans émotionnel et mental de notre existence, qui suscite des images, une histoire, bref ce que nous appelons un rêve. Dès lors, me disait Connie, c’est en fait l’intégration de cette énergie que véhicule le rêve qui importe, et non la discussion des symboles qui en constitue l’emballage. Elle riait encore en disant : votre façon d’appréhender le rêve est un peu comme si vous receviez une lettre, et que vous passiez votre temps à discuter de ce qu’il y d’écrit et de dessiné sur l’enveloppe. Mais pour lire la lettre, recevoir le message, il va falloir ouvrir l’enveloppe !

Le parallèle avec le modèle de la création de conscience qui ressort de l’étude du Omkar, et plus largement de la psychologie transpersonnelle, m’a bien sûr frappé. Dans la vision des peuples premiers, il s’agit au fond d’une respiration de l’âme (étymologiquement : ce qui nous anime) qui va se régénérer à la Source et revient au réveil avec une nouvelle énergie de vie. Cette perspective permet de comprendre pourquoi les animaux rêvent comme nous, et quels bénéfices ils tirent de leurs rêves sans consulter d’interprètes. Tout comme les humains qui sont restés proche de la nature – j’aime rappeler que nos ancêtres n’avaient pas besoin de psychologues pour comprendre leurs rêves –, les animaux intègrent directement cette nouvelle énergie de vie que leur apporte le rêve. Dès lors ressort aussi la dimension infiniment créatrice du rêve, capable par exemple de résoudre des équations complexes ou de composer un poème. En effet, le rêve met en forme une impulsion créatrice provenant directement de la Source de la conscience. On peut comprendre par là aussi que le rêve ait parfois été l’occasion de révélations ou d’illuminations transcendantes – les prophètes de l’Ancien Testament par exemple ont reçu nombre de leurs visions en rêve, et le Coran atteste que le voyage du Prophète à Jérusalem s’est déroulé en rêve – et qu’il puisse être le théâtre de guérisons dites miraculeuses, ou encore d’un éveil radical de conscience. Enfin, on peut comprendre la difficulté à interpréter les rêves, en particulier dans la mesure où ils comprennent des éléments de futur – ce qui a été mis en évidence par différentes études. Le rêve est en lien direct avec une source créatrice en nous qui amène toujours du nouveau, et utilise justement le rêve pour créer le futur...

Nous voici donc ramenés devant la dimension infiniment mystérieuse et sacrée (« ça crée ! ») du rêve, où nos ancêtres voyaient un moyen de communication avec les dieux. « Somnia a deo missa », disaient les anciens, c’est-à-dire : les rêves sont envoyés par Dieu. On retrouve des traces de cette façon d’appréhender le rêve dans de nombreux textes dits sacrés, et dans toutes les traditions spirituelles. Celle-ci, quand elle est bien comprise, nous dicte une attitude fondamentale devant le rêve, qui tient dans la révérence devant le mystère sacré auquel il nous introduit : le rêve nous met en contact avec quelque chose de plus grand que nous (que "moi") qui donne un sens, une direction, à nos existences. Dès lors, nous devons abandonner toute volonté de puissance devant le rêve, qu’il s’agisse de l’ambition de l’expliquer ou de le mettre au service des objectifs du conscient. La position juste est précisément inverse : c’est le conscient qui doit se mettre au service du rêve, ou plus précisément de la Source créatrice qui s’exprime au travers du rêve, de l’âme qui s’y déploie, car c’est une façon de se mettre au service de la Vie en nous. Et finalement, le point crucial est que nous pouvons faire confiance au rêve, c’est-à-dire au processus de création de conscience, pour amener à cette dernière ce dont elle a besoin, en autant que nous lui accordons notre attention dans une ouverture au nouveau, à ce qui était inconscient jusque-là. Comme le suggérait une de mes amies interprète de rêves, l’attitude requise est celle du jardinier de l’âme, qui prend soin des fleurs de conscience en gardant à l’esprit que les fleurs poussent d’elles-mêmes, avec l’aide du jardinier mais surtout de la nature dans laquelle elles sont enracinées.


L’apport déterminant de Connie Cokrell-Kaplan à ce modèle de la création de conscience par le rêve a été de souligner que ce dernier amène une énergie qui veut participer à notre existence. Le terme « énergie » est souvent galvaudé par des gens qui n’ont que de faibles notions de physique et croient avoir tout dit quand ils ont prononcé ce mot magique, mais il a des implications précises. « Énergie » signifie « potentiel d’un travail », ou encore d’un mouvement : quand une énergie est appliquée à un matériau, celui-ci va soit entrer en mouvement s’il s’agit d’une énergie cinétique, soit se réchauffer – c’est-à-dire que les molécules qui le composent vont entrer en mouvement. Dans le cas du rêve, cette idée nous amène à une idée très simple et efficace : le but du rêve est de provoquer un mouvement intérieur. On le constate fort bien quand on interprète un rêve : ce qui fait qu’une interprétation est valable, ce n’est pas sa conformité avec le système explicatif ou la méthode qu’on applique, fussent-ils ceux de Jung ou de Freud. C’est le mouvement intérieur qui est suscité par l’interprétation, le déclic en forme de « haha ! », qui fait que le message existentiel du rêve apparaît soudainement comme une évidence. Ce dernier est quelque chose que l’on ne savait pas (qui était inconscient) que l’on savait, et que maintenant, grâce à l’écoute du rêve, on sait qu’on le sait. Mais dès lors, c’est moins l’interprétation et les méthodes pour parvenir à celles-ci qui importent que ce mouvement intérieur, où se manifeste la dynamique du rêve qui veut amener quelque chose à la conscience. Encore une fois, nous avons essentiellement à coopérer avec le rêve, comme la sage-femme avec la nature, pour aider le bébé de conscience à venir au monde. 

C’est ce constat qui me permet d’avoir le front de dire que toutes les méthodes de travail avec les rêves sont valables, à conditions qu’elles n’enferment pas le rêve dans un système clos : de même que le bébé se débrouillera pour naître, le sens du rêve trouvera le moyen de parvenir à la conscience si celle-ci est accueillante, c’est-à-dire ouverte et attentive. Cependant, nous pouvons faciliter ce mouvement intérieur en allant à la rencontre de celui-ci dans le rêve lui-même. Pour cela, il s’agit moins d’interroger le rêve pour essayer d’y reconnaître l’ombre, l’anima ou l’animus, et les autres objets que nous supposons peupler notre inconscient... que d’aller toucher, et nous faire toucher par, les ressentis suscités par le rêve. En effet, l’énergie apparaît dans la psyché sous forme d’émotions et de sensations corporelles. Bien sûr, il est souvent difficile de retrouver les émotions et ressentis précis du moment du rêve, qui sont souvent encore plus fugaces que les images elles-mêmes. Mais il s’avère que ces images ont la capacité de susciter des ressentis quand on les revisite en imagination avec un certain degré de présence à ce qu’elles nous donnent à vivre. Ces ressentis ne sont peut-être pas ceux éprouvés dans le rêve lui-même mais nous avons alors là une information sur la façon dont les images touchent la psyché dans l’instant présent – cela peut avoir évolué depuis le moment du rêve, mais l’image reste active dans la mesure où elle suscite ce ressenti. Mieux encore, nous pouvons dès lors aller ressentir ce que c’est d’être, de l’intérieur, les différents éléments du rêve, que ce soient des personnages ou même des éléments inanimés – nous tirons alors partie de ce lieu commun qui veut que tout ce qui est dans le rêve fait parti de nous, c’est-à-dire est une subjectivité qui a quelque chose à dire. Et dès lors, en écoutant les images dans leurs résonances émotionnelles et corporelles et en explorant toutes les facettes du rêve par l’imagination, nous vivons un voyage dans le rêve qui débouche la plupart du temps, sinon toujours, sur un mouvement intérieur transformant.

C’est cette approche à la fois douce et sensible, attentive à ce qui cherche à prendre voix dans le rêve, que j’appelle l’écoute intérieure du rêve. Elle rejoint par bien des aspects différentes démarches comme celles de la gestalt ou du focusing qui s’intéressent moins à l’interprétation du rêve qu’à sa mise en mouvement interne. Cependant, l’expérience montre qu’elle n’est en rien contradictoire avec l’interprétation, en autant que celle-ci ne soit pas un discours sur le rêve, mais plutôt la complète. Il en ressort aussi que le rêve n’est pas simplement quelque chose à comprendre avec notre tête, mais qu’il nous met en jeu dans tout notre être, incluant notre corps et nos émotions, et jusque dans notre créativité ainsi que dans ce que nous avons de plus intime...

Encore une fois, je ne prétends pas avoir inventé quoi que ce soit en formalisant cette approche du travail avec les rêves. Elle découle directement de l’application de l’imagination active telle que l’a redécouverte Carl Jung, des travaux de nombreux analystes jungiens ainsi que des pionniers d’autres écoles comme Fritz Perl et Eugène Gendlin. Mais surtout, elle s’inscrit dans la continuité de la sagesse des peuples racines qui, encore une fois, n’avaient pas besoin d’université pour entendre leurs rêves. Je n’ai pas la prétention non plus d’affirmer que ce modèle de la création de conscience par le rêve soit l’explication définitive de la nature de ce dernier. J’insiste sur le fait, avéré pour n’importe quel esprit scientifique, qu’un modèle n’est jamais qu’une façon provisoire et limitée d’aborder la réalité vivante, qui le dépasse infiniment. Nous pouvons compter sur le rêve, et sur le processus de création de conscience, pour nous emmener toujours plus loin !

Je tiens seulement à souligner en conclusion que ce que nous pensons du rêve, la façon dont nous le définissons, conditionnera fondamentalement la relation que nous pouvons avoir avec ce mystère. Ainsi, je ne puis que m’insurger quand je lis sous la plume d’un éminent psychologue qu’il « existe trois catégories de rêves : les mauvais, les nuls et les bons » – où les mauvais sont les cauchemars tandis que les nuls sont les rêves « ordinaires » tandis que seuls les bons seraient dignes de notre attention. Passons sur les cauchemars, qui sont en fait de précieux cadeaux (vous pouvez me lire là-dessus si cela vous intéresse : précieux cauchemar  ) qu’il faut apprendre à déballer, mais je dois dire que je n’ai jamais rencontré de rêve qui n’ait rien à dire, à amener de nouveau à la conscience. Il n’y a pas de rêve nul ! Jung nous le disait bien : 

« Il faut aimer le rêve ! Il n’y a pas de rêves stupides, il n’y a que des gens insensés qui ne comprennent pas leurs rêves. » 

Voilà sans doute le point clé, le plus important : il faut aimer le rêve, et il nous le rendra bien. Et il faut donc se garder de projeter notre propre nullité sur le rêve, qui pourrait bien se moquer de nous en retour...