lundi 10 mars 2014

Hommage à Jung


Après deux jours d'atelier où j'ai beaucoup parlé, je me tiens dans le silence et je m'efface devant le maître. Je vous offre donc un florilège de citations de Carl Jung que j'avais collectées pour lui rendre hommage à l'occasion du cinquantième anniversaire de son décès en juin 2011. Son esprit continue à souffler et n'a pas fini d'attiser les braises...


Sur tout ce qui est vraiment vivant plane le souffle de l’Éternité.

De folles discussions nous font voir ce qu’il adviendra de moi lorsque je serai devenu posthume. Tout ce qui aura été feu et vent dans ma vie sera mis dans l’alcool et changé en préparation morte. Ainsi les dieux sont-ils enterrés dans l’or et le marbre, et les simples mortels comme moi, dans le papier.

Je ne souhaite pas que les gens soient jungiens, je veux par-dessus tout que les gens soient eux-mêmes. Devrait-on découvrir que j’aurais seulement créé un nouvel « isme », j’aurais alors échoué à tout ce que je me suis efforcé de faire.

Je ne puis qu’espérer et souhaiter que personne ne sera « jungien ». Je ne défends pas de doctrine, mais je décris des faits et propose certaines affirmations que je tiens pour susceptibles d’être discutées. Je n’annonce pas d’enseignement tout prêt et systématique, et j’ai horreur des « suiveurs aveugles ». Je laisse à chacun la liberté de venir à bout des faits à sa manière, car je revendique pour moi-même cette liberté.

Ce que l’on appelle exploration de l’inconscient dévoile en fait et en vérité l’antique et intemporelle voie initiatique. La doctrine de Freud est une tentative d’ensevelissement pour se protéger des dangers de la « longue route », seul un chevalier risquera la « queste et l’aventure ».

Sous le seuil de la conscience, tout est vivant.

Rêve d’une patiente, que Jung racontait souvent à ses étudiants : elle reçoit l’ordre de descendre dans une fosse remplie d’une masse ardente; elle obéit en laissant une épaule émerger encore de la fosse. Jung surgit et la plonge entièrement dans le liquide brûlant en criant : « Non pas sortir mais passer au travers ».

Le voyage du pays des nuages à la réalité a duré longtemps. Dans mon cas, le cheminement du pèlerin a consisté en l’obligation de descendre un millier d’échelles avant que je puisse toucher à la petite motte de terre que je suis.

Dans la mesure où je parvenais à traduire les émotions qui m’agitaient, c’est-à-dire à trouver les images qui se cachaient dans les émotions, la paix intérieure s’installait.

J’ai une vieille âme. À quinze ans, mes camarades m’appelaient le patriarche Abraham. C’est très important, une vieille âme. Nous gardons toujours les traces d’une existence non terrestre, un état de plénitude dans lequel nous avons connaissance de tout.

Ma vie est l’histoire d’un inconscient qui a accompli sa réalisation.

En supportant en nous les opposés, nous pouvons nous exposer à vivre notre humanité… Nous devons comprendre que le mal est en nous; nous devons risquer notre vie pour avoir la vie, alors elle se colore, autrement on pourrait aussi bien lire un livre…

L’un des aspects de l’opus est de discerner, l’autre de supporter et le troisième d’agir… Ce sont les collisions entre les devoirs qui rendent si difficiles la nécessité de supporter et de d’agir…L’un et l’autre doivent être. Il n’y a pas à trancher mais simplement à supporter patiemment les contraires, qui sont en fait caractéristiques de notre nature. Vous êtes vous-même un contraire, furieux en lui-même et contre lui-même, qui finit par fondre ses substances incompatibles, la féminine et la masculine, dans le feu de la souffrance pour construire quelque chose de solide et d’immuable – ce qui est le but de la vie. On est crucifié entre les contraires et on subit un supplice jusqu’à ce que la troisième figure l’emporte…

Si l’on peut rester au milieu, reconnaître que l’on est humain, communiquer aussi bien avec dieu et l’animal de dieu, alors on ira bien. On doit se souvenir qu’au-dessus de l’animal est dieu, et qu’avec dieu, il y a l’animal de dieu.

Finalement, seul le médecin blessé peut guérir, et même lui, en dernière analyse, ne peut guérir au-delà de ce qu’il a guéri en lui-même.

Rien de pire ne pourrait arriver que d’être totalement compris. (…) Le noyau de l’individu est un mystère qui s’évapore dès qu’il est "compris".

Si vous voulez suivre la voie individuelle, alors c’est la voie que vous tracerez vous-même, qui n’est prescrite nulle part, que l’on ne connait pas d’avance et qui se fait d’elle-même, au fur et à mesure qu’on met un pied devant l’autre. Faire la première chose qui se présente à vous, c’est la façon la plus sûre et la plus certaine de suivre les lignes prescrites par votre inconscient.

Ce qui m’intéresse avant tout dans mon travail n’est pas de traiter les névroses mais de me rapprocher du numineux. Il n’en est pas moins vrai que l’accès au numineux est la seule véritable thérapie et que, pour autant qu’on atteigne les expériences numineuses, on est délivré de la malédiction que représente la maladie. La maladie elle-même revêt un caractère numineux...

De tous les patients ayant atteint la maturité, c’est-à-dire âgés de plus de trente-cinq ans, il n’en est aucun pour qui le problème ultime ne soit pas celui de l’attitude religieuse. En fait, chacun souffre d’avoir perdu ce que les religions vivantes ont apporté de tous temps à leurs adeptes, et aucun n’est vraiment guéri qui n’a retrouvé sa conception religieuse, sans aucun lien bien sûr avec une confession ou une appartenance à une Église…


 Dieu ? Je ne crois pas, je sais.

Je ne crois pas que le christianisme soit la seule et la plus haute manifestation de la vérité. Le bouddhisme renferme au moins autant de vérité et les autres religions aussi.

Jésus, Manès, Bouddha, Lao-Tseu sont pour moi les quatre piliers du temple spirituel. Je ne pourrai donner la préférence à aucun d’eux.

Dans la quête de la vérité, il n’y a nulle part de certitude absolue. Le doute et l’incertitude sont les inévitables composantes d’une vie complète. Celui-là seul qui est capable de perdre réellement sa vie la gagnera. Une vie « complète » n’est pas faite d’une complétude théorique, mais de ce que l’on accepte sans réserve la destinée précisément dans laquelle on se voit impliqué, que l’on tente d’y introduire un sens et de créer un cosmos à partir du désordre chaotique où l’on est né. Si l’on vit la vie d’une façon totale, on se retrouve sans cesse dans la situation où l’on pense : « C’est trop, je ne peux plus le supporter ». Alors il faut répondre à la question : « Est-ce que je ne peux vraiment plus le supporter ? ».

L’Homme doit gérer le problème de la souffrance. L’Oriental cherche à supprimer la souffrance en s’en débarrassant. L’Homme occidental essaie de supprimer la souffrance par la drogue. Mais la souffrance doit être surmontée et la seule façon de la surmonter est de l’endurer.

On n’atteint pas l’illumination en invoquant des êtres de lumière mais en rendant l’obscurité consciente.

Notre conscience ne se crée pas d’elle-même : elle jaillit de profondeurs inconnues. Elle s’éveille peu à peu dans l’enfant et elle se réveille chaque matin du fond du sommeil, sortant d’un état inconscient. Elle est comme un enfant qui naît chaque jour du fond originel maternel de l’inconscient.

 Avoir une âme, c’est l’aventure de la vie, car l’âme est un démon dispensateur de vie qui mène son jeu d’elfe au-dessous et au-dessus de l’existence humaine.

Âme et corps ne sont pas séparés; ils sont une seule et même vie.

Les grands renouvellements ne viennent jamais d’en haut, mais toujours d’en bas; les arbres ne descendent pas du ciel; ils croissent du sol, bien que leurs graines soient jadis tombées d’en haut.

Dès lors, je me mis au service de l’âme. Je l’ai aimée et je l’ai haïe mais elle était ma plus grande richesse. Me vouer à l’âme fut la seule possibilité de vivre mon existence comme une totalité relative et de la supporter.

Mon âme et ma conscience, voilà ce qu’est mon Soi, dans lequel je suis inclus comme une île dans les flots, comme une étoile dans le ciel.

Tout ce qui est important se passe dans le Soi et l’ego fonctionne comme un récepteur, un spectateur, un transmetteur.

Le but (…) semble être préfiguré par des symboles archétypaux qui constituent quelque chose comme la circumambulation d’un centre. Plus on s’approche de ce centre, plus il en résulte une dépotentialisation corollaire du moi au profit de l’influence du centre « vide », qui n’est nullement identique à l’archétype mais auquel celui-ci renvoie. Pour parler chinois, l’archétype est seulement le nom du Tao, non le Tao lui-même. De même que les Jésuites ont traduit Tao par Dieu, on peut définir le « vide » du centre comme « Dieu ». Le mot « vide » ne signifie pas qu’il y aurait un « manque » ou une « absence », mais renvoie plutôt à un Inconnaissable caractérisé par une suprême intensité. Je nomme Soi cet Inconnaissable. Tout le déroulement de l’individuation est dialectique, et ce qu’on appelle la « fin », c’est la confrontation du moi avec le « vide » du centre.

Quand on parvient à percevoir le Soi comme quelque chose d’irrationnel, qui est, tout en demeurant indéfinissable, auquel le Moi ne s’oppose pas et auquel le Moi n’est pas soumis, mais auquel il est adjoint et autour duquel il tourne en quelque sorte comme la terre autour du soleil, le but de l’individuation est alors atteint.

Le problème de l’amour est difficile au point que vous pouvez vous estimer heureux si, à la fin de votre vie, personne n’a fait naufrage à cause de vous.

La dissolution de notre forme temporelle dans l’éternité n’est pas une perte de sens. Au contraire, le petit doigt apprend à reconnaître qu’il fait partie de la main.

Il y avait une fois une fleur, une pierre, un cristal, une reine et un roi, un château, un amant et sa bien-aimée, quelque part, il y a longtemps, longtemps, dans une île au milieu de la mer, il y a cinq mille ans… Tel est l’amour, la fleur mystique de l’âme. C’est le centre, le Soi… Personne ne comprend ce que je veux dire. Seul un poète pourrait le pressentir...

Ce n’est pas moi qui me crée moi-même; j’adviens plutôt à moi-même.

Je rencontrais un courant de lave et la passion issue de son feu a remanié et ordonné ma vie. Toute mon activité ultérieure consista à élaborer ce qui avait jailli de l’inconscient au long de ces années et qui tout d’abord m’inonda.


Pour l'homme la question décisive est celle-ci : te réfères-tu ou non à l'infini? Tel est le critère de sa vie. C'est uniquement si je sais que l'illimité est l'essentiel que je n'attache pas mon intérêt à des futilités et à des choses qui n'ont pas une importance décisive. Si je l’ignore, j’insiste pour que le monde me reconnaisse une certaine valeur pour telle ou telle qualité, que je conçois comme propriété personnelle : « mes dons » ou « ma beauté » peut-être. Plus l’homme mais l’accent sur une fausse possession, moins il peut sentir l’essentiel, et plus il manque de satisfaction dans la vie. Il se sent limité, parce que ses intentions sont bornées, et il résulte envie et jalousie. Si nous comprenons que, dans cette vie déjà, nous sommes rattachés à l’infini, désirs et attitudes se modifient. Finalement, nous ne valons que par l’essentiel, et si on n’y a pas trouvé accès, la vie est gaspillée. Dans nos rapports avec autrui, il est, de même, décisif de savoir si l’infini s’y exprime ou pas.

Le monde dans lequel nous pénétrons en naissant est brutal et cruel et, en même temps, d'une divine beauté. Croire à ce qui l'emporte du non sens ou du sens est une question de tempérament. Si le non sens dominait en absolu, l'aspect sensé de la vie, au fur et à mesure de l'évolution, disparaîtrait de plus en plus. Mais cela n'est pas ou ne me semble pas être le cas. Comme dans toute question de métaphysique, les deux sont probablement vrais : la vie est sens et non sens ou elle possède sens et non sens. J'ai l'espoir anxieux que le sens l'emportera et gagnera la bataille.

Il m’arriva un instant d’inhabituelle clarté au cours duquel se déroula le chemin que j’avais jusque là parcouru. Je pensai : « Tu possèdes maintenant une clé qui te permet de pénétrer dans la mythologie, et tu as la possibilité d’ouvrir toutes les portes de la psyché humaine inconsciente. » Mais là, en moi, se fit entendre un chuchotement : « Pourquoi ouvrir toutes les portes ? » Et aussitôt s’éveilla l’interrogation concernant ce que je pouvais bien avoir accompli. J’avais expliqué les mythes des peuples du passé; j’avais écrit un livre sur le héros, ce mythe dans lequel l’homme vit depuis toujours.
« Mais dans quel mythe vit l’homme de nos jours ?
- Dans le mythe chrétien, pourrait-on dire.
- Est-ce que toi, tu vis dans ce mythe ? demanda quelque chose en moi.
- Si je réponds en toute honnêteté, non ! Ce n’est pas le mythe dans lequel je vis.
- Alors, nous n’avons plus de mythe ?
- Non, il semble que nous n’ayons plus de mythe.
- Mais quel est ton mythe à toi, le mythe dans lequel tu vis ? »
Je me sentis de moins en moins à l’aise et je m’arrêtais de penser. J’avais atteint une limite.

Par moment, je suis comme répandu dans le paysage et dans les choses et je vis dans chaque arbre, dans le clapotis des vagues, dans les nuages, dans les animaux qui vont et qui viennent, et dans les objets. 


Le dernier rêve connu de Jung: Il voyait une grande pierre ronde en un lieu élevé, une place dénudée. Elle portait cette inscription : « Que cela soit pour toi signe d’unité et de totalité. » Ensuite il vit de nombreux vases à droite d’une place carrée, puis un carré d’arbres dont les racines sortaient du sol et le protégeaient, et entre les racines brillaient des fils d’or.

2 commentaires:

  1. A lire et relire pour grandir

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  2. Merci pour ces citations de Jung et surtout merci pour ce blogue que je viens de découvrir et que je trouve passionnant...

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