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Mon ami et mentor Nicolas Bornemisza, auteur de la méthode jungienne du Yoga Psychologique, a compilé trente principes pour l’interprétation des rêves. La plupart des idées proposées sont inspirées par les écrits de Carl Jung et de Marie-Louise Von Franz. Elles représentent la synthèse de trente années d’expérience et constituent le noyau de l’enseignement de Nicolas qui vise à rendre accessible au plus grand nombre les bases du travail avec les rêves. Je les rappelle ici car elles font partie des éléments de base que toute personne s’intéressant au rêve, du moins dans une perspective jungienne car il y en a d’autres, devrait selon moi considérer.
On peut leur ajouter d’autres idées, et un travail approfondi ne saurait faire l’économie de l’étude de la dynamique archétypale de la psyché, des jeux de l’ombre, de la danse du masculin et du féminin, et du mystère du Soi. Mais il y a des livres pour cela, parmi lesquels je recommande tout particulièrement les analyses de contes de fées par Marie-Louise Von Franz, qui donnent accès à une sorte d’anatomie comparée de la psyché. Par contre, ce que propose Nicolas avec ces trente points est éminemment pratique et permet à toute personne intéressée de s’essayer à l’interprétation de ses propres rêves sans nuire à ceux-ci. Or toutes les lectures en psychologie des profondeurs sont vaines si l’on ne se frotte pas directement à la psyché par le travail avec les images intérieures.
Ces principes ne me semblent pas réclamer grand commentaire car c’est par leur mise en pratique qu’on en vérifie la pertinence. Parmi ces énoncés se niche cependant la règle d’or, le principe particulier qui permet d’évaluer la validité de l’interprétation, et plus encore qui donne son caractère insaisissable, mercurien, à notre art. Saurez-vous la trouver parmi les trente points avant que je ne vous la souligne ?
Les voici donc :
1. « Il faut aimer le rêve ! Il n’y a pas que des rêves stupides, il n’y a que des gens insensés qui ne comprennent pas leurs rêves… En interprétant le rêve, on décuple son pouvoir de guérison. »
2. Garder près de son lit crayon, papier ou enregistreuse. Écrire le rêve dans ses grandes lignes au cours de la nuit, puis le transcrire avec tous les détails dans son journal de rêves le matin.
3. Compléter la description du rêve par des dessins ou des peintures représentant les points saillants, ou encore, on peut résumer l’ensemble du rêve dans une seule œuvre visuelle.
4. Se donner une période de temps calme et suffisamment longue pour interpréter le rêve.
5. Scruter la structure dynamique du rêve, établir le plus clairement possible les séquences qui le composent.
6. Constater les sentiments, les émotions et les sensations que le rêve a suscités.
7. Inventorier les lieux, les personnages, les objets et les autres symboles importants du rêve.
8. Noter les associations qui émergent par rapport aux symboles du rêve : c’est qui/quoi pour moi, tel endroit, tel personnage, tel animal, tel objet, etc.
9. Explorer les amplifications des symboles principaux du rêve. Celles-ci peuvent venir du langage populaire, des œuvres poétiques, des mythologies, des religions, etc. Par exemple : que représente pour moi le personnage d’Ariane, la ville de Rome, une image de svastika, etc.
10. Chercher dans le rêve des éléments de compensation. La plupart des rêves compensent une attitude psychique trop rigide, trop unilatérale. Un exemple de Goethe : « Je me suis endormi profondément triste. J’ai eu un rêve charmant. Je me suis réveillé frais et dispos. »
11. Chercher des éléments d’information – « Le rêve ne nous dit jamais ce que nous savons déjà ».
12. Chercher des éléments de révélation, c’est-à-dire des renseignements qui dépassent largement les limites de notre connaissance. Par exemple : le rêve est-il prémonitoire, télépathique, etc ? Les rêves peuvent nous dicter un roman, nous faire gagner le prix Nobel ou inspirer toute autre réalisation de notre esprit.
13. Dans la grande majorité des rêves, tous les éléments relèvent de notre monde personnel. Tels des personnages qui évoluent sur une scène de théâtre, ils symbolisent tous les dimensions complexes de nos réalités conscientes et inconscientes.
14. Si la plupart des personnages de nos rêves doivent être interprétés dans le sens subjectif, certains d’entre eux exigent une compréhension dite objective. Si, par exemple, en rêvant à mon frère, le rêve le concerne, sa personne ou encore ma relation avec lui, on fait une interprétation objective. Si, par contre, les traits de caractère de mon frère représentent une partie spécifique de moi-même, ce sera une interprétation subjective. Si on n'est pas certain de la façon de comprendre le symbole, il est préférable de faire deux interprétations parallèles : une objective et une subjective.
15. Il faut passer en revue les événements de la journée qui précède le rêve, aussi bien que les questionnements qui nous préoccupent ces derniers temps. – Le rêve est presque toujours relié à notre vécu. – « Les événements de la veille inspirent le rêve mais ne le déterminent pas. » Par exemple, ce n’est pas parce que j’ai vu un film de monstres que je vais avoir un mauvais rêve; mais c’est plutôt parce que ces images de monstres ont quelque chose à me transmettre par rapport à mon monde intérieur, mes « monstres à moi ».
16. Tenir compte de la réduction phonétique, des jeux de mots que les rêves utilisent pour transmettre des concepts complexes. Par exemple, à la fin d’un rêve, le rêveur déclare : « … et là je suis parti aux États-Unis ». Cela veut dire à peu près que le rêveur retrouve un état d’harmonisation intérieure.
17. Prendre en considération le dicton Pars pro toto. Cela veut dire qu’au sens symbolique, la partie fait allusion à l’ensemble. Par exemple, une feuille peut représenter l’arbre, une plume d’oiseau, l’oiseau entier, etc.
18. Tout ce qui nous court après dans les rêves veut faire partie de nous. Que ce soit un personnage ou un tigre, il s’agit, presque toujours, d’une partie symbolisée de nous-même qui veut se manifester, prendre sa place dans notre vie.
19. Ne pas céder à la réaction de l’intellect qui dénigre le rêve ou qui prétend l’avoir compris au premier coup d’œil. Un rêve mal interprété peut faire beaucoup de tort – il est préférable d’avouer que l’on ne comprend pas bien le rêve. – Le débutant doit être particulièrement méfiant de ses premières interprétations. Il y a risque que nous manipulions le message du rêve pour qu’il corresponde à nos idées préconçues. En plus, toute interprétation est une forme de projection – mieux vaut en être conscient. – Par ailleurs, une bonne interprétation suscite une vague de contentement, une sorte d’approbation intuitive.
20. Malgré le fait que l’interprétation des rêves soit généralement difficile, « si on tourne autour pendant un certain temps, le rêve finira par révéler une certaine partie de son message ». Par ailleurs, « le rêve est toujours, en lui-même, sa meilleure interprétation ». Donc, toute tentative d’analyse ne pourrait dévoiler qu’un certain fragment du contenu total.
21. Il est plus difficile d’interpréter ses propres rêves – c’est comme si le message était écrit sur notre dos.
22. Quand le rêve se répète, c’est que son message n’a pas été entendu ou compris. Les rêves répétés sont souvent inquiétants. Ne pas en avoir peur ! Les cauchemars tant redoutés sont parmi les rêves les plus importants, les plus utiles.
23. Les symboles sont multidimensionnels, il est possible de les interpréter de bien des façons différentes et quelquefois contradictoires. Ils changent de personne en personne, mais aussi de rêve en rêve. Un chien, par exemple, peut symboliser l’agressivité, le flair, la fidélité, le guide intérieur, etc. Prendre alors tout son temps pour trouver la bonne signification du symbole dans le contexte d’un rêve donné.
24. Toutefois, il y a un sens général pour certains types de symboles. Par exemple, la maison, plus souvent qu’autrement, se rapporte à la structure psychique du rêveur. La voiture représente le moyen de cheminer dans la vie. Les différents animaux signifient les aspects divers de la vie instinctive. L’argent symbolise l’énergie psychique. La mer, la terre, la forêt, la nuit se réfèrent toutes aux diverses facettes de l’inconscient.
25. Tout travail assidu avec les rêves nécessite des dictionnaires de symbologie appropriés. Parmi les meilleurs ouvrages actuellement disponibles en français, je recommande : Dictionnaire des symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, et La symbologie des rêves par Jacques de la Rocheterie.
26. Une fois qu’on a réussi à interpréter les différentes facettes d’un rêve, il faut encore s’efforcer de donner une interprétation résumée, si possible en une phrase.
27. En interprétant les rêves, il faut aussi se fier à son intuition. « Si en interprétant un rêve, l’inconscient ne me donne pas un indice, je suis perdue. Dieu merci, l’inconscient est intéressé à ce que le rêve soit compris. »
28. Chercher où va l’énergie du rêve, l’énergie du symbole. Cela aide à trouver l’association appropriée, la compréhension juste du symbole. Les rêves cherchent à nous réveiller, à nous réorienter. Ils insistent pour que nous nous occupions des blocages, des conflits qui résident dans les profondeurs de notre âme. Les rêves nous poussent à prendre conscience de nos réalités intérieures : ils veulent que nous réalisions nos potentialités latentes.
29. Une fois que le rêve a été interprété et compris, pour en tirer le maximum de bénéfice il faut le ritualiser, en faire quelque chose de concret, pour que l’inconscient soit averti : le rêve a été reçu, merci, il va être intégré, utilisé. Le rituel implique une action concrète, avec le corps, et non seulement avec la pensée. Si le temps ou l’inspiration manque, on peut allumer une chandelle ou faire le tour du bloc. Le rituel doit toujours être imaginé par le rêveur, par la rêveuse. Il doit venir de la même source que le rêve, de l’inconscient. Par exemple, un rêve avait révélé à une femme qu’elle était inconsciemment toujours amoureuse d’un ancien amant, et que ce sentiment pouvait être la source d’une tension constante dans son ménage. En guise de rituel, cette femme s’est rendue au sommet d’une montagne et a brulé les plus belles photos de son amant d’autrefois. Bien sûr, il y a autant de rituels possibles qu’il n’y a de rêves.
30. On ne peut devenir un expert en quelques mois. On peut cependant s’assurer un bon progrès en profitant de toutes les occasions pour interpréter des rêves, en lisant des ouvrages sérieux sur le sujet, et en faisant confiance, à soi et surtout à l’inconscient.
Alors, cette fameuse règle d’or ? On pourrait dire que c’est l’arcane secrèt qui préserve l’art de l’interprétation de toute contrefaçon intellectuelle ou spirituelle, de toute tentative d’appropriation et de toute volonté de puissance qui prétendrait à l’exclusivité de l’interprétation juste, de la méthode définitive et incontestable qui saura faire rendre gorge mécaniquement à tous les rêves. En contre-point de l’or évoqué dans la règle, je la désigne pour ma part comme le principe d’obscurité du rêve. On pourrait dire aussi que c’est le principe d’incertitude de la psychologie jungienne, analogue à celui de la physique quantique, et il ressort donc dans le 11ème point de Nicolas :
« Le
rêve ne nous dit jamais ce que nous savons déjà »
Quand nous disons que le rêve vient de l’inconscient, nous disons bien qu’il vient de l’inconnu total, de ce qui n’est pas conscient, qui est hors de notre conscience. Il est donc impossible que nous en sachions quoi que ce soit, même avec les plus belles théories qui soient. Cette compréhension amène à un point de renversement à partir duquel toute tentative de saisie du rêve par le mental s’avère vaine et laisse la place à un abandon à ce que le rêve voudra révéler de lui-même. Alors, il devient clair que, si le rêve est bien la voie royale vers l’inconscient, comme l’écrivait Freud, ce n’est pas le petit roi qu’est l’égo qui parcoure cette voie mais le Soi qui, par-là, vient vers nous.
C’est à tel point que l’analyste est tout aussi inconscient a priori de quoi il est question que la personne qui lui amène un rêve ; si l’analyste a son idée derrière la tête et attend que le rêve confirme celle-ci, il fait fausse route et sera bientôt incapable d’offrir des interprétations pertinentes. On doit considérer le rêve, et l’inconscient qui avance là masqué, comme un être vivant, un tiers autonome qui a sa vie propre dans la relation qui se noue autour de l’interprétation. Comme l’écrivait joliment Pierre Trigano dans un article intitulé « Une ‘formule’ éthique pour l’analyse des rêves »[1] :
« Dans l’analyse de rêves, Deux, le rêveur et l’analyste, se réunissent autour d’un Troisième, le rêve du rêveur ».
Quand il y a Trois, bien sûr le jungien demande : où est le Quatrième ? Ici, c’est donc bien sûr le Soi qui trouve son intérêt à l’élucidation du rêve. Le point 27 de Nicolas complète la règle d’or par l’obligation de confiance dans le fait que l’inconscient fera ce qu’il faut pour être entendu. « Dieu merci, l’inconscient est intéressé à ce que le rêve soit compris. » Le sens va émerger de l’inconscient, il va en naître à nouveau à chaque fois. C’est ainsi que nous pouvons comprendre un vieil adage alchimique appelé l’axiome de Marie la Prophétesse, qui sonne comme une comptine pour enfant et cependant résume toute l’œuvre de conscience pour qui sait l’entendre :
« L’un devient deux, deux devient trois et du troisième naît l’un comme quatrième ».
Ces trente principes me paraissent extrêmement précieux...
RépondreEffacerj'aime bien l'idée, par exemple, de "ritualiser" un rêve...on l'oublie souvent...
Quant à la règle d'or ...elle est à encadrer !!!
On a toujours tellement tendance à ramener l'inconnu au connu...
http://grandsreves.over-blog.com/article-les-visiteurs-de-l-inconscient-102087260.html
Merci pour ce commentaire et pour ce lien qui souligne bien l'essentiel. J'aime la comparaison qui veut que nous soyons, dans notre rapport à l'inconscient, comme le comte Godefroy et surtout comme Jacquouille visitant nos temps modernes... :-)
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