vendredi 5 février 2016

Clinique alchimique


J’ai découvert récemment un livre remarquable sur l’approche jungienne des rêves, que je ne saurais que chaudement recommander à qui s’intéresse à ces sujets. Il s’agit de :

Le travail des rêves en psychothérapie analytique jungienne
de
Bertrand de la Vaissière.

En quatrième de couverture, il y a ce sous-titre qui précise la visée de cet opus :

Clinique alchimique et travail des rêves.

La dimension alchimique de la psychothérapie jungienne demeure en effet méconnue, et quand elle est abordée, c’est souvent dans un jargon qui la rend difficile d’accès au non-spécialiste. Jung, à partir d’un certain point dans son parcours, s’est rendu compte que les images et symboles dont les anciens alchimistes étaient friands décrivent les processus de transformation qu’on peut observer dans l’inconscient, et en particulier dans les rêves. Avec l’alchimie, à laquelle il a rendu ses lettres de noblesse, Jung a décelé un mouvement d’âme et de pensée qui, s’il a longtemps été souterrain et caché, a compensé le règne du christianisme dominant, répondant à des questions que celui-ci laissait en friche et poursuivant le grand courant du gnosticisme, souvent taxé d’hérésie. Au-delà de l’intérêt historique et spirituel de ses recherches, Jung a démontré que l’inconscient est naturellement alchimiste…

Mais la lecture des études alchimiques de Jung est ardue et peu illustrée d’exemples cliniques : il faut lire ses textes plusieurs fois et dans différents ordres pour bien les assimiler. La clé pour lire le Jung alchimique semble être de nous laisser travailler par  les images auxquelles il ne cesse de nous exposer, sans trop chercher à comprendre intellectuellement. Les continuateurs de Jung se sont efforcés d’expliciter ces images. Edward Edinger a, dans Ego and Archetype, amené un premier niveau de synthèse fort utile à l’adepte. Mme Von Franz a de son côté bien documenté la symbolique de l’alchimie et l’illustre souvent de rêves et surtout de contes de fées. Elle déclare dans la quête du sens : « L’alchimie est le mythe des temps futurs, c’est le mythe prophétique de l’âge Aquarius : l’alchimie, c’est le langage… de la matière. »

La dimension pratique de cette alchimie qui n’utilise que la cornue de l’âme demeurait cependant peu documentée. Bertrand de la Vaissière, qui a été initié à cet Art par Étienne Perrot dans les années 1970, comble ce fossé avec ce livre. Il nous offre une synthèse remarquable de ce Jung alchimiste. Le tour de force qu’il réussit là est justement de rendre accessible cette dimension alchimique au travers de 44 illustrations et études de cas soutenant un exposé clair et cependant approfondi. En introduction, l’auteur nous avertit :

« Cet ouvrage pourrait concerner les praticiens de l'analyse et de la psychothérapie analytique ainsi que les explorateurs de toute nature qui les rencontrent parfois. S'il s'adresse à eux, c'est d'une part pour leur rappeler les vertus de l'information onirique, du travail de contemplation, de manducation des rêves, et de l'extraction herméneutique, c'est aussi avec le souci de leur donner le goût de la liberté intuitive qu'il faut espérer pour sentir et parfois comprendre les rêves.

Par-dessus tout il entend contribuer à illustrer le processus naturel que l'on peut observer quand on se penche sur ces matières et ces émergences que l'on affuble ordinairement du nom d'inconscient. Celles-ci semblent refléter une certaine intentionnalité, de façon parfois surprenante. Se relier à ce processus, en percevoir les phases et les opérations, s'y ajuster est éminemment thérapeutique. Se laisser ainsi travailler de l'intérieur est une médecine efficace dont on perçoit les effets avec le temps. »

L’essentiel est dit. L’alchimie de l’âme est en effet un processus naturel, l’œuvre de nature à laquelle l’adepte (l’analysant) prête son concours conscient. Il n’y a rien à « faire » sinon se laisser travailler de l’intérieur. C’est une « voie humide », c’est-à-dire en lien avec les images et l'âme, par contraste avec les « voies sèches » de la plupart des disciplines spirituelles qui mettent l'accent sur la volonté, l'effort et l'esprit. Plus loin, Bertrand de la Vaissière souligne justement la différence entre ce type de travail et la plupart des psychothérapies :

 « Lorsque les images alchimiques apparaissent, c’est une toute autre musique. On peut être presque sûr que le principal thérapeute est devenu l’inconscient, qui non seulement donne les thèmes de l’analyse et pose les termes du problème mais, au-delà, conduit le processus de transformation et opère le patient. Il ne s’agit plus alors d’un travail de connaissance de soi mais bien plus d’une appréhension des opérations internes de centralisation et de restructuration des soubassements de la personnalité. On sentira les rêves pour ce qu’ils disent des déplacements du centre de gravité de la personne et des modifications des rapports qu’entretiennent le corps, l’âme, l’intellect et l’esprit. Une attention devra être portée à ce travail sur la structure de manière concomitante à celui qui porte sur la réalité plus immédiate du patient. Un défaut d’attention ne permettrait pas de bien saisir ses exigences les plus profondes et ses possibilités d’évolution. »

S’il n’y avait qu’une chose à retenir de la nature alchimique de la psychothérapie jungienne, elle tiendrait selon moi dans cette affirmation :

Le principal, sinon le véritable et le seul, thérapeute est l’inconscient.

C’est-à-dire, encore une fois, la nature en tant qu'expression du divin en l’être humain. Et sans prétendre épuiser toute la richesse symbolique de ce langage ni en fournir un dictionnaire exhaustif, Bernard de la Vaissière en décrit les principaux symboles :

« Les planètes, les métaux et les substances « chymiques » sont des modulations qui correspondent aux archétypes les plus importants. Par exemple, le Soleil et la Lune, qui gouvernent conscient et inconscient, peuvent aussi être rapprochés des archétypes du Père et de la Mère, c’est-à-dire de l’esprit et de la forme. Le Mercure parfois correspondra aux dynamismes de l’anima qui peuvent ébranler la personne et la mettre en mouvement, ou bien il évoquera celle du Soi qui recherche à réconcilier les inconciliables. Le Soufre, impulsion subie, peut être considéré comme un des effets puissants de l’ombre. Le Sel comme agent de transformation issu des grandes profondeurs de l’âme, etc. La connaissance de la phénoménologie de ces archétypes, autrement dit des images archétypales qui les reflètent, telle que Jung l’a élaborée principalement dans Mysterium conjonctionis mais aussi dans les racines de la conscience, permet un repérage fin de leur influence dans le travail des rêves. »

Plus avant, Bernard de la Vaissière décrit précisément les 3 grandes phases de l’œuvre : au noir (nigredo), au blanc (albedo) et finalement au rouge (rubedo), en les illustrant par des récits de parcours analytique et des séries de rêves. Son étude a la vertu de montrer comment les rêves alchimiques sont le pain ordinaire de la psyché : ce sont des rêves comme nous en faisons souvent, avec des éléments symboliques dont la portée profonde nous échappe le plus souvent. On gardera en tête, au cours de cette lecture, les mots de Jung dans Psychologie et Alchimie, qui prennent là un sens renouvelé et tout à fait vivifiant :

 « Dans le processus analytique, dans l’affrontement dialectique du conscient et de l’inconscient, on constate un progrès vers un but. Ces expériences m’ont confirmé dans l’hypothèse qu’il existait dans la psyché un processus tendant vers un but final et, pour ainsi dire, indépendant des conditions extérieures… Les efforts du médecin aussi bien que la quête du patient sont dirigés vers cet homme total, caché et non encore manifesté, qui est pourtant tout à la fois l’homme plus vaste et l’homme futur… Malheureusement, le juste chemin vers la totalité est constitué des détours et des erreurs que nous apporte le destin. C’est une longissima via, tortueuse, qui unit les contraires. »

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