Mon amie Martine Tollet et moi-même proposons
régulièrement des ateliers de jeu archétypal autour de contes de fées dont nous
explorons, par ce biais, la portée initiatique. Nous nous inspirons en
particulier de l’enseignement que nous avons reçu dans l’école québécoise Ho
Rites de Passage et de sa fondatrice, la regrettée Paule Lebrun, qui s’appuyait
elle-même sur les travaux de Jean Houston. Cette dernière pose les fondements
de ce type de travail, qui tient du théâtre psycho-magique, dans son livre Psychologie
sacrée et l’illustre en proposant de parcourir ainsi différents processus
inspirés par de grands mythes comme Isis et Osiris, le Faiseur de Paix, etc.
Cependant, Martine, qui est conteuse, formatrice à l’art du conte et metteur en
scène, et moi-même avons en commun un amour profond des contes qui s’enracine
dans l’étude de la psychologie des profondeurs de Carl Jung. Notre travail dans
ce registre du jeu archétypal est ouvertement dédié à la mémoire de Mme
Marie-Louise Von Franz, sous le patronage de laquelle nous nous inscrivons avec
gratitude pour l’extraordinaire manne qu’elle a légué aux amoureux des contes
au travers de ses livres.
Marie-Louise Von Franz |
L’approche proposée par Jean Houston nous reconduit aux origines du théâtre rituel à Épidaure, le principal sanctuaire du dieu guérisseur Asclépios en Grèce, lui-même sans doute héritier de l’égyptien Imhotep. Cette filiation symbolique est importante dans la perspective de notre travail car Asclépios soignait au moyen des rêves, et Imhotep, qui fut assimilé au dieu Thot, est associé aux origines mythiques de l’Alchimie. Le premier chapitre du livre que je mentionnais plus haut de Jean Houston nous prend par la main pour nous faire visiter l’asclêpeion, le centre de soins d’Asclépios, dédié à la guérison dans une visée que nous qualifierions aujourd’hui d’holistique, c’est-à-dire à la purification ainsi que l’harmonisation du corps et de l’esprit. On y incubait des rêves qui apportaient bien souvent la guérison, comme en témoignent de nombreux ex-voto. On y écoutait de la poésie et de la musique. On y faisait des cérémonies. Et on y voyait de grands drames archétypaux mis en scène dans la tragédie grecque de façon à saisir le spectateur avec intensité, avant de le détendre par une comédie…
Asclépios & Hygie |
Ainsi, même si nous n’avons aucune ambition thérapeutique, et peut-être même justement parce que nous ne sommes pas entravés par une telle ambition qui ramène toujours au modèle médical, la démarche que nous proposons ouvre un espace dans lequel l’âme peut jouer librement en se nourrissant d’images intérieures. Il s’agit simplement de mettre en œuvre un théâtre symbolique dans lequel le conte est parcouru comme une quête initiatique pour vivre dans un cadre sécuritaire les épreuves qui jalonnent le parcours du héros ou de l’héroïne. Nous visons par-là à réveiller, reconnaitre et contempler les puissances méconnues de l’Inconscient qui sont activées par le conte, et ainsi favoriser l’émergence en conscience de l’âme. Si nous devions nous donner un objectif, ce serait de faciliter l’intégration consciente des dynamiques archétypales explorées de façon à élargir la conscience et permettre l’accomplissement de processus naturels de croissance psychique se traduisant par un sentiment de complétude. Hommes ou femmes, nous apprenons par exemple à explorer plus avant les subtilités et profondeurs de notre masculinité, de notre féminité et finalement du mystère de leur rencontre, de notre humanité et de qui les dépasse. Nous touchons aux grandes questions existentielles qu’incarnent par exemple la sorcière vivant au fond des bois, l’innocent au cœur d’or et le diable, l’Ange secourable et nous les invitons à danser dans notre existence, pour à notre tour redécouvrir la fontaine de jouvence.
Fontaine de jouvence |
Une fois clairement défini le temenos, c’est-à-dire l’espace sacré où les symboles sont invités à prendre vie, le conte est déployé au travers d’un jeu de rôles mettant en scène des moments clés, autant que possible dans des décors naturels, avec quelques accessoires dont la portée est surtout symbolique pour favoriser l’envol de l’imagination. Les participant(e)s sont littéralement imprégné(e)s par l’histoire qui les submerge. Le récit leur en est fait dans son intégralité dès le début pour donner la carte du parcours à l’inconscient, et revisité dans le détail au début de chaque acte. L’invitation leur est faite de vivre pendant plusieurs jours avec l’histoire, c’est-à-dire aussi de dormir et de rêver avec elle dans un stage résidentiel. L’écoute des rêves chaque matin apporte une riche moisson d’images intérieures souvent en résonance avec le conte, et toujours expressive de profonds processus intérieurs. Le rêve éveillé, l’imagination active, l’écriture automatique, la peinture spontanée, la danse et le chant ouvrent des espaces de rencontre avec l’Inconscient. Ils permettent d’exprimer de ce qui travaille les participant(e)s de l’intérieur. Enfin, des éléments d’analyse et d’amplification symbolique du conte sont proposés, tirés de différentes sources pour varier les points de vue, de façon à permettre à chacun(e) de tisser des liens avec son histoire personnelle. Le conte est ainsi ingéré, intégré, digéré… au fil des jours jusqu’à devenir une histoire vivante dans la psyché de chaque participant(e), son histoire qu’il ou elle rencontre à sa façon...
Temenos |
Le conte relie le personnel et l’universel. Il concerne toujours l’être humain total. Il ignore par exemple les identifications de genre. Il n’est pas sexué. Là où Robert Bly a, dans sa remarquable analyse, fait de Jean de fer, l’homme sauvage et l’enfant (Grimm KHM 136), une histoire s’adressant surtout aux hommes dans leur besoin de redéfinir et réinventer l’identité masculine en revenant aux sources de l’initiation qui conduit le garçon à devenir un homme, le jeu archétypal permet à tou(te)s d’explorer ce chemin initiatique. Ainsi une femme pourra-t-elle grâce à cette histoire appréhender directement l’aventure héroïque de son masculin intérieur, et envisager son mariage avec sa propre féminité. Le conte se lit ainsi :
Au cœur d’une forêt où plus personne n’osait entrer de peur de disparaitre, on découvre un homme sauvage dans un étang que l’on vide. Le roi le fait emprisonner dans une cage de fer mais son fils de 8 ans le délivre en allant chercher la clé sous l’oreiller de sa mère car il veut récupérer la balle d’or qu’il a perdu dans la cage. L’enfant part avec l’homme sauvage qui lui déclare s’appeler Jean-de-fer et posséder d’immenses trésors. Il le met à l’épreuve en lui demandant de garder un puits dont l’eau teinte en or tout ce qu’elle touche. Mais le garçon échoue à cette épreuve et doit partir dans le monde avec une chevelure désormais toute dorée qu’il dissimule sous un bonnet. Il se fait embaucher aux cuisines d’un château et finalement se retrouve à travailler dans les jardins, où il est remarqué par la princesse un jour où le soleil joue dans l’or de ses cheveux. C’est alors que le royaume est menacé par un envahisseur et le jeune homme est aidé par Jean-de-fer à mettre l’ennemi en déroute. Le roi aimerait bien connaître l’identité de ce mystérieux chevalier qui est, au moment critique, venu au secours de son royaume alors il organise un tournoi pendant lequel sa fille lance par trois fois une pomme d’or. Encore une fois, notre héros se fait aider par Jean-de-fer à triompher de l’épreuve et il finit par se faire reconnaître par le roi à qui il demande la main de sa fille…
Une telle histoire se lit comme un rêve, sauf qu’au lieu d’être le rêve d’un individu, c’est notre rêve à tou(te)s. Elle nous reconduit à une place essentielle, là où est cachée l’étincelle d’or qui éclaire la vie de l’intérieur. J’évoque par là un poème de Clarissa Pinkola Estès que j’ai déjà cité[1] dans ce blogue à propos d’un rêve mais qui mérite d’être rappelé :
Malgré nos attachements actuels,
malgré nos maux, nos souffrances, nos chocs,
nos pertes, nos gains, nos joies,
le site vers lequel nous nous dirigeons est
cette terre de la psyché que les aïeuls habitent,
ce lieu où les humains restent tout à la fois
divins et dangereux,
où les animaux dansent encore,
où ce qui a été coupé repousse,
et où ce sont les rameaux
des arbres les plus vieux
qui fleurissent le plus longtemps.
La femme cachée
qui entretient l'étincelle d'or
connaît cet endroit.
Elle sait.
Et toi aussi.
Tout est là. Je pourrais écrire des volumes sur le jeu archétypal, comme tant d’auteurs qui se noient dans la théorie, sans parvenir mieux que ce poème à saisir ce dont il est question, le but essentiel de ce travail. Voilà, il s’agit d’aller là où les animaux dansent encore et où l’aqua permanens teinte d’or tout ce qui entre en contact avec elle. C’est le lieu de l’alchimie secrète où nous redécouvrons notre véritable nature, tout à la fois divine et dangereuse. Ici, nous sommes enfin débarrassés de l’illusion qui voudrait que nos folies modernes soient un progrès et nous retrouvons enfin nos ancêtres dansant avec les animaux ainsi que les démons et les dieux… dans le grand flux de la vie.
Quand nous nous y entrons, que ce soit en le facilitant ou en tant que participant(e)s, nous ne faisons pas ce travail seulement pour nous. Il nous met en relation avec l’inconscient collectif, et c’est à double sens : non seulement celui-ci nous enseigne-t-il à devenir des humains plus conscients des archétypes qui vivent en nous, mais nous servons les archétypes. Nous permettons, le temps d’un jeu archétypal, aux dieux et aux déesses de marcher à nouveau sur terre. Nous nous laissons chevaucher par les archétypes, non dans une transe comme dans le candomblé ou le vaudou mais lucidement, ludiquement. Nous nous offrons à leur magie opérative, qui se révèle quand l’âme agit au travers du jeu des images. Et ce faisant, nous nous en faisons les conducteurs pour permettre à l’inconscient collectif de répondre aux défis de notre temps. Dans ce sens, il a été frappant que nous inaugurions notre théâtre archétypal avec le conte de la jeune fille sans mains (Grimm KHM 31) au moment même où la campagne #metoo battait son plein. Cette histoire, qui parle de l’initiation féminine vécue quand la féminité est abusée par le masculin, a pris soudain une résonnance qui dépassait le cadre de notre petit groupe. Et le fait qu’il y ait un homme qui se prête alors au jeu des archétypes avec son anima a pris alors une magnifique signification symbolique.
Le conte se lit ainsi :
Contre la facilité d’une opulence sans efforts, un meunier vend au diable ce qu’il y a derrière son moulin, croyant qu’il ne lui cède par là qu’un pommier en fleurs. En réalité, c’est sa fille qu’il a ainsi vendu mais celle-ci est tellement pure que le diable ne peut l’emmener. Il oblige alors son père à lui trancher les mains. Elle part alors sur les routes en ne comptant que sur la grâce de Dieu pour la nourrir et lui porter secours. Un Ange l’introduit de nuit dans les jardins du roi où elle mange une poire sur l’arbre. Le roi se cache pour surprendre le voleur qui lui dérobe ainsi ses précieux fruits, et tombe amoureux de la fille, l’épouse. Il lui fait faire des mains d’argent. Alors qu’elle attend leur enfant, il doit partir à la guerre. À la naissance de leur fils, le diable s’immisce dans leurs échanges de lettres et parvient à faire croire à la mère du roi que son fils ordonne que la jeune reine soit mise à mort. Cette dernière repart alors sur la route avec son fils et trouve refuge dans une forêt où elle est servie par un Ange. Le roi est désespéré à son retour de la guerre d’avoir perdu son épouse et son fils. Il part en quête, jurant de ne jamais dormir deux nuits au même endroit avant de les retrouver. Après sept ans de quête, il parvient enfin à une petite maison dans la forêt…
La jeune fille sans mains, film de Sébastien Laudenbach (2016) |
« Le conte nous montre que la seule manière pour cette femme de guérir la profonde dissociation et la blessure dont elle souffre est de les transcender. Les normes collectives ne lui servent à rien dans ce cas car ce serait la ramener à une "normalité" moyenne qui, ne correspondant pas à sa nature, lui serait nuisible. Vivre selon les conventions serait dissociant pour elle car elle ne pourra trouver son équilibre qu’à un niveau plus profond et plus individué. Pour elle, la vraie régression serait de s’adapter à une soi-disant normalité. Vouloir, à tout prix, adapter quelqu’un à une normalité moyenne peut mener à la maladie mentale. C’est pourquoi l’héroïne doit nécessairement quitter la société jusqu’à ce qu’elle ait trouvé sa propre vérité. »
Au travers de cette initiation, l’héroïne a acquis les trésors de la foi, de la patience et de l’endurance. C’est là l’aventure de l’individuation radicale que vivent non seulement les femmes confrontées aux abus du masculin, mais aussi les hommes blessés dans leur féminité, et qui osent se mettre en chemin pour retrouver leur propre vérité. Le conte se termine avec un renouvellement du mariage à un nouveau degré de conscience, ce qui peut se comprendre comme un symbole de l’illumination par la lumière de la vie. Au terme du chemin, toutes les souffrances sont rachetées et la vie retrouve enfin son caractère d’aventure sacrée. C’est ce que nous explique Marie-Louise Von Franz à qui je laisse le dernier mot :
« La (femme) qui, dans bien des cas, a dû faire le tour du monde pour trouver la vie, en aura découvert les richesses et la signification totale, sacrée. Pour elle, le simple fait de vivre est une expérience d’illumination. Elle aura pleine conscience de ce qu’elle fait, ce qui est le prix de ses souffrances. C’est ce que Jung entendait quand il disait : « une partie de la vie a été perdue mais le sens en est préservé ». »
Stages de jeu archétypal :
- Du 29 avril au 4 mai 2018 : Jean-de-fer ou l'homme sauvage et l'enfant.
- Du 6 au 11 mai 2018 : La jeune fille sans mains.
Pour plus d'information, suivez ce lien.
Les lecteurs du blogue bénéficient de 10% de réduction sur le tarif régulier. Mentionnez le mot de passe Jouvence lors de l'inscription en écrivant à martine.tollet@mac.com.
[1] Un article de décembre 2013 : L'étincelle d'or
Merci Jean pour ce texte qui révèle toute ta générosité :)
RépondreEffacerNotre société contemporaine s'est coupée des rites initiatiques qui ont accompagné les civilisations à travers l'histoire. Par notre éducation matérialiste et cartésienne, nous avons perdu le lien avec le sacré et le merveilleux qui permettent à la conscience de s'élargir et à l'âme de s'éveiller.
Depuis l'enfance, j'ai été attiré par les contes de fée, les légendes héroïques et les mythes fondateurs. Je savais intimement qu'ils recelaient de véritables trésors. En tant qu'adulte, j'ai eu la chance de me reconnecter avec la Nature et les rites de passage. Cela a rallumé ma flamme et ré-enchanté ma vie par la magie de l'émerveillement.
Les archétypes présents dans les contes, les mythes et les rêves sont comme des miroirs magiques qui nous renvoient le reflet de notre propre divinité. Les épreuves du héros et de l'héroïne nous aident à transformer les vieilles structures limitantes pour réaliser notre envol comme le papillon déploie ses ailes multicolores en sortant de son cocon.
Grâce à vos enseignements inspirés et à l'intelligence collective qui émane des cercles de paroles, j'ai renoué avec mon Humanité, en tant qu'être complet et unifié. Merci Jean, merci Martine d'entretenir ce lien avec la longue tradition des Mystères...
Amicalement
Laurent
J'ai toujours porté beaucoup d'attention à mes rêves. Cependant ma compréhension (si compréhension il y avait) très réductrice de ceux-ci ne m'était pas très aidante. La lecture de votre blogue m'ouvre à une plus grande compréhension. Dans les deux dernières semaines j'ai fais trois rêves qui m'intriguaient. En lisant votre blogue sur le "Jeu archétypal", j'ai pu repartir sur de "nouvelles bases" qui m'ont aidé à y voir un peu plus clair. Comme dit Laurent, merci de votre générosité.
RépondreEffacerMurielle
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RépondreEffacerTout cela doit être uns suite de moments privilégiés et je suis de tout cœur et esprit avec vous.
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