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Le rêve comme réalité non ordinaire
– À propos d’une bascule intérieure –
Ils restaient pour moi une langue étrangère. Je me souviens précisément d’une période : l’année où j’ai terminé en burnout. À ce moment-là, un rêve est revenu, nuit après nuit. Toujours le même.
Quatre ans plus tard, le sens du rêve s’est révélé. Au sein d’un cercle animé par Jean Gagliardi. Ce jour-là, j’ai eu l’impression d’être littéralement traversée par un train. Percutée. Le message est arrivé sans détour. J’ai compris. Et j’ai su, immédiatement, que ma voie passerait par là. Je me consacrerais dorénavant à l’interprétation des rêves.
Depuis, je chemine sur les sentiers du Mystère. Ma posture de coach s’est enrichie : thérapeute, interprète de rêves, accompagnante. L’analyse et la lecture symbolique demeurent des repères solides. Mais d’autres dimensions se sont ajoutées au fil des années, des formations, des rencontres : l’intuition, le corps, l’attention portée à l’énergie du rêve — et à celle du rêveur. Car chaque rêve rassemble plus qu’un récit. C’est un champ. Un monde en soi. Pas au sens métaphorique, mais comme une réalité sensible. Une forme de présence active, invisible, dans laquelle quelque chose se joue entre le rêve, la personne qui le porte, et celle qui l’écoute. Ce champ, je le perçois comme une vibration, un souffle en mouvement, un lien silencieux. Un espace vivant qui appelle une qualité particulière de présence. À soi. Au rêve. Au Soi.
C’est cela que je souhaite partager ici : la bascule dans un autre monde, telle qu’elle peut s’expérimenter dans la pratique de l’interprétation des rêves, au sens large. Particulièrement, pour ceux qui l’effleurent. Pour ceux qui la pressentent sans encore pouvoir la nommer. De fait, mon envie est simple : témoigner d’une réalité non ordinaire. Un fragment d’expérience. Une mise en mots provisoire de ce qui, peu à peu, s’est révélé comme une structure invisible de ma pratique avec les rêves.
Cette approche repose sur un postulat simple : les états modifiés de conscience existent. Ils ont été vécus, explorés, décrits. Pour ne citer qu’une source, je m’appuie ici sur La Voie du chamane de Michael Harner (2011), mais aussi sur le travail fondateur de Mircea Eliade, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (1951), qui a profondément marqué la compréhension contemporaine du phénomène.
Mais cette perspective, sensible, ne m’est pas venue par les livres. Elle a surgi autrement, à travers ce que Pierre Bourdieu nomme une auto-analyse (Esquisse pour une auto-analyse, 2004). En revisitant ma pratique, en l’observant dans la durée, j’ai compris qu’elle était traversée — sans que je l’aie cherché — par une sensibilité que je pourrais nommer, sans l’enfermer, chamanique. Ce n’est pas une revendication. Plutôt un constat. Quelque chose qui s’est installé peu à peu. Au fil des séances, des rêves accompagnés, des sensations perçues, un mode singulier d’approche s’est imposé, de manière intuitive et empirique. Confirmé ensuite — en creux — par certaines lectures, des récits, des échanges avec d’autres praticiens venus d’univers très différents du mien : un médium, une chamane formée aux sources de l’Amazonie, une kinésiologue. Parfois aussi, dans ma pratique du Qi Gong.
Dans le travail des constellations, ce champ1 devient perceptible à travers les mouvements, les sensations, les résonances des corps en présence. Tous ceux qui l’ont expérimenté savent de quoi je parle. Ce n’est pas une théorie. C’est une expérience. Une réalité phénoménologique.
Dans le travail avec les rêves, ce champ est tout aussi présent. Il se manifeste parfois de manière analogue. Parfois autrement. Il glisse dans la relation : à travers un silence, une densité soudaine, une image venue sans prévenir, une phrase qui s’impose. Une sensation de froid ou de chaleur. Une évocation insistante. Qui s’installe. Qui prend toute la place.
Et c’est là que le lien devient essentiel. Car ce champ, aussi subtil soit-il, ne flotte pas en apesanteur. Il s’incarne. À travers les corps, les voix, les regards. Il se manifeste dans la relation. Dans l’espace partagé entre celle qui rêve, celui qui écoute, et le rêve lui-même. Et c’est là, précisément, que tout commence. Par l’espace que nous mettons, la rêveuse et moi, ensemble à disposition de quelque chose de sacré, de vital. Le rêve. Bien souvent, c’est moi qui perçois les manifestations du champ en premier. Une image fugace, un frisson, un changement d’atmosphère. Une intuition. Le rêveur ou la rêveuse ne le sent pas toujours. Ou pas encore. Cela m’oblige à demeurer dans la finesse d’un échange entre la réalité du présent ordinaire, avec la rêveuse, et dans ce que M. Harner appelle l’état de conscience chamanique. À l’écoute. Présente. Et ailleurs à la fois. Un bascule s’installe. Alors, presque naturellement, le champ du rêve prend sa place. Il devient un partenaire. Parfois, il guide. Parfois, il suit. Il montre le chemin. C’est une danse. Un tango discret. Mouvant. Dans un espace traversé d’autres présences. Des manifestations qu’on ne contrôle pas. Mais qui finissent par se faire entendre. Avec tous les sens.
Avec le rêve. Avec la rêveuse. Avec moi.
Je balayais ces manifestations d’un revers de la main. Je me disais que j’inventais, que j’exagérais. Que ce n’était rien. Mais ils revenaient. Persistants. Tenaces.
J’étais sourde, muette, aveugle. Aux signes. Aux perceptions. Fermée. Et un peu rigide, sans doute. Sans repères pour reconnaître ce qui me dépassait. Le décalage entre mon vécu et ma rationalité a suscité en moi de l’inquiétude, de l’étrangeté. Une forme de crainte. Parfois même, de rejet.
Peu à peu, j’ai appris à ne plus les ignorer. A écouter ces appels. Les signes émanant de l’Ailleurs, exigent, sous certaines circonstances, d’être reconnus. Sinon, c’est interrompre un processus, détourner un passage, ignorer un seuil. Et ne pas honorer le cadeau de la vie, de l’Univers.
Avec le temps, la pratique, et l’ouverture à d’autres voies d’exploration du rêve, quelque chose s’est stabilisé progressivement. Une assise. Une confiance. Une forme de présence plus ancrée s’est installée. Comprendre la logique du champ qui sait — ou plutôt, cesser de vouloir l’expliquer — a ouvert un nouveau rapport dans ma pratique où je ne cherche plus à faire abstraction du champ, et de ses manifestations, ou à le maîtriser. Je le laisse faire. Il n’est pas un outil, ni une méthode. C’est un cadre de perception. Une manière d’être en lien avec le rêve d’autrui, sans forcer. Sans envahir. Sans chercher de réponses —elles arrivent d’elles-mêmes —, sans chercher de solutions — il n’y en a pas. Chercher simplement à être là. C’est sans doute l’aspect le plus difficile à transmettre : ce déplacement intérieur. Ce changement de posture. Cette désidentification du savoir. Ce pas de côté dans l’invisible.
Dès lors, ce que je propose ici relève d’un partage. D’un don. Une mise en mots fragmentaire, mais sincère, de ce qui s’est révélé à moi au fil du temps. Je me contenterai d’en transmettre quelques points d’appui, quelques lignes de force. Dans l’espoir qu’ils résonnent, peut-être, chez certains d’entre vous. Car cette approche de la voie sensible dans le travail avec le rêve n’est pas anodine. Vous le savez comme moi. Elle engage. Elle déplace. Elle déstabilise.
Alors, prendre en considération la réalité non ordinaire du rêve, ce n’est pas ajouter une couche de mystère. C’est accepter qu’un rêve ne se livre jamais en surface. Ou, pour paraphraser Jean, « ce n’est que ça » … signifie forcément qu’il y a plus que « ça ». Le rêve ne dit pas une vérité objective. Il ne livre pas un message universel. Il cherche simplement à rejoindre quelqu’un. Un rêveur, une rêveuse, dans un moment précis de son chemin.
Plus simplement, dit et redit : ce que j’écoute, ce n’est pas “ce que le rêve veut dire”. C’est ce qu’il cherche à faire émerger dans la conscience de celui ou celle qui l’a reçu. A l’instar de ce que Richard Moss et Jean Gagliardi enseignent. Quand deux personnes peuvent rêver d’un train, d’un même animal, du même effondrement de maison, ce n’est jamais au même endroit de leur vie. Jamais avec la même blessure. La même mémoire. La même attente. Ou les mêmes besoins. Quand bien même ils seraient identiques — nous sommes tous des êtres humains — la manière de le formuler doit nécessairement être différente, à l’image de la personne singulière que je suis, et celle qui est présente avec moi pour découvrir son rêve.
C’est dans cet esprit qu’est née cette contribution, à l’invitation de Jean. Comme une trace laissée au fil d’une partie du chemin que nous parcourons ensemble. Non pour délimiter un territoire. Mais pour esquisser les contours d’une pratique. Et peut-être ouvrir, chez d’autres, des échos inexplorés. Raison pour laquelle, je vous propose certains accords intérieurs qui se sont fait entendre. Comme des notes récurrentes, des points d’appui. Ils ne disent pas comment faire. Ils tracent plutôt une atmosphère, une manière d’être au rêve. Une orientation, peut-être.
1 Dans les constellations systémiques et familiales, le champ (souvent appelé « champ morphique » ou « champ systémique ») désigne un espace invisible, non physique, mais dynamique, dans lequel s’inscrivent et se transmettent les émotions, les dynamiques relationnelles, les traumas, ainsi que les schémas comportementaux au sein d’un système familial ou social. Ce champ est perçu comme une sorte de mémoire collective ou d’énergie consciente qui relie tous les membres d’un système, y compris les ancêtres, les personnes disparues, et parfois même des entités symboliques ou des événements non résolus. Cette définition, issue du champ des constellations, trouve selon moi un écho direct dans le travail avec les rêves, où un espace similaire semble à l’oeuvre — plus diffus, mais tout aussi agissant.



