Photo Danielle Bouchard, tous droits réservés |
Le
travail du rêve ne se réduit pas à son interprétation, même si elle en est une
part importante. L’interprétation est la reformulation du rêve dans un autre
langage que celui des images vivantes – Jung soulignait que le rêve est toujours
la meilleure expression du sens qu’il recèle. Toute interprétation est dès lors
une dégradation de cette expression dans une forme qui nous est plus aisément
accessible, souvent au détriment de la subtilité des images. Le rêve est très généralement
multidimensionnel, c’est-à-dire que plusieurs niveaux d’interprétation
peuvent se côtoyer, comme autant de couches de signification possible, et son
sens se révèle avoir de multiples facettes selon l’angle sous lequel on le considère.
Un
danger de l’interprétation tient à la possibilité que s’instaure une autorité,
pour peu que quelqu’un aie le front de croire savoir pour autrui ce que
signifie son rêve. C’est à peu près le pire qu’on puisse faire avec un rêve que
de l’abandonner aux mains de quelqu’un qui nous assène en retour une certitude.
Une mauvaise interprétation, si du moins on l’accepte, est plus dangereuse que
l’absence d’interprétation : quelque chose fait son chemin dans les
images, pour peu qu’on leur accorde quelque attention, même sans mot posé sur
celles-ci. Mais une interprétation faussée tente de capter l’énergie dynamique
du rêve au profit du préjugé et de l’autorité de l’interprète. Il faut faire attention à qui l’on raconte son rêve
car l’interprétation qu’il nous en donne pourrait, si on lui en donne le pouvoir,
prendre force de réalité dans notre vie.
Un
autre piège concernant l’interprétation, c’est que celle-ci n’est pas une
explication du rêve. Si vous avez un « détecteur de connerie » en bon
état de marche, il se mettra à vibrer dès que vous entendrez un péremptoire «
ce n’est que… » à propos d’une image intérieure. La règle d’or en ce qui
concerne le travail du rêve, c’est que ce dernier ne dit jamais quelque chose
de déjà connu. C’est toujours quelque
chose de nouveau qui tente de parvenir à la conscience. Cela vaut pour le
rêveur, mais aussi pour l’analyste qui ne peut pas non plus trouver là une
confirmation de ce qu’il croit déjà savoir. Mais on cherche souvent aussi à
réduire le rêve à un jeu de causes et d’effet : par exemple, j’ai rêvé de
monstres parce que j’ai regardé un film d’horreur hier. Or c’est une erreur de
chercher la cause d’un rêve, car c’est une création vivante et non un effet
mécanique; ce qu’il importe d’interroger, ce n’est pas sa cause, c’est sa
finalité : mais pourquoi donc le rêve me parle-t-il des monstres qui
grouillent en moi ? Que suggère-t-il que je fasse avec eux ? Quel est
l’intention de l’inconscient en me confrontant à eux ?
Avant
de travailler un rêve, il est important de s’ancrer
dans l’instant présent, en pleine conscience, et tout particulièrement dans
le corps. Si nous ne sommes pas dans l’instant présent, où sommes-nous donc ?
Quelque part dans notre tête. Comment entendre alors ce que le rêve veut nous
dire ? Cela se perdra dans notre brouhaha mental. Ce n’est pas le rêve que
nous entendrons alors, mais ce que nous en pensons, selon telle théorie ou tel
préjugé. Le corps nous offre toujours le chemin le plus court pour revenir dans
l’instant présent, par cette forme de méditation qui consiste à simplement prêter
attention à nos sensations. Or, il se trouve que dans le travail d’un rêve, il
est plus important de sentir ce que produit un rêve dans notre corps et notre
cœur que de réfléchir à son sujet.
Il
faut dire ou écrire le rêve au présent.
En parler au passé, c’est déjà installer une distance avec le rêve, se
dissocier de son contenu. Dans certains cas, par exemple un cauchemar
insupportable, cette dissociation est cependant nécessaire et, bien sûr, il ne
faut jamais rien forcer. Il arrive aussi souvent que le rêve lui-même soit vécu
dans un mode dissocié par un moi-spectateur de la scène du rêve, et on peut
penser qu’il s’agit-là d’une forme de protection. Mais c’est le senti du rêve
qui est toujours le plus important, par lequel ce dernier communique ce qu’il cherche
à dire. Le récit au présent permet au rêveur de revivre son rêve. Idéalement,
il convient de ralentir le débit, de raconter le rêve le plus lentement
possible en prenant le temps de respirer entre les phrases et, surtout, de
ressentir les émotions qui montent, les sensations dans le corps. Un analyste
attentif prêtera attention au langage du corps, tellement expressif. Il n’est
pas rare que le message du rêve soit déjà manifeste dans l’émotion qui se
dégage de ce premier contact avec lui, et que tout ce qu’il reste à faire soit
de l’intégrer.
Le
premier pas dans l’interprétation d’un rêve, c’est toujours de reconnaitre que
« je ne sais pas » ce qu’il signifie. Jung lui-même, avec les
dizaines d’années qu’il a consacrées à l’écoute des rêves, insistait sur ce
point : « je ne sais
pas » est la porte d’entrée du rêve, la première pensée qui vient
quand le rêve est entendu dans un espace mental ouvert à son déploiement.
« Étudiez toutes les méthodes, toutes les théories, mais quand vous êtes
devant un rêve, écartez-les car le rêve est unique ». Il s’agit donc
d’abord de faire le vide en dedans pour accueillir le rêve dans sa singularité
unique, et de permettre ainsi à l’intuition de se faire entendre. C’est le
premier point de la méthode de base pour interpréter les rêves : quelle est la première intuition ?
Qu’est-ce qui vous est venu à l’esprit quand vous avez entendu le rêve, ou quand
vous vous l’êtes remémoré ?
Dans
un cercle de rêves, il peut être suffisant d’écouter les intuitions qu’offrent
les participants au rêveur. Ce dernier trouve souvent dans le simple énoncé de
ces intuitions tellement de facettes auxquelles il n’aurait pas pensé que le
rêve s’en trouve soudain transformé , et riche d’un grand nombre de
significations potentielles. C’est un diamant qui se dégage subitement de sa
gangue d’inconscience. Si l’on veut aller plus loin dans la recherche d’une
interprétation, c’est le moment de poser quelques questions au rêveur, à
commencer par : quelque chose en
particulier vous préoccupait-il la veille du rêve, ou dans les jours précédents ?
C’est que le rêve répond souvent à la conscience et tente d’apporter, si ce
n’est une réponse aux interrogations du rêveur, du moins le point de vue de
l’inconscient. On cherche là les éléments de compensation, ou comment
l’inconscient vient volontiers équilibrer et élargir la conscience que nous
avons d’une situation ou d’une question qui nous intéresse, et dont le rêve révèle
les profondeurs jusque-là invisibles.
À
partir de là, c’est-à-dire de la première intuition et d’une connaissance
minimale du contexte du rêve, on peut interroger
les associations symboliques. Tous les éléments d’un rêve peuvent être
considérés comme un symbole, c’est-à-dire comme une image recelant un sens
caché, inconscient. On peut donc demander au rêveur à quoi lui fait penser, par
exemple, le chien qui batifole dans son rêve et la balle avec laquelle il joue,
la jeune femme qui la ramasse, etc. Souvent, la mise en perspective de ces
éléments symboliques, avec l’éclairage de l’intuition sur la toile de fond de
la préoccupation consciente, dessine un tableau surprenant : ce n’est pas
ce à quoi on s’attendait et cependant, cela a du sens ! Tous les détails
du rêve méritent d’être interrogés, et tout particulièrement ceux qui ne sont
pas explicites, mais donnent un contexte ou élargissent le rêve : à quel
moment de la journée cela se passe-t-il ? Avez-vous chaud ou froid ?
Comment est-elle habillée ? Comment vous sentez-vous ?
Les
dictionnaires de symboles ne sont guère utiles à ce stade, car la plupart se
comportent comme cet idiot qui vous assène des « ce n’est que… ». Ils
témoignent simplement de l’étroitesse d’esprit de leurs auteurs, étroitesse dans
laquelle il vaut mieux éviter de se laisser enfermer pour interpréter les
rêves. Les seuls dictionnaires vraiment utiles en cette matière sont ceux qui
recueillent les mythes, contes et histoires que les différentes cultures ont
cultivés à propos des symboles, et dont on peut voir quels éléments nous
touchent. Après avoir recherché les associations personnelles du rêveur,
l’étape suivante est en effet celle de l’amplification qui consiste en regarder si certains symboles auraient une
dimension universelle qui ressort dans ces contes. On ne se limite pas pour
cet exercice aux mythes ancestraux : les livres et films contemporains
nous fournissent aussi une ample matière. Il s’agit de voir s’il y aurait dans
le rêve un thème collectif en résonance avec la préoccupation consciente, une
histoire commune dont le rêveur vivrait une nouvelle version.
Une
fois accomplie toute cette investigation du rêve, on a souvent une bonne idée
de ce que veut dire le rêve. Si ce n’est pas le cas, il faut continuer à
tourner autour de celui-ci et des principaux symboles, sans se décourager, avec
patience. Une clé est de prendre note des émotions ressenties à différents
moments du rêve et de chercher à les relier à des éléments de la vie consciente :
dans quel domaine de votre vie éprouvez-vous
des émotions similaires ? Quand l’émotion ressentie dans un rêve est
connectée à une émotion vécue consciemment, même si l’on n’a pas
d’interprétation claire, on approche du cœur du rêve. Une autre voie d’accès,
qui se passe éventuellement de toute élaboration symbolique, consiste à dessiner
les éléments du rêve qui nous semblent les plus vivides. Il est également possible
de danser les mouvements du rêve, d’observer comment il bouge dans notre corps.
On peut aussi se mettre « à la place » d’éléments du rêve et se
demander ce qu’ils sentent, même s’il s’agit d’objets inanimés : le postulat de
base de cette approche est que tous les éléments du rêve font partie de nous.
Quel
que soit le chemin que nous empruntons, il advient un moment toujours un peu
surprenant où se produit un déclic et apparait ce que Fritz Perl appelait très
justement « le message existentiel du rêve ». Il est aisé de le
distinguer de nos spéculations intellectuelles sur le rêve car on ressent une
certaine énergie, une sorte d’enthousiasme quand il nous vient à l’esprit. C’est
le message du rêve, et non une construction intellectuelle sur le rêve. C’est un message « existentiel » car ce
n’est jamais ni une indication purement pratique, ni un jugement ou une
injonction. Il nous parle au plus profond de nous-mêmes,
de telle façon que nous ne saurons l’oublier ou l’ignorer une fois ce message
entendu, car il touche à ce que nous avons de plus intime. Quand ce message est
enfin clair, la dernière chose à faire pour compléter le travail est de le
formuler en une phrase, aussi précise que possible. C’est alors comme si nous
taillions une pierre précieuse en en écartant les dernières impuretés, pour
faire ressortir dans la lumière ce qu’elle a d’unique, son caractère propre.
Pour aller plus loin dans l'interprétation des rêves, voyez les 30 principes collectés par Nicolas Bornemisza, que je développerai dans de prochains billets sur ce blogue.
Pour aller plus loin dans l'interprétation des rêves, voyez les 30 principes collectés par Nicolas Bornemisza, que je développerai dans de prochains billets sur ce blogue.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire