Plusieurs personnes m’ont demandé de donner un
exemple détaillé, pas à pas, de travail avec un rêve. En voici donc un, à partir du
rêve d’une jeune femme dans la trentaine, avec bien sûr sa permission. Elle l’a
intitulé « rêve bleu » dans son journal de rêves, sans savoir
clairement pourquoi car le bleu n’y tient qu’une place relative, mais ce titre m’a
suggéré un point d’entrée dans le rêve.
La
rêveuse est dans la maison de ses parents, dans une petite pièce qu’elle est
seule à connaitre et d’où elle regarde dehors par la fenêtre. Elle attend mais
elle ne sait pas ce qu’elle attend, ou qui ; elle a la vague impression
d’être conviée à une soirée, une fête. Une voiture bleue se gare devant chez
elle, un homme très bien habillé en sort. Elle est intriguée : vient-il la
chercher ? Il semble très en colère, il vitupère et s’en prend à une
vieille dame qui passait par là en promenant son chien. La rêveuse est soulagée
de le voir se diriger vers une autre maison. Un adolescent passe en vélo, il la
remarque malgré le rideau derrière lequel elle se cache et lui fait un grand
sourire avec un geste de la main. Il lui rappelle son petit ami quand
elle avait 14 ans. Elle se retrouve soudain sans transition à marcher au bord
de la mer avec un homme dont elle ne voit pas le visage. Dans le sable de la
plage, il y a des morceaux de verre polis par la mer, elle en ramasse de
plusieurs couleurs et s’amuse à regarder le soleil au travers de ceux-ci.
La rêveuse est très intriguée par ce rêve, en
particulier par cet homme inconnu qui marche avec elle au bord de la mer.
D’emblée, elle me laisse savoir qu’elle est célibataire depuis plusieurs années
et que cela la préoccupe beaucoup : elle se demande si elle trouvera un
compagnon avec qui mener son projet d’avoir plusieurs enfants. Son intuition
lui dit que ce rêve annonce une rencontre, elle a envie d’y voir un rêve
prémonitoire et pourquoi pas ? Je ne la décourage pas d’une telle idée
mais je lui dis simplement mon intuition personnelle qui est que ce rêve
annonce un renversement de perspective.
Avant d’entrer dans le jeu des associations,
je lui demande s’il s’est passé quelque chose de particulier dans les jours qui
ont précédé le rêve. Non, rien de spécial sauf qu’elle a été très déprimée,
peut-être même un peu dépressive. Elle n’est pas sortie de chez elle, a annulé
des rendez-vous ; elle n’avait d’énergie pour rien. Elle a eu du mal à
trouver le sommeil cette nuit-là.
Nous partons ensuite à la chasse aux
associations. Il y a beaucoup de symboles.
La maison de ses parents ? C’est la
maison de quand elle était petite. Elle lui semblait immense mais c’était une
petite maison. Elle s’y sentait bien, en sécurité. Elle avait un peu peur de ce
qu’il y avait à l’extérieur. Elle imaginait des monstres, des voleurs et des assassins
qui rodaient mais elle était protégée tant qu’elle restait dans la maison.
Une petite pièce qu’elle seule connait ?
C’est comme quand on joue à cache-cache. Elle a une super cachette où personne
ne pourra la trouver.
Regarder dehors, par la fenêtre ? Elle
est en sécurité, elle peut observer sans que personne ne puisse la voir car
elle se tient derrière le rideau. La fenêtre, c’est une ouverture. Un peu de
lumière entre. La rêveuse part en rire en disant qu’il faudra ouvrir car cela
sent un peu le renfermé.
Une voiture bleue ? Nous nous arrêtons
surtout sur le bleu. Elle pense à l’expression « avoir les bleus »,
ou en anglais, le blues. Le bleu c’est pour les filles – ah bon, lui
dis-je ? Je croyais que c’était le rose ? Oui mais le bleu est
féminin, c’est la couleur symbolique de la réceptivité. Je l’invite à laisser
la symbolique de côté pour l’instant. C’est un bleu marial assez étonnant pour
une voiture. Elle dit aussi ciel bleu, le bleu de la mer, le bleu c’est ma
couleur préférée. C’est une grosse voiture, une voiture qui dit la réussite,
l’argent. Elle ressent un malaise, une contraction dans le ventre quand elle
pense à cette voiture. Je me dis alors que mon point d’entrée, ce sera sans
doute que le rêve parle de son bleu à l’âme, suivant sa première association
avec l’expression « avoir les bleus ».
L’homme qui sort de la voiture ? C’est un
bel homme, bien habillé, un professionnel avec beaucoup d’assurance. Il lui
fait vaguement penser à son ex. À nouveau un malaise, cette fois c’est la gorge
qui est serrée. Son ex était-il colérique ? Non pas du tout, il était très
doux sauf quand il explosait. À quoi lui font penser les vitupérations de
l’homme ? Il est hors de lui, il en veut à la terre entière. Un déclic
soudain : c’est parce qu’il croit que personne ne peut le voir, il se
lâche, il se défoule. Ah ! J’interroge la rêveuse : lui arrive-t-il
de se lâcher ainsi quand personne ne peut la voir ? Oui, cela lui arrive
et elle en veut parfois elle aussi à la terre entière.
La vieille dame qui promène son chien ?
Elle n’a rien fait, c’est la victime innocente. Elle se fiche des insultes.
Elle passe son chemin sans réagir. Elle est toute seule avec son chien. La
rêveuse a peur de devenir une vieille femme toute seule avec seulement son
chien à qui parler.
Un adolescent qui passe en vélo, la voit
malgré le rideau, lui sourit et lui fait signe ? Il est basané, il lui
rappelle un garçon qu’elle a beaucoup aimé à 14, 15 ans. Il était péruvien, il
avait un accent qui la faisait rêver. Il la faisait rire tout le temps. Elle
l’a laissé tomber car elle trouvait qu’il était trop collant, un peu jaloux, et
puis il était pauvre ; elle est sortie avec un autre garçon plus âgé qui
avait une voiture, lui. Oh ! La rêveuse vient d’associer les voitures avec
une idée qui lui vient à l’esprit : ce garçon péruvien, il était
amoureux d’elle, très amoureux. Après, elle n’a plus jamais trouvé un garçon
aussi gentil…
Le bord de la mer ? Ah ça, c’est les
vacances, la relaxation, enfin pouvoir se détendre, profiter de la vie.
Cet homme dont elle ne voit pas le
visage ? Il semble doux, bienveillant. Il marche à quelques pas devant
elle en silence. Je l’invite à fermer les yeux, se remémorer l’image de
l’homme… et je demande comment elle se sent. Calme, curieuse. Il y a de la
chaleur dans ses mains, son cou.
Les verres polis par la mer ? « Ce
sont mes trésors d’enfant, mes pierres précieuses » – me dit-elle en
souriant. « Quand je trouvais des verres polis sur la plage près de chez
mes grands-parents, je les gardais dans une boîte secrète car c’était mes
bijoux, un trésor dont moi seule connaissait la valeur ». Je fais le lien
avec la façon dont elle se cache elle-même au début de rêve dans la petite
pièce secrète : serait-elle elle-même un trésor dont elle ne reconnait pas
encore la valeur ?
Encore un détail, à quels moments de la
journée se déroule le rêve ? La première partie, c’est la fin d’après-midi,
la lumière descend. Au bord de la mer, c’est le matin, la fin de la matinée car
le soleil est déjà haut. Ah, nous allions oublier d’interroger cela :
regarder le soleil au travers des verres polis ? « Oh, c’était un de
mes jeux préférés avec mes trésors. J’avais l’impression de boire la lumière du
soleil en l’absorbant comme cela, je me faisais l’effet d’être toute lumineuse
en dedans. »
Nous avons fait le tour des associations et
déjà le climat émotionnel a beaucoup changé : la rêveuse s’est redressée
sur sa chaise et un sourire éclaire son visage, ses yeux brillent. Nous
discutons rapidement de la dynamique du rêve : elle attend quelque chose
sans savoir quoi, il arrive quelque chose qui la dérange et la surprend, et
finalement la reconnecte à un passé oublié, et voilà que la situation change
sans préavis. Une structure en 3 temps, c’est assez typique d’un rêve décrivant
une évolution psychique : une situation de départ, un seuil de
transformation et l’aboutissement. Nous relevons enfin l’annonce d’un
changement d’ambiance intérieure symbolisé par l’évolution de la lumière, d’une
fin d’après-midi à une matinée déjà avancée, d’une fin de cycle à un renouveau.
La rêveuse est contente d’entendre qu’elle va arriver « au bord de la
mer ».
Nous discutons ensuite des amplifications
possibles dans son rêve. Nous ne voyons pas de mythes ou d’histoire collective à
laquelle rattacher les éléments de son rêve mais il y a tout de même le thème
archétypique de l’attente du Prince Charmant qui ressort. Et plusieurs symboles
ont ici une dimension volontiers universelle qu’il faut maintenant examiner
pour amplifier ce qui émerge des associations symboliques. Il est à noter qu’en
l’absence d’interprète qualifié pour aider à l’amplification, on peut compter
sur les associations et les émotions qui leur sont attachées pour faire
l’essentiel du travail.
La maison représente volontiers la structure
psychique dans laquelle nous sommes. Il est intéressant de relever que les
rêves disent par-là que nous ne sommes pas notre structure psychique mais ce
qui l’habite, la conscience. Le rêve semble dire qu’elle est encore dans la
structure psychique de ses parents, avec en particulier cette peur de ce qu’il
pourrait y avoir à l’extérieur. Peur de la vie, des autres, et sans doute aussi
des hommes finalement. La rêveuse acquiesce. Elle joue à cache-cache avec la
vie ? Elle attend le Prince Charmant ? Elle est au bord des larmes.
Une voiture, c’est volontiers une façon de
conduire sa vie. Mettrait-elle trop l’accent sur la réussite professionnelle,
l’argent, le paraître ? Cette dynamique s’arrête, comme elle-même quand
elle n’a plus d’énergie, et voilà donc qu’elle a « les bleues » et
qu’il lui faut prendre le temps de revenir dans sa féminité, de bien ressentir
ce qui se passe. À l’intérieur même de cette dynamique, il y a une figure
d’homme, un animus (masculin intérieur de la femme) en colère, identifié à la
réussite mais qui en veut à la terre entière, et en particulier à cette partie
en elle qui a si peur de finir seule avec juste un chien à qui parler.
En regard d’une voiture, un vélo, c’est le
véhicule du pauvre, peut-être une certaine simplicité. Sur ce vélo, une autre
figure masculine qui s’avère positive, associée à l’amour, à la gentillesse. À
un certain exotisme aussi. Elle ne peut pas s’en cacher malgré le rideau
derrière lequel elle se dissimule. Il lui fait signe, lui sourit, c’est-à-dire qu’il
la fait sortir de son isolement, l’invite à revenir en relation avec
l’extérieur.
La mer, c’est bien sûr tout ce qu’elle en a
dit – la relaxation, les vacances, la détente – et c’est aussi un symbole
typique de l’inconscient dans son immensité naturelle. Cet homme avec qui elle
se promène, qui demeure mystérieux quoi qu’il semble être doux et bienveillant,
c’est encore vraisemblablement son animus, son masculin intérieur. On pourrait
dire aussi que c’est son inconscient, qui l’accompagne en la précédant de
quelques pas, et qui revêt la forme d’un partenaire intérieur à découvrir. C’est
donc bien à une rencontre que ce rêve semble la convier, mais c’est avec ce
« prince charmant » à l’intérieur, sans préjuger des rencontres
qu’elle pourra faire dans la « vraie vie ». Il l’invite à une ballade
au bord de l’immensité de l’inconscient et de la vie – on pourrait voir là une
suggestion invitant à poursuivre le travail intérieur avec l’inconscient, à
cheminer avec son partenaire intérieur –, une promenade au cours de laquelle
elle redécouvrira des trésors oubliés qui rallumeront sa joie de vivre et lui
feront, selon ses mots, se sentir « toute lumineuse en dedans ».
Le message existentiel du rêve semble clair. Il
propose un changement de perspective suggérant à la rêveuse de revisiter le
passé pour y retrouver l’amour oublié plutôt que de s’inquiéter de l’avenir, et
à se tourner vers l’intérieur plutôt que de chercher, pour l’instant, un
partenaire à l’extérieur. Elle est invitée aussi à réviser ses standards de
réussite et les exigences qu’elle pourrait avoir envers les hommes qui
l’approchent, et à voir comment elle-même nourrit une certaine colère,
peut-être même selon ses propres mots, une rancœur qui pourrait l’isoler.
Pour conclure le travail, je l’invite à fermer
les yeux et à imaginer une suite à ce rêve : et que fait-elle
maintenant ? « Oh, c’est facile », me dit-elle – « je me
déshabille et je vais nager. Il n’y a personne d’autre que nous sur cette plage
alors je me mets toute nue et je plonge, sans hésiter. Je n’aime rien tant que
nager nue... » Bien sûr cela s’interprète encore fort bien en termes de
vulnérabilité assumée, d’intimité et de sensualité, de plonger dans la vie,
mais est-il besoin de le dire ?
« Ah ! Je sais pourquoi c’est un rêve
bleu » me dit-elle au moment de me quitter « c’est le bleu de la
mer qui m’appelle ». Ses yeux pétillent, elle semble rafraichie. C’est la
vertu du travail du rêve et de l’imagination : une plongée dans
l’inconscient, cela vous régénère.
Merci Jean de cet exemple!
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